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03/11/2022 | FRANCE | N°20/01214

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 03 novembre 2022, 20/01214


N° RG 20/01214 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IOFY





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 03 NOVEMBRE 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES D'EVREUX du 26 Février 2020





APPELANTE :





S.A.R.L. ALLO CHAUFFAGE NORMANDIE

[Adresse 4]

[Localité 1]



représentée par Me François DELACROIX de la SELARL SELARL DELACROIX, avocat au barreau

de l'EURE









INTIME :





Monsieur [I] [J]

[Adresse 2]

[Localité 3]



représenté par Me Valérie-Rose LEMAITRE de la SCP LEMAITRE, avocat au barreau de l'EURE



































COMPOSITION DE L...

N° RG 20/01214 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IOFY

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 03 NOVEMBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES D'EVREUX du 26 Février 2020

APPELANTE :

S.A.R.L. ALLO CHAUFFAGE NORMANDIE

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me François DELACROIX de la SELARL SELARL DELACROIX, avocat au barreau de l'EURE

INTIME :

Monsieur [I] [J]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Valérie-Rose LEMAITRE de la SCP LEMAITRE, avocat au barreau de l'EURE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 21 Septembre 2022 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ALVARADE, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 21 Septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 03 Novembre 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 03 Novembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu le jugement en date du 26 février 2020 par lequel le conseil de prud'hommes d'Evreux, statuant dans le litige opposant M. [I] [J] à son ancien employeur, la société Allo Chauffage Normandie, a fixé le salaire brut mensuel de M. [J] à 2092,66 euros, a dit le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, a condamné l'employeur au paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire (980,04 euros) et congés payés afférents (98 euros), indemnité compensatrice de préavis (4185,32 euros) et congés payés afférents (418,53 euros), indemnité légale de licenciement (1 255,59 euros), dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (8 000 euros), indemnité de procédure (1 500 euros), a condamné la société à rembourser à Pôle Emploi les indemnités chômage versées au salarié dans la limite de six mois, a ordonné à l'employeur de remettre au salarié ses documents de fin de contrat et a condamné la société aux entiers dépens ;

Vu l'appel interjeté par voie électronique le 13 mars 2020 par la société Allo Chauffage Normandie à l'encontre de cette décision qui lui a été notifiée le 2 mars précédent ;

Vu la constitution d'avocat de M. [J] intimé, effectuée par voie électronique le 8 avril 2020 ;

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 mars 2021 par lesquelles l'employeur appelant, soutenant avoir respecté la réglementation relative aux astreintes, contestant tout travail dissimulé dans l'entreprise, considérant que les faits reprochés au salarié sont matériellement établis, lui sont imputables et justifiaient le prononcé d'un licenciement pour faute grave, sollicite l'infirmation du jugement entrepris, demande à être déchargé de toute condamnation et requiert que le salarié soit condamné aux entiers dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de procédure (3 000 euros) ;

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 7 septembre 2020 aux termes desquelles le salarié intimé, réfutant les moyens et l'argumentation de la partie appelante, aux motifs notamment que l'employeur n'a pas respecté durant sa période d'emploi la réglementation relative aux astreintes, qu'en ne réglant pas les interventions effectuées au cours de ces astreintes, il s'est rendu coupable de travail dissimulé, contestant la matérialité et l'imputabilité des griefs reprochés au sein de la lettre de rupture, invoquant le changement d'attitude de l'employeur à son encontre, sollicite pour sa part à titre principal la confirmation de la décision déférée sauf à augmenter le montant des dommages et intérêts au titre du licenciement illégitime et condamner l'employeur à lui verser la somme de 12 555,96 euros et à réparer l'omission de statuer des premiers juges en condamnant la société à lui verser les sommes reprises au dispositif de ses écritures à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la réglementation sur les astreintes (2 500 euros) et indemnité au titre du travail dissimulé (12 555,96 euros), requiert à titre subsidiaire qu'il soit jugé que le licenciement ne repose pas sur une faute grave et que l'employeur soit condamné au paiement du rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire (980,04 euros) et congés payés afférents (98 euros) de l'indemnité compensatrice de préavis (4 185,32 euros) et congés payés afférents (418,53 euros), de l'indemnité légale de licenciement (1255,59 euros), demande à titre infiniment subsidiaire que le licenciement soit jugé irrégulier et que l'employeur soit condamné au paiement de la somme de 2 092,66 euros à titre de dommages et intérêts, sollicite en tout état de cause, la condamnation de l'appelant au paiement d'une indemnité de procédure ( 3000 euros) en sus de celle accordée par les premiers juges ainsi qu'aux entiers dépens ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 1er septembre 2022 renvoyant l'affaire pour être plaidée à l'audience du 21 septembre 2022 ;

Vu les conclusions transmises le 10 mars 2021 par l'appelant et le 7 septembre 2020 par l'intimé auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel ;

SUR CE, LA COUR

La société Allo Chauffage Normandie AB (ACNAB) exploite une activité de plomberie chauffage depuis 2014. Elle emploie plus de 11 salariés. La convention collective des ouvriers du bâtiment trouve à s'appliquer.

M. [J] a été embauché par la société ACNAB en qualité de plombier chauffagiste, catégorie ouvrier, niveau II, coefficient 185 aux termes d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet à compter du 31 janvier 2015 pour un salaire de base mensuel de 1 698,70 euros brut après avoir été embauché à compter du 27 octobre 2014 dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée.

M. [J] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 24 août 2017 par lettre du 14 août précédent, mis à pied à titre conservatoire puis licencié pour faute grave par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 31 août 2017 motivée comme suit :

' Nous vous avons convoqué à un entretien préalable à la rupture de votre contrat à durée indéterminée qui s'est déroulé au sein de notre établissement le 24 août 2017.

Au cours de cet entretien, nous vous avons informé des motifs qui nous ont conduits à envisager cette rupture. Puis nous avons écouté vos explications.

Cependant, nous avons décidé de rompre votre contrat pour les raisons suivantes :

- votre refus de venir travailler le 14 août 2017 avec insubordination le 11 août 2017 ou vous avez expressément annoncé votre refus de venir le 14 août 2017 malgré l'absence de validation de congés.

- Etat de délabrement avancé du véhicule et du matériel que vous utilisiez, alors que vous devez a minima le garder en état normal (nourriture éparpillée, mouches, sièges délabrés, matériel de travail non rangé avec dégradations...).

- Propos inacceptables sur l'entreprise et vos collègues tenu le 11 août 2017 je cite un extrait 'si les autres sont assez cons pour venir bosser...'

Votre abandon de poste et votre insubordination nuisent à l'entreprise ainsi qu'à vous propres collègues et pourraient entraîner la résiliation de certains contrats clients avec pour impact des licenciements économiques pour plusieurs salariés.

Ces faits sont constitutifs d'une faute grave rendant impossible votre maintien dans notre société.

Nous vous informons que nous avons en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible ; le licenciement prend donc effet immédiatement à la date du 31 août sans indemnité de préavis ni de licenciement. (...)'

Contestant la légitimité de son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail, M. [J] a saisi le conseil de prud'hommes d'Evreux, qui, statuant par jugement du 26 février 2020, dont appel, s'est prononcé comme indiqué précédemment.

Sur l'exécution du contrat de travail

Sur la demande de dommages et intérêts pour non-respect de la réglementation relative aux astreintes

M. [J] soutient que l'employeur n'a pas respecté la réglementation relative aux astreintes en ce que ni la convention collective des ouvriers du bâtiment ni son contrat de travail ne prévoient de dispositions relatives aux astreintes, qu'il n'a jamais été informé 15 jours à l'avance de la programmation individuelle des périodes d'astreinte, qu'il n'a jamais reçu en fin de mois de document récapitulant le nombre d'astreintes accomplies, qu'il n'a jamais reçu de compensation et que le temps passé en intervention pendant ces périodes d'astreinte ne lui a pas été rémunéré comme travail effectif.

Le salarié observe que les premiers juges, après avoir retenu que l'employeur n'avait pas respecté la réglementation applicable en matière d'astreintes et jugé que le salarié était fondé à formuler une demande de dommages et intérêts à ce titre ont omis de statuer sur sa demande.

L'employeur conclut au débouté de la demande.

Il indique que l'organisation d'astreintes résulte d'une décision unilatérale du chef d'entreprise et reposait sur le volontariat des salariés. Il précise que les salariés participant au système d'astreinte étaient informés dans les délais légaux et disposaient des documents utiles leur permettant de récapituler les heures de travail effectif ainsi que les compensations correspondantes. La société soutient que la période d'astreinte donnait lieu au règlement d'une prime qualifiée de prime exceptionnelle sur les bulletins de salaire à hauteur de 50 euros pour les temps de mise à disposition la semaine et 80 euros les fins de semaine.

L'employeur expose que les salariés décomptaient eux-mêmes leurs heures de travail effectif et choisissaient entre le paiement d'heures supplémentaires ou la majoration de leurs repos compensateurs.

L'entreprise expose avoir été victime d'un vol de documents au sein de ses locaux le 14 mai 2018, avoir déposé plainte auprès des forces de l'ordre, avoir été rendue destinataire d'une clé USB comportant un enregistrement sonore dans lequel on entend M. [W] avouant le vol de documents de l'entreprise afin de servir les intérêts de M. [J].

L'appelant constate que les pièces communiquées par le salarié révèlent la mise en place d'outils dans l'entreprise relatifs à l'organisation de ces astreintes.

Sur ce ;

Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016, l'astreinte était définie par l'article L. 3121-5 du code du travail selon lequel une période d'astreinte s'entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise et la durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif. Depuis le 10 août 2016, l'astreinte est définie par l'article L.3121-9 du code du travail selon lequel l'astreinte s'entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, doit être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise. La durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif.

Dans les deux cas, l'astreinte est mise en place par convention ou accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut une convention ou un accord de branche et l'accord collectif fixe le mode d'organisation des astreintes, les modalités d'information, les délais de prévenance des salariés, le délai doit être au minimum un délai raisonnable, et la compensation sous forme financière ou sous forme de repos. A défaut de conclusion d'un accord collectif, les conditions de l'astreinte et les compensations auxquelles elle donne lieu sont fixées par l'employeur après avis du comité d'entreprise ou, en son absence, des délégués du personnel s'il en existe, et, depuis 2016, après information de l'agent de contrôle de l'inspection du travail.

En l'espèce, les parties conviennent que M. [J] était soumis à des périodes d'astreinte.

Concernant les modalités d'organisation de ces périodes, il y a lieu de constater que l'employeur ne verse aux débats aucune pièce objective, tel qu'un règlement intérieur, un document établissant l'organisation du temps de travail dans l'entreprise et notamment les modalités selon lesquelles les salariés assuraient leurs astreintes.

Il n'est pas justifié du délai de prévenance relatif à la mise en oeuvre de ces périodes d'astreinte.

Si la société verse aux débats des attestations desquelles il ressort que les salariés étaient rémunérés au titre des heures supplémentaires pour les temps de travail effectif et qu'ils percevaient une prime d'astreinte, il y a lieu de constater que les bulletins de salaire de M. [J], qui mentionnent régulièrement le règlement d'heures supplémentaires, ne font pas état de 'prime d'astreinte 'mais uniquement de 'prime exceptionnelle' sans qu'il ne soit établi que cette prime compensait une période d'astreinte.

Il n'est pas davantage établi l'existence d'un document remis en fin de mois à chaque salarié récapitulant le nombre d'heures d'astreinte effectuées par celui-ci au cours du mois écoulé ainsi que la compensation correspondante.

Si l'employeur verse aux débats une attestation de la secrétaire, un extrait 'd'agenda d'astreintes' ainsi qu'un document intitulé 'cahier d'appel', il y a lieu de constater que ces pièces ont été établies postérieurement au départ du salarié de l'entreprise.(2018 et 2019)

Si l'employeur établit qu'une partie des documents de l'entreprise a été dérobée dans des circonstances particulières le 14 mai 2018, il ne ressort pas des éléments du dossier qu'une telle procédure ait été en vigueur au sein de l'entreprise lors de la période d'emploi de M. [J].

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de juger que l'employeur n'a pas respecté la réglementation relative aux astreintes durant la période d'emploi de M. [J].

Le non-respect de cette réglementation a causé un préjudice au salarié en ce que ce dernier établit par la production d'attestations l'existence d'une dégradation de son état de santé et l'impossibilité à laquelle il a été confrontée de préserver un équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle.

Il y a lieu en conséquence d'accorder au salarié des dommages et intérêts à hauteur de la somme mentionnée au présent dispositif.

Le jugement entrepris ayant omis de statuer sur cette demande, il sera ajouté à la décision déférée.

Sur le travail dissimulé

Par application de l'article L.8221-5, 2° du code du travail, la mention sur le bulletin de paie d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli constitue le travail dissimulé dans la mesure où elle est intentionnelle.

M. [J] soutient ne pas avoir été rémunéré des heures de travail effectuées au cours des périodes d'astreinte alors que ce temps de travail constitue du temps de travail effectif.

Il y a lieu de constater que le salarié ne forme aucune demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires.

Il ressort des bulletins de paie versés aux débats que M. [J] a régulièrement été rémunéré au titre des heures supplémentaires sans que la cour ne puisse déterminer au vu des éléments produits si ces heures supplémentaires correspondaient à des heures effectuées au cours de la semaine de travail ou au cours des astreintes.

Il résulte des attestations produites par l'employeur que les salariés étaient rémunérés pour les interventions effectuées lors des périodes d'astreinte en heures supplémentaires.

Au vu des éléments produits, il n'est pas établi l'existence d'heures de travail effectuées et non rémunérées.

Il s'en suit qu'il n'est pas démontré que c'est sciemment que l'employeur a omis de payer des heures supplémentaires à son salarié.

En conséquence, M. [J] doit être débouté de sa demande au titre du travail dissimulé.

Sur la rupture du contrat de travail

M. [J] conteste la matérialité des griefs invoqués au soutien de la rupture de son contrat de travail.

Sur ce ;

Pour satisfaire à l'exigence de motivation posée par l'article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement doit comporter l'énoncé de faits précis et contrôlables.

La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce.

La faute grave s'entend d'une faute d'une particulière gravité ayant pour conséquence d'interdire le maintien du salarié dans l'entreprise.

La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l'employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s'ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier l'éviction immédiate du salarié de l'entreprise.

En l'espèce, il ressort de la lettre de licenciement telle que reproduite ci-dessus que l'employeur reproche au salarié une insubordination le 11 août 2017 et un refus de venir travailler le 14 août 2017, un état de délabrement avancé de son véhicule et du matériel mis à sa disposition, la tenue de propos inacceptables sur l'entreprise et ses collègues de travail.

Sur le grief tiré de l'insubordination et du refus de travailler le 14 août 2017

La société soutient que, contrairement aux allégations du salarié, l'entreprise était ouverte le 14 août 2017, qu'il n'avait pas été décidé de 'faire le pont', qu'il était prévu que M. [J] travaille ce jour là, que des interventions étaient programmées, qu'au vu de son refus de travailler alors qu'une mission lui était confiée, la société a été contrainte de recourir à un intérimaire.

L'appelante indique qu'en imposant au salarié une tâche relevant de ses fonctions habituelles un jour ouvré, l'employeur n'a fait qu'user de ses pouvoirs légitimes quant à l'organisation des travaux.

L'appelante verse aux débats l'attestation de M. [C], salarié, qui indique avoir été témoin d'une discussion le 11 août 2017 entre le gérant, M. [K] et M. [J] par rapport au week-end du 15 août, M. [J] tenant les propos suivants 'vous êtes trop con pour travailler. Faites se que vous voulez moi je travaille pas. Au bureau vous avez une parole de pute'.

L'employeur produit en outre la liste des interventions prévues le 14 août 2017 ainsi que le relevé d'heures effectuées par le salarié intérimaire du 14 au 18 août 2017.

M. [J] soutient pour sa part que l'employeur avait pris la décision de fermer l'entreprise le 14 août 2017, que seuls deux techniciens devaient travailler ce jour là et que le planning d'interventions était établi à leur intention. Il expose que le 11 août 2017, le dirigeant de la société a changé d'avis, lui demandant de venir travailler le lundi 14 août 2017 après qu'il ait refusé de reprendre les astreintes en raison de son état de santé. M. [J] précise avoir refusé car il avait pris des dispositions personnelles pour le week-end.

Il considère que son absence le 14 août 2017 consécutive au changement d'avis brutal et tardif du dirigeant de la société ne peut être considérée comme fautive.

Le salarié verse aux débats l'attestation de M. [W], salarié, qui indique que M. [J] devait faire le pont du 15 août 2017 comme la majorité des employés, qu'à la suite de l'altercation du vendredi 11 août, M. [K] lui a demandé de venir travailler le 14 août.

Il ressort de ces éléments que l'employeur établit l'absence de M. [J] à son poste de travail le 14 août 2017 ainsi que la teneur des propos tenus par ce dernier le 11 août 2017.

Les pièces produites par l'employeur relatives aux circonstances de cette absence sont utilement contredites par celles communiquées par le salarié.

Le planning d'interventions prévues pour le 14 août 2017 communiqué par l'employeur ne stipule que 7 interventions, ce qui corrobore les allégations de M. [J] selon lesquelles seuls deux salariés devaient être présents.

En outre, si l'employeur établit avoir recruté un intérimaire pour la journée du 14 août 2017, il s'évince de la lecture du récapitulatif d'heures effectuées par ce dernier, qu'il a également travaillé les mercredi, jeudi et vendredi suivants, ce qui n'établit pas avec certitude le lien entre son embauche et l'absence de M. [J] le 14 août.

S'il est établit que M. [J] a tenu des propos déplacés le 11 août 2017, il y a lieu de constater que ces propos ont été tenus dans des circonstances particulières, qu'ils ont été proférés sous le coup de la colère et de l'émotion par le salarié en réaction à son changement de planning tardif. Ces propos et son absence le 14 août, au regard du contexte, ne sont pas d'une gravité telle qu'ils puissent justifier le prononcé d'une sanction disciplinaire aussi lourde qu'un licenciement, a fortiori pour faute grave.

Dès lors, il y a lieu de juger que ce premier grief ne peut légitimer le licenciement prononcé.

Sur le grief tiré du mauvais état d'entretien du véhicule et du matériel

L'employeur verse aux débats des photographies aux fins d'établir le mauvais entretien du véhicule mis à la disposition du salarié.

Il y a lieu cependant de constater que ces photographies ne sont pas datées, qu'elles ne portent aucune indication relative au véhicule au sein duquel elles ont été prises, ce qui ne permet pas d'établir qu'il s'agissait du véhicule utilisé par M. [J], le salarié contestant la matérialité du grief invoqué.

L'employeur ne fournissant pas d'élément suffisant à étayer ce grief énoncé dans la lettre de notification de la rupture, cette défaillance dans la charge de la preuve doit par conséquent conduire à écarter ce grief comme justifiant le licenciement prononcé.

Sur le grief tiré des propos inacceptables tenus sur l'entreprise et les collègues de travail

Il a été précédemment jugé que les propos tenus par le salarié le 11 août 2017 ne pouvaient légitimer le licenciement prononcé.

L'employeur ne produit pas d'élément tendant à établir que le salarié aurait tenu d'autres propos inacceptables à l'encontre de l'entreprise ou de ses collègues.

En conséquence, au vu des éléments versés aux débats en cause d'appel, il apparaît que les premiers juges, à la faveur d'une exacte appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits, non utilement critiquée en cause d'appel, ont à bon droit écarté dans les circonstances particulières de l'espèce l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Le jugement entrepris est confirmé de ce chef.

M. [J] est par conséquent en droit de prétendre, non seulement aux indemnités de rupture mais également à un rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire ainsi qu'à des dommages et intérêts au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement.

Les droits du salarié au titre du rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire, de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité de licenciement tels que fixés par les premiers juges ne sont pas spécifiquement contestés dans leur quantum à hauteur d'appel.

Le jugement entrepris est confirmé de ces chefs.

Compte-tenu de la date du licenciement sont applicables les dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

Justifiant d'une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, M. [J] peut prétendre à l'indemnisation de l'absence de cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa version antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017.

M. [J], âgé de 26 ans au jour de la rupture du contrat de travail, comme étant né le 5 juillet 1991, avait acquis une ancienneté de plus de 2 ans au sein de l'entreprise, percevait un salaire moyen de 2 092,66 euros. Il ressort des témoignages produits qu'il a retrouvé un emploi.

En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge, à l'ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme qui sera indiquée au dispositif de l'arrêt.

Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.

Le salarié ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail dans leur version applicable à l'espèce et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'Antenne Pôle Emploi concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressé depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations.

Le jugement entrepris est confirmé de ce chef.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

La société ACNAB, partie succombante, sera condamnée aux entiers dépens d'appel, la condamnation aux dépens de première instance étant confirmée.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [J] les frais non compris dans les dépens qu'il a pu exposer. Il convient en l'espèce de condamner l'employeur, appelant succombant dans la présente instance, à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel et de confirmer la condamnation à ce titre pour les frais irrépétibles de première instance.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l'employeur les frais irrépétibles exposés par lui.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort ;

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes d'Evreux du 26 février 2020 sauf en ses dispositions relatives au montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant :

Condamne la société Allo Chauffage Normandie AB (ACNAB) à verser à M. [I] [J] les sommes suivantes :

12 555,96 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la réglementation relative aux astreintes ;

Déboute M. [I] [J] de sa demande au titre du travail dissimulé ;

Condamne la société Allo Chauffage Normandie AB (ACNAB) à verser à M. [I] [J] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la société Allo Chauffage Normandie AB (ACNAB) aux entiers dépens d'appel.

La greffièreLa présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/01214
Date de la décision : 03/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-03;20.01214 ?
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