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08/12/2022 | FRANCE | N°20/01802

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 08 décembre 2022, 20/01802


N° RG 20/01802 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IPLA





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 08 DECEMBRE 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 03 Juin 2020





APPELANTE :





Société APEN

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par Me Stanislas MOREL de la SCP DPCMK, avocat au barreau du HAVRE substituée par Me Nathalie VAL

LEE, avocat au barreau de ROUEN









INTIME :





Monsieur [K] [W]

[Adresse 2]

[Localité 4]



représenté par Me Nathalie MICHEL, avocat au barreau du HAVRE substitué par Me Pierre-Hugues POINSIGNON, avocat au barr...

N° RG 20/01802 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IPLA

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 08 DECEMBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 03 Juin 2020

APPELANTE :

Société APEN

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Stanislas MOREL de la SCP DPCMK, avocat au barreau du HAVRE substituée par Me Nathalie VALLEE, avocat au barreau de ROUEN

INTIME :

Monsieur [K] [W]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Nathalie MICHEL, avocat au barreau du HAVRE substitué par Me Pierre-Hugues POINSIGNON, avocat au barreau de ROUEN

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/000303 du 16/02/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Rouen)

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 13 Octobre 2022 sans opposition des parties devant Madame DE BRIER, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

Madame DE BRIER, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 13 Octobre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 08 Décembre 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 08 Décembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

FAITS ET PROCÉDURE

A compter du 3 janvier 2017, la société Apen, société de sécurité privée, a embauché M. [K] [W] en qualité d'agent de sécurité, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée et à temps partiel.

La convention collective applicable est celle des entreprises de prévention et de sécurité.

Les parties ont signé plusieurs avenants modifiant temporairement la durée de travail, initialement fixée à 104 heures par mois :

- un avenant daté du 29 septembre 2017 a porté à 133,50 heures la durée du travail pour le mois d'octobre 2017,

- un avenant daté du 1er juin 2018 a porté à 148,50 heures la durée du travail pour le mois de juin 2018,

- un avenant daté du 1er septembre 2018 a porté à 143,25 heures la durée du travail pour le mois de septembre 2018.

En février 2019, M. [W] a adressé à son employeur un courrier de réclamation, portant notamment sur des impayés de salaire.

Par lettre du 26 juin 2019, la société Apen a notifié à M. [W] son licenciement au motif que sa carte professionnelle était devenue invalide.

Le 8 octobre 2019, M. [W] a saisi le conseil de prud'hommes du Havre, qui par jugement du 3 juin 2020, a :

- requalifié le contrat de travail à temps partiel de M. [W] en contrat de travail à temps plein, à compter du 1er août 2018,

- condamné la société Apen à payer à M. [W] les sommes de :

3.395,45 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er août 2018 au 29 février 2019, outre 339,54 euros au titre des congés payés afférents,

7.767,81 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 3 janvier 2017 au 31 juillet 2018, outre 776,78 euros au titre des congés payés afférents,

1.355,40 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

7.500 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat et préjudice moral distinct,

2.500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,

- ordonné à la société Apen de remettre à M. [W] :

* un bulletin de paie pour le mois de septembre 2016, sous astreinte de 10 euros par jour de retard à compter du 15e jour suivant la notification du jugement, le conseil se réservant le droit de liquider l'astreinte,

* l'ensemble des bulletins de paie à compter du 3 janvier 2017, corrigés, sous astreinte de 20 euros par jour de retard pour l'ensemble des documents à compter du 15e jour suivant la notification du jugement, le conseil se réservant le droit de liquider l'astreinte,

- condamné la société Apen aux dépens et frais d'exécution,

- débouté la société Apen de ses demandes,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit pour les salaires et accessoires de salaires.

Par déclaration au greffe le 12 juin 2020, la société Apen a formé appel à l'encontre de ce jugement, en en visant toutes les dispositions à l'exception de celle réservant au conseil de prud'hommes le droit de liquider les astreintes et de celle la condamnant à supporter les frais d'exécution.

Par ordonnance du 22 septembre 2022, le conseiller de la mise en état a clôturé la procédure au même jour et renvoyé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 13 octobre 2022.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES 

Par ses dernières conclusions, remises au greffe le 5 février 2021, la société Apen demande à la cour d'infirmer le jugement et de :

- débouter M. [W] de ses demandes,

- condamner M. [W] à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

L'employeur argue de la mauvaise foi du salarié qui fait valoir des griefs remontant à plusieurs années qu'il n'avait jamais invoqués auparavant, qui refuse ses plannings et invoque des manquements de son employeur au moment où il perd sa carte professionnelle (ce qui l'empêche d'accomplir son travail), qui n'a fourni aucun travail de février 2019 à juin 2019 sans jamais s'en plaindre, et qui a créé sa propre entreprise de sécurité le 4 février 2019.

Il conteste toute requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein en soulignant le travail préparatoire qu'a dû demander la création de sa société puis le travail effectif qui l'a suivie, incompatible avec une activité à temps plein. Il estime également qu'il n'existe aucune raison sérieuse de remettre en cause les bulletins de paie, qui prouvent la réalité des heures effectuées ; que M. [W] travaillait pour un tiers et a pour cette raison sollicité de nombreux congés sans solde, qu'il n'a jamais remis en cause ; qu'il avait très bien organisé ses différentes activités professionnelles. Il fait remarquer que la durée de son travail a toujours été augmentée avec son accord, par le biais d'avenants. Il ajoute que le fait que les plannings puissent être modifiés fait partie intégrante du métier d'agent de sécurité en événementiel.

La société Apen conteste la demande en paiement des salaires de janvier 2017 à août 2018 en soutenant que M. [W] a été payé de toutes les heures qu'il a réalisées. Il considère que M. [W] ne peut se prévaloir du non paiement d'heures supplémentaires alors qu'il a signé des avenants pour augmenter périodiquement sa durée de travail et qu'un accord de modulation à l'année est applicable au sein de la société. La société ajoute que M. [W] a perçu quasiment chaque mois des majorations de dimanche ou de nuit. Elle souligne que M. [W] présente à l'appui de ses prétentions des tableaux qu'il a lui-même établis, sans base réelle et sans présenter le moindre planning ni rappeler la perception des majorations.

Elle conteste le rappel de salaire demandé au titre de janvier 2017 en faisant valoir que M. [W] a été embauché en cours de mois et qu'il a donc été payé, comme le prévoit l'accord de modulation du temps de travail applicable au sein de la société, sur la base des heures de travail réellement effectuées.

Elle affirme que M. [W] a reçu paiement de son indemnité de licenciement.

Elle s'oppose à l'octroi de dommages et intérêts en soutenant qu'il est faux de prétendre que M. [W] dépendait économiquement de la société et que ses problèmes financiers lui seraient liés, ou encore qu'il aurait souffert d'une exécution déloyale de son contrat de travail ; qu'en effet, il a perdu sa carte professionnelle et créé sa propre entreprise de sécurité, cessant d'honorer ses plannings et concurrençant son employeur.

Par ses dernières conclusions, remises au greffe le 7 décembre 2020, M. [W] demande à la cour de :

S'agissant de la requalification du contrat de travail :

à titre principal :

- prononcer la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet à partir du 3 janvier 2017,

- condamner en conséquence la société Apen à lui payer la somme de 12 114,66 euros à titre de rappel de salaire, outre 1 211,47 euros au titre des congés payés,

à titre subsidiaire :

- confirmer le jugement en ce qui concerne la requalification en contrat à temps complet à partir du mois d'août 2018,

- confirmer en conséquence la condamnation de l'employeur à lui payer la somme de 3 395,46 euros à titre de rappel de salaires outre celle de 339,54 euros au titre des congés payés,

S'agissant des « autres moyens » : confirmer le jugement, à savoir condamner la société Apen à lui payer les sommes de :

7 767,81 euros à titre de rappel de salaires pour la période du 3 janvier 2017 au 31 juillet 2018, ainsi que 776, 78 euros au titre des congés payés afférents,

1 355,40 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

7 500 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat et préjudice moral distinct,

En tout état de cause, condamner la société Apen à payer à la société PDCA la somme de 5 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 pour la première instance et l'appel, ainsi qu'à supporter les dépens.

A titre liminaire, M. [W] conteste toute mauvaise foi de sa part et dénonce celle de son employeur qui tente de manipuler les faits et a démontré sa propension à se détourner de ses obligations contractuelles.

M. [W] dénonce des manquements de l'employeur à ses obligations légales, tels que :

- le non paiement intégral des salaires dus : M. [W] considère que la société Apen lui doit une somme de 9 622,44 euros correspondant à la différence entre, d'une part, sa rémunération mensuelle brute de base (1 016,55 euros pour 104 heures de travail mensuel) augmentée des majorations et, d'autre part, la rémunération effectivement perçue, cela de janvier 2017 à février 2019 inclus. Il fait valoir que la société Apen ne rapporte pas la preuve des heures prétendument non effectuées par lui, ainsi que la preuve du paiement effectif des sommes qu'elle dit avoir versées. Il estime que les décomptes qu'il produit sont recevables au regard de la jurisprudence.

S'agissant en particulier du mois de janvier 2017, il fait valoir que le fait que le contrat ait commencé le 3 janvier 2017 ne justifie pas une diminution de rémunération de 362,10 euros.

Il en déduit que doit être confirmée la condamnation de la société Apen à lui payer les sommes de 3 395,46 euros et de 7 767,81 euros à titre de rappels de salaires, outre les congés payés afférents.

- l'exécution déloyale du contrat de travail : M. [W] fait valoir que n'ayant pas reçu l'intégralité des salaires qui lui sont dus, il subit un retard dans le paiement de ses salaires qui génère un préjudice moral et financier.

- le fait de lui avoir imposé des congés sans solde : M. [W] soutient qu'il n'a jamais pris de congés sans solde, et que ceux-ci lui ont été imposés par l'employeur lorsqu'il n'avait pas de mission à lui confier. Il ajoute qu'en l'absence de planning, il se tenait à la disposition permanente de son employeur. Il en déduit que celui-ci doit lui payer la somme de 7 509,79 euros au titre des congés sans solde indûment déduits.

- le non paiement de l'indemnité de licenciement : il fait valoir que la rupture du contrat de travail justifiée par l'absence de carte professionnelle d'agent de sécurité valide ne dispense pas l'employeur de payer l'indemnité de licenciement ; qu'en l'occurrence, la société Apen ne lui a pas payé l'indemnité de 1 355,40 euros qui lui était due.

- l'absence de remise de tous les bulletins de paie, notamment celui de septembre 2016. Il en déduit qu'il y a lieu de confirmer la condamnation de la société Apen à lui remettre ce bulletin sous astreinte courant à compter du 19 juin 2020, date de notification du jugement.

S'agissant de la requalification du contrat de travail, M. [W] fait valoir que son contrat de travail prévoyait expressément sa mise à disposition complète et totale, et que l'acceptation de ce contrat par le salarié ne fait pas échapper l'employeur aux conséquences d'une telle mise à disposition. Il ajoute que sa durée de travail a été dépassée à plusieurs reprises, comme en attestent les heures supplémentaires réalisées et les avenants signés. Il fait également valoir qu'il était dans l'impossibilité de prévoir son rythme de travail quotidien, hebdomadaire et mensuel, puisque son planning pouvait être modifié à n'importe quel moment ; qu'il travaillait parfois plus, parfois moins que la durée mensuelle de 104 heures prévues à son contrat de travail ; qu'il ne recevait jamais de planning de travail (le seul qu'il ait reçu depuis son premier contrat de travail à durée déterminée étant celui de mars 2015). Il indique qu'il était, dans ces conditions, dans l'impossibilité de trouver un autre emploi pour compléter ses revenus.

Subsidiairement, il se prévaut du bulletin de paie du mois d'août 2018, qui évoque une durée de travail de 151,67 heures sur le mois, soit la durée légale du temps de travail.

S'agissant du préjudice financier subi, M. [W] explique qu'à raison du comportement déloyal de son employeur, il est aujourd'hui dans une situation financière désastreuse puisqu'il a été contraint de quitter son logement. Il précise qu'il n'a pas d'autres ressources que son salaire et les allocations familiales. Il conteste toute mauvaise foi de sa part, en soutenant que la clause contractuelle intitulée « obligation de fidélité » n'est pas légale, ne peut donc être invoquée à son encontre et caractériser une faute de sa part. Il ajoute que si la clause était jugée licite, la société Apen ne pouvait effectuer de telles retenues sur ses salaires et ne pouvait que le licencier pour faute.

S'agissant du préjudice moral, M. [W] expose avoir été atteint dans son honneur en effectuant un travail pour lequel il n'a pas été payé, et en étant contraint de quitter son logement. Il estime que la société Apen ne pouvait se permettre de ne pas le payer pour le travail réalisé en prétextant qu'il avait d'autres sources de revenus.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé aux conclusions déposées.

MOTIFS DE L'ARRÊT

A titre liminaire, il est rappelé que sur le fondement de l'article 954 al. 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

La cour relève ainsi qu'aucune demande n'est formée au titre de la remise au salarié des différents bulletins de paie. Il n'y a donc pas lieu de statuer de ces chefs.

Sur la demande de requalification du contrat de travail en contrat à temps complet

Sur le fondement de l'article L. 3123-1 du code du travail, est considéré comme salarié à temps partiel le salarié dont la durée du travail est inférieure :

1° A la durée légale du travail ou, lorsque cette durée est inférieure à la durée légale, à la durée du travail fixée conventionnellement pour la branche ou l'entreprise ou à la durée du travail applicable dans l'établissement ;

2° A la durée mensuelle résultant de l'application, durant cette période, de la durée légale du travail ou, si elle est inférieure, de la durée du travail fixée conventionnellement pour la branche ou l'entreprise ou de la durée du travail applicable dans l'établissement ;

3° A la durée de travail annuelle résultant de l'application durant cette période de la durée légale du travail, soit 1 607 heures, ou, si elle est inférieure, de la durée du travail fixée conventionnellement pour la branche ou l'entreprise ou de la durée du travail applicable dans l'établissement.

Le contrat de travail à temps partiel doit, selon l'article L. 3123-6 du code du travail, d'ordre public, être établi par écrit et préciser :

1° La qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et, sauf pour les salariés des associations et entreprises d'aide à domicile et les salariés relevant d'un accord collectif conclu en application de l'article L. 3121-44 [relatif à la répartition de la durée du travail sur une période supérieure à la semaine], la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois ;

2° Les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification ;

3° Les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié. Dans les associations et entreprises d'aide à domicile, les horaires de travail sont communiqués par écrit chaque mois au salarié ;

4° Les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au delà de la durée de travail fixée par le contrat.

L'avenant au contrat de travail prévu à l'article L. 3123-22 mentionne les modalités selon lesquelles des compléments d'heures peuvent être accomplis au delà de la durée fixée par le contrat.

Par ailleurs, en vertu des articles L. 3123-24 et L. 3123-31 du code du travail, toute modification de la répartition de la durée du travail est notifiée au salarié au moins sept jours ouvrés avant la date à laquelle elle doit avoir lieu, ce délai minimum pouvant être réduit à 3 jours par convention ou accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par convention ou accord de branche étendu.

L'article 7.07 de la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985, étendue par arrêté du 25 juillet 1985, énonce que lorsque la durée du travail du personnel d'exploitation ou travaillant en dehors de l'établissement est organisée sous forme de cycles, des plannings de service sont établis, que toute modification ayant pour effet de remettre en cause l'organisation du cycle doit être portée à la connaissance des salariés par écrit au moins 7 jours avant son entrée en vigueur, qu'en cas d'ajustement ponctuel de l'horaire de travail justifié par des nécessités de service, se traduisant par des services ou heures supplémentaires, le salarié doit en être informé au moins 48 heures à l'avance, que son refus pour raisons justifiées ne peut entraîner de sanctions disciplinaires et que les délais prévus ci-dessus peuvent être réduits à condition que le salarié concerné y consente.

L'absence de respect du délai de prévenance entraîne la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet lorsque le salarié est empêché de prévoir le rythme auquel il doit travailler et se trouve dans l'obligation de se tenir à la disposition constante de l'employeur.

En l'espèce, le contrat de travail liant la société Apen et M. [W] prévoit une durée mensuelle de travail de 104 heures, en précisant que cette durée de travail est annualisée dans les conditions prévues par l'accord de modulation du temps de travail applicable dans l'entreprise. Ce contrat stipule également qu' « il est expressément convenu entre les parties que le planning du salarié pourra être ajusté ponctuellement en cas de nécessité de service. Le délai de 48 heures pourrait donc être réduit, comme prévu à l'article 7.07 de la convention collective. Pour des raisons de commodité et pour éviter les erreurs de déplacement aux salariés, Monsieur [W] [K] s'engage à être toujours joignable par tout moyen (portable ou téléphone fixe). Monsieur [W] [K] accepte également d'être appelé parfois la veille pour le lendemain pour une modification de son planning et ne conteste en rien ce système, celui-ci étant appliqué à tous les agents et en accord avec les termes de la Convention Collective de Sécurité et de Prévention régissant l'activité de l'entreprise APEN. Le salarié ne pourra refuser l'horaire de travail modifié qu'en justifiant des raisons à son employeur ».

La société Apen ne justifie d'aucun planning de travail, ne justifie pas non plus du délai dans lequel elle prévenait le salarié de ses horaires de travail, et fait valoir que les modifications de planning font partie intégrante du métier d'agent de sécurité en événementiel.

Les dispositions du contrat de travail combinées à l'absence de justification du délai dans lequel M. [W] avait connaissance de ses horaires de travail, le cas échéant modifiés, caractérisent le non respect par l'employeur des conditions et délais dans lesquels les horaires de travail sont notifiés au salarié.

Par suite, le contrat de travail est présumé à temps complet.

Le fait que M. [W] ait pu travailler en parallèle pour une entreprise tierce, telle l'entreprise Atlas Sécurité jusqu'en juillet 2018 ainsi que cela ressort de la sommation interpellative versée aux débats, ou qu'il ait créé sa propre entreprise de sécurité en février 2019, ainsi que cela ressort de la page internet Société.com également versée, ne permettent pas à l'employeur de prouver que M. [W] connaissait le rythme auquel il devait travailler et n'avait pas à se tenir constamment à sa disposition.

De même, le fait que M. [W] n'ait pas contesté (jusqu'en février 2019) les « congés sans solde » apparaissant régulièrement sur ses bulletins de paie, ne permet pas non plus d'établir cette preuve.

Enfin, la mauvaise foi alléguée du salarié, à la supposer établie, n'est en tout état de cause pas susceptible d'exonérer l'employeur du respect de ses obligations légales.

L'employeur ne renverse donc pas la présomption de temps complet.

Au contraire, les termes du contrat de travail et l'absence de justification des plannings et de leurs modifications, ainsi que des modalités de communication de ces plannings et modifications, établissent l'incertitude avérée des horaires de travail de M. [W], ce dont il est déduit que le salarié était dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et devait se tenir constamment à la disposition de l'employeur.

Il convient en conséquence de requalifier le contrat de travail de M. [W] en contrat de travail à temps complet, ce à partir du 3 janvier 2017.

Surabondamment, il est rappelé qu'en vertu de l'article L. 3123-9 du code du travail, les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée de travail accomplie par un salarié à temps partiel au niveau de la durée légale du travail ou, si elle est inférieure, au niveau de la durée de travail fixée conventionnellement.

Lorsque les heures effectuées par le salarié ont pour effet de porter la durée du travail accomplie à hauteur de la durée légale ou conventionnelle de travail, y compris dans le cadre d'un accord collectif organisant le temps partiel modulé, le contrat de travail doit être requalifié en contrat de travail à temps complet à compter de cette date.

En l'espèce, les bulletins de paie produits établissent que M. [W] a travaillé 151,67 heures en août 2018, soit la durée légale du travail.

La requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet est donc encourue également pour ce motif à compter du mois d'août 2018.

Sur la demande en paiement de rappels de salaire

1. M. [W] revendique en substance le paiement :

- des heures correspondant à la durée de travail contractuellement prévue, à savoir 104 heures par mois. M. [W] réclame ainsi la somme de 7 767,81 euros à titre de rappel de salaires pour la période du 3 janvier 2017 au 31 juillet 2018.

- des heures comblant la différence entre cette durée contractuelle et la durée légale du travail, dues en conséquence de la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet. M. [W] réclame ainsi, à titre principal la somme de 12 114,66 euros pour la période de janvier 2017 à février 2019 inclus, à titre subsidiaire la somme de 3 395,46 euros pour la période d'août 2018 à février 2019 inclus, ainsi que cela ressort des tableaux figurant dans ses conclusions.

2. S'agissant du rappel de salaire réclamé au titre de l'exécution du contrat de travail à temps partiel, il est tout d'abord considéré que M. [W] prétend avoir droit à un salaire correspondant à 104 heures de travail pour le mois de janvier 2017, et que l'employeur ne rapporte pas la preuve des heures effectivement réalisées par M. [W] dont le contrat n'a pris effet que le 3 janvier 2017. Par suite, et sur le fondement de l'article L. 3171-4 du code du travail relatif au régime probatoire applicable à la détermination des heures de travail accomplies, il est considéré que l'employeur est effectivement débiteur du salaire correspondant à 104 heures de travail.

Ensuite, la cour relève que la différence entre le salaire contractuellement dû et le salaire effectivement perçu tient à la déduction de congés sans solde, à l'occasion de nombreux mois et pour des montants importants. A cet égard, la cour considère que la société Apen rapporte la preuve d'un accord entre elle et le salarié pour la pose de congés sans solde dès lors que ces congés apparaissent de manière claire sur les bulletins de paie et affectent de manière significative le montant du salaire effectivement perçu mois après mois par M. [W], sans que celui-ci n'émette la moindre protestation avant son courrier adressé à l'employeur au mois de février 2019, dès lors également que l'employeur rapporte la preuve, par attestations et sommation interpellative, de ce que M. [W] a travaillé pour une entreprise tierce jusqu'en juillet 2018, dès lors enfin qu'il est établi qu'il a créé sa propre entreprise en février 2019.

Du fait de cet accord, le salarié n'est pas fondé à réclamer le paiement des heures déduites à titre de congé sans solde.

Dans ces conditions, M. [W] est en droit de prétendre à la seule somme de 362,10 euros, outre 36,21 euros au titre des congés payés afférents. Le jugement est infirmé en ce sens.

3. Du fait de la requalification du contrat de travail en un contrat à temps complet, l'employeur est tenu au paiement du salaire correspondant à un temps plein, qui correspond en l'occurrence à la durée légale du travail.

Il y a donc lieu de condamner la société Apen au paiement de la différence entre le salaire dû au titre d'un travail à temps complet et le salaire dû au titre du temps partiel prévu au contrat de travail et à ses avenants.

Au regard du taux horaire brut applicable mois après mois et du fait qu'à plusieurs reprises M. [W] a travaillé plus de 104 heures, le montant du rappel de salaire dû au titre de la requalification s'élève à la somme de 11 024,60 euros, somme à laquelle s'ajoute celle de 1 102,46 euros au titre des congés payés afférents. Le jugement est infirmé en ce sens.

Sur la demande en paiement d'un solde d'indemnité de licenciement

Selon l'article L. 1234-9 du code du travail dans sa version applicable aux licenciements prononcés depuis le 24 septembre 2017, le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement dont les modalités de calcul sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail.

L'article R. 1234-2 dans sa version en vigueur depuis le 27 septembre 2017 précise que l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à l'addition, le cas échéant, d'un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans, et d'un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans.

Au regard de son salaire mensuel brut et de son ancienneté de deux ans et cinq mois, la société Apen est débitrice d'une indemnité s'élevant à 920,36 euros.

Bien que l'attestation Pôle Emploi ne mentionne pas d'indemnité de licenciement, la société Apen justifie du paiement d'une indemnité de 434,99 euros, montant compris dans le solde de tout compte, en produisant la preuve de l'encaissement du chèque correspondant, le 17 juillet 2019.

Il convient donc de condamner l'employeur à payer à M. [W] le solde restant dû, à savoir la somme de 485,37 euros.

Sur la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral résultant de l'exécution déloyale du contrat de travail

Les développements qui précèdent mettent en évidence un manquement de l'employeur à ses obligations légales et réglementaires dès lors que M. [W], dont le contrat de travail prévoyait un travail à temps partiel, était empêché de prévoir à quel rythme il devait travailler.

Ce manquement caractérise une exécution déloyale du contrat de travail, qui justifie d'indemniser M. [W] du préjudice subi.

A supposer établie la mauvaise foi du salarié, celle-ci ne saurait éluder les manquements de l'employeur et la nécessaire réparation du préjudice en découlant.

En l'absence d'élément précis sur les dépenses de M. [W], il n'est pas établi de lien de causalité exclusif entre le manquement de l'employeur et le préjudice moral allégué (seul évoqué dans le dispositif des conclusions), à savoir une atteinte à son honneur, constituée de l'absence de paiement de l'intégralité de son travail et de son obligation de quitter son logement en raison du drame financier dans lequel il se trouvait. Le salarié l'admet d'ailleurs, en indiquant que la société a « concouru » à la dégradation de sa situation financière.

M. [W] a néanmoins subi une perte de chance de voir sa situation financière rester saine et de conserver son logement, et ainsi d'éviter la souffrance morale afférente. Cela justifie de condamner la société Apen à lui payer la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts. Le jugement est infirmé en ce sens.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

En qualité de partie succombante pour l'essentiel, la société Apen est condamnée aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel.

Par suite, la société Apen est condamnée à payer à Me Nathalie Michel, avocat de M. [W], la somme de 1.500 euros sur le fondement des articles 700 al. 2 du code de procédure civile et 37 de la loi 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, pour les procédures de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement, en dernier ressort, dans les limites de l'appel ;

Infirme le jugement rendu le 3 juin 2020 par le conseil de prud'hommes du Havre,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

Requalifie le contrat de travail à temps partiel liant M. [K] [W] et la société Apen en contrat de travail à temps complet, et ce à compter du 3 janvier 2017,

Condamne la société Apen à payer à M. [W] la somme de 362,10 euros à titre de rappel du salaire contractuel pour la période du 3 janvier 2017 au 31 juillet 2018, outre la somme de 36,21 euros au titre des congés payés afférents,

Condamne la société Apen à payer à M. [W] la somme de 11 024,60 euros à titre de rappel de salaire en conséquence de la requalification du contrat de travail, outre la somme de 1 102,46 euros au titre des congés payés afférents,

Condamne la société Apen à payer à M. [W] la somme de 485,37 euros à titre de solde d'indemnité de licenciement,

Condamne la société Apen à payer à M. [W] la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral distinct,

Condamne la société Apen à payer à Me Nathalie Michel, avocat de M. [W], la somme de 1.500 euros sur le fondement des articles 700 du code de procédure civile et 37 de la loi 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, pour les procédures de première instance et d'appel, en précisant que si l'avocat du bénéficiaire de l'aide recouvre cette somme, il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat et que s'il n'en recouvre qu'une partie, la fraction recouvrée vient en déduction de la part contributive de l'Etat,

Condamne la société Apen aux dépens, tant de première instance que d'appel.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/01802
Date de la décision : 08/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-08;20.01802 ?
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