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05/01/2023 | FRANCE | N°20/03012

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 05 janvier 2023, 20/03012


N° RG 20/03012 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IR4F





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 05 JANVIER 2023











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 09 Septembre 2020





APPELANT :





Monsieur [L] [I]

[Adresse 2]

[Localité 1]



représenté par Me Laurent TAFFOU de la SELARL CABINET TAFFOU, avocat au barreau de l'EURE







INTIMEE :





Société PROXEL

[Adresse 3]

[Localité 4]



représentée par Me Franck ROGOWSKI de la SELARL CONIL ROPERS GOURLAIN-PARENTY ROGOWSKI ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN





































CO...

N° RG 20/03012 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IR4F

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 05 JANVIER 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 09 Septembre 2020

APPELANT :

Monsieur [L] [I]

[Adresse 2]

[Localité 1]

représenté par Me Laurent TAFFOU de la SELARL CABINET TAFFOU, avocat au barreau de l'EURE

INTIMEE :

Société PROXEL

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Franck ROGOWSKI de la SELARL CONIL ROPERS GOURLAIN-PARENTY ROGOWSKI ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 10 Novembre 2022 sans opposition des parties devant Madame POUGET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ALVARADE, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 10 Novembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 05 Janvier 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 05 Janvier 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE 

M. [L] [I] a été engagé en qualité d'installateur-monteur par la SARL Proxel (la société) par un contrat à durée indéterminée à compter du 14 mai 2007.

Dans le cadre d'un aménagement de peine, il a bénéficié d'un placement sous surveillance électronique (PSE) puis a été incarcéré à la maison d'arrêt d'[Localité 5] le 20 septembre 2017.

Le 25 septembre 2017, la société l'a mis en demeure de justifier du motif de son absence et de la durée prévisible de celle-ci.

Après l'avoir convoqué à un entretien préalable à une mesure de sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, la société lui a notifié son licenciement pour faute grave le 30 octobre 2017.

Contestant cette décision, M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen qui, par jugement du 9 septembre 2020, a :

- condamné la société à lui régler les sommes suivantes, assorties des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil :

3 317,70 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

331,77 euros au titre des congés payés sur préavis,

4 469,67 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire autre que celle de droit,

- débouté M. [I] de ses autres demandes,

- débouté la société de ses demandes,

- condamné la société aux dépens.

M. [I] a interjeté appel de ce jugement le 22 septembre 2020 et par conclusions remises le 16 décembre 2020, demande à la cour de :

- confirmer le jugement en date du 9 septembre 2020 en ce qu'il a condamné la société aux dépens et à lui payer les sommes suivantes  :

3 317,70 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

3 31,77 euros au titre des congés payés y afférents,

4 469,67 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

y ajoutant,

- écarter le montant maximal d'indemnisation prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail en raison de son « inconventionnalité », ce plafonnement violant les dispositions de l'article 24 de la charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et le droit au procès équitable,

- condamner la société à lui payer les sommes suivantes :

4 500 euros à titre de dommages et intérêts résultant du caractère vexatoire du licenciement,

60 000 euros net de CSG et de CRDS, en réparation de l'ensemble des préjudices professionnels, financiers et moraux subis dans le cadre de son licenciement,

à titre subsidiaire,

- condamner la société à lui payer les sommes suivantes :

16 588,50 euros net de CSG et de CRDS à titre d'indemnité résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

5 000 euros à titre de dommages et intérêts résultant des conséquences financières de la perte injustifiée de son emploi,

2 500 euros à titre de dommages et intérêts résultant de la perte des avantages sociaux de l'entreprise,

2 500 euros à titre de dommages et intérêts résultant de la perte du bénéfice de la mutuelle et de la prévoyance,

17 000 euros à titre de dommages et intérêts résultant de la perte du niveau de vie,

17 000 euros à titre de dommages et intérêts résultant « de l'humiliation du chômage et du préjudice moral »,

en tout état de cause,

- condamner la société à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire que les sommes porteront intérêts au taux légal à compter du dépôt de la requête,

- condamner la société aux dépens.

Par conclusions remises le 2 mars 2021, la société demande à la cour de :

- juger irrecevables les demandes formées au titre du caractère vexatoire du licenciement, des préjudices professionnels, financiers et moraux subis dans le cadre de son licenciement, de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, des conséquences financières de la perte injustifiée d'emploi et, à titre subsidiaire, de l'en débouter,

- débouter M. [I] de sa demande formée au titre de :

la perte du bénéfice de la mutuelle et de la prévoyance,

la perte des avantages sociaux de l'entreprise,

la perte de niveau de vie,

l'humiliation du chômage et du préjudice moral,

- recevoir son appel incident en ce qu'il tend à la réformation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. [I] une indemnité compensatrice de préavis et des congés payé y afférents et en ce que le jugement l'a déboutée de sa demande de condamnation de M. [I] à lui payer la somme de 800 euros au titre du solde du prêt patronal,

- déclarer bien fondé cet appel incident et en conséquence :

- débouter M. [I] de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis,

- débouter M. [I] de sa demande de congés payés sur préavis,

- condamner M. [I] à lui payer la somme de 800 euros au titre du solde du prêt patronal,

- débouter M. [I] de sa demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner à lui payer la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 octobre 2022.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé détaillé de leurs moyens et arguments.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1) Sur l'irrecevabilité de certaines demandes de M. [I]

La société fait valoir l'irrecevabilité de plusieurs demandes présentées par l'appelant au motif que celui-ci n'a pas relevé appel de la requalification, opérée par les premiers juges, du licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Toutefois, le moyen considéré ne saurait prospérer dans la mesure où le dispositif de la décision déférée ne mentionne pas un tel chef, puisque celui-ci se limite à accorder au salarié les indemnités légale de licenciement et compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, et à le débouter de toutes ses autres demandes. Dans ces conditions, il ne peut être fait grief à M. [I] de ne pas avoir expressément critiqué un chef du jugement qui n'était pas repris dans son dispositif.

De plus, la cour constate que la déclaration d'appel précise qu'elle porte sur les demandes rejetées et, notamment, celles formées au titre du licenciement vexatoire, de l'ensemble des préjudices subis dans le cadre de son licenciement, du licenciement sans cause réelle et sérieuse, de la perte injustifiée d'emploi, de la perte des avantages sociaux, du bénéfice de la mutuelle de la prévoyance et du niveau de vie.

Dès lors, conformément aux dispositions des articles 562 et 901 du code de procédure civile, il convient de considérer que la cour est valablement saisie de ces différentes prétentions qui seront déclarées recevables.

2) Sur le licenciement

La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l'employeur et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits reprochés au salarié aux termes de la lettre de licenciement fixant les limites du litige sont établis, et s'ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier l'éviction immédiate du salarié de l'entreprise.

Par la lettre de licenciement datée du 30 octobre 2017, l'employeur motive le licenciement pour faute grave de M. [I] dans les termes suivants :

«Vous êtes absent de l'entreprise depuis le lundi 18 septembre 20 17. Vous nous avez fait parvenir un texto ce jour à 7h30 pour nous indiquer ceci : « j'ai une gastro, j'espère pouvoir venir demain ».

Or, vous ne vous êtes pas présenté à l'entreprise le lendemain 19 septembre, ni les jours suivants, sans vous manifester d'une quelconque façon.

Nous vous avons demandé de nous fournir un justificatif de cette absence prolongée. Vous n'avez pas répondu à notre demande.

Le 2 octobre dernier, nous avons reçu une lettre de votre part datée du 26 septembre selon laquelle vous étiez incarcéré depuis le dimanche 17 septembre (...).

Il s'avère donc que le bénéfice du placement sous surveillance électronique dont vous bénéficiez pour purger les peines d'emprisonnement qui vous ont été infligés vous a été retiré, de sorte que vous êtes désormais incarcéré pour une durée indéterminée.

Or, notre société doit faire face a une charge de travail importante et votre absence prolongée et injustifiée désorganise gravement notre activité. Nous vous rappelons que nous vous avions même demandé d'effectuer en septembre des heures supplémentaires.

C'est pourquoi nous avons pris la décision de vous licencier pour faute grave (...) ».

L'appelant fait valoir que la lettre de licenciement est insuffisamment motivée en ce qu'elle ne porte pas la mention de la nécessité de son remplacement définitif.

Toutefois, ce moyen est inopérant puisqu'il n'existe pas d'obligation formelle relative à la nécessité d'insérer une telle mention dans la lettre de congédiement. En effet, seul le bien-fondé de la rupture en raison d'une cause ou d'un trouble objectif peut être discuté si l'employeur ne justifie pas de la réalité du besoin de recruter un salarié définitivement.

En outre, il apparaît que les premiers juges, à la faveur d'une exacte appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits, non utilement critiqués par l'appelant qui ne produit aucune pièce nouvelle à l'appui de sa contestation, ont à bon droit retenu dans les circonstances particulières de l'espèce, l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement et écarté celle d'une faute grave.

En effet, il est établi que la société a été informée, dès le 20 septembre par la fille de l'appelant, de l'incarcération de ce dernier auquel il ne peut être valablement reproché, dans les conditions considérées, de ne pas avoir contacté personnellement son employeur.

L'employeur justifie par les attestations, mails et autres documents produits, de la désorganisation résultant de l'absence du salarié sur lequel il pensait pouvoir compter pour accomplir des heures supplémentaires, eu égard à l'activité de la société. D'ailleurs, la société démontre avoir sollicité, dès le 1er septembre 2017, le juge de l'application des peines pour un aménagement des horaires du salarié, alors placé sous PSE, en raison « d'un gros surcroît de travail » en ajoutant qu'il s'agissait "d'une petite entreprise n'ayant pas beaucoup de ressources humaines".

Ainsi, l'absence du salarié dont le savoir-faire spécifique n'est pas discuté, a contraint l'employeur, pour faire face aux demandes de ses clients, à procéder à son remplacement dans le mois qui a suivi son licenciement, comme il en justifie par le contrat de travail à durée déterminée du 9 novembre 2017 qui s'est poursuivi en contrat à durée indéterminée selon avenant du 1er décembre 2017.

Par conséquent, la décision déférée doit être confirmée en ce qu'elle a requalifié le licenciement de l'appelant en licenciement pour cause réelle et sérieuse et l'a débouté de ses demandes s'y rattachant et de celles découlant de la perte de son emploi.

Par ailleurs, l'intimée soutient qu'il ne peut être accordé au salarié une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés y afférents dans la mesure où il était dans l'impossibilité d'exécuter le préavis en raison de son incarcération.

En effet, de par son incarcération pour exécuter des peines d'emprisonnement pour une durée nécessairement supérieure à la durée du préavis, la preuve est rapportée de l'impossibilité dans laquelle se trouvait le salarié d'effectuer son préavis, motif qui dispense l'employeur de lui verser l'indemnité compensatrice et les congés payés afférents, la décision déférée étant infirmée sur ce point.

En outre, le salarié soutient le caractère vexatoire de son licenciement dans la mesure où l'employeur lui a écrit à la maison d'arrêt d'[Localité 5] pour lui demander un certificat médical ou un justificatif de son absence, alors qu'il avait connaissance de son incarcération.

S'il est exact que l'employeur lui a effectivement adressé une telle demande par lettre du 25 septembre 2017, alors qu'il avait été informé par la fille du salarié de son incarcération, ce document est insuffisant à caractériser le comportement fautif de l'employeur relativement aux circonstances du licenciement et, partant, à justifier l'octroi d'une indemnité, la décision déférée étant confirmée sur ce chef.

3) Sur le prêt patronal

La société intimée sollicite le paiement de la somme de 800 euros au titre du solde d'un prêt patronal, prétention à laquelle s'oppose le salarié en soutenant d'une part, qu'il n'est pas possible de former une demande nouvelle en cause d'appel, d'autre part, qu'aucun élément n'est versé au débat concernant le prêt et enfin, qu'en première instance, l'employeur a reconnu qu'une compensation s'était opérée entre le solde de ce prêt et la participation due au salarié.

Il ressort de la lecture du jugement déféré que l'employeur avait déjà formé une telle demande devant les premiers juges qui l'ont rejetée, de sorte que sa réitération en appel est recevable.

Toutefois, l'employeur qui supporte la charge de la preuve de la créance dont il demande le remboursement, ne produit pas d'élément de nature à établir que le salarié serait redevable d'une quelconque somme au titre dudit prêt, la mention « remboursement prêt » sur deux bulletins de salaire étant bien insuffisante à l'établir.

Par conséquent, la décision déférée est confirmée en ce qu'elle a rejeté cette demande reconventionnelle.

4) Sur les dépens et frais irrépétibles

M. [I] succombant à l'instance, doit en supporter les dépens et être débouté de sa demande au titre de ses frais irrépétibles.

Pour ces mêmes raisons, il doit être condamné à payer à la société la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Déclare recevables les demandes formées au titre du caractère vexatoire du licenciement, des préjudices professionnels, financiers et moraux subis dans le cadre de son licenciement, de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et des conséquences financières de la perte injustifiée d'emploi,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Rouen du 9 septembre 2020, sauf en sa disposition relative à l'indemnité compensatrice de préavis et aux congés payés afférents,

Statuant dans cette limite et y ajoutant,

Dit que le licenciement de M. [L] [I] repose sur une cause réelle et sérieuse,

Le déboute de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés y afférents ainsi que de celle formée au titre des frais irrépétibles,

Le condamne à payer à la société Proxel la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/03012
Date de la décision : 05/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-05;20.03012 ?
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