N° RG 20/01979 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IPXI
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 19 OCTOBRE 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du POLE SOCIAL DU TJ DE ROUEN du 21 Janvier 2020
APPELANTE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE ROUEN - ELBEUF - DIEPPE
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Vincent BOURDON, avocat au barreau de ROUEN
INTIME :
Monsieur [N] [F]
[Adresse 1]
[Adresse 6]
[Localité 3]
comparant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 13 Septembre 2022 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé d'instruire l'affaire
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. CABRELLI, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 13 Septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 19 Octobre 2022
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 19 Octobre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par M. CABRELLI, Greffier.
* * *
EXPOSE DU LITIGE
Le 25 avril 2018, la société [4] a établi une déclaration d'accident du travail pour le compte de son salarié, M. [N] [F] au titre d'un accident survenu le 18 avril 2018 décrit comme suit : 'd'après les dires de la victime, cette dernière aurait manipulé des charges dans le cadre de son poste de poseur de voies à proximité de la voie ferrée. La victime se serait fait mal au dos en manipulant un passe-pied'.
Le certificat médical initial établi par le docteur [L], le18 avril 2018 faisait état de 'lombalgie + cruralgie G'.
Le 26 avril 2018, la société a adressé à la caisse une lettre de réserves portant sur le caractère professionnel de l 'accident, au regard de l'absence d'indices précis, graves et concordants, de la déclaration tardive du salarié à son employeur, du fait que le salarié était en arrêt maladie du 3 au 13 avril 2018, que le salarié avait précisé à la reprise de son poste le 16 avril 2018 qu'il avait souffert de lombalgies les semaines précédentes et que ses douleurs persistaient.
Par décision du 27 juillet 2018 la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe, après enquête, a refusé de prendre en charge l'accident déclaré au titre de la législation sur les risques professionnels.
M. [F] a saisi la commission de recours amiable qui, par décision du 28 mars 2019, a confirmé le refus.
M. [F] a contesté cette décision devant le pôle social du tribunal judiciaire de Rouen qui, par jugement du 21 janvier 2020, a :
- annulé la décision de la commission de recours amiable de la caisse primaire d'assurance maladie rendue en séance du 28 mars 2019,
- dit que l'accident du 18 avril 2018 devait être pris en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels avec toutes conséquences de droit,
- condamné la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe aux entiers dépens.
La caisse a interjeté appel par lettre recommandée du 18 juin 2020 de ce jugement qui lui avait été notifié le 11 mars précédent.
Par avis en date du 7 septembre 2022, la cour a invité les parties à conclure sur la recevabilité de l'appel.
Par dernières conclusions remises le 12 septembre 2022, soutenues oralement à l'audience, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens et prétentions, la caisse demande à la cour de :
- constater la recevabilité de l'appel interjeté,
- infirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Rouen le 21 janvier 2020,
- dire que l'accident du 18 avril 2018 déclaré par M. [F] ne peut être pris en charge au titre de la législation professionnelle.
La caisse rappelle que pour faire face à l'épidémie de Covid 19, la loi du 23 mars 2020 a instauré un état d'urgence sanitaire, que l'ordonnance du 25 mars 2020 a notamment prorogé les délais d'appel expirant entre le 12 mars et le 23 juin 2020 inclus, de sorte que l'appel interjeté le 18 juin doit être déclaré recevable.
Elle soutient qu'une déclaration tardive d'accident de travail fait perdre à la victime le bénéfice de la présomption d'imputabilité prévue par l'article L 411-1 du code de la sécurité sociale, qu'en l'espèce le salarié n'a informé son employeur que cinq jours après le fait accidentel, qu'en outre il n'a désigné aucun témoin, qu'au cours de l'enquête diligentée le principal témoin des faits n'a pu être entendu.
Elle considère que la preuve de la réalisation du fait accidentel aux temps et lieu de travail le 18 avril 2018 ne résulte que des propos de M. [F], aucun élément objectif ne venant les corroborer, qu'il ne peut être tenu compte des éléments produits par ce dernier postérieurement à l'instruction du dossier et notamment de l'attestation de M. [C].
M. [F], qui a comparu en personne, demande à la cour de confirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Rouen le 21 janvier 2020 en toutes ses dispositions.
Il indique ressentir toujours des douleurs en lien avec son accident de travail, ne plus réussir à 'porter comme avant'. Il précise ne pas travailler en raison d'un congé de paternité.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l'appel
Le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Rouen le 21 janvier 2020 a été notifié à la caisse le 11 mars 2020.
En application de l'article 538 du code de procédure civile, le délai d'appel est d'un mois.
Cependant, au regard de l'épidémie de Covid 19 et de l'état d'urgence sanitaire instauré par la loi du 23 mars 2020, l'ordonnance du 25 mars 2020 a prorogé le délai d'appel en précisant que pour les délais qui expirent entre le 12 mars et le 23 juin 2020, le recours qui aurait dû être accompli est réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.
Si l'échéance normale du délai d'appel était le 11 avril 2020, au regard des dispositions précitées, l'appel interjeté par la caisse le 18 juin 2020 doit être déclaré recevable.
Sur l'accident du travail
Il résulte des dispositions de l'article L 411-1 du code de la sécurité sociale que l'accident du travail consiste en un fait précis qui, survenu soudainement au cours ou à l'occasion du travail, est à l'origine d'une lésion corporelle ou psychologique ; qu'un fait accidentel survenu dans ces conditions bénéficie d'une présomption d'imputabilité au travail.
Il appartient, le cas échéant, à la victime d'établir, autrement que par ses propres affirmations, la matérialité de l'accident et sa survenue au lieu et au temps du travail.
M. [F], embauché par la société [4] en qualité d'ouvrier, a informé son employeur le 23 avril 2018 de ce qu'il aurait été victime d'un accident de travail le 18 avril 2018 puis lui a adressé un certificat médical initial établi le 18 avril 2018 par le docteur [L] mentionnant 'lombalgie + cruralgie G' et prescrivant un arrêt de travail jusqu'au 29 avril 2018.
La société a établi la déclaration d'accident du travail en formulant des réserves.
La caisse, après enquête, a refusé de prendre en charge cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels par une décision du 27 juillet 2018 que la commission de recours amiable, sur recours de l'assuré, a confirmée.
M. [F] soutient avoir été victime d'un accident de travail le 18 avril 2018 au temps et lieu de travail et produit une attestation de M. [C] témoin de la scène.
Il ressort de l'enquête :
- que M. [F] a déclaré qu'en portant un cric de 25kg vers 2h30 du matin sur le chantier de [Localité 5] sur lequel il était affecté, il a ressenti une douleur atroce, que son dos s'est bloqué,
- que M. [J], collègue cité comme témoin par M. [F] n'a pu être entendu, le salarié ne disposant pas de ses coordonnées,
- que MM [S], [E] et [V], salariés présents ce jour là dans l'unité de travail du salarié, dont les coordonnées ont été communiquées par l'employeur n'ont pas témoigné, la caisse indiquant qu'ils n'avaient pas donné suite à ses sollicitations.
Devant la commission de recours amiable et devant le tribunal judiciaire, M. [F] a produit une attestation établie par M. [C], salarié de la société [4], indiquant avoir été témoin au cours de la nuit du 17 au 18 avril 2018 du fait que lorsqu'il avait fallu retirer un passage à niveau sur la voie, il avait entendu le dos de M. [F], son collègue, claquer.
S'il est établi que le témoignage de M. [C] n'a pas été porté à la connaissance de la caisse au cours de la période d'instruction, cette attestation versée tardivement aux débats par M. [F] ne peut être écartée des débats au seul motif que la cour ne peut se prononcer qu'au regard des éléments recueillis au cours de l'instruction.
Il ressort de ce témoignage d'un collègue de travail de M. [F], présent sur les lieux, que ce dernier a souffert du dos lors d'une manipulation de charges le 18 avril 2018 sur son lieu de travail.
Le certificat médical initial établi le 18 avril 2018 par le docteur [L] fait état de 'lombalgie + cruralgie G', soit des lésions parfaitement compatibles avec les déclarations de M. [F] faisant état de douleurs brusques et soudaines survenues sur le lieu du travail.
Si la caisse établit l'existence d'un arrêt de travail du salarié antérieur au fait accidentel, il ne résulte pas des éléments produits que cet arrêt de travail ait été en lien avec des problèmes de lombalgie. La caisse ne verse aux débats aucun élément corroborant les allégations de l'employeur selon lesquelles le salarié aurait souffert de lombalgie les semaines précédentes.
La simple déclaration tardive d'accident de travail ne saurait d'office faire perdre au salarié le bénéfice de la présomption d'imputabilité, notamment en présence d'un certificat initial établi par un médecin le jour de la survenance des faits, lequel médecin atteste que la date de première constatation des faits est concomitante à la date du fait accidentel invoqué par le salarié.
Par ailleurs, le caractère tardif de la déclaration d'accident par le salarié auprès de son employeur ( 5 jours) peut s'expliquer par le fait que M. [F] a été placé en arrêt de travail.
Ces circonstances ne sont en toute hypothèse pas de nature à faire échec à la présomption d'imputabilité applicable en l'espèce, la matérialité de l'accident étant suffisamment établie.
En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement déféré.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort ;
Déclare recevable l'appel interjeté par la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Rouen du 21 janvier 2020 ;
Y ajoutant :
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe aux entiers dépens d'appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE