N° RG 19/03453 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IIVS
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 17 NOVEMBRE 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 23 Juillet 2019
APPELANT :
Monsieur [H] [U]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Nathalie VALLEE de la SCP VALLEE LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Anaëlle LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
S.A.S. BALBIANO
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Xavier D'HALESCOURT de la SELARL XAVIER D'HALESCOURT, avocat au barreau du HAVRE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 05 Octobre 2022 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 05 Octobre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 17 Novembre 2022
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 17 Novembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Après avoir été engagé en contrat à durée déterminée en qualité de maçon par la société Balbiano à compter du 11 janvier 1999, M. [H] [U] a été embauché en contrat à durée indéterminée le 3 janvier 2000.
Victime d'un accident du travail le 16 janvier 2014 et déclaré inapte par la médecine du travail le 13 juin 2017, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 18 juillet 2017.
Par requête du 17 septembre 2018, M. [U] a saisi le conseil de prud'hommes du Havre en contestation du licenciement ainsi qu'en paiement d'indemnités.
Par jugement du 23 juillet 2019, le conseil de prud'hommes a débouté M. [U] de l'intégralité de ses demandes et la société Balbiano de sa demande reconventionnelle, tout en laissant à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
M. [U] a interjeté appel de cette décision le 27 août 2019.
Par conclusions remises le 23 février 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, M. [U] demande à la cour de réformer le jugement du conseil de prud'hommes en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, de :
- à titre principal, constater le défaut de consultation des délégués du personnel, dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société Balbiano à lui verser l'indemnité fixée par l'article L. 1226-15 du code du travail, soit la somme de 27 510,15 euros,
- à titre subsidiaire, constater la nullité de l'avis d'inaptitude et donc du licenciement et condamner la société Balbiano au paiement de dommages et intérêts pour licenciement nul, soit la somme de 27 510,15 euros,
- à titre infiniment subsidiaire, constater que la société Balbiano a méconnu son obligation de recherche de reclassement, juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la société Balbiano au paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit la somme de 27 510,15 euros,
- débouter la société Balbiano de l'ensemble des demandes et la condamner au paiement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par ordonnance du 18 février 2021, le président chargé de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions remises par la société Balbiano le 24 novembre 2020 et dit que les dépens de l'incident suivraient le sort des dépens de l'instance principale.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 15 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
M. [U] relève que les délégués du personnel n'ont pas été consultés alors même que la société Balbiano compte plus de cinquante salariés, sans qu'il puisse lui être opposé qu'une telle consultation ne serait obligatoire qu'en présence d'un poste de reclassement, étant au surplus noté qu'il existait en l'espèce des postes de reclassement.
Il soutient par ailleurs que l'avis d'inaptitude est nul à défaut de pouvoir s'assurer que les diligences mises à la charge du médecin du travail ont été respectées, sachant qu'avant l'évolution législative de janvier 2018, seules les constatations médicales pouvaient être contestées devant le juge des référés et, à cet égard, il relève que la société Balbiano a abandonné cette critique pour expliquer que toutes les étapes prévues par l'article R. 4624-42 auraient été respectées, ce qui ne ressort pas du dossier.
Enfin, il estime qu'au regard de la formulation de l'avis d'inaptitude, la société Balbiano était tenue d'une obligation de reclassement, laquelle n'a pas été loyale et sérieuse.
Conformément à l'article 954 du code de procédure civile, la société Balbiano dont les conclusions ont été déclarées irrecevables est réputée s'approprier les motifs du jugement déféré, le conseil de prud'hommes ayant, en l'espèce, considéré qu'à défaut de proposition de reclassement, les délégués du personnel n'avaient pas à être consultés, que le médecin du travail avait respecté l'ensemble de la procédure avant de rendre son avis d'inaptitude et que la société Balbiano avait étudié toutes les possibilités de reclassement.
Selon l'article L. 1226-10 du code du travail, dans sa version applicable au litige, lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.
Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
Selon l'article L. 1226-12 du code du travail, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.
Il résulte de la combinaison de ces deux articles que l'employeur est tenu de consulter les délégués du personnel avant d'engager la procédure de licenciement d'un salarié inapte à son emploi, même s'il n'identifie pas de poste de reclassement, sauf à ce que le médecin du travail ait expressément mentionné dans son avis que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.
En l'espèce, il résulte de l'avis d'inaptitude délivré le 13 juin 2017 que le médecin du travail a conclu que M. [U] était 'inapte à son poste de travail tout maintien dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé (art. L. 1226-12 code du travail)'
Alors que la possibilité pour l'employeur de s'affranchir de toute recherche de reclassement prévue par l'article L.1226-12 du code du travail doit être strictement interprétée, il ne peut en l'espèce être considéré que l'avis délivré par le médecin du travail le 13 juin 2017 correspondrait à l'exigence prévue par cet article dès lors qu'il ne vise, comme étant gravement préjudiciable à la santé de M. [U], que le maintien dans l'entreprise, sans l'élargir au-delà, et ce, alors que la société Balbiano appartient à un groupe.
Dès lors, la société Balbiano aurait dû consulter les délégués du personnel et, à défaut de l'avoir fait, il convient de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Conformément à l'article L. 1226-15 du code du travail, dans sa version applicable au litige, au regard de l'ancienneté de M. [U], du montant de son salaire de 1 834,01 euros et en l'absence d'éléments probants quant à sa situation professionnelle postérieurement à son licenciement puisque seules des attestations de formation sont versées aux débats, il y a lieu de condamner la société Balbiano à payer à M. [U] la somme de 22 010 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Balbiano aux entiers dépens, y compris ceux de première instance et de la condamner à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société Balbiano de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau,
Dit que le licenciement de M. [H] [U] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ;
Condamne la SAS Balbiano à payer à M. [H] [U] la somme de 22 010 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la SAS Balbiano à payer à M. [H] [U] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Balbiano aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La greffière La présidente