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01/12/2022 | FRANCE | N°21/02906

France | France, Cour d'appel de Rouen, Ch. civile et commerciale, 01 décembre 2022, 21/02906


N° RG 21/02906 - N° Portalis DBV2-V-B7F-I2TK







COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE



ARRET DU 01 DECEMBRE 2022









DÉCISION DÉFÉRÉE :



2019J00062

TRIBUNAL DE COMMERCE DU HAVRE du 18 Juin 2021





APPELANT :



Monsieur [N] [Z]

né le [Date naissance 2] 1973 à [Localité 10] (14)

[Adresse 5]

[Adresse 5]



représenté par Me Claire VARGUES de la SELARL VARGUES ET ASSOCIES, avocat au barreau du HAV

RE







INTIMEES :



Madame [H] [K] divorcée [Z]

née le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 7]

[Adresse 3]

[Adresse 3]



représentée par Me Pascal HUCHET de la SCP HUCHET DOIN, avocat au barreau du HAVRE et ...

N° RG 21/02906 - N° Portalis DBV2-V-B7F-I2TK

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRET DU 01 DECEMBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

2019J00062

TRIBUNAL DE COMMERCE DU HAVRE du 18 Juin 2021

APPELANT :

Monsieur [N] [Z]

né le [Date naissance 2] 1973 à [Localité 10] (14)

[Adresse 5]

[Adresse 5]

représenté par Me Claire VARGUES de la SELARL VARGUES ET ASSOCIES, avocat au barreau du HAVRE

INTIMEES :

Madame [H] [K] divorcée [Z]

née le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 7]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représentée par Me Pascal HUCHET de la SCP HUCHET DOIN, avocat au barreau du HAVRE et assistée de Me Grégory DESMOULINS, avocat au barreau de PARIS, plaidant

S.A. SOCIETE GENERALE

[Adresse 4]

[Adresse 4]

représentée par Me Marion FAMERY de l'AARPI LHJ AVOCATS AARPI, avocat au barreau du HAVRE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 22 Septembre 2022 sans opposition des avocats devant M. URBANO, Conseiller, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme FOUCHER-GROS, Présidente

M. URBANO, Conseiller

Mme PICOT DEMARCQ, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DEVELET, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 22 Septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 01 Décembre 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Rendu publiquement le 01 Décembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme Foucher-Gros, Présidente et par Mme Develet, Greffière

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :

La SARL Drakkar Investissements, dont le gérant était M. [N] [Z], a ouvert un compte courant professionnel dans les livres de la société Société Générale (la Société Générale).

Aux termes d'une offre de prêt du 22 août 2012, acceptée le 31 août 2012, la Société Générale a consenti à la société Drakkar Investissements un prêt d'un montant en principal de 310 000 euros ayant pour objet l'acquisition de 100% des titres de la société Entreprise Senlisienne de Construction Pierre Rouan, remboursable en une annuité de 44 290 euros suivie de six annuités de 44 285 euros, moyennant un taux d'intérêt de 4% hors frais et assurances.

Suivant acte sous seing privé du 31 août 2012, M. [N] [Z] et Mme [H] [K] se sont engagés en qualité de cautions solidaires de la SARL Drakkar Investissements afin de garantir le prêt, à hauteur d'une somme de 201 500 euros correspondant à 50% de l'obligation garantie majorée d'un montant forfaitaire pour les intérêts, frais, accessoires, pénalités et indemnité de résiliation ou soulte actuarielle.

La SARL Drakkar Investissements étant défaillante dans le remboursement de l'échéance du 31 août 2017, la société Générale l'a mise en demeure par lettres des 25 septembre et 9 octobre 2017.

Suivant jugement du tribunal de commerce de Compiègne du 7 novembre 2017, la société Drakkar Investissements a été placée en liquidation judiciaire.

La société Générale a procédé à la déclaration de sa créance auprès du mandataire liquidateur le 11 décembre 2017.

Par acte du 9 avril 2019, la Société Générale a assigné M. [N] [Z] et Mme [H] [K] épouse [Z] devant le tribunal de commerce du Havre aux fins d'obtenir leur condamnation solidaire à verser chacun la somme de 69 124,16 euros correspondant à 50% de l'obligation garantie, augmentée des intérêts au taux contractuel de 8% jusqu'à parfait paiement et ordonner la capitalisation annuelle des intérêts.

Par jugement du 18 juin 2021, le tribunal de commerce du Havre a :

-reçu Mme [K] en son exception d'incompétence d'attribution, l'a déclarée bien fondée,

-renvoyé la fraction du litige opposant la Société Générale à Mme [K] devant le tribunal judiciaire de Compiègne,

-reçu la Société Générale en ses demandes, les a déclarées partiellement fondée,

-condamné M. [Z] à verser à la Société Générale la somme de 69.124,16 euros correspondant à 50% de l'obligation garantie, augmentée des intérêts au taux contractuel de 8% jusqu'à parfait paiement à compter du 09 novembre 2017 date du lendemain du décompte arrêté par la banque,

-ordonné la capitalisation annuelle des intérêts à compter du 2 avril 2019,

-dit que le présent jugement sera notifié aux parties par lettre recommandée avec accusé de réception,

-dit qu'à défaut d'appel dans le délai imparti sur la compétence dirigée vers le tribunal judiciaire de Compiègne dans le litige opposant la Société Générale à Mme [K], la partie de ce dossier sera transmise à la juridiction de renvoi,

-débouté les parties de leurs autres ou plus amples demandes,

-condamné M. [Z] aux entiers dépens, ceux visés à l'article 701 du code de procédure civile étant liquidés à la somme de 94,34 euros et à verser à la Société Générale la somme de 1.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

-laissé à l'appréciation du tribunal judiciaire de Compiègne les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la fraction du litige opposant la Société Générale à Mme [K].

M. [Z] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 13 juillet 2021.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 septembre 2022.

EXPOSE DES PRETENTIONS :

Vu les conclusions du 12 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et arguments de M. [Z] qui demande à la cour de :

A titre principal,

-infirmer le jugement du 18 juin 2021 du tribunal de commerce d Havre en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau,

-juger que l'engagement de caution entre les parties était manifestement disproportionné par rapport aux revenus et au patrimoine de M. [Z] au moment de sa conclusion,

En conséquence,

-juger que l'engagement de caution est inopposable à M. [Z],

-juger que la Société Générale ne justifie pas d'une créance certaine, liquide et exigible,

-juger que la Société Générale a manqué à son obligation de mise en garde envers M. [Z],

En conséquence,

-juger que M. [Z] doit être déchargé de l'intégralité de son engagement de caution,

-débouter la Société Générale de l'intégralité de ses demandes,

A titre subsidiaire,

-limiter la condamnation solidaire de M. [Z] avec Mme [K] à la somme de 69.124,16 euros,

-prononcer la déchéance de l'ensemble des intérêts échus depuis la date de l'engagement de caution de M. [Z] et débouter la Société Générale de sa demande en paiement de tous les intérêts échus et intérêts ou pénalités de retards conventionnels ou légaux,

En tout état de cause,

-condamner la Société Générale à payer à M. [Z] une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner la Société Générale aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Vu les conclusions du 17 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et arguments de la Société Générale qui demande à la cour de :

-confirmer le jugement rendu le 18 juin 2021 par le tribunal de commerce du Havre en toutes ses dispositions, à l'exception de celle concernant l'incompétence d'attribution du tribunal de commerce,

Statuant à nouveau,

-dire et juger que le tribunal de commerce du Havre était compétent pour statuer sur les demandes formulées par la Société Générale à l'encontre de Mme [K],

-débouter M. [Z] et Mme [K] de l'intégralité de leurs demandes et conclusions,

-condamner solidairement M. [Z] et Mme [K] à verser, chacun, à la Société Générale la somme de 69.124,16 euros correspondant à 50% de l'obligation garantie, augmentée des intérêts au taux contractuel de 8% jusqu'à parfait paiement,

-ordonner la capitalisation annuelle des intérêts,

-condamner solidairement M. [Z] et Mme [K] à verser à la Société Générale la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Vu les conclusions du 10 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et arguments de Mme [K] qui demande à la cour de :

-confirmer le jugement déféré en ce qu'il a reçu et déclaré Mme [K] bien fondée en son exception d'incompétence d'attribution et renvoyé la fraction du litige opposant la Société Générale et Mme [K] devant le tribunal judiciaire de Compiègne,

-dire en conséquence n'y avoir lieu à statuer au fond à l'égard de Mme [K],

A titre subsidiaire au fond,

-déclarer que la Société Générale ne justifie pas de l'accomplissement de son devoir de mise en garde à l'égard de la société Drakkar Investissements,

-déclarer que la Société Générale a manqué à son obligation de conseil et de mise en garde à l'égard de Mme [K],

-condamner en conséquence la Société Générale à payer à Mme [K] la somme de 69.124,16 euros à titre de dommages-intérêts,

-ordonner la compensation des sommes éventuellement dues entre les parties,

-débouter la Société Générale de l'ensemble de ses demandes, moyens, fins et conclusions,

A titre très subsidiaire,

-dire et juger que M. [Z] et Mme [K] se sont ensemble portés cautions solidaires de la société Drakkar Investissements uniquement à hauteur de 50 % de l'obligation garantie,

-décharger Mme [K] de son engagement de caution à concurrence des sommes dues,

A titre infiniment subsidiaire,

-prononcer la déchéance de tous les accessoires de la dette alléguée, frais et pénalités et intérêts conventionnels sur les sommes en principal qui seraient dues par Mme [K] à la Société Générale,

-ordonner l'imputation sur le capital de la créance de l'ensemble des règlements opérés par la société Drakkar Investissements, dont celui d'un montant de 2.775,19 euros en date du 14 septembre 2014,

A titre encore plus subsidiaire,

-accorder à Mme [K] 24 mois de délais pour s'acquitter des sommes qui seraient dues à la Société Générale et échelonner le règlement de celles-ci en 24 mensualités identiques à compter du mois suivant la signification de la décision à intervenir, en réduisant les intérêts au seul taux légal,

En toute hypothèse,

-condamner la Société Générale à payer à Mme [K] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner la Société Générale aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Pascal Huchet ' SCP Huchet Doin, Avocat aux offres de droit en application de l'article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la compétence du tribunal de commerce du Havre :

Exposé des moyens :

M. [Z] a sollicité l'infirmation de la décision entreprise sur ce point mais n'a développé aucun moyen.

La Société Générale soutient que quoique Mme [K] n'ait jamais eu la qualité de commerçante et qu'elle n'ait eu aucun intérêt personnel dans l'opération cautionnée, elle était mariée à l'époque avec M. [Z] de sorte qu'il est de l'intérêt d'une bonne justice que la même juridiction ait à connaître des demandes formées contre eux.

Mme [K], demeurant à [Localité 8], soutient que seul le tribunal judiciaire de Compiègne, tribunal de droit commun, peut connaître de la demande formée contre elle par la Société Générale.

Réponse de la cour :

Aux termes de l'article L721-3 du code de commerce : « Les tribunaux de commerce connaissent:

1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre artisans, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ;

2° De celles relatives aux sociétés commerciales ;

3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.

(...) »

La Société Générale ne conteste pas que Mme [K] n'a jamais eu la qualité de commerçante, qu'elle n'a été ni associée ni dirigeante de la SARL Drakkar Investissements et qu'elle n'a eu aucun intérêt personnel dans l'opération cautionnée. Il est indifférent, au regard de la compétence à raison de la matière,qu'au moment de son engagement, Mme [K] ait été mariée avec M. [Z]. Le fait qu'il soit de l'intérêt d'une bonne administration de la justice qu'une même juridiction statue sur les demandes en paiement formées par la banque contre chacun des époux ne saurait entraîner aucune prorogation de compétence du tribunal de commerce concernant les demandes présentées contre Mme [K].

Il s'ensuit que le tribunal de commerce du Havre ne dispose d'aucune compétence pour connaître de la demande en paiement formée par la Société Générale contre Mme [K] au titre de la caution qu'elle a consentie.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a reçu Mme [K] en son exception d'incompétence d'attribution, l'a déclaré bien fondée et a renvoyé la fraction du litige opposant la Société Générale à Mme [K] devant le tribunal judiciaire de Compiègne.

Sur la disproportion manifeste du cautionnement alléguée par M. [Z] :

Exposé des moyens :

M. [Z] soutient que :

- son cautionnement est manifestement disproportionné dès lors qu'il était non-imposable au jour où il l'a donné et qu'il l'était également les deux années précédentes;

- aujourd'hui, il ne dispose d'aucun patrimoine immobilier, il n'est pas locataire et vit dans une caravane ;

- si lors de la souscription de l'engagement de caution, M. [Z] et Mme [K] avaient une maison d'une valeur de 250 000 euros, elle constituait un bien propre de Mme [K] tandis que la maison de [Localité 8] a été attribuée à Mme [K] ;

- en 2019 il percevait un salaire mensuel de 944,48 euros, devait une contribution alimentaire de 100 euros par mois et remboursait un emprunt bancaire à hauteur de 300 euros par mois.

La Société Générale soutient que :

- la disproportion s'apprécie non seulement au vu des revenus mais également des biens de la caution ;

- M. [Z] a établi une fiche de renseignements au moment de consentir sa garantie de laquelle il résulte qu'il était propriétaire de sa résidence principale avec son épouse et qu'il disposait de liquidités lui permettant de faire face à son obligation de caution ;

Réponses de la cour :

L'article 2300 du code civil, issus de l'ordonnance du 15 septembre 2021 n'est applicable qu'à compter du 1er janvier 2022 et l'article 37 de cette ordonnance dispose que les cautionnements conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public.

Aux termes de l'article L341-4 du code de la consommation (en vigueur au jour de l'engagement de caution signé par M. [Z]) devenu l'article L332-1 du code de la consommation dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 : « Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. ».

Il appartient à M. [Z], qui allègue l'existence de cette disproportion au jour de son engagement, de la démontrer et il ne saurait se borner à exciper du fait qu'il n'était pas imposable à l'époque de la souscription de son engagement sans justifier de l'état de son patrimoine notamment immobilier.

Lorsque le créancier professionnel fait établir par celui qui entend s'engager en qualité de caution une fiche de renseignements sur son patrimoine, il appartient à cette dernière de déclarer loyalement ses biens, ses revenus, ses charges et ses dettes. Si la caution a omis de déclarer des éléments de son patrimoine dans cette fiche de renseignements, elle ne peut se prévaloir de sa propre omission pour opposer au créancier l'élément de patrimoine actif ou passif qui n'a pas été porté à sa connaissance dès lors que ce créancier n'en avait pas connaissance par ailleurs.

Enfin, le créancier professionnel n'a pas à vérifier l'exhaustivité et l'exactitude des informations fournies par la caution dans la fiche de renseignements en l'absence d'anomalies apparentes.

La Société Générale verse aux débats une fiche de renseignement signée par M. [Z] le 6 juillet 2012 dans laquelle il a certifié :

- être le gérant de la société Drakkar Investissement et percevoir à ce titre un revenu de 16 000 euros par an ;

- être propriétaire à hauteur de 50% d'une maison située [Adresse 3] évaluée à 325 000 euros presque intégralement remboursée (seul restant un capital dû de 37 000 euros sur le crédit immobilier correspondant).

- disposer avec son épouse, également caution de la même dette, de liquidités à hauteur de 100 000 euros.

La Société Générale verse aux débats la même fiche de renseignements signée par Mme [K], épouse à l'époque de M. [Z] de laquelle il résulte que :

- Mme [K] était salariée de la société Poclain, en qualité d'analyste et percevait à ce titre un revenu annuel de 41 000 euros ;

- elle disposait d'un patrimoine propre constitué d'une maison à [Localité 9] évaluée à 250 000 euros et d'un appartement en nue-propriété à [Localité 6] estimé à 100 000 euros, outre 50% de la résidence principale du couple évaluée à 325 000 euros et les mêmes liquidités de 100 000 euros.

Il résulte de ces éléments que M. [Z] pouvait supporter une obligation s'élevant à 201 500 euros, en comptant sur ses propres biens et revenus caractérisés par :

- un revenu annuel de 16 000 euros,

-des droits immobiliers de la moitié de 325 000 ' 37 000 = 288 000, soit 144 000 euros,

- des doits à concurrence de la moitié de 100 000 euros de liquidités, soit 50 000 euros ;

Le cautionnement n'était pas manifestement disproportionnné au jour où M. [Z] s'est engagé et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande formée par M. [Z] tendant à l'inopposabilité de son engagement.

Sur le manquement de la Société Générale à l'obligation de mise en garde :

Exposé des moyens :

M. [Z] soutient que :

- la Société Générale a manqué à son devoir de mise en garde à l'égard de la SARL Drakkar Investissements en lui proposant un financement risqué de 310 000 euros pour l'acquisition des parts sociales d'une société Entreprise Senlisienne de Construction Pierre Rouan alors que la SARL Drakkar Investissements ne disposait d'aucune compétence financière et bancaire et que la société Pierre Rouan présentait d'ores et déjà une baisse de son chiffre d'affaires de 47% et une diminution de son résultat de 82% par rapport à l'année précédente ;

- le risque était évidemment connu de la banque qui a exigé de multiples garanties (nantissement, délégation d'assurance décès et invalidité, délégation de garantie d'actif et de passif, garantie OSEO, blocage du compte courant d'associé et cautions des époux [Z]) ;

- le prêt consenti, dans le cadre d'une opération avec effet de levier, était complexe et cette opération s'est vite révélée désastreuse ;

- la Société Générale a également manqué à son devoir de mise en garde à l'égard de M. [Z], maçon de formation, à qui aucun conseil n'a été prodigué par la banque et qui est une caution non avertie ;

- la Société Générale ne justifie pas avoir satisfait à son obligation de mise en garde.

La Société Générale soutient que :

- les chiffres de la société Entreprise Senlisienne de Construction Pierre Rouan étaient satisfaisants selon le bilan 2011 alors que le rachat des titres est intervenu courant juillet 2012 ;

- les capacités financières de la SARL Drakkar Investissements et de la société Entreprise Senlisienne de Construction Pierre Rouen ne présentaient pas de risques particulier de nature à devoir déclencher l'obligation de mise en garde du banquier ;

- la capacité financière de M. [Z], n'en présentait pas non plus ;

- M. [Z], gérant de la SARL Drakkar Investissements et d'une société Drakkar Invest, était une caution avertie.

Réponses de la cour :

Pour invoquer le manquement d'un établissement de crédit à son obligation de mise en garde, une caution, fût-elle non avertie, doit rapporter la preuve que son engagement n'est pas adapté à ses capacités financières personnelles ou qu'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l'emprunteur débiteur principal

La Société Générale verse aux débats le bilan pour l'exercice 2011 de la société Rouan . Il en ressort que le chiffre d'affaires était en baisse de 45,74% et le que résultat était en baisse de 82,88% par rapport à l'exercice précédent.

Toutefois, le résultat pour cet exercice s'était révélé bénéficiaire à hauteur de 10 403 euros pour un chiffre d'affaires de 1 209 669 euros avec cette particularité que la masse salariale globale de l'entreprise avait diminué de 13,51% à effectif constant.

Ainsi, il ne ressort pas de ce document qu'au jour où le prêt a été consenti par la banque à la SARL Drakkar Investissements pour acquérir les parts de la société Rouan, l'opération présentait un risque particulier.

Par ailleurs, il ressort des extraits du registre du commerce et des sociétés de Compiègne versés aux débats par la Société Générale que la société Rouan n'a été placée en liquidation judiciaire que le 25 octobre 2017, la date de cessation des paiements étant fixée au 25 avril 2016 et que la SARL Drakkar Investissements n'a été placée en liquidation judiciaire que le 8 novembre 2017 avec une date de cessation des paiements fixée au 1er septembre 2017, alors que le prêt cautionné lui avait été consenti le 22 août 2012.

Il en résulte que pendant près de quatre ans, la société Rouan a pu exercer son activité et que pendant plus de cinq ans, la SARL Drakkar Investissements a pu faire face à ses obligations.

Monsieur [Z] ne produit aucune pièce caractérisant l'existence d'un risque d'endettement ni de la société Rouan ni de la SARL Drakkar Investissements au jour où le prêt a été consenti par la banque.

En ce qui le concerne, il a été exposé plus haut qu'il avait la capacité financière de supporter son obligation lors de la signature de son acte de caution.

Dès lors, la Société Générale n'a pas méconnu l'obligation de mise en garde pesant sur la banque ainsi que la retenu le premier juge.

Sur les sommes réclamées par la Société Générale :

Exposé des moyens :

M. [Z] soutient que :

- le prêt bénéficiait d'une garantie OSEO à hauteur de 50% et les paiements reçus par la banque au titre de cette garantie doivent être déduits des sommes réclamées à M. [Z] ;

- les deux cautions ne se sont engagées qu'à hauteur de 50% de la somme due de sorte que la banque ne peut leur réclamer, solidairement, que la moitié de la dette du débiteur principal ;

- la banque n'a pas satisfait à l'obligation d'information annuelle, qu'elle doit effectuer par lettre recommandée avec accusé de réception, de sorte qu'elle doit être déchue de son droit aux intérêts ;

- les premiers juges ont retenu un taux de 8% alors que seul le taux légal est dû ; la majoration de 4% prévue au contrat en cas de non-paiement constitue une clause pénale réductible ou annulable et que le contrat s'achevant au 31 août 2021, les intérêts ne peuvent pas courir au-delà de cette date ;

La Société Générale soutient que :

- elle ne réclame à chacune des cautions que la moitié des sommes dues par le débiteur principal, soit à chacune 69 124,16 euros ;

- la garantie OSEO ne profite qu'à la banque et les sommes versées à ce titre n'ont pas à être déduites de celles dues par les cautions ;

- elle a déclaré sa créance auprès du liquidateur de la SARL Drakkar Investissements ;

- elle a adressé les lettres d'information annuelle aux cautions ;

- le taux contractuel est de 8%.

Réponses de la cour :

1°) Selon l'acte de prêt du 31 août 2012, le crédit consenti à la SARL Drakkar Investissements à hauteur de 310 000 euros bénéficie d'une garantie OSEO « au seul profit de la banque à hauteur de 50% de l'encours du prêt ».

Dès lors que M. [Z] s'est porté caution solidaire de la SARL Drakkar Investissements à l'égard de la banque à hauteur de 201 500 euros correspondant à la moitié de l'obligation garantie majorée d'un montant forfaitaire d'intérêts, de frais, accessoires, pénalités et indemnités, il ne peut demander que les paiements effectués par l'organisme de garantie, paiements qui ont été imputés par la banque sur l'autre moitié de la dette, soient déduits des sommes dues par lui au titre de la moitié de la dette qu'il doit assumer.

Le moyen sera rejeté.

2°) Monsieur [Z] et Mme [K] s'étant portés solidairement entre eux, caution solidaire de la société Drakkar Investissement à hauteur de 201 500 €, la Société Générale peut demander le paiement de sa créance à chacun d'entre eux individuellement dans cette limite.

3°) L'article L313-22 dans sa version antérieure à la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 prévoyait que « Les établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.

Le défaut d'accomplissement de la formalité prévue à l'alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette. ».

Le même article dans sa rédaction résultant de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 prévoit que « Les établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.

La réalisation de cette obligation légale ne peut en aucun cas être facturée à la personne qui bénéficie de l'information.

Le défaut d'accomplissement de la formalité prévue à l'alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette. ».

Si la banque n'a pas à justifier que la caution a reçu les documents l'informant de la situation de la dette principale, elle doit en revanche justifier qu'elle a envoyé les courriers d'information considérés.

La Société Générale se borne à verser aux débats les copies des courriers qu'elle déclare avoir envoyés à M. [Z] tous les ans en sa qualité de caution du crédit consenti, sans justifier, ne serait-ce que par la production d'un bordereau d'envoi postal, que ces courriers ont effectivement été envoyés.

A défaut de rapporter la preuve de cet envoi et de démontrer avoir adressé à M. [Z] une quelconque information du jour de la signature de l'acte de caution jusqu'au 17 janvier 2018, date à laquelle la banque a mis en demeure M. [Z] de payer la somme de 67 982,80 euros au titre de son engagement de caution, la Société Générale doit être sanctionnée par la déchéance du droit aux intérêts jusqu'au 17 janvier 2018.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de déchéance du droit aux intérêts de la banque et cette déchéance sera prononcée jusqu'au 17 janvier 2018.

4°) le contrat de prêt prévoit que toute somme due au titre du prêt devenu exigible portera intérêt de plein droit à compter de sa date d'exigibilité au taux du prêt (4%) majoré d'une marge de 4% et ce sans mise en demeure préalable.

La clause majorant le taux des intérêts contractuels en cas de défaillance de l'emprunteur s'analyse en une clause pénale qui peut être réduite si elle est manifestement excessive. Mais M. [Z] ne produit aux débats que des justificatifs de sa situation financière datant d'octobre et de novembre 2019,et ne donne aucun élément sur sa situation actuelle, sans démontrer que la clause pénale contractuelle présente un caractère manifestement excessif.

La Société Générale verse aux débats sa déclaration de créance au passif de la liquidation judiciaire de la SARL Drakkar Investissements du 11 décembre 2017 à hauteur de 149 288,60 euros.

Selon décompte arrêté au 25 janvier 2018 (les sommes restant dues à la Société Générale au titre du prêt de 310 000 euros se décomposent comme suit :

- Principal 133 524,20 dont 669,20 euros d'intérêts ;

- Intérêts au taux contractuel majoré, 8% : 2952,72 euros ;

- Indemnité forfaitaire : 1771,40 euros ;

TOTAL 138 248,32 euros.

Les intérêts à hauteur de 669,20 + 2952,72 = 3621,92 euros seront déduits de la somme de 138 248,32 euros, soit un solde de 134 626,40 euros ; la moitié de cette somme est due par M. [Z], soit 67 313,20 euros.

Contrairement à ce que soutient M. [Z], les intérêts sur les sommes dues courent de plein droit tant que le paiement intégral n'a pas été effectué et le fait que la durée normale du contrat de prêt ait été de 9 ans n'interdit nullement à la banque de solliciter le paiement des intérêts postérieurs au terme normal du remboursement du crédit.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné M. [Z] à verser à la Société Générale la somme de 69.124,16 euros correspondant à 50% de l'obligation garantie, augmentée des intérêts au taux contractuel de 8% jusqu'à parfait paiement à compter du 9 novembre 2017 date du lendemain du décompte arrêté par la banque et ordonné la capitalisation annuelle des intérêts à compter du 2 avril 2019 .

M. [Z] sera condamné à payer à la banque la somme de 67 313,20 euros avec intérêts au taux contractuel de 8% à compter du 18 janvier 2018 et capitalisation à compter du 18 janvier 2019 conformément à l'article 1343-2 du code civil.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant par arrêt contradictoire ;

Infirme le jugement du tribunal de commerce du Havre en ce qu'il a :

-rejeté la demande de déchéance du droit aux intérêts de la banque,

-condamné M. [Z] à verser à la Société Générale la somme de 69.124,16 euros correspondant à 50% de l'obligation garantie, augmentée des intérêts au taux contractuel de 8% jusqu'à parfait paiement à compter du 9 novembre 2017 date du lendemain du décompte arrêté par la banque,

-ordonné la capitalisation annuelle des intérêts à compter du 02 avril 2019,

Statuant à nouveau :

Prononce la déchéance du droit aux intérêts de la Société Générale depuis l'origine du prêt consenti à la SARL Drakkar Investissements jusqu'au 17 janvier 2018 ;

Condamne M. [Z] à payer à la Société Générale la somme de 67 313,20 euros avec intérêts au taux de 8% à compter du 18 janvier 2018 et capitalisation à compter du 18 janvier 2019 ;

Ordonne la capitalisation des intérêts à compter du 18 janvier 2019 ;

Confirme le jugement entrepris pour le surplus de ses dispositions ;

Y ajoutant :

Condamne M. [Z] aux dépens de la procédure d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Pascal Huchet ' SCP Huchet Doin ;

Condamne la Société Générale à payer à Mme [K] la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [Z] à payer à la Société Générale la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Ch. civile et commerciale
Numéro d'arrêt : 21/02906
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-01;21.02906 ?
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