N° RG 21/01100 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IWZY
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 23 NOVEMBRE 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
19/01940
Tribunal judiciaire d'Evreux du 05 janvier 2021
APPELANTE :
Sarl ADF RENOV
RCS de Pontoise B 429 642 606
[Adresse 5]
[Localité 7]
représentée par Me Caroline SCOLAN de la Selarl GRAY SCOLAN, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Bernard-René PELTIER, avocat au barreau de Paris
INTIMES :
Monsieur [T] [Z]
né le 27 octobre 1983 à [Localité 10]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Jean-Michel EUDE de la Scp DOUCERAIN-EUDE-SEBIRE, avocat au barreau de l'Eure
Madame [S] [D]
née le 14 mai 1985 à [Localité 9]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Jean-Michel EUDE de la Scp DOUCERAIN-EUDE-SEBIRE, avocat au barreau de l'Eure
Monsieur [N] [L]
[Adresse 3]
[Localité 8]
représenté et assisté par Me Patrice LEMIEGRE de la Selarl PATRICE LEMIEGRE PHILIPPE FOURDRIN SUNA GUNEY ASSOCIES, avocat au barreau de Rouen substitué par Me SANSON
SASU LAPEYRE
RCS de Nanterre 542 020 862
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Philippe DROUET, avocat au barreau de Rouen
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 19 septembre 2022 sans opposition des avocats devant Mme Magali DEGUETTE, conseillère, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre,
M. Jean-François MELLET, conseiller,
Mme Magali DEGUETTE, conseillère,
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Catherine CHEVALIER,
DEBATS :
A l'audience publique du 19 septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 23 novembre 2022.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 23 novembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors du prononcé.
*
* *
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par contrat accepté le 15 octobre 2013, M. [T] [Z] et Mme [S] [D] ont confié à l'agence d'architecture 2Apb, représentée par M. [N] [L], la maîtrise d'oeuvre de travaux de rénovation de leur maison d'habitation et de ses extérieurs, située [Adresse 2].
Le 2 mai 2014, les maîtres de l'ouvrage ont accepté le devis du 28 avril 2014 de la Sarl Adf Renov, visé par ordre de service du maître d'oeuvre, prévoyant notamment la reconstruction de la terrasse extérieure de 100 m² en lames composites. La Sarl Adf Renov a acquis les matériaux nécessaires auprès de la Sasu Lapeyre les 19 juin et 7 juillet 2014.
Par procès-verbal du 25 juillet 2014, les travaux relatifs à la terrasse ont été réceptionnés avec la réserve suivante : 'poser lame en rive de la terrasse basse [...] pour 'cacher' les abouts de bastaings (près du portillon piéton).'. Cette réserve a été levée par procès-verbal du 5 septembre 2014. Ces travaux ont été intégralement réglés.
Suivant ordonnance du 7 septembre 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance d'Evreux, saisi les 17 et 20 juin 2016 par M. [T] [Z] et Mme [S] [D] alléguant la survenue de désordres sur les lames de leur terrasse, a fait droit à leur demande de réalisation d'une expertise et a désigné M. [O] [R] à cet effet. Celui-ci a établi son rapport d'expertise le 30 novembre 2018 aux termes duquel il a notamment retenu la responsabilité de M. [N] [L], de la Sarl Adf Renov et de la Sasu Lapeyre, respectivement à hauteur de 15 %, 60 % et 25 %.
Par actes d'huissier de justice des 30 avril et 2 mai 2019, M. [T] [Z] et Mme [S] [D] ont fait assigner M. [N] [L], la Sarl Adf Renov et la Sasu Lapeyre, devant le tribunal de grande instance d'Evreux en indemnisation de leurs préjudices.
Suivant jugement du 5 janvier 2021, le tribunal judiciaire d'Evreux a :
- déclaré recevable l'action des consorts [Z] [D] dès lors qu'elle est basée sur la responsabilité décennale de l'architecte, mais irrecevable sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun,
- condamné in solidum la Sarl Adf Renov, M. [N] [L] ès qualités d'architecte et la Sasu Lapeyre à verser aux consorts [Z] [D] la somme de
22 077 euros TTC au titre des travaux de reprise (incluant les frais de consommables), avec indexation sur l'indice BT01 du bâtiment à compter du 18 octobre 2018,
- condamné in solidum la Sarl Adf Renov, M. [N] [L] ès qualités d'architecte et la Sasu Lapeyre à verser aux consorts [Z] [D] la somme globale de 5 000 euros au titre du préjudice de jouissance,
- condamné in solidum la Sarl Adf Renov, M. [N] [L] ès qualités d'architecte et la Sasu Lapeyre à verser aux consorts [Z] [D] la somme de
3 500 euros TTC au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que dans les rapports entre eux, le maître d'oeuvre [N] [L] supportera 20 % des condamnations, la société Adf Renov 60 % des condamnations et la société Lapeyre Services 20 % des condamnations,
- condamné les sociétés Adf Renov et Lapeyre à garantir le maître d'oeuvre [N] [L] des condamnations prononcées contre lui dans la limite de 60 % pour Afd Renov et 20 % pour Lapeyre,
- rejeté toutes les autres demandes des parties,
- condamné in solidum la Sarl Adf Renov, M. [N] [L] ès qualités d'architecte et la Sasu Lapeyre aux dépens de référés et de l'instance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire,
- ordonné l'exécution provisoire de l'entier jugement.
Par déclaration du 12 mars 2021, la Sarl Adf Renov a formé un appel contre ce jugement.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 29 août 2022, la Sarl Adf Renov demande de voir en application des articles 1231, 1792, et subsidiairement 1240, du code civil :
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
. retenu le caractère décennal du sinistre,
. fixé le coût des travaux réparatoires à la somme de 22 077 euros TTC suivant le devis Duval prévoyant la repose de lames alvéolaires pleines et le préjudice immatériel à 5 000 euros, en déboutant M. [T] [Z] et Mme [S] [D] de toute demande plus ample,
- infirmer le jugement en ce qu'il a fixé sa part contributive à 60 % et, statuant à nouveau, procédant à l'analyse de la causalité adéquate, vu les fautes respectivement commises par M. [N] [L] et la Sasu Lapeyre, condamner solidairement ces derniers à la relever et garantir indemne dans les liens de la solidarité à l'égard de M. [T] [Z] et de Mme [S] [D] et subsidiairement dans une proportion qui ne peut être inférieure à 90 %,
- condamner M. [L] et la Sasu Lapeyre à 3 000 euros au visa de l'article 700 et aux dépens de l'instance dont distraction au profit de la Selarl Gray & Scolan dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que l'insuffisance de prescription de M. [N] [L] sur les lames composites à fournir et à poser, qui n'étaient pas des lames bois, est directement causale dans la perte de chance d'éviter le sinistre et que l'acceptation sans réserve par ce dernier de la prestation exécutée lors de la réception est fautive ; que la Sasu Lapeyre a fourni des lames alvéolaires creuses défectueuses à la livraison et sans aucun conseil préalable sur un risque de déformation de celles-ci, ni restriction d'emploi, et sans notice de pose, de sorte que la responsabilité objective de cette dernière au titre du vice intrinsèque du produit extrudé est engagée.
Elle ajoute qu'elle a réalisé les travaux correspondant à la prévision contractuelle ; que la réception sans réserve a purgé toute contestation sur les lames composites alvéolaires ; qu'elle a été privée de tout moyen de présumer qu'elles pouvaient se déformer ; que ce n'est pas la pose du produit qui est causale dans le dommage, mais le produit lui-même ; que les trois traits de scie constatés en sous-face des lames et l'absence de remise du dossier des ouvages exécutés n'ont pas eu un rôle causal dans la survenue des désordres ; qu'en retenant une part de responsabilité de 60 % à son encontre, le tribunal a commis une dénaturation des faits.
Par dernières conclusions notifiées le 30 août 2022, M. [N] [L] sollicite de voir en application des articles 1134 ancien et 1240 du code civil :
- confirmer le jugement du 5 janvier 2021 du tribunal judiciaire d'Evreux en ce qu'il a :
. déclaré l'action des consorts [Z] [D] à son encontre irrecevable sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun,
. fixé le coût des travaux de reprise à la somme de 22 077 euros TTC suivant le devis Duval,
- infirmer le jugement du 5 janvier 2021 en ce qu'il a :
. retenu le caractère décennal du sinistre, et, statuant à nouveau, dire que celui-ci n'est pas justifié,
. fixé sa part contributive à 20 % et, statuant à nouveau, eu égard aux fautes commises par la Sarl Adf Renov et la Sasu Lapeyre, les condamner solidairement à le relever et garantir intégralement de toute condamnation à son encontre et, subsidiairement, dans une proportion qui ne peut être inférieure à 85 % eu égard au rapport d'expertise judiciaire,
. alloué une indemnité au titre du préjudice de jouissance aux consorts [Z] [D] et, statuant à nouveau, dire n'y avoir lieu au versement de celle-ci,
- rejeter l'appel incident formé par les consorts [Z] [D],
- en tout état de cause, condamner la Sarl Adf Renov ou tout succombant au paiement à son profit d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel,
- rejeter toute demande à son encontre au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.
Il expose qu'aucune condamnation in solidum ne peut être prononcée contre lui en application de la clause d'exclusion de solidarité contenue dans le contrat de maîtrise d'oeuvre, sauf à retenir la responsabilité décennale ; que, même dans cette hypothèse, existe une responsabilité prépondérante si ce n'est exclusive de la Sarl Adf Renov et de la Sasu Lapeyre pour les défauts d'exécution relevés ; que dès lors aucune part de responsabilité ne peut être retenue contre lui.
Il précise qu'il appartenait à la Sarl Adf Renov de réaliser les plans d'exécution car il n'était pas investi des missions VISA et EXE ; que, pour la conception d'une terrasse, il n'était pas nécessaire d'établir des plans plus élaborés ; qu'il ne lui appartenait pas d'imposer un procédé plus qu'un autre, la Sarl Adf Renov étant débitrice d'une obligation de résultat quant à la réalisation d'un ouvrage conforme aux règles de l'art.
Il ajoute qu'il n'y avait pas lieu d'établir un avenant au marché dans la mesure où le matériau retenu par les maîtres de l'ouvrage qu'était les lames composites alvéolaires correspondait avec celui du marché tant en termes de qualité apparente que de prix ; qu'il n'avait pas à remettre en cause ce choix ; que rien ne pouvait laisser supposer que la mise en oeuvre de ces lames répondait à un procédé non traditionnel ; que la Sarl Adf Renov n'a jamais opposé une quelconque réserve à l'exécution de sa prestation ; que la Sasu Lapeyre a livré des lames défectueuses et n'a pas rempli son obligation de conseil sur le fait que ces lames répondaient à un mode de pose très spécifique voire unique.
Par dernières conclusions notifiées le 23 juillet 2021, M. [T] [Z] et Mme [S] [D] demandent de voir :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a arrêté l'indemnité au titre de leur préjudice de jouissance à la somme forfaitaire de 5 000 euros,
statuant à nouveau,
- condamner in solidum la Sarl Adf Renov, M. [N] [L] en qualité d'architecte et la Sasu Lapeyre, à leur verser la somme de 117,86 euros par mois à compter du 28 mai 2015 jusqu'à l'arrêt à intervenir,
- débouter la Sarl Adf Renov du surplus de ses demandes,
- condamner la Sarl Adf Renov à leur verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ajoutée aux entiers dépens d'appel.
Ils font valoir que l'absence de Cctp du maître d'oeuvre n'a pas permis la mise en place des matériaux qu'ils avaient commandés et que les travaux de la terrasse sont impropres à leur destination ; que la Sarl Adf Renov a commis de nombreuses malfaçons et inexécutions ; que la garantie décennale de M. [N] [L] et celle de la Sarl Adf Renov est engagée ; qu'en tout état de cause, la responsabilité contractuelle de cette dernière est indiscutable.
La Sasu Lapeyre a constitué avocat, mais n'a pas conclu.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 31 août 2022.
MOTIFS
Sur la mise en cause de la garantie décennale de M. [L]
Selon l'article 1792 du code civil, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
L'article 1792-5 du même code précise que toute clause d'un contrat qui a pour objet, soit d'exclure ou de limiter la responsabilité prévue aux articles 1792, 1792-1 et 1792-2, soit d'exclure les garanties prévues aux articles 1792-3 et 1792-6 ou d'en limiter la portée, soit d'écarter ou de limiter la solidarité prévue à l'article 1792-4, est réputée non écrite.
En l'espèce, l'expert judiciaire indique que la terrasse en cause entoure la maison sur les côtés sud, ouest et nord, et qu'elle est composée de lames creuses constituées d'un composant mixte. Il ajoute qu'elle n'est pas utilisée uniquement comme une terrasse d'agrément, mais sert aussi à l'accès à l'entrée principale de la maison en façade sud et, en façade nord, permet la communication avec l'escalier menant au sous-sol/garage.
Il a relevé sur cette terrasse :
- en façade sud, une zone mal fixée qui bouge, une absence de finition en rive, un manque de pente et un flash de rétention d'eau, un désaffleurement entre les lames mesuré de 5 à 8 millimètres, une rive décalée, un tuilage des lames sur leur largeur, un relevage des extrémités des lames et une fixation latérale de rive avec vis contrairement aux zones centrales,
- en façade ouest, une rive démontée non fixée, la présence d'eau, le relèvement des lames à leur extrémité, une lame coupée en sous-face avec trait de scie et une rive non alignée,
- en façade nord, une zone de descente EP non terminée, la présence d'eau stagnante sur la quasi-totalité due au tuilage des lames sur toute leur largeur et la présence d'eau sur les marches.
Il a précisé, s'agissant du trait de scie relevé sur la sous-face d'une lame, que la Sarl Adf Renov avait déclaré lors des opérations d'expertise que la découpe à la bonne longueur de lames avait été réalisée sur d'autres lames retournées et non sur un support neutre. L'expert judiciaire en a déduit que d'autres lames devaient présenter ces désordres lesquels atténuaient leur résistance, d'autant qu'il s'agissait de lames creuses, ce qui portait atteinte à leur solidité.
Il a également conclu que la terrasse était impropre à sa destination, car existaient des risques de glissade, de chute, et d'accident pour les utilisateurs, notamment par météo à température négative du fait de la création d'une couche gelée sur la terrasse due à la rétention d'eau sur les lames. Il a également précisé qu'il avait mesuré un écart de 10 à 14 millimètres à l'extrémité des lames qui étaient déformées.
Cette dangerosité est contestée par M. [L], aux motifs que les maîtres de l'ouvrage ont toujours accès à leur maison, que leur rampe de garage, très pentue et revêtue de dalles de pierres calcaires parfaitement lisses, est bien plus glissante et dangereuse que la terrasse, qu'il n'existe aucun lien entre la pose d'une lame alvéolaire et l'impropriété à destination dénoncée, que la terrasse est utilisée comme en témoigne la présence d'un parasol et d'une table.
Toutefois, comme l'a relevé le premier juge, le risque de glissade est avéré. Aux termes de son procès-verbal de constat du 6 janvier 2017, Me [U], huissier de justice, a constaté, par une température extérieure de - 3 degrés C°, la présence de plaques de verglas en plusieurs endroits tant en façade avant qu'en façade arrière. Elle a précisé, qu'en sortant de l'habitation en façade avant, elle avait glissé en tentant de rejoindre les escaliers et que l'allée menant au garage recouverte de pierres de Bavière ne glissait pas malgré les températures négatives.
En tout état de cause, la mise en jeu de la garantie décennale n'impose pas que le risque qui existe pendant le délai décennal se réalise au cours de celui-ci, et ce, d'autant plus que l'expert judiciaire a conseillé à M. [Z] de mettre en oeuvre à titre conservatoire et par précaution un dispositif anti-glissance au moyen de sable ou de tout autre produit. Elle n'exige pas davantage la recherche de la cause des désordres. Enfin, le moyen tiré du caractère beaucoup plus glissant de la rampe de garage est, d'une part, remis en cause par les constatations ci-dessus de Me [U] et, d'autre part, est indifférent car cette zone n'est pas concernée par l'objet de ce litige.
L'impropriété à destination de la terrasse est caractérisée. Les désordres l'affectant engagent la responsabilité de plein droit de M. [L], maître d'oeuvre, lequel ne prouve pas la cause étrangère (fait du maître de l'ouvrage par son immixtion ou par son acceptation délibérée des risques, fait du tiers, force majeure), seule de nature à l'exonérer.
En conséquence, la clause d'exclusion de solidarité qui figure dans le contrat de maîtrise d'oeuvre du 15 octobre 2013 ne trouve pas à s'appliquer. La décision du tribunal ayant condamné in solidum M. [L] avec la Sarl Adf Renov, qui ne conteste pas sa garantie, et la Sasu Lapeyre, qui n'a pas sollicité l'infirmation de sa condamnation au titre de sa responsabilité délictuelle, à réparer les préjudices subis par les maîtres de l'ouvrage sera confirmée.
Sur les préjudices
Le montant des travaux de reprise évalué par l'expert judiciaire à 22 077 euros TTC n'est pas discuté par les parties. Il sera confirmé.
En revanche, les maîtres de l'ouvrage sollicitent la majoration de l'indemnisation de leur préjudice de jouissance, aux motifs que, depuis le 28 mai 2015, ils ne peuvent pas jouir de leur terrasse pour prendre leurs repas et s'y relaxer, ni pour y circuler en toute sécurité ; que la mesure provisoire conseillée par l'expert judiciaire a pour résultat de ramener du sable lorsqu'ils entrent dans leur habitation ; que leur préjudice de jouissance doit être évalué à 117,86 euros par mois au vu de la valeur locative de leur maison, et non pas à la somme forfaitaire arrêtée par le tribunal.
M. [L] sollicite le rejet de cette prétention. Il expose que le préjudice de jouissance n'est pas fondé ; que rien n'empêche l'utilisation effective de la terrasse ; qu'en outre, l'indemnité réclamée ne peut pas être chiffrée par référence à la valeur locative de l'immeuble car la terrasse n'est pas une surface habitable.
La Sarl Afd Renov demande la confirmation du jugement. Elle précise que la terrasse reste accessible, sauf en cas de grand froid et de gel, périodes lors desquelles du sel peut être répandu pour pallier la dangerosité dénoncée.
En l'espèce, la gêne dans l'usage de leur terrasse par les maîtres de l'ouvrage est certaine du fait de son impropriété à destination, même si ces derniers ont appliqué les préconisations de l'expert judiciaire pour éviter provisoirement le risque de glissade et/ou de chute. S'il est exact que M.[Z] et Mme [D] n'ont pas souscrit une police d'assurance dommages-ouvrage contrairement à leur engagement en ce sens aux termes du contrat de maîtrise d'oeuvre, cette circonstance, pour laquelle aucune sanction n'a été prévue, ne les rend pas irrecevables à solliciter la réparation de leur préjudice de jouissance.
Leur indemnisation ne peut pas être limitée à une partie de l'année, dès lors, d'une part, qu'il leur est loisible d'utiliser leur terrasse à tout moment et par tout temps et, d'autre part, que, comme l'a souligné l'expert judiciaire, la terrasse n'est pas utilisée uniquement comme une terrasse d'agrément, mais aussi comme un chemin d'accès notamment à leur entrée principale.
Elle représente 100 m² sur une parcelle de 806 m².
L'estimation locative de la maison arrêtée entre 850 et 950 euros hors charges par mois par l'agence Laforêt le 19 mars 2019 est un indicateur de la valeur d'occupation de l'ensemble de la propriété. Si la terrasse doit être distinguée de la partie habitable de l'immeuble, elle constitue un élément important des accès de la maison et du lieu de vie.
L'indemnisation du préjudice de jouissance se fera en conséquence sur la base d'un montant mensuel de 100 euros.
Quant à la durée du préjudice, il ne peut être retenu avant le premier acte évoquant une difficulté, soit mai 2015, dans le cadre des opérations de l'expertise amiable.
Par ailleurs, ceux-ci sollicitent une indemnité courant jusqu'au prononcé de l'arrêt : ils s'abstiennent de répondre aux arguments de M. [L] qui fait état de l'exécution provisoire du jugement entrepris et pour sa part en avril 2021. Ils ne reprochent pas effectivement aux parties adverses un défaut d'exécution de la décision critiquée.
En conséquence, l'indemnité relative au préjudice de jouissance sera évaluée comme suit :
100 euros par mois de mai 2015 à avril 2021 soit 100 x 72 mois soit 7 200 euros.
La décision sera infirmée de ce chef, la condamnation étant portée à cette somme.
Sur les recours en garantie
- Sur les recours formés contre la Sasu Lapeyre par M. [L] et la Sarl Adf Renov
En l'espèce, l'expert judiciaire a constaté que :
- la Sasu Lapeyre n'avait pas fourni les fiches techniques et de pose des lames composites alvéolaires livrées, en violation de son obligation de conseil attachée à son activité de fournisseur,
- elle ne les lui avait remises que lors de la seconde réunion d'expertise le 9 juin 2017, que ces fiches précisaient des caractéristiques et des particularités connues de la Sasu Lapeyre qui pouvaient par leur défaut rendre le produit impropre à sa destination comme en l'espèce du fait de la rétention d'eau et du phénomène de gel,
- que la Sarl Adf Renov avait ainsi mis en oeuvre les lames sans la notice de pose du fabricant, alors que le procédé n'était pas traditionnel, que les lames ne pouvaient pas être déclarées comme posées selon les règles de l'art.
Cette faute a été admise par la Sasu Lapeyre lors des débats devant le tribunal, qui a aussi relevé que M. [J], responsable du service après-vente de la Sasu Lapeyre, avait indiqué dans un courriel du 18 février 2015 que les lames vendues à la Sarl Adf Renov étaient défectueuses à la livraison (lames déformées et cintrées).
La Sasu Lapeyre a manqué à ses obligations contractuelles à l'égard de son client la Sarl Adf Renov, ce qui est constitutif d'une faute délictuelle à l'égard de M. [L].
- Sur le recours formé entre la Sarl Adf Renov et M. [L]
L'ancien article 1382 du code civil précise que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Aux termes de ses investigations, l'expert judiciaire a relevé que :
- en phase conception du projet, les pièces écrites et graphiques produites par
M. [L] étaient insuffisantes à une bonne description des travaux projetés, notamment sur les plans de la terrasse, la seule indication relevée était 'terrasse bois', sans aucun plan de détail ou de coupe. Le dossier projet et le DCE ne comprenaient pas de CCTP alors que cette prestation était prévue dans le contrat de maîtrise d'oeuvre du 15 octobre 2013. Le DCE ne contenait pas davantage les coupes sur les points significatifs à grandes échelles prévues au contrat,
- en phase désignation et marché de travaux, aucun document n'avait été établi pour la réalisation des travaux avec des lames composites alvéolaires qui n'étaient donc pas conformes aux pièces du marché de travaux,
- en phase travaux, la Sarl Adf Renov n'avait pas produit de plans de fondations, ni de plans et de coupes d'exécution de la terrasse, de sorte que l'approbation préalable n'avait pas été donnée sur ceux-ci par M. [L],
- malgré l'absence de remise des fiches techniques et de pose des lames fournies par la Sasu Lapeyre, la Sarl Adf Renov avait pris le risque de les mettre en oeuvre, qu'elle n'avait pas respecté les bons modes opératoires et avait entaillé à la scie des lames en sous-face rendant la terrasse impropre à sa destination par risque avéré de rupture à l'usage,
- la Sarl Adf Renov n'avait pas respecté les règles de l'art pour les réseaux électriques alimentant les spots d'éclairage encastrés dans la terrasse,
- la Sarl Adf Renov n'avait pas remis son dossier DOE comprenant la notice d'entretien des différents matériaux mis en oeuvre, en violation de la norme Nfp 03-001 des marchés privés (article 3-2-14), et n'avait donc pas levé la réserve faite sur ce point à la réception des travaux.
Comme l'a exactement retenu le tribunal, la responsabilité de la Sarl Adf Renov est prépondérante. Elle a effectué la pose de la terrasse sans émettre de réserve sur l'absence d'établissement d'un CCTP par M. [L] et sur le défaut de remise par la Sasu Lapeyre des fiches techniques des lames livrées, pièces indispensables eu égard au procédé non traditionnel de pose de la terrasse, de sorte qu'elle a mal exécuté cette prestation.
Viennent ensuite à égalité la responsabilité de l'architecte, qui n'a pas été suffisamment précis sur la variante des lames composites à poser (alvéolaire ou pleine) et n'a pas assez contrôlé le travail de la Sarl Adf Renov, et la responsabilité du fournisseur qui a livré des produits défectueux et sans aucune information sur leur pose. Dans leurs rapports entre eux, seront confirmées les quotes-parts de responsabilité retenues par le tribunal à la charge de chacun : 60 % pour la Sarl Adf Renov, 20 % pour M. [L], et 20 % pour la Sasu Lapeyre.
Sera également confirmée la condamnation de la Sarl Adf Renov et de la Sasu Lapeyre à garantir M. [L] dans lesdites proportions. M.[L] et la Sasu Lapeyre seront condamnés à garantir la Sarl Adf Renov des condamnations prononcées contre elle respectivement à hauteur de 20 % chacun.
Sur les dépens et les frais de procédure
Les dispositions de première instance sur les dépens et les frais de procédure seront confirmées.
Partie perdante, la Sarl Adf Renov sera condamnée aux dépens d'appel, dont distraction au profit de l'avocat qui en a fait la demande.
Il n'est pas inéquitable de la condamner également à payer à M. [Z] et à Mme [D] pris ensemble la somme de 2 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu'ils ont exposés pour cette procédure. Les autres prétentions présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Dans les limites de l'appel formé,
Confirme le jugement entrepris à l'exception de la disposition relative à la condamnation in solidum de la Sarl Adf Renov, M. [N] [L], ès qualités d'architecte et la Sasu Lapeyre à verser aux consorts [Z] [D] 'la somme globale de 5.000 € au titre du préjudice de jouissance',
Et statuant du chef infirmé, y ajoutant,
Condamne in solidum de la Sarl Adf Renov, M. [N] [L], ès qualités d'architecte et la Sasu Lapeyre à payer à M. [T] [Z] et Mme [S] [D] la somme de 7 200 euros au titre du préjudice de jouissance subi,
Condamne M. [N] [L] à hauteur de 20 % et la Sasu Lapeyre à hauteur de 20 % à garantir la Sarl Adf Renov des condamnations prononcées contre elle,
Condamne, seule et sans recours en garantie, la Sarl Adf Renov à payer à M. [T] [Z] et à Mme [S] [D] pris ensemble la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette le surplus des demandes,
Condamne, seule et sans recours en garantie, la Sarl Adf Renov aux dépens d'appel, dont distraction au profit de la Selarl Gray & Scolan, avocats, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier, La présidente de chambre,