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17/11/2022 | FRANCE | N°20/00651

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 17 novembre 2022, 20/00651


N° RG 20/00651 - N° Portalis DBV2-V-B7E-INCC





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 17 NOVEMBRE 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 30 Décembre 2019





APPELANTE :





Madame [Y] [I]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 1]



représentée par Me Hélène QUESNEL de la SELARL MOLINERO QUESNEL STRATEGIES, avocat a

u barreau de ROUEN substituée par Me Sandra MOLINERO, avocat au barreau de ROUEN









INTIMEE :





Société PHARMACIE DU [Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]



représentée par Me Alain PIMONT de la SELARL PIMONT & BURET...

N° RG 20/00651 - N° Portalis DBV2-V-B7E-INCC

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 17 NOVEMBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 30 Décembre 2019

APPELANTE :

Madame [Y] [I]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Hélène QUESNEL de la SELARL MOLINERO QUESNEL STRATEGIES, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Sandra MOLINERO, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

Société PHARMACIE DU [Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Alain PIMONT de la SELARL PIMONT & BURETTE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Morgane BEAUVAIS, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 04 Octobre 2022 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 04 Octobre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 17 Novembre 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 17 Novembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [Y] [I] a été engagée par la société Pharmacie du [Adresse 3] en qualité de préparatrice en pharmacie et ambassadrice Pharmavie par contrat à durée indéterminée à compter du 2 octobre 2006.

Le contrat de travail était soumis à la convention collective nationale de la pharmacie d'officine.

Le 17 février 2016, Mme [I] a été mise à pied à titre conservatoire et convoquée le même jour, par lettre recommandée avec accusé de réception, à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement fixé au 29 février 2016.

Le licenciement pour faute grave a été notifié à la salariée le 3 mars 2016.

Mme [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen par requête du 29 juillet 2016 en contestation de son licenciement.

Par jugement du 30 décembre 2019, le conseil de prud'hommes a jugé que le licenciement reposait sur une faute grave, a débouté Mme [I] de ses demandes au titre de la rupture, débouté la société du surplus de ses demandes, condamner la société à verser à Mme [I] les sommes de 1 997,80 euros au titre de rappel de salaire et 199,78 euros au titre des congés payés y afférents, ordonné la rectification du solde de tout compte et du bulletin de salaire de mars 2016 sous astreinte de 10 euros par jour de retard et par document à compter de 30 jours après la notification du jugement et dans la limite de 6 mois et condamné Mme [I] aux entiers dépens.

Le 4 février 2020, Mme [I] a interjeté appel limité aux dispositions du jugement l'ayant déboutée de ses demandes au titre du licenciement, de l'inexécution de bonne foi du contrat de travail, de l'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et l'ayant condamnée aux dépens.

Par conclusions remises le 13 septembre 2022,auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, Mme [I] demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de bonne foi du contrat de travail et en ce qu'il a dit que son licenciement était régulier et fondé sur une cause réelle et sérieuse constitutive d'une faute grave ;

- en conséquence, condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'exécution de bonne foi du contrat de travail,

6 234,54 euros au titre de l'indemnité de préavis,

623,45 euros au titre des congés payés afférents,

5 870,86 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

60 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

3 117,27 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier,

- dire que les condamnations donneront lieu à établissement d'un bulletin de paye conforme, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

- débouter l'employeur de son appel incident ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société au paiement de 1 997,80 euros à titre de rappel de salaire et 199,78 euros au titre des congés payés y afférent ;

- condamner la société à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés toutes causes confondues, ainsi qu'aux dépens en ce compris les frais et honoraires de signification et d'exécution de l'arrêt à intervenir.

Par conclusions récapitulatives remises le 14 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société Pharmacie du [Adresse 3] demande à la cour de :

Sur l'appel principal,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [I] de ses demandes de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de bonne foi du contrat de travail et a jugé le licenciement régulier et fondé sur une faute grave ;

- en conséquence, débouter Mme [I] de l'ensemble de ses demandes ;

Sur l'appel incident,

- juger la recevabilité de l'appel incident ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme [I] les sommes de 1 997,80 euros à titre de rappel de salaires et de 199,78 euros au titre des congés payés y afférent ;

- en conséquence, condamner Mme [I] à lui payer la somme de 1 997,80 euros au titre de l'indu de salaires qu'elle a perçu ;

En tout état de cause,

- condamner Mme [I] au paiement d'une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et ce au titre des frais irrépétibles exposés toutes causes confondues, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais et honoraires de signification et de l'exécution de l'arrêt à intervenir.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 15 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

Aux termes de l'article L 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

Il appartient à l'employeur qui l'invoque d'en rapporter la preuve.

La lettre de licenciement du 3 mars 2016, dont les termes fixent les limites du litige, est rédigée comme suit :

'[...] de retour de congés, j'ai été informée de la survenance de deux nouvelles erreurs de dispensation survenues le 8 février dernier.

Ce même jour, vous avez délivré du Levothyrox 150 à la place du levothyrox 125, ce qui risque de provoquer de graves déséquilibres chez le patient.

Vous avez également délivré du Prozac à la place du Deroxat, avec des risques d'allergie importants.

Il apparaît également que le 16 janvier dernier, vous aviez encore commis une erreur de dispensation, en délivrant du Zolpidem 10mg, alors que le médecin traitant avait prescrit du ZOPICLONE, erreur présentant là encore des risques importants pour le patient.

Il est également apparu que, le 17 février, à 10 H 02, vous avez encore commis une erreur de dispensation, en délivrant à un patient trois boites de Zopiclone 7,5 mg, alors que l'ordonnance du Docteur [P] prescrivait du Zopiclone 3,75 mg.

Compte tenu de votre expérience, vous ne pouvez ignorer les risques majeurs de ces erreurs. Pour ce qui concerne celle du 17 février, le surdosage pourrait entraîner des risques de somnolence pouvant engendrer des risques importants, notamment en cas de conduite automobile. De plus, la patiente était en cours de sevrage d'hypnotiques, cette erreur aurait pu entraver ce dernier. Enfin, la délivrance de 3 boîtes de Zopiclone 7,5mg est hors AMM, étant donné que la dose maximale autorisée est de 1cp par jour pendant 28 jours, soit l'équivalent de 2 boîtes.

Lors de notre entretien du 29 février, vous n'avez pas contesté ces graves erreurs.

Concernant celle survenue le 17 février dernier, vous avez indiqué qu'elle s'est produite après que nous ayons eu un entretien le matin, entretien qui vous aurait perturbée. Cela ne correspond pas à la réalité dès lors que notre entretien, qui au demeurant n'a pas donné l'impression de vous perturber, s'est déroulé en fin de matinée, postérieurement à l'erreur que vous avez commise à 10 H 02. Et notre second entretien du 17 février, au cours duquel je vous ai notifié votre mise à pied à titre conservatoire et votre convocation à entretien préalable à une éventuelle sanction, s'est déroulé en fin de journée.

Concernant les autres erreurs, vous avez indiqué que vous aviez peut-être besoin d'aide.

Dois-je vous rappeler que je vous ai déjà alertée en fin d'année dernière sur la multiplication de vos erreurs de dispensation. Je vous demandais de vous ressaisir impérativement, puisqu'il en va de la santé de nos patients. Vous ne m'avez jamais répondu à ce courrier et n'êtes pas davantage revenue vers moi pour me faire part de quelque difficulté que vous rencontreriez.

Si une erreur peut toujours survenir, la multiplication des vôtres est totalement anormale et met gravement en danger la santé des patients qui nous accordent une totale confiance. La fréquence de vos erreurs révèle davantage une faute grave dans l'exercice de vos fonctions, eu égard notamment à l'expérience dont vous bénéficiez, mais également au regard de votre manque total d'implication dans l'exercice des tâches qui vous sont confiées.

Les explications que vous avez cru devoir donner lors de notre entretien et l'absence manifeste de prise de conscience du danger de ces erreurs tant depuis plusieurs mois que lors de ce même entretien, justifient déjà la rupture de votre contrat de travail.

Mais au-delà, j'ai par également découvert que vous m'avez sciemment trompée pendant plusieurs années sur le nombre de boites de nutrithérapie vendue et pour lesquelles vous percevez un intéressement. Les erreurs récurrentes démontrent qu'elles ne sont pas le fait du hasard, et le trop perçu, sauf à parfaire puisque les examens sont en cours, s'élève déjà à la somme de 1997,80 euros brut.

Il me semblait pouvoir vous faire confiance sur la réalité des ventes que vous m'indiquiez avoir réalisées. Tel n'est manifestement pas le cas.

Cette volonté de me tromper s'inscrit sans doute dans le comportement général que vous avez cru pouvoir adopter ces derniers mois, alors que j'espérais que mon courrier de la fin de l'année 2015 vous permettrait de vous ressaisir et d'adopter une autre attitude. Il n'en a rien été.

Pour l'ensemble de ces raisons, je me vois contrainte de vous notifier par la présente la rupture immédiate de votre contrat de travail, sans préavis ni indemnité de licenciement. La période de mise à pied à titre conservatoire ne vous sera pas réglée.

Vous cesserez de faire partie de l'effectif de l'entreprise dès la date d'envoi de la présente lettre recommandée avec accusé de réception.'

La société expose, qu'à compter de l'année 2015, Mme [I] a fait preuve de désintérêt dans l'exercice de ses fonctions, notamment en multipliant les erreurs de délivrance de médicaments, ce qui donnait lieu à une rencontre le 26 octobre 2015, suivie d'un courrier du 30 novembre 2015, avec possibilité de rupture conventionnelle que la salariée a refusée ; de nouvelles erreurs de dispensation ont été commises à quatre reprises entre le 16 janvier 2016 et le 17 février 2016, révélant ainsi que la salariée n'avait pas opéré de prise de conscience, alors que par ailleurs, il apparaissait que, pendant plusieurs années, la salariée l'avait trompée sur le nombre de boîtes de nutrithérapie vendues de la gamme Pharmavie dont elle était l'ambassadrice, de sorte que la procédure de licenciement a été mise en oeuvre.

Mme [Y] [I] conteste les griefs.

I - falsification des ventes de boites de nutrithérapie

Mme [I] affirme que les listings des produits vendus étaient établis chaque mois par la direction de la société et qu'elle n'avait pas le contrôle de la comptabilisation des boîtes de nutrithérapie vendues, de sorte qu'elle n'aurait pu falsifier les ventes en intégrant dans le calcul celles offertes aux patients.

Elle reproche par ailleurs à la société de falsifier elle-même le listing des produits vendus et souligne que les primes versées ne correspondraient pas à la réalité des ventes et dépendaient exclusivement de la volonté de la société.

La société conteste avoir manipulé les chiffres de vente des produits Pharmavie et affirme que le versement des primes reposait sur un système déclaratif, que Mme [I] fournissait elle-même les chiffres de ventes et qu'elle intégrait, dans ses déclarations, les boîtes offertes aux patients. A cet effet, la société produit des listings des stocks de sortie sur les années 2013 à 2016, un listing des produits offerts aux clients, un listing de ventes déclarées par Mme [I] en octobre 2015 et une attestation de Mme [V], pharmacienne, attestant que Mme [I] déclarait mensuellement ses ventes Pharmavie.

S'il ressort des listings produits que parmi les produits déclarés à la vente pour servir d'assiette au calcul de la rémunération variable de la salariée en sa qualité d'ambassadrice Pharmavie, ont pu être intégrés des produits en réalité offerts pour des motifs commerciaux, il n'est pas suffisamment établis que ce faisant, Mme [Y] [I] a agi intentionnellement en vue de tromper son employeur pour percevoir des sommes indues.

Aussi, ce manquement n'est pas démontré

II - les erreurs de dispensation

La société Pharmacie du [Adresse 3] fait valoir que la salariée ne conteste pas la réalité des erreurs reprochées mais se contente d'en minimiser la portée et qu'en tout état de cause, ce qui est reproché à Mme [I] n'est pas la commission simple d'erreurs mais la réitération et la dangerosité des erreurs commises, au regard de son ancienneté et de son expérience, l'absence de conséquences directes n'étant pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité et des risques judiciaires qu'encourt l'officine.

La salariée explique que les erreurs de dispensation sont récurrentes dans le domaine pharmaceutique et peuvent s'expliquer par plusieurs facteurs, tenant à l'illisibilité des ordonnances, aux préférences des patients ou un contexte de charge de travail importante.

Il n'est pas contestable que la dispensation de médicaments peut donner lieu à erreur. Compte tenu des incidences de telles erreurs, il est nécessaire de mettre en place un système de contrôle pour les prévenir et les corriger en cas de survenance.

En l'espèce, la méthode du double contrôle lors de la délivrance, consistant à ce qu'un pharmacien contrôle les opérations menées par un préparateur en pharmacie au moment de la délivrance des prescriptions, a été supprimée à l'été 2015 et remplacée par un système de contrôle a posteriori.

L'évolution de la procédure de contrôle instaurée au sein de la pharmacie, avec l'accord de l'ensemble des salariés, y compris Mme [Y] [I], à l'exception d'une salariée, en raison des contraintes générées par le contrôle a priori, ne peut justifier les faits reprochés, d'autant que l'intervention d'un pharmacien était toujours possible sur demande, ainsi que cela résulte des attestations de plusieurs salariés.

Alors que ce sont les erreurs commises par Mme [Y] [I] qui sont en cause, il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas produire les fiches de progrès des autres salariés de la pharmacie, dans la mesure où la seule obligation procédurale lui incombant était d'établir que Mme [I] a commis une faute dans l'exercice de ses fonctions.

Les erreurs de dispensation visées dans la lettre de licenciement sont les suivantes :

- 16 janvier 2016 : délivrance de Zolpidem 10mg au lieu du Zolipclone 7.5mg.

La société verse au débat une fiche de progrès du 16 janvier 2016 mentionnant les initiales 'SC' pour [Y] [F] (ancien nom marital de Mme [I]) et répertoriant l'erreur comme 'risque important', ainsi que l'ordonnance dactylographiée correspondante, laquelle ne précise pas le dosage.

Contrairement à ce qu'atteste M. [H], pharmacien, qui explique que le Zolpidem et le Zopiclone sont deux molécules chimiquement différentes et que la première est classée à ce jour comme produit stupéfiant en raison de son fort risque de dépendance, alors que le second figure sur la liste I des substances vénéneuses, en réalité depuis le 10 avril 2017, les spécialités pharmaceutiques contenant du Zolpidem sont soumises à une partie de la réglementation des stupéfiants, ce qui implique une prescription en toutes lettres sur ordonnance sécurisée, mais cette molécule reste inscrite sur la liste I des substances vénéneuses.

D'ailleurs, M. [A] pharmacien atteste que la délivrance de Zolpidem au lieu de Zopiclone constitue une confusion bénigne, ce qui est corroboré par l'appréciation du risque généré par cette permutation lorsqu'elle avait été déjà constatée le 2 septembre 2015 dans des conditions similaires, lequel avait été alors qualifié de faible.

L'erreur est certes établie mais pour un risque atténué.

- 8 février 2016 : délivrance de Lévothyrox 150 au lieu du Lévothyrox 125

La société verse au débat une fiche de progrès du 8 janvier 2016 mentionnant les initiales 'SC' et répertoriant l'erreur comme 'risque important' en raison d'un potentiel déséquilibre de la thyroïde.

Il est indéniable la mention de la date est erronée, puisqu'il est établi que cette erreur a été effectivement commise le 8 février 2016, à l'occasion du renouvellement de l'ordonnance du patient, ce qui résulte tant du cachet d'enregistrement de la pharmacie mentionnant le code opérateur 'SC', avec la date exacte de la délivrance de Lévothyrox 150.

L'erreur peut donc être imputée à la salariée.

- 8 février 2016 : délivrance de Prozac au lieu du Deroxat.

La société verse au débat une fiche de progrès du même jour mentionnant les initiales 'SC' et répertoriant l'erreur comme 'risque important'et verse en annexe un duplicata de l'ordonnance révélant le code opérateur 'SC', ainsi que l'erreur de délivrance.

La salariée a toujours soutenu, y compris lors de l'entretien préalable qu'elle avait sollicité M. [L] pour le contrôle de cette ordonnance qu'il a validée dans sa totalité.

Il ne se déduit pas des termes de l'attestation de M. [L], pharmacien, qu'il n'aurait procédé qu'au contrôle de la posologie comme le soutient l'employeur, puisqu'il déclare que, suite à l'arrêt du double contrôle au comptoir, lui et ses collègues pharmaciens ont continué à rester disponibles pour contrôler une ordonnance ou répondre aux interrogations et qu'il n'apporte aucune précision quant à l'étendue de la demande de Mme [Y] [I] pour la délivrance litigieuse.

Aussi, dès lors qu'il a été procédé à un contrôle du pharmacien, l'erreur de dispensation ne saurait être imputée à la salariée.

- 17 février 2016 : délivrance de Zopiclone 7.5mg au lieu de Zopiclone 3.75mg.

La société verse au débat une fiche de progrès du même jour mentionnant les initiales 'SC' et répertoriant l'erreur comme 'risque majeur' en raison des risques de somnolence ou dépression nerveuse, d'autant que la patiente était en cours de sevrage d'hypnotiques, ainsi qu'une copie de l'ordonnance initialement prescrite.

Si la salariée ne dément pas ce fait, elle explique qu'il peut s'expliquer soit par une demande du client qui alors divise le comprimé pour que les boîtes durent plus longtemps, soit de l'absence du médicament en stock.

Cette explication n'apparaît pas pertinente, dès lors que Mme [Y] [I] a délivré simultanément trois boîtes de Zopiclone 7,5 mg, alors que le médecin prescrivait une prise de 1,5 comprimé, ce qui ne permet pas d'obtenir un dosage équivalent en divisant le comprimé de 7,5 mg, dont on peut difficilement supposer qu'il puisse être scindé en plus de deux moitiés et que les officines peuvent se faire délivrer dans un délai rapide les médicaments manquants, ce qui ne permet d'envisager un éventuel dépannage qu'à hauteur d'une boîte.

Dès lors, l'erreur de dispensation est imputable à la salariée.

Alors qu'il n'est pas établi la surcharge de travail invoquée par la salariée, ni davantage la pression exercée par l'employeur qui, dans l'exercice de son pouvoir de direction, a pu donner des consignes sur un mode très direct, mais dans des conditions ne pouvant être qualifiées d'excessives et pressantes, que l'employeur, à l'occasion d'un entretien du 26 octobre 2015, suivi d'une lettre du 30 novembre 2015, demandait à la salariée d'avoir une attitude plus constructive, alors que lui était reprochée notamment une accélération des erreurs de dispensation commises par elle, les nouvelles erreurs de dispensation qui lui sont directement imputables, réitérées à trois reprises sur une période d'un mois, alors qu'elle dispose d'une expérience professionnelle inscrite dans la durée, que ses manquements font courir des risques, pour certains certes faibles, mais plus souvent importants pour les patients mais aussi pour la pharmacie, compte tenu de sa responsabilité vis à vis des clients, sont constitutives d'une cause réelle et sérieuse dès lors qu'il appartient en tout état de cause à l'employeur de procéder à un contrôle des dispensations, quel qu'en soit le moment, permettant de corriger les erreurs commises, de sorte qu'elles ne sont pas de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

En conséquence, la cour infirmant le jugement entrepris, dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.

III - conséquences

Dès lors que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, que le salaire moyen de la salariée est d'un montant non discuté de 3 117,27 euros, qu'elle avait 9 ans et 5 mois d'ancienneté au moment de la rupture du contrat, l'employeur est condamné à lui verser les sommes non remises en cause, même à titre subsidiaire, suivantes :

indemnité compensatrice de préavis : 6 234,54 euros

congés payés afférents : 623,45 euros

indemnité de licenciement : 5 870,86 euros.

Sur l'irrégularité de la procédure de licenciement

Mme [I] sollicite la réformation du jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande tendant à voir reconnaître comme irrégulière la procédure de licenciement, faute d'avoir évoqué l'ensemble des griefs qui lui sont reprochés lors de l'entretien préalable du 29 février 2016.

A cet effet, elle produit :

- la lettre du 21 mars 2016 adressée à la société par laquelle elle évoque le fait que Mme [U] aurait refusé d'aborder ce second grief lors de l'entretien préalable, considérant que seules les erreurs de dispensation devaient être discutées ;

- l'attestation du 15 mars 2016 de M. [S], conseiller du salarié présent lors de l'entretien préalable, lequel énonce : 'je me suis étonné du fait que la lettre de convocation contenait d'autres griefs n'ayant pas été abordés. Madame [K] a répondu que seules les erreurs de dispensation étaient à évoquer au cours de cet entretien, ajoutant qu'il n'y avait pas de problème relatif aux compétences et au comportement de Madame [I]'.

L'employeur conteste ne pas avoir évoqué l'ensemble des griefs lors de l'entretien préalable, ce qui résulte des termes mêmes de la requête introductive d'instance par la salariée, ajoutant par ailleurs qu'il a particulièrement motivé la convocation à l'entretien préalable alors qu'il n'en avait pas l'obligation, permettant ainsi à Mme [I] de connaître l'ensemble des griefs qui lui étaient reprochés.

En tout état de cause, si la cour estime que le second grief n'a effectivement pas été abordé lors de l'entretien préalable, la société rappelle que :

- le fait de ne pas avoir discuté lors de l'entretien préalable de ce grief ne constitue qu'une irrégularité de procédure qui n'est pas de nature à remettre en cause le motif de licenciement ;

- l'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement n'est pas cumulable avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dans les entreprises de plus de 10 salariés ;

- Mme [I] ne justifie d'aucun préjudice consécutif à cette irrégularité.

La formulation employée dans la requête introductive d'instance devant le conseil de prud'hommes ne permet pas de déduire que le second grief a été abordé lors de l'entretien préalable dès lors que s'il est écrit que 'Lors de l'entretien l'employeur a surtout insisté sur les prétendues erreurs de délivrance', dans la suite immédiate, il est mentionné que 'Lorsque M. [S] a demandé à ce que les autres griefs de la lettre de convocation soient abordés, l'employeur a répondu qu'il n'y avait pas de problème concernant les compétences et le comportement de la salariée', ce qui corrobore l'absence d'évocation du second grief tel qu'attesté par M. [S].

L'entretien préalable vise à instaurer un débat contradictoire entre le salarié et l'employeur quant aux faits reprochés et aux sanctions envisagées. La circonstance que le grief énoncé dans la lettre de licenciement n'a pas été discuté au cours de l'entretien préalable constitue une irrégularité de forme.

En l'espèce, il se déduit des éléments qui précèdent que le grief tenant aux tromperies sur le nombre de boîtes de nutrithérapie vendues n'a pas été évoqué lors de l'entretien préalable, interdisant ainsi à la salariée de faire valoir sa défense, ce qui est de nature à lui causer préjudice, sans que les précisions apportées par la lettre de convocation permettent de suppléer cette carence, ne permettant pas à elle-seule une discussion contradictoire de nature à éclairer l'employeur avant de prendre sa décision de licenciement.

En conséquence, la procédure de licenciement étant irrégulière, la cour infirme le jugement entrepris sur ce point et condamne la société à verser à Mme [I] la somme de 500 euros nets en réparation de son préjudice.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Aux termes de l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Mme [I] affirme que la prime prévue contractuellement devait se calculer au regard des ventes des produits de toutes les marques de nutrithérapie et non uniquement sur ceux de la marque Pharmavie, que les éléments qu'elle a recueillis relatifs à l'état des ventes ne sont pas concordants depuis 2013 et que pour les mois de novembre et décembre 2015, elle a perçu moins que ce à quoi elle pouvait prétendre, ce qui démontre que l'employeur manipulait les listings.

La société Pharmacie du [Adresse 3] s'oppose à la demande aux motifs que la salariée a perçu une prime d'intéressement calculée sur la bonne assiette, qu'elle n'a jamais dissimulé la réalité des ventes et qu'en tout état de cause, au contraire, la salariée a perçu plus qu'elle n'aurait dû et qu'elle ne démontre ni l'existence, ni l'étendue de son préjudice.

Le contrat de travail de Mme [I], engagée comme préparatrice et ambassadrice Pharmavie, prévoyait une clause qualifiée de 'particulière' rédigée dans les termes suivants :

'Une prime mensuelle et proportionnelle aux ventes des produits de nutrithérapie assujettis au taux de TVA 5.5% sera attribuée à Madame [F] dès le premier mois d'embauche ; cette prime sera de 0.80 euros brut par boîte vendue.

Par ailleurs, Madame [F] aura le droit d'assister aux formations PHARMAVIE'.

La société ne conteste pas que Mme [I] a été rémunérée seulement sur la base des produits de la marque Pharmavie, quelque soit le salarié à l'origine de la vente.

Dès lors qu'il était expressément prévu que Mme [Y] [I] soit engagée comme préparatrice en pharmacie et ambassadrice Pharmavie, la clause relative à sa rémunération variable doit être mise en perspective avec cette mission et dès lors, il s'en déduit que la commune intention des parties était de restreindre l'assiette de la prime d'intéressement aux seuls produits issus de la marque Pharmavie, ce qui est corroboré par les différentes attestations de salariés versées au débat par l'employeur, lesquelles relatent que Mme [I] était connue et présentée au sein du personnel de la pharmacie comme ambassadrice de la marque, mais aussi par l'absence de réclamation de la salariée au cours de l'exécution du contrat de travail.

Ainsi, l'assiette de la prime d'intéressement ne portait que sur les boîtes vendues de la marque Pharmavie et non l'ensemble des marques de nutrithérapie.

S'il ressort de l'analyse des listings produits de part et d'autre relatif à l'activité de l'officine en matière de ventes de produits Pharmavie quelques différences, il ne s'en déduit pas que l'employeur les a manipulés délibérément, le seul mail du 7 décembre 2010 aux termes duquel l'employeur proposait aux salariés de procéder à une vente fictive de 150 boîtes pour décembre pour augmenter les performances de la pharmacie dans ce domaine et être les premiers dans les annales de Pharmavie pour 1000 ventes, avec à la clé une récompense de 300 euros pour l'équipe, outre qu'il s'agit d'un fait unique datant de 2010, cette proposition s'inscrivait dans une opération favorable aux salariés.

Par ailleurs, la comparaison entre les listings versés par chacune des parties ne permet pas d'en déduire que celle-ci serait défavorable à la salariée.

En effet, selon les éléments retenus par la salariée, le nombre de boîtes vendues s'établit comme suit :

- 2013 : 11 507

- 2014 : 12 652

- 2015 : 11 942

alors que des éléments de l'employeur permet de retenir les chiffres suivants :

- 2013 : 11 738

- 2014 : 12 674

- 2015 : 12 320

- jusqu'au 2 mars 2016 : 1 867,

soit des valeurs toujours supérieures, de sorte qu'aucun préjudice n'est établi.

Néanmoins, de ces chiffres, il convient de soustraire les produits offerts, la rémunération variable de la salariée portant contractuellement sur les produits vendus, pour un nombre total non sérieusement contredit de 1 119 boîtes sur l'ensemble de la période.

Aussi, sur la base du dénombrement le plus favorable à la salariée tel que proposé par l'employeur, déduction faite des produits offerts, Mme [Y] [I] aurait dû percevoir la somme totale de 29 984 euros alors qu'elle a perçu 31 981,80 euros.

Ainsi, alors qu'il ne résulte pas de ce qui précède que l'employeur a manqué à son obligation d'exécution loyale du contrat de travail, en tout état de cause, la salariée n'a subi aucun préjudice, de sorte que la cour confirme le jugement entrepris ayant rejeté la demande sur ce point.

Sur la demande de l'employeur au titre du trop versé de salaire

Dès lors que pour les motifs sus développés, la société estime avoir indûment versé la somme de 1 997,80 euros, elle sollicite l'infirmation du jugement entrepris qui l'a condamné à reverser à la salariée la retenue opérée à due hauteur sur le solde de tout compte, considérant qu'il ne s'agit pas d'une sanction pécuniaire.

Mme [I], qui conteste avoir trompé son employeur sur le nombre de boîtes de nutrithérapie vendues, soutient qu'elle ne peut voir sa responsabilité pécuniaire engagée à défaut de faute lourde, et considère dès lors que la retenue opérée sur le solde de tout compte s'apparente à une sanction pécuniaire prohibée par l'article L. 1331-2 du code du travail.

La réclamation au salarié de sommes indûment perçues ne constitue pas une sanction pécuniaire au sens de l'article L.1331-2 du code du travail.

Alors que le décompte des sommes versées à la salariée de janvier 2013 à février 2016 pour un montant total de 31 981 euros résulte des mentions portées sur ses bulletins de paie qu'elle-même verse au débat, et compte tenu des sommes qu'elle était fondée à recevoir en exécution du contrat de travail selon décompte précis de l'employeur, la retenue de 1 997,80 euros opérée sur le solde de tout compte était fondée.

Par conséquent, la cour infirme le jugement entrepris ayant ordonné le versement à Mme [I] de la somme de 1 997,80 euros à titre de rappel de salaire, outre celle de 199,78 euros au titre des congés payés y afférent.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie partiellement succombante, il y a lieu de condamner la société Pharmacie du [Adresse 3] aux entiers dépens y compris de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner à payer à Mme [Y] [I] la somme de 3 000 euros pour les frais irrépétibles générés par l'instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris ayant rejeté la demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail ;

L'infirme en ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Pharmacie du [Adresse 3] à verser à Mme [I] les sommes suivantes :

irrégularité de la procédure de licenciement : 500,00 euros

indemnité compensatrice de préavis : 6 234,54 euros

congés payés afférents : 623,45 euros

indemnité de licenciement : 5 870,86 euros

Déboute Mme [Y] [I] de sa demande de rappel de salaire d'un montant de 1 997,80 euros et congés payés afférents ;

Déboute la société Pharmacie du [Adresse 3] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la Pharmacie du [Adresse 3] à payer à Mme [Y] [I] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Pharmacie du [Adresse 3] aux entiers dépens.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/00651
Date de la décision : 17/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-17;20.00651 ?
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