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17/11/2022 | FRANCE | N°19/04388

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 17 novembre 2022, 19/04388


N° RG 19/04388 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IKTO





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 17 NOVEMBRE 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 10 Octobre 2019





APPELANTE :



Madame [N] [R]

[Adresse 2]

[Localité 4]



représentée par Me Anna LANCIEN, avocat au barreau de ROUEN









INTIMÉE :
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Association L'ELAN

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par Me Corinne BUHOT, avocat au barreau de ROUEN











































COMPOSITION DE LA COUR  :





En application des dispositions de l'article 805 du Code de...

N° RG 19/04388 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IKTO

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 17 NOVEMBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 10 Octobre 2019

APPELANTE :

Madame [N] [R]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Anna LANCIEN, avocat au barreau de ROUEN

INTIMÉE :

Association L'ELAN

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Corinne BUHOT, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 06 Octobre 2022 sans opposition des parties devant Madame POUGET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame ALVARADE, Présidente

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DÉBATS :

A l'audience publique du 06 Octobre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 17 Novembre 2022

ARRÊT :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 17 Novembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame ALVARADE, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [N] [R] née [D] (la salariée) a été engagée en qualité d'éducatrice spécialisée par l'association l'Elan (l'association) par contrat à durée déterminée du 19 juin 2007 au 19 décembre 2008, puis la relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, régi par la convention collective des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.

Le 8 décembre 2014, elle a écrit à la directrice de l'association pour dénoncer des pratiques qu'elle qualifiait de harcèlement moral.

A compter du 8 janvier 2015 et jusqu'au 2 décembre 2017, elle a été en arrêt de travail.

Le 3 septembre 2015, elle a été reconnue comme travailleur handicapé.

Le 14 avril 2016, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen aux fins, notamment, de voir résilier son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur.

Le 27 octobre 2017, il lui a été notifié une pension d'invalidité de catégorie 2.

Le 14 décembre 2017, le médecin du travail l'a déclarée inapte à son poste.

Le 19 janvier 2018, l'association lui a notifié les raisons pour lesquelles elle se trouvait dans l'impossibilité de lui proposer un quelconque reclassement.

A la suite de l'entretien préalable qui s'est tenu le 2 février 2018, auquel la salariée ne s'est pas rendue, l'employeur lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement par courrier du 6 février.

Par jugement du 10 octobre 2019, le conseil de prud'hommes l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes, condamnée aux dépens et a rejeté la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile formée par l'association.

Le 12 novembre 2019, elle a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions remises le 4 février 2020, Mme [R] demande à la cour de :

- juger recevable et bien fondé son appel,

- réformer le jugement déféré,

- dire et juger que l'employeur n'a pas respecté son obligation de sécurité de résultat, qu'elle a été victime d'actes de harcèlement moral ayant pour objet ou effet une dégradation des conditions de travail, susceptible de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, de la part de son employeur,

- dire et juger que la résiliation judiciaire du contrat de travail liant les parties sera prononcée aux torts exclusifs de l'employeur,

- condamner l'association aux sommes suivantes :

52 437,36 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

8 739,56 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

873,96 euros à titre de congés payés sur préavis,

10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral du fait d'actes de harcèlement,

5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral du fait d'actes discriminatoires.

en tout état de cause, si la cour jugeait qu'il n'y a pas lieu de prononcer la résolution judiciaire du contrat de travail des parties aux torts exclusifs de l'employeur :

- dire et juger que son licenciement prononcé le 6 février 2018 est dénué de cause réelle et sérieuse, son inaptitude ayant eu pour origine des agissements fautifs de l'employeur,

en conséquence :

- condamner l'association aux sommes suivantes :

52 437, 36 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

8 739,56 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

873,96 euros à titre de congés payés sur préavis,

10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral du fait d'actes de harcèlement,

5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral du fait d'actes discriminatoires,

- ordonner la remise des documents de rupture rectifiés conformément aux termes de la décision à intervenir sous 8 jours à compter de la notification de ladite décision et, à défaut, condamner l'association à une astreinte de 50 euros par jour de retard,

- condamner l'association à la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 11 décembre 2020, l'association demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

- débouter Mme [R] de toutes ses demandes,

- la condamner au paiement d'une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 septembre 2022.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé détaillé de leurs moyens et arguments.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le non-respect de l'obligation de sécurité

En vertu de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé de ses salariés.

Mme [R] fait valoir qu'en ne lui fournissant pas un véhicule avec boîte automatique comme le préconisait le médecin du travail, l'employeur n'a pas rempli l'obligation de sécurité mise à sa charge.

Il convient de rappeler que seul le médecin du travail est habilité à émettre un aménagement du poste de travail d'un salarié.

En l'espèce, ce praticien a, le 18 mars 2014, déclaré la salariée apte à son poste avec aménagement de celui-ci en précisant que la conduite automobile était autorisée uniquement avec une boîte automatique.

Il n'est pas discuté que l'association n'a pas mis à disposition de la salariée, concomitamment ou à court terme, de la décision du médecin du travail un véhicule de service doté d'une boîte automatique.

Toutefois, il ressort des pièces produites que jusqu'à fin 2012-début 2013, l'association remboursait aux salariés leurs frais professionnels résultant de l'usage de leur véhicule personnel. A compter de cette date et jusqu'au 31 décembre 2014, en accord avec le département, bailleur de fonds de l'association, il a été expérimenté, pour une durée de deux ans, la location de 10 véhicules, attribués aux seuls salariés travaillant à temps complet et réalisant un minimum de 8 000 km par an, étant observé que l'association emploie 42 salariés.

Mme [R] qui était à temps partiel jusqu'en juillet 2013, a alors effectué ses trajets avec son véhicule personnel doté d'une boîte automatique et a été remboursée des frais générés, ce qui n'est pas discuté. En effet, à la date d'émission de l'avis du médecin du travail, et contrairement à ce qu'elle soutient, la flotte de véhicules avait déjà été commandée et attribuée.

M. [I], trésorier de l'association, atteste, au surplus, que le budget de l'association ne permettait pas la location d'un véhicule avec boîte automatique dès la recommandation du médecin du travail, mais que Mme [F], directrice de l'Elan, s'était assurée que le véhicule personnel de Mme [R] était conforme aux préconisations du médecin du travail. Il ajoute qu'un tel véhicule dédié à cette dernière avait été commandé lors du renouvellement de l'expérimentation et devait être livré au mois de janvier 2015. Ceci est d'ailleurs corroboré par la mention manuscrite de Mme [F] à l'attention de la salariée sur la note d'information du 16 décembre 2014 relative au remplacement des véhicules de service.

Ainsi, s'il est vrai qu'à la suite de l'avis du médecin du travail, Mme [R] a continué de faire usage de son véhicule personnel, il n'est pas discuté que celui-ci répondait aux préconisations médicales et que cette solution était provisoire jusqu'à la réception d'un véhicule de service dédié en janvier 2015 dont elle n'a pu bénéficier compte de son arrêt de travail.

Dans ces conditions, aucun manquement à l'obligation de sécurité ne peut valablement être reproché à l'employeur, puisque durant le délai d'attente lié à la réception dudit véhicule, les préconisations du médecin du travail ont été respectées.

La décision déférée est confirmée sur ce chef.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152- 1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

La deuxième partie de ce texte présuppose que les éléments de fait présentés par le salarié soient des faits établis puisqu'il n'est pas offert à l'employeur de les contester mais seulement de démontrer qu'ils étaient justifiés.

Si Mme [R] développe, notamment, à l'appui de cette prétention, que la direction a porté atteinte à ses droits en ne respectant pas l'aménagement de poste préconisé par le médecin du travail, les précédents développements ont permis d'établir que ce grief n'était pas fondé.

La salariée soutient également qu'à compter de l'annonce de sa maladie (sclérose en plaque) en novembre 2013, elle a fait l'objet de nombreuses convocations par la direction pour des entretiens dit « de recadrage » suivis de courriers et sans possibilité de se faire assister, comme lors de l'entretien du 19 novembre 2014.

Pour ce faire, elle produit des attestations évoquant des convocations régulières et le fait qu'elle en « ressortait chaque fois plus meurtrie, déroutée, en pleurs », sans que celles-ci n'en précisent ni les dates, ni les circonstances, ni la fréquence, de sorte que la cour n'est pas en mesure d'en apprécier le caractère récurrent et disproportionné.

En revanche, dans son courrier du 8 décembre 2014, la salariée dénonce trois entretiens au mois de novembre 2014 et produit les copies de son carnet de notes concernant leur contenu, étant observé que l'employeur évoque également, dans son courrier de réponse, trois rencontres, les 4, 6 et 19 novembre.

Il est établi que lors de l'entretien du 19 novembre, des reproches ont été formulés à la salariée et ont donné lieu à un courrier recommandé du 20 novembre 2014 intitulé « entretien de recadrage ». Or, si l'employeur conteste tout caractère disciplinaire à cette procédure, de sorte que la salariée ne pourrait se prévaloir d'un défaut d'assistance, la cour constate que dans ledit courrier, il lui reproche des fautes dans la gestion de six mesures et il lui demande « dorénavant de respecter les consignes professionnelles instituées », de sorte que cette lettre constituait bien une sanction disciplinaire au sens de l'article L. 1331-1 du code du travail et, partant, justifiait que la salariée puisse être assistée lors de l'entretien préalable.

Mme [R] fait également valoir qu'elle était l'objet d'une surveillance particulière par le personnel administratif, de fouilles de ses affaires personnelles en son absence, d'une remise en cause systématique de son travail et d'actes de dénigrement en public.

Pour ce faire, elle produit des attestations dont les termes empreints, à tout le moins, d'une certaine animosité à l'égard de la direction de l'association, font plus état de leur vécu, de leur ressenti ou de l'ambiance dégradée au sein de celle-ci, selon les auteurs, que de faits précis et circonstanciés concernant l'appelante dont ils auraient été directement témoins, empêchant ainsi l'employeur de répondre utilement.

De plus, il n'est pas discuté qu'en cas d'absence supérieure à trois semaines, comme cela a pu être le cas pour Mme [R] à plusieurs reprises, des mesures étaient prévues par une note du 30 mai 2013 afin d'assurer la continuité du service éducatif, lesquelles obligeaient sa supérieure hiérarchique à pénétrer dans son bureau pour prendre connaissance de ses dossiers, lequel comportement ne pouvait s'apparenter à des fouilles dans ses effets personnels.

De même, Mme [R] ne peut valablement soutenir l'existence de propos attentatoires à son intégrité professionnelle de par le seul fait que sa chef de service lui aurait posé la question suivante dans un de ses dossiers : « quelle est la nature des relations que tu entretiens avec M. [C] ' ». Au-delà du fait que ces propos sont contestés par la mise en cause, il résulte du courrier de réponse de l'employeur du 26 décembre 2014 qu'il s'agissait de l'informer du ressenti du grand-père maternel qui considérait qu'elle ne pouvait être impartiale compte tenu de ses relations « avec la famille du père de l'enfant ».

Quant à l'annonce de sa maladie par la direction dans des circonstances qui demeurent inconnues et à l'isolement de la salariée qui s'en serait suivi, les pièces produites ne permettent pas d'en établir la réalité et ce, d'autant que l'existence d'un tel traitement du fait de problèmes de santé d'un salarié est utilement contestée par les attestations produites par l'employeur.

Mme [R] ajoute que la direction a réagi trop tardivement face aux menaces de mort d'une mère dont elle a fait l'objet le 14 novembre 2014. Toutefois, il ressort des pièces produites qu'elle a été déchargée de la mesure éducative problématique, au plus tard, par écrit du 17 décembre, étant observé qu'elle ne soutient pas qu'entre la date des faits considérés et cette dernière date, elle ait été obligée de poursuivre sa mission éducative auprès de cette famille. De plus, la salariée ne conteste pas que son employeur ait écrit au Juge des enfants concerné pour lui faire part de l'impossibilité de poursuivre le suivi de la famille au regard des menaces proférées, pas plus qu'elle ne discute les mesures prises par sa chef de service, Mme [E], pour gérer la situation et qu'elle détaille précisément dans son témoignage.

Ainsi, il s'infère de l'ensemble de ces éléments que sont établis les seuls griefs suivants : la tenue de trois entretiens de la salariée avec la direction pour le seul mois de novembre 2014 et le défaut d'assistance de la salariée lors de l'un d'entre eux, ayant conduit à une sanction disciplinaire.

Enfin, Mme [R] produit des certificats médicaux des docteurs [Y], neurologue, et [P], psychiatre, le premier précisant que «la fatigue et le stress» aggravent sa pathologie et le second attestant qu'il lui assure «un suivi régulier pour un trouble anxieux», que la «dégradation de sa situation professionnelle» qu'elle «décrit» et où «elle «se sent agressée », a aggravé « son anxiété du fait de ce ressenti».

Ainsi, les pièces produites permettent d'établir l'existence matérielle de faits précis et concordants qui pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à l'encontre de la salariée. Comme à nouveau rappelé, il appartient, par conséquent, à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte du témoignage de Mme [Z], ayant participé au recrutement de la salariée et l'ayant encadrée en tant que chef de service jusqu'en février 2014, qu'elle a dû aussi s'entretenir avec elle, à plusieurs reprises, au sujet de plusieurs plaintes de famille concernant le caractère discontinu du suivi éducatif qu'elle assurait. Ce témoin indique qu'elle lui avait proposé son aide mais que ces échanges avaient été mal vécus par la salariée, si bien que par mail du 11 octobre 2013, soit antérieurement à l'annonce de sa maladie par cette dernière, Mme [Z] avait demandé à Mme [F], directrice, de recevoir Mme [R] pour évoquer la situation avec elle, « eu égard aux difficultés de cette nature qui ont fait l'objet d'échanges antérieurs ».

Quant aux entretiens des 4, 6 et 19 novembre 2014, il s'infère des pièces produites, et notamment du courrier du 26 décembre 2014, que d'une part, l'employeur a rencontré la salariée, dans un cadre informel, à son retour de congé maladie de quatre semaines sans qu'il soit abordé de question d'ordre professionnel (4 novembre) mais uniquement son état de santé et d'autre part, qu'il lui a fait part, comme précédemment rappelé, des interrogations d'un grand-père quant à son impartialité (6 novembre), puis de dysfonctionnements dans le suivi de ses dossiers en lui rappelant les règles applicables (19 novembre).

A ce sujet, l'employeur a effectivement reproché à la salariée le non-respect du délai théorique de prise de rendez-vous (15 jours) concernant six familles suivies par elle, laquelle n'en a pas contesté la matérialité mais en a seulement discuté l'imputabilité. Sans se prononcer sur ce dernier point, il convient de rappeler qu'il relève du pouvoir de direction de l'employeur de s'assurer que les protocoles de prise en charge sont respectés et de le relever si tel n'est pas le cas, en sollicitant toutes explications utiles du salarié concerné, et ce, d'autant que l'appelante ne justifie pas, avant son courrier du 8 décembre, avoir attiré l'attention de son employeur sur les difficultés qu'elle pouvait rencontrer dans ce domaine. D'ailleurs, dans son compte-rendu d'entretien d'évaluation du 2 décembre, elle ne fait état d'aucun problème sur ce point, ni même en général.

Enfin, s'il est vrai que la salariée aurait dû être assistée lors l'entretien préalable à sanction du 19 novembre, ce seul défaut est constitutif d'une irrégularité mais pas d'un acte de harcèlement moral du fait de son caractère isolé.

Dans ces conditions, il ne peut qu'être constaté que les seuls faits reprochés à l'employeur sont justifiés par des raisons objectives, de sorte qu'il ne peut être retenu l'existence d'un harcèlement moral à l'encontre de Mme [R]

Sur la discrimination

Aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, (...) en raison de son origine, de son sexe (...), de son orientation sexuelle ('), de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race (...).

L'article L. 1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige survenant en raison d'une méconnaissance des règles de non discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte au sens du droit communautaire.

La salariée fait valoir qu'elle a été victime d'une discrimination à raison de son état de santé, sans indiquer que celle-ci aurait eu une quelconque incidence sur son recrutement ou sur sa carrière au sein de l'association.

Au surplus, l'appelante ne développe pas d'autres faits que ceux précédemment évoqués, de sorte qu'il n'existe pas d'éléments de nature à établir l'existence des faits précis laissant supposer l'existence de la discrimination revendiquée.

Le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a rejeté la prétention formée à ce titre.

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail

La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être prononcée si les manquements reprochés à l'employeur sont d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail et la juridiction qui a caractérisé des manquements de l'employeur antérieurs à l'introduction de l'instance, peut tenir compte de leur persistance jusqu'au jour du licenciement pour en apprécier la gravité.

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée et celle-ci prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement. C'est seulement dans le cas contraire que le juge doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.

En l'espèce, l'appelante a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen le 14 avril 2016.

A l'appui de sa demande, la salariée reprend les faits se rapportant aux moyens tirés du non-respect de l'obligation de sécurité, de l'existence d'un harcèlement et de celle d'une discrimination.

Il s'infère des précédents développements que seuls les faits concernant la tenue de plusieurs entretiens au mois de novembre 2014 et le défaut d'assistance à l'un d'entre eux, sont matériellement établis.

Or, la cour a jugé que lesdits entretiens étaient objectivement justifiés soit par une reprise de contact après un arrêt de travail de la salariée pour maladie d'un mois s'inscrivant dans le cadre d'une pathologie lourde, soit par le pouvoir de direction de l'employeur. Dans ces conditions, le seul défaut d'assistance à un entretien préalable, près d'un an et demi avant la saisine en résiliation judiciaire du contrat de travail, n'est pas d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

Par conséquent, cette demande est rejetée, les premiers juges ayant omis de statuer sur celle-ci.

Sur le licenciement pour inaptitude

Le médecin du travail a rendu l'avis d'inaptitude suivant : « inapte. Compte tenu de l'examen médical, le poste de travail de Mme [[R] née] [D] est incompatible avec son état de santé. L'état de santé ne permet pas de formuler des propositions aménagement, de transformation correspond à des tâches et postes connus dan l'entreprise (sic)».

Mme [R] soutient que son inaptitude trouve sa cause dans le comportement fautif de son employeur.

Les précédents développements ont écarté l'existence d'un harcèlement moral, d'une discrimination à raison de l'état de santé de la salariée et le manquement à l'obligation de sécurité soutenu.

En effet, seuls la tenue d'entretiens au mois de novembre 2014 et le défaut d'assistance à l'un d'entre eux sont matériellement établis, sans qu'aucun lien de causalité ne soit avéré entre ces éléments et l'inaptitude prononcée.

Le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a rejeté les prétentions formées à ce titre.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, l'appelante est condamnée aux dépens d'appel.

Pour la même raison, elle est condamnée à payer à la société la somme de 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Rouen du 10 octobre 2019,

Y ajoutant,

Déboute Mme [N] [R] de sa demande de résiliation judiciaire aux torts exclusifs de l'association l'Elan,

La condamne à payer à l'association l'Elan la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne Mme [R] aux dépens d'appel.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/04388
Date de la décision : 17/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-17;19.04388 ?
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