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05/01/2023 | FRANCE | N°20/02966

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 05 janvier 2023, 20/02966


N° RG 20/02966 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IRYV





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 05 JANVIER 2023











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 13 Juillet 2020





APPELANTE :





Madame [B] [C]

[Adresse 3]

[Localité 2]



représentée par Me Fabien LACAILLE, avocat au barreau de ROUEN









INTIME

E :





Madame [U] [L] exerçant sous l'enseigne Jeff de Bruges

[Adresse 1]

[Localité 2]



représentée par Me Jérôme DEREUX de la SELARL CARNO AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN







































COMPOSITION DE LA COUR  :

...

N° RG 20/02966 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IRYV

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 05 JANVIER 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 13 Juillet 2020

APPELANTE :

Madame [B] [C]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Fabien LACAILLE, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

Madame [U] [L] exerçant sous l'enseigne Jeff de Bruges

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Jérôme DEREUX de la SELARL CARNO AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 09 Novembre 2022 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 09 Novembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 05 Janvier 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 05 Janvier 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

Après avoir effectué un contrat d'apprentissage de 2006 à 2008 au profit de Mme [U] [L], exploitant sous l'enseigne Jeff de Bruges, Mme [B] [C] a été engagée le 15 novembre 2010 en qualité de vendeuse et la relation a pris fin en 2011, avant une nouvelle embauche le 5 janvier 2016 auquel il a été mis un terme par rupture conventionnelle le 13 août 2016.

Les parties ont signé un nouveau contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel le 6 novembre 2017, soumis à la convention collective nationale des détaillants et détaillants-fabricants de la confiserie, chocolaterie, biscuiterie du 1er janvier 1984, et le 14 juin 2018, Mme [C] a pris acte de la rupture de son contrat de travail en invoquant l'existence d'un harcèlement moral et un contrat non conforme aux engagements convenus à l'embauche et aux réelles fonctions exercées en entreprise.

Par requête du 31mai 2019, Mme [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen aux fins de qualifier la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail en un licenciement nul, ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu'en paiement de rappel de salaires et indemnités.

Par jugement du 13 juillet 2020, le conseil de prud'hommes a débouté Mme [C] de l'intégralité de ses demandes ainsi que Mme [L] de ses demandes reconventionnelles et a laissé les dépens de l'instance à la charge de Mme [C].

Mme [C] a interjeté appel de cette décision le 16 septembre 2020.

Par conclusions remises le 2 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, Mme [C] demande à la cour d'infirmer le jugement et statuant à nouveau, de :

- dire qu'elle peut prétendre, à titre principal, à une classification Etam échelon 1, et à titre subsidiaire, à une classification employée classe 4 coefficient 190, en conséquence, condamner Mme [L] à lui payer à titre principal 1 907,76 euros à titre de rappel de salaire, outre 190,76 euros au titre de congés payés afférents et à titre subsidiaire 1 193,03 euros et 119,30 euros au titre des congés payés afférents,

- à titre principal, requalifier le contrat à temps partiel en contrat à temps plein et en conséquence condamner Mme [L] à lui payer les sommes suivantes :

- à titre principal sur la base d'une classification ETAM :

- rappel de salaire : 5 042,69 euros

- congés payés afférents : 504,27 euros

- à titre subsidiaire sur la base d'une classification 190 :

- rappel de salaire : 4 607,84 euros

- congés payés afférents : 460,78 euros

- à titre infiniment subsidiaire en cas d'absence de reclassification :

- rappel de salaire : 3 880,50 euros

- congés payés afférents : 388,05 euros

- à titre subsidiaire, si la cour ne requalifiait pas le contrat à temps partiel en temps complet, dire qu'elle est fondée à solliciter le paiement des sommes suivantes au titre du rappel des heures complémentaires :

- à titre principal sur la base d'une classification ETAM :

- rappel de salaire : 2 633,44 euros

- congés payés afférents : 263,44 euros

- à titre subsidiaire sur la base d'une classification coefficient 190 :

- rappel de salaire : 2 406,37 euros

- congés payés afférents : 240,63 euros

- à titre infiniment subsidiaire en l'absence de reclassification :

- rappel de salaire : 2 039,97 euros

- congés payés afférents : 203,97 euros

- condamner Mme [L] au paiement des heures supplémentaires dues au titre du mois de décembre 2017 :

- à titre principal sur la base d'une classification ETAM :

- rappel de salaire : 454,21 euros

- congés payés afférents : 45,40 euros

- à titre subsidiaire sur la base d'une classification coefficient 190 :

- rappel de salaire : 414,95 euros

- congés payés afférents : 41,49 euros

- à titre infiniment subsidiaire en l'absence de reclassification :

- rappel de salaire : 351,98 euros

- congés payés afférents : 35,19 euros

- dire que Mme [L] s'est livrée à du travail dissimulé et en conséquence, la condamner à lui payer 10 251,99 euros à titre principal, 9 815,16 euros à titre subsidiaire et 9 054 euros à titre infiniment subsidiaire,

- dire qu'elle a été victime de harcèlement moral et en conséquence condamner Mme [L] au paiement de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- dire que la prise d'acte de la rupture produit les effets d'un licenciement nul ou à tout le moins d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en conséquence condamner Mme [L] au versement des sommes suivantes :

- indemnité de licenciement :

- à titre principal en cas de requalification à temps plein :

- sur la base d'une classification ETAM : 263,22 euros

- sur la base d'une classification coefficient 190 : 252 euros

- en l'absence de reclassification : 232,48 euros

- à titre subsidiaire en l'absence de requalification à temps plein :

- sur la base d'une classification ETAM : 173,84 euros

- sur la base d'une classification coefficient 190 : 158,88 euros

- en l'absence de reclassification : 131,85 euros

- indemnité de préavis :

- à titre principal en cas de requalification à temps plein :

- sur la base d'une classification ETAM: 3 417 euros

- congés payés afférents : 341 euros

- sur la base d'une classification coefficient 190 : 3 271 euros

- congés payés afférents : 327 euros

- en l'absence de reclassification : 3 018 euros

- congés payés afférents : 301 euros

- à titre subsidiaire en l'absence de requalification à temps plein :

- sur la base d'une classification ETAM : 2 256 euros

- congés payés afférents : 225 euros

- sur la base d'une classification 190 : 2 062 euros

- congés payés afférents : 206,27 euros

- en l'absence de reclassification : 1 724 euros

- congés payés afférents : 172,47 euros

- dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse : 12 000 euros

- condamner Mme [L] à lui payer 3 000 euros à titre d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile devant le conseil de prud'hommes et cette même somme au titre des frais irrépétibles en cause d'appel, débouter Mme [L] de ses demandes incidentes et la condamner aux entiers dépens qui comprendront les éventuels frais et honoraire d'exécution du jugement à intervenir,

- dire qu'à défaut d'exécution spontanée du jugement, et en cas d'exécution forcée par voie extrajudiciaire, l'intégralité des sommes retenues par l'huissier instrumentaire en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2011 portant modification du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par Mme [L] en plus des condamnations mises à sa charge sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions remises le 6 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, Mme [L] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [C] de l'intégralité de ses demandes, l'infirmer en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle et en conséquence, condamner Mme [C] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles en première instance, débouter Mme [C] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens en cause d'appel et la condamner à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, outre les entiers dépens.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 20 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I. Sur l'exécution du contrat de travail

1. Sur la classification de Mme [C]

Expliquant avoir été engagée sur la base d'un coefficient 120 correspondant à une qualification de vendeuse débutante, Mme [C] soutient qu'elle aurait dû être rémunérée sur la base d'une classification d'agent de maîtrise, et à tout le moins de vendeuse principale, dès lors qu'elle était présentée à ses collègues comme responsable de magasin et qu'en l'absence de Mme [L], elle gérait le point de vente, passait les commandes, assurait la réalisation des vitrines, la gestion des stocks et des litiges avec les clients mais aussi l'encadrement de ses collègues et la formation des apprenties, sachant que ces fonctions n'ont pas été limitées à la période durant laquelle Mme [L] a été absente en raison d'un problème de santé.

Précisant qu'avant son hospitalisation le 25 avril 2018, elle était quotidiennement présente sur sa boutique de [Localité 4], Mme [L] soutient que Mme [C], qui n'avait que huit mois d'ancienneté au terme de son contrat, ne démontre pas avoir exercé à titre principal et habituel des fonctions lui permettant de bénéficier des positions revendiquées, sachant qu'elle n'encadrait pas le personnel et que si elle a, ponctuellement, réalisé la mise en place des vitrines et effectué des tâches d'exécution, ça n'a été qu'en raison de cette hospitalisation, et toujours selon ses consignes.

La qualification du salarié se détermine en référence aux fonctions réellement exercées et au regard de la convention collective applicable, laquelle peut édicter un seuil d'accueil en fonction des diplômes obtenus et la charge de la preuve pèse sur le salarié qui revendique une autre classification que celle appliquée.

Il résulte de la classification de la convention collective applicable que l'agent de maîtrise échelon 1 fait réaliser des opérations et des tâches afférentes à la fabrication, aux ventes, à l'administration et à la gestion, qu'il les contrôle et répartit les tâches, et ce, avec un niveau BAC, ou BTS ou une expérience significative dans un domaine de spécialiste. Il a par ailleurs des qualités de commandement, relation humaine et disponibilité.

En ce qui concerne la vendeuse principale, selon de larges directives, elle met en 'uvre des techniques de vente, coordonne des ventes, et enfin choisit les techniques de vente et les moyens de vente les plus adaptés à la commande. Elle bénéficie normalement d'un BT, BEP ou d'une expérience significative avec une connaissance approfondie du produit.

A l'appui de sa demande, Mme [C], qui justifie qu'elle était à l'époque titulaire d'un BEP 'vente action marchande', produit des sms de deux apprenties aux termes desquels elle leur demande si elles peuvent lui confirmer leur avoir été présentée comme 'responsable' lors de leur arrivée, ce qu'elles confirment sans cependant apporter aucune précision sur les responsabilités détenues par Mme [C], étant au surplus relevé qu'il ressort de la grille de classification de la convention collective que la vendeuse qualifiée 2ème échelon, non revendiquée par Mme [C], a déjà pour fonction la qualité de maître d'apprentissage, aussi, ces sms ne permettent en aucune manière de caractériser l'exercice de fonctions relevant de l'agent de maîtrise, ni même de la vendeuse principale.

Par ailleurs, si Mme [H], apprentie, atteste que Mme [C] montait en réserve faire la liste des produits à commander et qu'elle leur donnait le travail à faire et qu'il est produit quelques sms dont il ressort que Mme [C] a été amenée à clôturer la caisse, à réaliser une commande, à répartir quelques tâches entre ses collègues ou à dresser une vitrine, ils sont tous datés de la période suivant l'hospitalisation de Mme [L] le 25 avril et surtout, ces tâches ont été menées, après directives et validations données par Mme [L], au besoin, après l'envoi de photos, ainsi s'agissant de la vitrine ou de la commande passée, ce qui ne permet nullement d'établir que Mme [C] aurait exécuté les tâches réclamées selon de larges directives, puisqu'il en ressort au contraire qu'il lui était laissé peu d'initiative.

Cette analyse de la situation ne peut davantage être remise en cause par les quelques notes extraites d'un cahier de liaison, aux termes desquelles il est fait état de la répartition des tâches entre collègues, et plus encore entre apprenties, dès lors qu'il s'agit de petites tâches quotidiennes qui ne peuvent s'apparenter à de l'encadrement de collègues et qu'au surplus, rien ne permet de dire qui en est le rédacteur.

Il convient en conséquence de débouter Mme [C] de sa demande de reclassification tant en qualité d'agent de maîtrise qu'en qualité de vendeuse principale.

2. Sur la requalification du temps partiel en temps plein

Mme [C] soutient que dans la mesure où son contrat de travail à temps partiel ne précise que le nombre d'heures effectuées chaque jour sans mention des horaires, il doit être requalifié en contrat de travail à temps plein, étant par ailleurs relevé qu'elle faisait bien plus que les 3h50 journalières contractualisées puisqu'elle réalisait a minima un horaire de 9h30 à 16h30, impliquant une requalification en temps plein.

En réponse, tout en faisant valoir que la durée du travail et sa répartition ont été prévues au contrat, si bien qu'il n'existe aucune présomption de contrat à temps complet, Mme [L] note que Mme [C], qui travaillait de 9h30 à 15h30 les lundis, mardis, jeudis et vendredis avec une pause d'une heure, n'apporte aucun élément probant accréditant qu'elle aurait atteint 35 heures de travail par semaine, sachant qu'elle n'a jamais réclamé le moindre paiement relatif à des heures supplémentaires et que le seul planning transmis au dernier moment dont il est justifié correspond à la date de son hospitalisation suite à une rupture d'anévrisme, ce qui a effectivement nécessité une organisation de dernière minute.

S'il résulte de l'article L. 3123-14 du code du travail, dans sa version applicable au litige, que le contrat de travail qui ne comporte aucune précision quant à la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine et les semaines du mois fait présumer que l'emploi est à temps complet, tel n'est pas le cas lorsque la mention des horaires de travail n'y figure pas.

Or, en l'espèce, il résulte du contrat à durée indéterminée à temps partiel signé entre les parties le 6 novembre 2017 que Mme [C] a été engagée pour un horaire mensuel de 86,67 heures, soit 20 heures hebdomadaires réparties sur six jours du lundi au samedi, à raison de 3h50 les lundis, mardis, mercredis et jeudis et 3h les vendredis et samedis.

Aussi, ce contrat est conforme aux exigences de l'article L. 3123-6 du code du travail.

Néanmoins, au-delà de la question de l'irrégularité du contrat de travail, il résulte de la combinaison de l'article L. 3121-27 du code du travail, qui fixe la durée légale du travail effectif à trente-cinq heures par semaine civile, et de l'article L. 3123-9 du même code, selon lequel les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail accomplie par un salarié à temps partiel au niveau de la durée légale du travail ou de la durée fixée conventionnellement, qu'un contrat de travail à temps partiel doit être requalifié en contrat de travail à temps complet, lorsque le salarié travaille trente-cinq heures ou plus au cours d'une semaine, quand bien même le contrat aurait fixé la durée de travail convenue sur une période mensuelle.

Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Au-delà des explications apportées dans ses conclusions, Mme [C] produit un tableau dans lequel elle reprend précisément le nombre d'heures effectuées semaine par semaine, ce qui, bien qu'étant établi par ses soins, est suffisamment précis pour permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Face à cette demande, Mme [L] produit les bulletins de salaire de Mme [C] sur la période de 2010, soit sur la première relation contractuelle les ayant unies, qui permettent de relever qu'elle a pu être occasionnellement payée d'heures supplémentaires, comme une autre collègue, arrivée en septembre 2018, explique qu'elles lui sont payées.

Elle verse par ailleurs aux débats l'attestation de Mme [Y] rédigée en août 2019, laquelle explique qu'elle est salariée de Mme [L] depuis trois ans, que ses horaires ont toujours été de 13h à 20h, qu'elle fait la fermeture de la boutique seule sauf sur les grosses périodes où sa patronne fait la fermeture avec elle, sachant que dans ces moments là cette dernière est présente du 9h30 à 20h.

Néanmoins, il ne peut qu'être relevé que si elle fait état de ses propres horaires, elle n'évoque à aucun moment ceux de Mme [C], sachant que cette dernière n'invoque pas d'horaires impliquant la fermeture du kiosque.

Aussi, à défaut de pièces plus opérantes qui auraient permis de déterminer plus précisément les horaires de Mme [C], et notamment de remettre en cause, les horaires effectués sur la semaine du 4 au 8 décembre sur laquelle elle explique avoir réalisé 46,75 heures, il convient de retenir les horaires tels que présentés par Mme [C].

Aussi, et bien que par la suite, elle ne fasse état, à l'exception de la semaine du 18 au 23 décembre, que d'horaires très en-deçà d'un temps plein, il convient de requalifier le contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet à compter de décembre 2017, tel qu'elle le demande, et de condamner Mme [L] à payer à Mme [C] la somme de 3 880,50 euros à titre de rappel de salaire correspondant à 65 heures par mois au taux horaire de 9,95 euros, sur la période de décembre 2017 à mai 2018 inclus, outre 388,05 euros au titre des congés payés afférents.

3. Sur la demande de rappel d'heures supplémentaires

Comme vu précédemment, Mme [L] n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause le fait que Mme [C] aurait réalisé 46,75 heures durant la semaine du 4 au 8 décembre 2018 et 49,5 heures durant celle du 18 au 23 décembre 2018 et il convient en conséquence de faire droit à sa demande au titre des heures supplémentaires et de condamner Mme [L] à lui payer la somme de 351,98 euros à ce titre correspondant à 16 heures majorées à 25 % et 10,25 heures à 50 % sur la base d'un taux horaire de 9,95 euros, outre 35,19 euros au titre des congés payés afférents.

4. Sur la demande formulée au titre du travail dissimulé

Aux termes de l'article L. 8221-5 du Code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur : 1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ; 2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli (...).

Selon l'article L. 8223-1, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En l'espèce, s'il a été ordonné la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein, ce n'est qu'en raison de ce que Mme [L] n'a pas été en mesure d'apporter la preuve des horaires effectivement réalisés par Mme [C] durant deux semaines du mois de décembre 2018, sachant que Mme [C] n'avait jamais réclamé le paiement d'heures supplémentaires préalablement à l'engagement de la procédure prud'homale et que le sms du 15 février 2018 faisant référence à une enveloppe ne permet nullement d'accréditer le paiement d'heures supplémentaires en espèces dès lors qu'il est attesté par deux collègues que leur chèque de paie leur était remis sous enveloppe, aussi, il ne ressort pas suffisamment des éléments du dossier une intention délibérée de recourir au travail dissimulé et il convient en conséquence de débouter Mme [C] de sa demande d'indemnité à ce titre.

5. Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral

Mme [C] soutient avoir subi un management atypique et inadapté ayant eu des conséquences sur sa santé, lequel s'est traduit par des variations d'horaires et le non-paiement de ses heures mais surtout par un comportement inapproprié consistant à formuler des remarques sur sa vie privée auprès d'autres salariés, à laisser en évidence, à la vue de tous, des notes manuscrites vexatoires et enfin à surveiller les salariés par le biais de la vidéo-surveillance, par ailleurs non déclarée auprès de la Cnil.

Mme [L] conteste toute situation de harcèlement moral et explique que les reproches relatifs aux appels ou à la vidéo-surveillance, dont la présence était signalée aux salariés lors de leur embauche, concernent une période particulièrement difficile pour elle puisque sa situation médicale était extrêmement lourde et qu'elle souhaitait malgré tout suivre l'évolution de son commerce. Elle relève par ailleurs que la note manuscrite dont se prévaut Mme [C] avait pour objet de lui rappeler ses obligations.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A l'appui de sa demande, Mme [C] produit des sms échangés entre elle-même et certaines de ses collègues, ainsi avec '[N]' le 8 juin qui lui écrit que Mme [L] est lunatique, qu'elle ne lui parle pas ce jour là ou '[T]' qui indique, sur demande de Mme [C], que M. et Mme [L] ont fait état de faits privés la concernant, et notamment qu'elle l'avait 'ramassée bourrée' ou que le père de son fils fumait en présence de celui-ci ou encore un sms de '[D] [G]', ancienne apprentie, qui fait état d'injonctions contradictoires et explique qu'elle s'était cassé le genou, avait une attelle et qu'il la faisait quand même monter les marches et qu'elle n'avait pas le droit de s'asseoir.

Si ces sms ont une force probante particulièrement limitée, d'autant qu'aucune de ces personnes ne produit d'attestations tendant à corroborer la réalité des faits ainsi évoqués, il est néanmoins également versé aux débats l'attestation de Mme [H], apprentie sur la période d'embauche de Mme [L] en 2018.

Ainsi, elle décrit une ambiance froide lorsque Mme [L] était présente et explique qu'elle les 'descendait', critiquait tout le temps le travail, qu'elle leur disait une chose et son contraire, ainsi, une fois elle n'avait pas le droit d'encaisser, une autre fois elle devait le faire car les patrons fumaient dehors et que lorsqu'elles étaient malades et en arrêt de travail, à leur retour, elle les ignorait et leur donnait à faire les tâches les plus pénibles pour les punir. Elle indique encore qu'elles étaient filmées et surveillées, que Mme [L] les appelait si elle voyait quelque chose qui ne lui plaisait pas à la caméra, et ce, avant sa maladie. Enfin, elle indique que lorsque Mme [L] était seule avec une personne, elle en profitait pour critiquer celle qui était absente, et qu'ainsi, elle lui avait dit concernant [B] qu'elle l'avait retrouvée 'torchée' sur le trottoir.

Surtout, il est produit trois notes manuscrites de Mme [L] affichées au sein du kiosque en juin 2018, dont deux qui lui sont personnellement adressées, et une troisième adressée à l'ensemble de l'équipe, lesquelles sont de nature à corroborer le management inadapté de Mme [L] tel qu'attesté par Mme [H].

Ainsi, dans la première note, après lui avoir reproché d'avoir mis les dragées dans la section 'Elysées' au lieu de 'Opéra blanc', il est écrit, en le soulignant 'ça devient limite sérieux', puis il est fait état d'une autre erreur relative à une absence de dates, poids et prix sur les étuis écorce, puis enfin, il lui est donné un certain nombre de consignes et notamment celle de monter tous les jours à la réserve si [T] est là en soulignant 'tous les jours'.

La deuxième note toujours adressée à Mme [C] commence par la mention soulignée 'Pas sérieuse' avec la même explication sur les sachets 'Opéra'-'Elysées', précisant en le soulignant à nouveau 'Ca devient pénible' et rappel qu'il n'y a pas 'd'Elysées' blanche, ce mot étant écrit en majuscule et surligné deux fois.

Enfin, la troisième note affichée, adressée à toutes, s'intitule 'Petit rappel à respecter dans le cadre de votre travail pour lequel vous êtes rémunérées' et il s'ensuit des rappels sur la nécessité d'accompagner le client jusqu'à son départ, d'éviter les bavardages, l'obligation pour les apprenties de laisser leur téléphone dans leur sac, que dans le même temps il est rappelé que le portable reste bien évidemment le moyen de les joindre si besoin en réserve. Au-delà de ces consignes, conformes au pouvoir de direction de l'employeur, il est écrit 'le siège est uniquement réservé au patron', ce dernier terme étant souligné, et la note se termine de la manière suivante 'Tous ces rappels sont constatés et informés par certains de nos clients et par ce que je constate à la caméra'.

Aussi, et s'il ne saurait être reproché à Mme [L] de demander à Mme [C] de se montrer attentive aux erreurs repérées ou d'être totalement disponible pour les clients, le pouvoir de direction dont elle dispose est cependant dépassé sur la forme prises par ses notes, à savoir affichées à la vue de tout le personnel et avec le surlignage des termes les plus critiques.

En outre, le fait d'interdire aux vendeuses d'utiliser un siège, présent sur les lieux, au motif qu'il s'agit du 'siège du patron' ne saurait s'apparenter à un pouvoir de direction, pas plus que le fait de surveiller son personnel par le biais des caméras.

Aussi, couplés au colportage de faits de la vie privée, il convient de retenir que Mme [C] présente des faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement à son encontre en ce qu'ils ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à sa dignité et d'altérer sa santé physique ou mentale et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A cet égard, Mme [L] met essentiellement en avant la période très particulière à laquelle elle a dû faire face suite à son hospitalisation le 25 avril 2018 pour une rupture d'anévrisme, laquelle l'a éloignée de son commerce et a nécessité de trouver des moyens pour continuer à gérer au mieux son activité.

Néanmoins, ce seul fait ne peut justifier l'affichage de reproches à la vue de l'ensemble du personnel, le surlignage des termes les plus rabaissants, l'interdiction d'utiliser 'le siège du patron' et la surveillance continue du personnel par le biais des caméras, par ailleurs non déclarées à la CNIL, sachant que Mme [H] explique que cette utilisation préexistait à l'hospitalisation de Mme [L].

Aussi, et s'il est exact qu'il est justifié de l'existence de très bonnes relations avec un certain nombre d'anciennes apprenties qui ont attesté en ce sens, mais aussi d'échanges très cordiaux, voir amicaux, entre Mme [C] et M. et Mme [L] et ce, jusqu'à une date très proche de la rupture, sans qu'il puisse être reproché certains sms un peu tardifs ou matinaux, particulièrement limités, et touchant essentiellement la période d'hospitalisation de Mme [L] qui a, bien évidemment, impliqué des réorganisations exceptionnelles et de dernière minute, il convient néanmoins de retenir l'existence d'un harcèlement moral dès lors que ces pièces ne permettent pas d'écarter la réalité de propos et comportements inadaptés tels qu'ils ressortent des notes manuscrites produites aux débats.

Pour autant, et alors que Mme [L] ne justifie que d'un certificat médical du 14 juin 2018, date du jour de la prise d'acte, certifiant que 'son état psychique ne lui permet pas de se rendre au travail ce jour, cet état semblant en rapport avec le travail', le préjudice résultant du harcèlement moral sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 500 euros.

II. Sur la rupture du contrat de travail

1. Sur la qualification de la prise d'acte et les conséquences financières

La prise d'acte est un mode de rupture du contrat de travail par lequel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des manquements qu'il impute à l'employeur.

Il appartient au salarié qui a pris acte de la rupture de justifier de manquements graves de l'employeur rendant impossible la poursuite du contrat de travail afin que cette prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, à défaut la prise d'acte s'analyse en une démission.

En l'espèce, dès lors qu'il a été retenu l'existence d'un harcèlement moral, et ce, avec des actes le constituant à grande proximité de la rupture du contrat, il convient de dire que la prise d'acte de la rupture s'analyse en un licenciement nul.

Dès lors, et bien que Mme [C] n'ait qu'une ancienneté très limitée, conformément à l'article L. 1235-3-1 du code du travail, son indemnisation ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire, lequel, compte tenu de la requalification du temps partiel en temps plein, est de 1 509,12 euros, aussi, il convient de condamner Mme [L] à lui payer la somme de 9 055 euros à titre de dommages et intérêts, aucun préjudice plus ample n'étant justifié.

Par ailleurs, conformément à la convention collective applicable et à l'article L. 1234-1 du code du travail, qui prévoit un préavis d'un mois pour le salarié ayant une ancienneté comprise entre six mois et moins de deux ans, il convient de condamner Mme [L] à payer à Mme [C] la somme de 1 509,12 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 150,91 euros au titre des congés payés afférents.

Au contraire, et alors que Mme [C] n'avait pas huit mois d'ancienneté, elle ne peut prétendre à une quelconque indemnité de licenciement et il convient de la débouter de cette demande.

2. Sur le remboursement des indemnités Pôle emploi

Conformément aux articles L 1235-4 et L. 1235-5 du code du travail, lequel n'exclut le remboursement des indemnités versées par Pôle emploi qu'en cas de méconnaissance des articles L. 1235-3 et L. 1235-11, il convient, dès lors que la rupture s'analyse en un licenciement nul à raison du harcèlement moral, d'ordonner à Mme [L] de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à Mme [C] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite d'un mois.

III. Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner Mme [L] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à Mme [C] la somme de 3 000 euros sur ce même fondement, laquelle couvre les frais irrépétibles engagés tant en première instance qu'en appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement,

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [C] de ses demandes au titre de la reclassification, du travail dissimulé, de l'indemnité de licenciement et en ce qu'il a débouté Mme [U] [L] de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Ordonne la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet à compter du mois de décembre 2017 ;

Dit que la prise d'acte de la rupture du 14 juin 2018 s'analyse en un licenciement nul ;

Condamne Mme [U] [L] à payer à Mme [B] [C] les sommes suivantes :

rappel de salaire au titre de la requalification du

temps partiel en temps complet : 3 880,50 euros

congés payés afférents : 388,05 euros

rappel de salaire au titre des heures supplémentaires : 351,98 euros

congés payés afférents : 35,19 euros

dommages et intérêts pour harcèlement moral : 500,00 euros

indemnité de préavis :1 509,12 euros

congés payés afférents : 150,91 euros

dommages et intérêts pour licenciement nul : 9 055,00 euros

Ordonne à Mme [U] [L] de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à Mme [B] [C] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite d'un mois ;

Condamne Mme [U] [L] aux entiers dépens ;

Condamne Mme [U] [L] à payer à Mme [B] [C] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute Mme [U] [L] de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/02966
Date de la décision : 05/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-05;20.02966 ?
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