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03/11/2022 | FRANCE | N°20/00940

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 03 novembre 2022, 20/00940


N° RG 20/00940 - N° Portalis DBV2-V-B7E-INTK





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 03 NOVEMBRE 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 29 Janvier 2020





APPELANT :





Monsieur [Y] [M]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



représenté par Me Karim BERBRA de la SELARL BAUDEU & ASSOCIES AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substitué

e par Me Sophie DEFRESNE, avocat au barreau de ROUEN









INTIMEE :





Société PLACEO

[Adresse 2]

[Adresse 2]



représentée par Me Jérôme VERMONT de la SELARL VERMONT TRESTARD GOMOND & ASSOCIES, avocat au barr...

N° RG 20/00940 - N° Portalis DBV2-V-B7E-INTK

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 03 NOVEMBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 29 Janvier 2020

APPELANT :

Monsieur [Y] [M]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Karim BERBRA de la SELARL BAUDEU & ASSOCIES AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Sophie DEFRESNE, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

Société PLACEO

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Jérôme VERMONT de la SELARL VERMONT TRESTARD GOMOND & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Nina CHARLIER, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 22 Septembre 2022 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ALVARADE, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 22 Septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 03 Novembre 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 03 Novembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu le jugement en date du 29 janvier 2020 par lequel le conseil de prud'hommes de Rouen, statuant dans le litige opposant M. [Y] [M] à son ancien employeur, la société Placeo, a écarté des débats les pièces n° 13,14 et 15 produites par l'employeur rédigées dans une langue étrangère et non traduites, a dit justifié et régulier le licenciement pour motif économique du salarié, a débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes en lien avec la rupture du contrat de travail, a débouté le salarié de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, de ses demandes au titre du travail dissimulé, des repos compensateurs, du dépassement de la durée maximale du travail, a débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile, a laissé les dépens à la charge de M. [M] ;

Vu l'appel limité interjeté par voie électronique le 21 février 2020 par M. [M] à l'encontre de cette décision qui lui a été notifiée le 8 février précédent ;

Vu la constitution d'avocat de la société Placeo, intimée, effectuée par voie électronique le 21 juillet 2020 ;

Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 20 avril 2021 par lesquelles le salarié appelant contestant la légitimité de son licenciement aux motifs qu'il n'a pas eu connaissance du motif économique de la rupture avant l'acceptation du CSP, que la lettre de licenciement est insuffisamment motivée, que le motif économique n'est pas établi, que l'employeur n'a pas loyalement rempli son obligation de reclassement, invoquant à titre subsidiaire l'absence de respect des critères d'ordre du licenciement, estimant ne pas avoir été intégralement rempli de ses droits au titre des heures supplémentaires effectuées, des repos compensateurs, soutenant que l'employeur s'est rendu coupable de travail dissimulé, n'a pas respecté les durées maximales de travail, sollicite l'infirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a écarté des débats les pièces n° 13, 14 et 15 produites par l'employeur et requiert la condamnation de son ancien employeur à lui payer les sommes reprises au dispositif de ses écritures devant lui être allouées à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (21 600 euros), indemnité compensatrice de préavis (3 600 euros) et congés payés afférents (360 euros), subsidiairement dommages et intérêts pour perte injustifiée d'emploi (21 600 euros), rappel de salaire au titre des heures supplémentaires (19 426,56 euros) et congés payés afférents (1 942,65 euros), dommages et intérêts pour travail dissimulé (13 200 euros), repos compensateurs obligatoires (6 510,70 euros), dommages et intérêts pour non-respect des durées maximales de travail (5 000 euros), indemnité de procédure (1 500 euros), demande que soit ordonné à la société de lui remettre sous astreinte de 75 euros par document et par jour de retard les documents de fin de contrat rectifiés et qu'elle soit condamnée aux entiers dépens ;

Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 24 juillet 2020 aux termes desquelles la société intimée, réfutant les moyens et l'argumentation de la partie appelante, aux motifs notamment que la rupture du contrat de travail n'est pas dépourvue de cause réelle et sérieuse en ce que le motif économique est caractérisé, que la lettre de licenciement est suffisamment motivée, que le salarié a été informé du motif économique de la rupture avant son acceptation du contrat de sécurisation professionnelle, que l'obligation préalable de reclassement a été loyalement exécutée, qu'il n'y avait pas lieu d'établir des critères d'ordre du licenciement, soutenant en outre que le salarié a été intégralement rempli de ses droits au titre de l'exécution de son contrat de travail, sollicite pour sa part la confirmation de la décision déférée en toutes ses dispositions et la condamnation de l'appelant au paiement d'une indemnité de procédure (3 000 euros) ainsi qu'aux dépens ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 1er septembre 2022 renvoyant l'affaire pour être plaidée à l'audience du 22 septembre 2022 ;

Vu les conclusions transmises le 20 avril 2021 par l'appelant et le 24 juillet 2020 par l'intimé auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel ;

SUR CE, LA COUR

La société Placeo (la société) a pour activité la réalisation et la mise en place de sols en béton et possède plusieurs agences en France dont l'agence de [Localité 5] et celle de Normandie à [Localité 4].

Elle emploie plus de 11 salariés et applique la convention collective du bâtiment.

M. [M] (le salarié) a été embauché par la société Placeo en qualité d'ouvrier professionnel, niveau II, coefficient 185, aux termes d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er novembre 2010.

Au dernier état de la relation contractuelle, il occupait les fonctions de chapiste et sa rémunération brut mensuelle était de 1 800 euros.

Par courrier recommandé en date du 22 juin 2016, la société a notifié au salarié une proposition de modification de son contrat de travail pour motif économique.

Par courrier en date du 27 juillet 2016, la société lui a notifié différentes propositions de reclassement dans le cadre du Plan de Sauvegarde de l'Emploi (PSE).

M. [M] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 29 août 2016 par lettre du 18 août précédent dans le cadre d'un licenciement économique collectif de moins de 10 salariés.

Le 15 septembre 2016, M. [M] a accepté le contrat de sécurisation professionnelle qui lui a été proposé.

Il a été licencié pour motif économique par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 15 septembre 2016 motivée comme suit :

'Comme nous vous l'avons indiqué au cours de l'entretien qui s'est tenu à l'agence Placeo Chape située [Adresse 3] (76) le 29 août 2016 à 14h30, nous sommes contraints de procéder à votre licenciement pour motif économique.

Celui-ci est justifié par les faits suivants :

Depuis maintenant plusieurs mois, l'agence à laquelle vous êtes rattaché, à savoir l'agence Placeo Chape située à [Localité 5] est fortement déficitaire dans le même temps où nous avons observé une détérioration du chiffre d'affaires.

Les chiffres qui suivent traduisent de façon, on ne peut plus claire, ce constat :

Années

2013

2014

2015

CA(HT)

1. 276.189

1.846.584

1.577.236

RESULTAT

- 17 458

-158.438

- 128.644

En l'état de ces mauvais chiffres, la direction de la SA Placeo n'avait pas souhaité tirer de conséquences particulières, au moins dans l'immédiat, dans la mesure où cette baisse d'activité pouvait participer d'une conjoncture locale défavorable.

Hélas, la reprise escomptée n'a pas eu lieu dans le même temps où cette tendance à la baisse de l'activité et des résultats a été observée au niveau national dans un contexte économique fortement dégradé.

L'analyse des bilans et comptes de résultats de la SA Placeo sur les 3 derniers exercices fait ressortir les chiffres suivants :

ANNEES

2013

2014

2015

CA (HT)

65.498.535€

62.386.986€

56.851.637€

RESULTAT

- 137.425€

- 145.752€

+ 45.989 €

Quant à la situation économique et financière du groupe sur cette même période, si elle demeure légèrement plus favorable, la faiblesse des résultats enregistrés restait comme elle demeure préoccupante.

Les chiffres qui suivent illustrent cette analyse :

ANNEES

2012

2013

2014

CA (HT)

143 173 000€

148 696 000€

155 859 000€

RESULTAT

- 881 000€

29 000€

90 000€

Une réflexion a alors été engagées pour remédier à cette situation au niveau du marché français.

L'analyse des comptes de la SA Placeo a permis de mettre en exergue les facteurs d'alerte suivants:

- Stagnation des marges,

- Baisse importante et régulière du chiffre d'affaires,

dans un secteur d'activité désormais fortement concurrentiel ( activité chape/béton).

En effet, dans la famille des matériaux de construction prêts à l'emploi, les chapes fluides constituent une des dernières avancées de ces derniers années. Elles répondent à des problèmes de délais, de pénibilité, de productivité ( 1000 m²/jour) et aux nouvelles normes sur sol chauffant. Pour ces raisons, ces procédés ont affiché une croissance à 2 chiffres pendant longtemps. Hélas, depuis 2 ans, les tendances se sont inversées, ce qui est également le cas pour les autres produits de la branche construction dans un marché atone. De plus, les systèmes chape sont passés d'une base anhydrite à une base ciment ce qui a provoqué encore une diminution du prix et un accroissement de la concurrence.

Aucune perspective d'amélioration n'étant envisageable, la SA Placeo, soucieuse de préserver les emplois, a opté pour une logique de redéploiement des effectifs des agences déficitaires vers les agences à l'équilibre ou excédentaires.

Dans cette logique de réorganisation de la SA Placeo, en vue de sauvegarder sa compétitivité, deux agences sont concernées dont la vôtre, que nous avons décidé de maintenir en activité pour les besoins des chantiers en cours et à venir, mais en redéployant l'effectif excédentaire vers des agences à l'équilibre ou dont les résultats sont bons.

C'est la raison pour laquelle nous vous avons proposé par lettre recommandé avec AR en date du 22 juin 2016 une modification de votre contrat de travail consistant en une mobilité géographique vers l'agence Placeo Nord sur un poste de dessinateur et à rémunération égale, diverses mesures d'accompagnement détaillées dans cette proposition étant par ailleurs prévues pour le cas où vous accepteriez cette mobilité géographique.

Par lettre recommandée avec AR en date du 21 juillet 2016, vous avez décliné cette proposition.

Compte tenu de votre refus, nous avons alors, conformément à nos obligations, tenté de vous reclasser.

Dans cette perspective, nous vous avons adressé le 27 juillet 2016 une lettre recommandée avec AR contenant des propositions de reclassement, en vous interrogeant par ailleurs sur le point de savoir si vous étiez mobile à l'international tout en vous précisant qu'à défaut de réponse dans le délai de 15 jours suivant la réception de ce courrier, nous considérerions que vous décliniez les offres faites et n'étiez pas favorable à une mobilité groupe.

Vous n'avez pas répondu dans le délai de 15 jours qui vous était imparti de sorte que nous sommes fondés à considérer que vous n'avez pas accepté les propositions de reclassement faites.

Malgré nos démarches pour vous reclasser, aucune solution n'a pu être trouvée.

Nous n'avons donc pas d'autre solution que de prononcer votre licenciement pour motif économique.

Nous vous rappelons que nous vous avons remis le 29 août 2016 contre récépissé une proposition de contrat de sécurisation professionnelle. Le 15 septembre 2016, vous nous avez remis votre coupon d'acceptation de la CSP. Par conséquent votre contrat de travail sera rompu aux conditions qui figurent dans le document d'information qui vous a été remis lors de l'entretien préalable, soit le 19 septembre 2016. (...)'

Contestant la régularité et la légitimité de son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail, M. [M], comme plusieurs autres salariés, a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen, qui, statuant par jugement du 29 janvier 2020, dont appel, s'est prononcé comme indiqué précédemment.

Sur la rupture du contrat de travail

Tel qu'il se trouve défini aux articles L1233-3, L1233-1, L.1233-4 du code du travail, dans leur version applicable, le licenciement pour motif économique, qui par définition ne doit pas être inhérent à la personne du salarié, suppose une cause économique qui doit par ailleurs avoir une incidence sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié concerné. Il convient que le salarié ait bénéficié des actions de formation et d'adaptation nécessaires et que son reclassement sur un emploi de même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserve de l'accord exprès de l'intéressé, sur un emploi de catégorie inférieure, ne puisse être réalisé au sein de l'entreprise ou, le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient.

La lettre de licenciement qui fixe les termes du litige doit énoncer de façon précise les motifs du licenciement ainsi que les démarches entreprises en vue du reclassement du salarié.

Sur le moyen tiré de l'absence d'énonciation du motif économique dans un écrit avant l'acceptation du CSP

M. [M] soutient ne pas avoir eu connaissance du motif économique de la rupture de son contrat de travail au cours de la procédure de licenciement, avant son acceptation du contrat de sécurisation professionnelle.

La société considère que le salarié a reçu cette information soutenant que celle-ci devait intervenir à compter de l'engagement de la procédure de licenciement économique collectif de moins de 10 salariés sur 30 jours, soit à compter de la convocation du CE le 25 juillet 2016 qui marque la première étape de la procédure de licenciement, et le 15 septembre 2016, date de l'acceptation du CSP par le salarié.

En tout état de cause, l'employeur considère que le salarié a disposé de cette information au sein de la lettre contenant la proposition de reclassement du 27 juillet 2016 ainsi qu'au sein de la lettre remise en main propre le 29 août 2016 contenant la proposition du CSP, notamment sur le fait qu'il bénéficiait d'une priorité de réembauchage.

Sur ce ;

Si en cas d'adhésion du salarié à un contrat de sécurisation professionnelle (CSP) prévue à l'article L 1233-67 du code du travail, le contrat de travail est réputé rompu d'un commun accord des parties, il n'en demeure pas moins que cette rupture, qui découle d'une décision de licenciement prise par l'employeur, doit être justifiée par une cause économique que le salarié est en droit de contester devant les juridictions du travail.

En outre, en cas d'adhésion du salarié au CSP, l'exigence tenant à l'information du salarié des motifs précis de la rupture de son contrat de travail demeure et cette information doit prendre la forme d'un document écrit remis au salarié au plus tard au moment de l'acceptation de la convention.

L'absence de toute information formalisée dans un écrit remis au salarié quant aux motifs de son licenciement préalablement à l'acceptation du CSP ne peut être régularisée ultérieurement, le salarié devant être en mesure de prendre la décision d'adhérer ou non en parfaite connaissance des motifs du licenciement.

Il appartient en conséquence à l'employeur de justifier qu'il a porté à la connaissance du salarié les motifs précis du licenciement pour motif économique, les répercussions des difficultés sur son emploi.

A défaut la rupture du contrat de travail est dépourvue de cause réelle et sérieuse.

Lorsqu'un document écrit a été remis au salarié lors de la procédure spécifique de modification de son contrat de travail précisant le motif économique de cette modification mais qu'aucun écrit énonçant la cause économique de la rupture ne lui a été remis ou adressé au cours de la procédure de licenciement et avant son acceptation du CSP, la rupture est dépourvue de cause réelle et sérieuse.

L'employeur ne peut légitimement soutenir que la procédure de licenciement du salarié a débuté le 25 juillet 2016, date de convocation du CE en ce que la procédure de licenciement débute par l'envoi de la convocation à l'entretien préalable.

En outre, les documents remis par l'employeur lors de l'information/ consultation des représentants du personnel n'étaient pas destinés aux salariés mais seulement aux membres du CE.

En l'espèce, ni la convocation à entretien préalable du 18 août 2016, ni la proposition d'adhésion au CSP du 29 août 2016 ne portent à la connaissance du salarié les motifs de la rupture avant l'acceptation par l'appelant du CSP le 15 septembre 2016.

En effet, contrairement aux allégations de l'employeur la lettre remise en main propre le 29 août 2016 au salarié contenant la proposition du CSP ne mentionne pas le motif économique de la rupture, le courrier indiquant 'dans le cadre du projet de licenciement pour motif économique dont vous faites l'objet, vous avez la possibilité de bénéficier d'un contrat de sécurisation professionnelle (...)' sans autre précision.

Les éléments contenus dans le courrier de proposition de modification du contrat de travail du 22 juin 2016 remis avant l'engagement de la procédure de licenciement sont insuffisants et ne permettent pas à l'employeur de répondre à son obligation d'information de la cause économique de la rupture du contrat de travail.

Il en est de même concernant les propositions de reclassement formulées au salarié par courrier du 27 juillet 2016, antérieurement à l'engagement de la procédure de licenciement.

Les écrits remis au salarié postérieurement à son acceptation du CSP, y compris pendant le délai de réflexion, ne sont pas susceptibles de régulariser le défaut d'information préalable.

En conséquence, il y a lieu de constater que lors de l'adhésion de M. [M] au contrat de sécurisation professionnelle, il n'avait pas été satisfait à l'exigence d'information concernant le motif de la rupture.

Ainsi, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les moyens tirés de la réalité et du sérieux du motif économique, du non-respect de l'obligation de reclassement, la cour juge, par infirmation du jugement entrepris, que la rupture du contrat de travail du salarié est dépourvue de cause réelle et sérieuse faute de document contenant l'énonciation des motifs du licenciement économique remis avant ou concomitamment à l'acceptation du contrat de sécurisation professionnelle par le salarié.

Si le salarié qui adhère au contrat de sécurisation professionnelle ne bénéficie pas de l'indemnité compensatrice de préavis, dans l'hypothèse d'une remise en cause de l'effet du contrat de sécurisation professionnelle sur la rupture du contrat de travail, le CSP devient sans cause et le salarié retrouve son droit au paiement de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents.

Les droits du salarié au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents, non spécifiquement contestés dans leur quantum par l'employeur, seront précisés au dispositif de l'arrêt.

M. [M], né le 26 octobre 1987, était âgé de 28 ans au jour de la rupture de la relation contractuelle. Il avait acquis une ancienneté de 5 ans au sein de l'entreprise. Il ne précise pas s'il a retrouvé un emploi depuis la rupture de son contrat de travail.

Justifiant d'une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, M. [M] peut prétendre à l'indemnisation de l'absence de cause réelle et sérieuse de la rupture de la relation contractuelle sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa version antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017.

En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge, à l'ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme qui sera indiquée au dispositif de l'arrêt.

Le salarié ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail, dans sa version applicable, et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'Antenne Pôle Emploi concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressé depuis la rupture du contrat de travail dans la limite de six mois de prestations, déduction faite de la contribution versée par l'employeur à cet organisme lors de l'adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle.

Sur l'exécution du contrat de travail

Sur la demande au titre des heures supplémentaires

La durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à trente-cinq heures par semaine.

Selon l'article L. 3121-28 du code du travail, toute heure accomplie au delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, il n'est pas contesté que le salarié était soumis à la durée légale du travail.

M. [M] soutient qu'il a effectué de nombreuses heures supplémentaires sur la période comprise entre le 1er janvier 2014 et la semaine 38 de l'année 2016. Il revendique le paiement d'un rappel de salaire pour 546 heures en 2014, 304,5 heures en 2015 et 358 heures en 2016.

Il soutient que sa demande n'est pas prescrite en application de l'article L 3245-1 du code du travail et de la date de rupture de son contrat de travail.

Il verse aux débats un tableau récapitulatif des heures effectuées sur la période considérée, ses relevés de péages et d'essence pour la période comprise entre le 24 juin 2014 et le 31 décembre 2014.

Le salarié présente ainsi des éléments préalables suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre en apportant ses propres éléments.

Ce dernier affirme qu'il ne pourra être fait droit à la demande du salarié en ce que d'une part sa demande est prescrite pour la période antérieure au 18 juillet 2014, d'autre part sa demande est exclusivement fondée sur le temps passé en dehors de l'horaire contractuel dans ses déplacements professionnels et enfin que la demande est infondée en ce que le salarié n'a jamais contesté ses bulletins de paie, que les pièces produites ne permettent pas d'étayer sa demande pour l'ensemble de la période considérée, que les documents versés aux débats ne sont pas probants.

L'employeur indique que le salarié travaillait au sein d'un service organisé, qu'il était soumis à un horaire collectif applicable au sein de l'agence. Il verse aux débats l'attestation du directeur de l'agence qui précise que le planning horaire applicable au sein de toutes les agences de la société avait été arraché du tableau d'affichage par les ouvriers mais qu'il demeurait en vigueur.

La société produit un courrier adressé à la DIRECCTE d'Evreux le 4 septembre 2013 au sein duquel elle précisait que les salariés n'avaient pas l'obligation de se rendre pour l'embauche et la débauche au siège de l'entreprise et observe que l'autorité administrative a considéré cette réponse comme satisfactoire.

L'intimée précise en outre que les relevés de péage et d'essence produits par le salarié ne sont pas probants en ce qu'il est impossible pour la société de savoir, pour la période réclamée, qui conduisait le véhicule portant le numéro de badge correspondant aux factures produites.

L'article L 3245-1 du code du travail dispose que l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

En l'espèce, le contrat de travail du salarié a été rompu le 19 septembre 2016.

M. [M] a saisi le conseil des prud'hommes le 18 juillet 2017.

En application du texte susvisé, au regard de la rupture du contrat de travail, le salarié peut solliciter le paiement de ses heures supplémentaires pour la période comprise entre le 19 septembre 2013 et le 19 septembre 2016.

En conséquence, la demande formée par le salarié portant sur la période comprise entre le 1er janvier 2014 et le 19 septembre 2016, il n'y a pas lieu de faire droit au moyen tiré de la prescription.

Il y a lieu de constater que si l'employeur conteste les allégations de M. [M] et remet en cause la valeur probante des éléments communiqués, il ne produit pas les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par celui-ci, ni aucun élément permettant de contredire les relevés mensuels de ses horaires de travail dont il résulte qu'il a effectué des heures supplémentaires non payées.

Ainsi, si l'employeur soutient que le salarié n'a jamais contesté ses bulletins de paie au cours de la relation contractuelle, il sera rappelé que le salarié qui, pendant la durée de son contrat de travail, ne formule pas de demande spécifique à l'employeur en paiement d'heures supplémentaires, ne renonce pas pour autant à son droit de les réclamer, dans la limite de la prescription de l'article L.3245-1 du code du travail.

Si l'employeur soutient que le temps de trajet professionnel effectué par le salarié a été indemnisé par le versement d'indemnités de grands déplacements conformément à la convention collective applicable, le temps de trajet entre deux chantiers constitue du temps de travail effectif.

Les relevés d'heures produits par le salarié ainsi que les relevés de péage et d'essence, dont l'employeur ne rapporte pas la preuve qu'il n'étaient pas ceux du salarié, démontrent que, pour la période qu'ils concernent, le salarié quittait régulièrement son poste au-delà de 19 heures, fournissant des journées supérieures à neuf heures.

Ainsi, au vu des éléments produits de part et d'autre, et sans qu'il soit besoin d'une mesure d'instruction, la cour a la conviction au sens du texte précité que M. [M] a bien effectué les heures supplémentaires non rémunérées.

Au vu des pièces produites, de l'amplitude de travail réelle qui résulte notamment de la lecture des agendas du salarié, il sera fait droit à la demande de M. [M] à hauteur de 12 951,04 euros outre les congés payés afférents.

Sur la demande au titre des repos compensateurs

Par application de l'article L 3121-11 du code du travail, dans sa version applicable, toute heure supplémentaire accomplie au delà du contingent annuel donne lieu à une contrepartie obligatoire en repos.

En application de l'article D 3121-14 du code du travail, le salarié dont le contrat de travail prend fin avant qu'il ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit, reçoit une indemnité dont le montant correspond à ses droits acquis et qui a le caractère de salaire.

En l'espèce, au regard des précédents développements, du nombre d'heures supplémentaires retenu par la cour, il y a lieu de constater que le salarié a dépassé le contingent annuel d'heures supplémentaires.

En conséquence, il sera fait droit à sa demande à hauteur de 4 340,46 euros.

Sur la demande au titre du travail dissimulé

Par application de l'article L.8221-5, 2° du code du travail, la mention sur le bulletin de paie d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli constitue le travail dissimulé dans la mesure où elle est intentionnelle.

L'attribution par une juridiction au salarié d'heures supplémentaires non payées ne constitue pas à elle seule la preuve d'une dissimulation intentionnelle.

En l'espèce, le salarié échouant à démontrer que l'employeur avait mis en place un système conduisant à le priver systématiquement du paiement des heures supplémentaires ne caractérise pas l'élément intentionnel de l'infraction et sera débouté de sa demande de ce chef.

Sur la demande au titre du non-respect des durées maximales de travail

L'article L 3121-34 du code du travail dispose que la durée quotidienne de travail effectif par salarié ne peut excéder dix heures, sauf dérogations accordées dans des conditions déterminées par décret.

L'article L 3121-35 du même code dispose qu'au cours d'une même semaine, la durée de travail ne peut dépasser quarante-huit heures. En cas de circonstances exceptionnelles, certaines entreprises peuvent être autorisées à dépasser pendant une période limitée le plafond de quarante-huit heures, sans toutefois que ce dépassement puisse avoir pour effet de porter la durée du travail à plus de soixante heures par semaine.

La preuve du respect des seuils et plafonds prévues par le droit de l'union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur.

En l'espèce, l'employeur ne démontre pas avoir respecté les durées maximales de travail.

Il ressort des pièces produites par le salarié que ces durées n'ont pas été respectée.

Le non-respect des durées maximales de travail crée au salarié un préjudice dans sa vie personnelle et engendre des risques pour sa santé et sa sécurité.

En conséquence, il sera fait droit à la demande du salarié en lui accordant au titre de la réparation de son préjudice des dommages et intérêts à hauteur de la somme mentionnée au présent dispositif.

Sur la remise des documents

Il sera ordonné la remise par l'employeur des documents de fin de contrat et d'un bulletin de paie récapitulatif conformes au présent arrêt, sans que le prononcé d'une astreinte soit nécessaire à ce stade de la procédure.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

La société Placeo, partie succombante, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [M] les frais non compris dans les dépens qu'il a pu exposer. Il convient en l'espèce de condamner l'employeur à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement et en dernier ressort ;

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Rouen du 29 janvier 2020 sauf en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande au titre du travail dissimulé ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

Dit sans cause réelle et sérieuse la rupture du contrat de travail de M. [Y] [M] ;

Condamne la société Placeo France à verser à M. [Y] [M] les sommes suivantes :

10 800 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture du contrat de travail dépourvue de cause réelle et sérieuse,

3 600 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 360 euros au titre des congés payés afférents,

12 951,04 euros à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires effectuées du 1er janvier 2014 au 25 septembre 2016 outre 1 295,10 euros au titre des congés payés afférents,

4 340,46 euros au titre des repos compensateurs obligatoires,

1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour non respect des durées maximales de travail,

Ordonne le remboursement par la société Placeo France à l'organisme concerné du montant des indemnités de chômage versées à M. [Y] [M] depuis la rupture de son contrat de travail dans la limite de six mois de prestations, déduction faite de la contribution versée par l'employeur à cet organisme lors de l'adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle ;

Ordonne la remise à M. [Y] [M] des documents de fin de contrat de travail et d'un bulletin de paie récapitulatif conformes au présent arrêt ;

Dit n'y avoir lieu à astreinte ;

Condamne la société Placeo France à verser à M. [Y] [M] la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la société Placeo France aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La greffièreLa présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/00940
Date de la décision : 03/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-03;20.00940 ?
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