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09/12/2022 | FRANCE | N°22/01231

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre premier président, 09 décembre 2022, 22/01231


N° RG 22/01231 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JBT7

+ 22/3247



COUR D'APPEL DE ROUEN



JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT



ORDONNANCE DU 09 DECEMBRE 2022







DEMANDEUR AU RECOURS :



Monsieur [M] [F]

Elisant domicile au cabinet Lexavoué Paris Versailles

[Adresse 3]

[Localité 2]



représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de Paris, postulant et Me BLANCHETIER, avocat au barreau de Paris, plaidant





‰FENDERESSE AU RECOURS :



DIRECTION NATIONALE DU RENSEIGNEMENT ET DES ENQUETES DOUANIERES (DNRED)

[Adresse 1]

[Localité 4]



représentée par Mme [E] [R], inspectrice des douane...

N° RG 22/01231 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JBT7

+ 22/3247

COUR D'APPEL DE ROUEN

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE DU 09 DECEMBRE 2022

DEMANDEUR AU RECOURS :

Monsieur [M] [F]

Elisant domicile au cabinet Lexavoué Paris Versailles

[Adresse 3]

[Localité 2]

représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de Paris, postulant et Me BLANCHETIER, avocat au barreau de Paris, plaidant

DÉFENDERESSE AU RECOURS :

DIRECTION NATIONALE DU RENSEIGNEMENT ET DES ENQUETES DOUANIERES (DNRED)

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Mme [E] [R], inspectrice des douanes munie d'un pouvoir

MINISTERE PUBLIC :

auquel le dossier a été régulièrement communiqué pour réquisitions écrites

DEBATS :

A l'audience publique du 21 octobre 2022, devant M. Bruno Le Bécachel, président de chambre à la cour d'appel de Rouen, spécialement désigné par ordonnance de la première présidente de ladite cour, pour la suppléer dans les fonctions qui lui sont attribuées, assistée de Mme Catherine Chevalier, greffière ; après avoir entendu les observations des parties présentes, le président a mis l'affaire en délibéré au 09 décembre 2022.

DECISION :

Contradictoire

rendue publiquement le 09 décembre 2022, par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Signée par M. Le Bécachel et par Mme Chevalier, greffière présente lors de la mise à disposition.

Faits et procédure

Le 14 mars 2022, les agents de la direction nationale du renseignement et des enquetes douanieres (ci-après la DNRED) étaient destinataires d'informations portant sur le navire LA PETITE OURSE II transmises spontanément par la cellule évaluation des menaces et analyse sûreté des autorités maltaises. Ces informations signalaient que ce navire de plaisance appartenant à la société ORANGERY MARINE LIMITED enregistrée à Malte, et elle même appartenant à M. [M] [F], se trouvait en hivernage au vieux port de [Localité 5].

M. [M] [F] est visé dans l'annexe du règlement d'exécution (UE) 2022/427 du Conseil du 15 mars 2022, mettant en oeuvre le règlement (UE) n°269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine, paru au Journal officiel de l'Union européenne du 15 mars 2022.

Le 21 mars 2022, les agents de la DNRED et les agents du service des gardes-côtes

des douanes de Méditerranée se rendaient à bord du navire et se livraient sur le fondement de l'article 63 du code des douanes à une visite du navire et de ses parties privées en présence du capitaine M. [T] [O], représentant de la société propriétaire du navire. Ils lui notifiait concernant le navire LA PETITE OURSE II, la mesure de gel des avoirs prévue par le règlement (UE) 2022/427 du Conseil du 15 mars 2022, modifiant l'annexe I du règlement (UE) n°269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine.

Le 11 avril 2022, M. [M] [F] a formé par lettre recommandée avec accusé de réception un recours contre les opérations de visite du navire LA PETITE OURSE II ayant donné lieu au procès-verbal de visite réalisé au visa de l'article 63 du code des douanes, tendant à l'annulation de l'ensemble des opérations de visite, et tous les actes subséquents. Une copie du procès-verbal de visite critiqué était jointe.

Parallèlement, la cour d'appel de Paris, était saisie le 4 avril 2022 du même recours portant sur la même visite par les douanes du navire LA PETITE OURSE II, au regard du rattachement de la direction nationale des gardes-côtes à la direction générale des douanes et droits indirects dont le siège est situé à Montreuil.

Par ordonnance du 5 octobre 2022, la cour d'appel de Paris se déclarait incompétente pour connaître du recours et désignait pour compétence le premier président de la cour d'appel de Rouen.

Discussion

Aux termes de ses dernières écritures (conclusions récapitulatives du 16 août 2022) soutenues à l'audience, M. [M] [F] sollicite :

A titre principal

La transmission à la Cour de justice de l'Union Européenne des trois questions préjudicielles suivantes, en interprétation et en validité :

1- Le droit de l'Union Européenne et plus précisément les règlements n° 269/2014 et 2022/427 sont-ils valides au regard des dispositions du Traité dès lors qu'ils procèdent de l'inscription discrétionnaire d'un citoyen sur une liste qui n'a fait l'objet d'aucune notification ni d'aucun recours préalable susceptible d'être ouvert à l'intéressé '

2- Le droit de l'Union Européenne et plus précisément les règlements n° 269/2014 et 2022/427 doivent ils être interprétés en ce qu'un simple navire de plaisance à usage privatif de la personne inscrite sur une liste constitue une ressource économique susceptible de gel '

3- Le droit de l'Union Européenne et plus précisément le règlement n° 269/2014 doit-il s'interpréter en ce que la mesure de gel qui s'appliquerait sur un bien mobilier autorise une autorité administrative d'un Etat non désignée dans l'annexe II du règlement n° 269/2014 pour procéder à l'immobilisation du bien mobilier '

A titre subsidiaire

Il demande l'annulation du procès-verbal de visite, et l'annulation des actes affectés par cette irrégularité, en l'espèce le procès-verbal de notification de gel du navire, et la condamnation de l'administration des douanes au paiement d'une indemnité de

10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Pour cela, il soutient :

1- que l'administration des douanes n'était pas compétente pour la mise en oeuvre des mesures restrictives édictées par le Règlement d'exécution n° 2022/427 pour n'être pas désignée comme autorité compétente sur le site internet cité en annexe II du Règlement précité, qui mentionne la direction générale du Trésor ;

2- que les opérations de visite du navire ont été réalisées selon le procès-verbal attaqué au visa de l'article 63 du code des douanes, et cela en absence de toute suspicion de fraude, d'information préalable du procureur de la République et d'autorisation du juge des libertés et de la détention, qu'il n'est pas établi que le capitaine du navire se soit vu notifier le droit et la possibilité de s'opposer à la visite, ce qui aurait entraîné la saisine pour autorisation préalable d'un juge des libertés et de la détention ;

3- que le navire de plaisance LA PETITE OURSE II à usage privé n'est pas destiné à la location, qu'il ne peut être considéré comme une ressource économique susceptible de gel au sens du règlement UE 269/2014 ;

4- que l'administration des douanes en procédant ainsi a violé l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESDH) protégeant le droit au respect de la vie privée et familiale et de manière induite son article 6 garantissant le droit à un procès équitable.

Par conclusions déposées au greffe et développées à l'audience, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, demande :

- que les questions préjudicielles posées par M. [F] soient déclarées inapplicables au litige,

- que M. [F] soit débouté de ses demandes, et que le procès-verbal attaqué et les procès-verbaux subséquents soient déclarés réguliers,

- la condamnation de M. [F] à verser à l'administration des douanes la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'administration des douanes fait valoir que, s'il est exact, que le site internet référencé pour l'application de l'article 1 du règlement UE n°269/2014 mentionne la Direction Générale du Trésor pour la mise en oeuvre des mesures restrictives, elle reste compétente s'agissant du contentieux des relations financières avec l'étranger selon les dispositions de l'article 451 bis du code de douanes.

Elle soutient concernant la visite du navire que les dispositions de l'article 63 du code des douanes qui lui confèrent un droit de visite générale des navires n'est pas assimilable à une perquisition, et qu'une telle visite peut être pratiquée sans indices préalables de fraude, que la visite du navire en hivernage depuis plus de cinq mois dans le port de [Localité 5] a été réalisée avec l'accord de l'occupant des lieux, en l'espèce le capitaine du navire, lequel avait seul qualité pour former un recours à l'encontre des opérations de visite.

Elle expose que la mesure de gel du navire LA PETITE OURSE II trouve bien à s'appliquer même s'il s'agit d'un bien à usage privatif, lequel peut être utilisé pour obtenir des fonds.

Enfin elle soutient que la visite du navire n'a entraîné aucune atteinte aux valeurs protégées par les articles 8 et 6 de la CESDH.

Le ministère public a fait savoir par des conclusions en date du 17 octobre 2022, qu'il était d'avis que soit constatée in limine litis l'incompétence des autorités nationales pour connaître de la légalité d'un règlement de l'UE contesté par [M] [F], subsidiairement qu'il soit dit n'y avoir lieu à transmission des questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union Européenne, et n'y avoir lieu à annulation des procès-verbaux.

SUR CE

A titre liminaire, il convient de relever que la cour est saisie à la fois par le recours de M. [M] [F] et par l'ordonnance de la cour d'appel de Paris en date du 5 octobre 2022 désormais définitive.

Sur la demande de transmission des trois questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union Européenne (CJCE)

Il résulte des dispositions de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne que la Cour de justice de l'Union Européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel : sur l'interprétation des traités, sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union. Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.

Il apparaît en l'espèce que les trois questions posées concernent la contestation de la validité et l'interprétation des Règlement européen n°269/2014 et 2022/427 et n'apparaissent pas pertinentes à la résolution du litige portant sur la régularité des opérations de visite des parties privatives du navire LA PETITE OURSE II le 21 mars 2022 à [Localité 5].

Cette demande sera rejetée.

Sur l'annulation du procès-verbal de visite

L'article 60 du code des douanes dispose que : 'Pour l'application des dispositions du présent code et en vue de la recherche de la fraude, les agents des douanes peuvent procéder à la visite des marchandises et des moyens de transport et à celle des personnes.'

L'article 63 du code des douanes au visa duquel a été rédigé le procès-verbal contesté dispose que 'Pour l'application du présent code et en vue de la recherche de la fraude, les agents des douanes peuvent accéder à bord et visiter tout navire qui se trouve dans un port, dans une rade ou à quai.

III.-A.-Lorsque la visite concerne des navires qui se trouvent dans un port, dans une rade ou à quai depuis soixante-douze heures au moins, elle se déroule en présence du capitaine du navire ou de son représentant.

B.-Lorsque la visite concerne des locaux affectés à un usage privé ou d'habitation, elle ne peut être effectuée, en cas de refus de l'occupant des lieux, qu'après autorisation du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire du lieu de la direction des douanes dont dépend le service chargé de la procédure.

La visite s'effectue sous le contrôle du juge qui l'a autorisée.'

Il résulte de ces dispositions, que la visite d'un navire par les agents des douanes en application des seules dispositions de l'article 63 du code des douanes, ce qui est le cas du procès-verbal attaqué, doit être fondée sur une suspicion de fraude. Saisi du recours de l'occupant des lieux, le juge d'appel doit être en mesure de contrôler ne serait-ce que par les seules énonciations du procès-verbal que la visite du navire s'inscrit bien dans cet impératif.

En l'espèce il apparaît que le procès-verbal de visite du navire LA PETITE OURSE II ne fait aucune référence à une suspicion de fraude, que les dispositions de l'article 63 du code des douanes qui s'inscrivent dans ce cadre ont manifestement été détournées de leur objet pour justifier la visite des parties privatives du navire à des fins autres que la recherche d'une infraction douanière.

En outre, ce procès-verbal qui mentionne un début de contrôle le 21 mars 2022 à 11h, pour une clôture à 11h45, a immédiatement été suivi d'un procès-verbal de constat mentionnant expressément 'contrôle repris sur PV n°3 de visite qui sera clôturé à 12h15', au cours duquel sera notifié au capitaine du navire l'application de la mesure de gel concernant M. [M] [F].

En l'absence de mentions en ce sens portées au procès-verbal contesté, il apparaît que le capitaine du navire, alors occupant des lieux, n'a pas été informé du cadre dans lequel était réalisée la visite du navire, qu'il a manifestement été informé qu'à l'issue des opérations de visite du navire que ce dernier se voyait appliquer une mesure de gel, que si selon l'administration des douanes, le capitaine n'a formulé aucune observation, cette affirmation ne se déduit pas du procès-verbal qui ne ménage en son économie aucun espace pour recueillir d'éventuelles observations et ne porte aucune mention en ce sens.

Il en résulte, en absence d'information préalablement données au capitaine quant au but poursuivi par les agents des douanes, que le capitaine n'a pas été en mesure d'apprécier de façon éclairée s'il devait s'opposer à la visite des parties privatives du navire, n'a pas été informé qu'il pouvait s'y opposer, et que ce refus entraînerait un contrôle du juge des libertés et de la détention.

La méconnaissance de ces formalités substantielles a nécessairement porté atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne, en l'espèce le propriétaire économique du navire M. [F], lequel a intérêt et qualité pour agir en nullité du procès-verbal de visite.

En conséquence le moyen visant à l'annulation du procès-verbal de visite du navire LA PETITE OURSE II sera accueilli et le procès-verbal litigieux sera annulé sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens.

Sur l'annulation des actes subséquents

Il résulte de ce qui précède, que le procès-verbal de visite n'avait d'autre but en absence de toute suspicion de fraude même alléguée, que de permettre la notification au capitaine de l'immobilisation/gel du navire, le procès-verbal de constat portant explicitement en paragraphe 'OBJET' qu'il vise à l'application des mesures de gel des avoirs prévues par le Règlement (UE) n°2022/427 du 15 mars 2022 modifiant l'annexe I du Règlement n°269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine. Ce procès-verbal de constat faisant suite à la visite du navire objet du procès-verbal annulé, et dérivant de celui-ci trouve son support exclusif et nécessaire dans le procès-verbal de visite annulé. Affecté par l'irrégularité du procès-verbal de visite du navire, le procès-verbal de constat qui en découle sera lui même annulé.

Sur la condamnation des douanes aux dépens ainsi qu'en application de l'article 700 du code de procédure civile

Il résulte des termes de l'article 367 du code de douanes qu'en matière douanière en première instance et en appel, l'instruction est verbale sur simple mémoire et sans frais de justice à répéter de part ni d'autre, il convient dès lors d'exonérer l'administration des douanes de toute condamnation aux dépens.

Les circonstances de l'instance ne commandent pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Déclare recevable le recours de M. [M] [F] à l'encontre du procès-verbal de visite de navire LA PETITE OURSE II en date du 21 mars 2022,

Dit n'y avoir lieu à transmission des trois questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union Européenne,

Déclare irrégulier et annule le procès-verbal de visite en date du 21 mars 2022, et le procès-verbal de constat subséquent du navire LA PETITE OURSE II en date du 21 mars 2022,

Rejette toute autre demande.

La greffière Le président de chambre


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre premier président
Numéro d'arrêt : 22/01231
Date de la décision : 09/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-09;22.01231 ?
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