N° RG 20/00999 - N° Portalis DBV2-V-B7E-INYL
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 19 OCTOBRE 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du POLE SOCIAL DU TJ D'EVREUX du 10 Janvier 2020
APPELANTE :
S.A.S. [5]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par M. [Y] [K] muni d'un pouvoir
INTIMEE :
CPAM DE L'EURE
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me François LEGENDRE, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 13 Septembre 2022 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé d'instruire l'affaire
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. CABRELLI, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 13 Septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 19 Octobre 2022
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 19 Octobre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par M. CABRELLI, Greffier.
* * *
EXPOSE DU LITIGE
Le 24 mars 2015, la société [5] a établi une déclaration d'accident du travail pour le compte de sa salariée, Mme [M] [W], exerçant la profession de conditionneuse, au titre d'un accident survenu le 20 mars 2015 au sein de l'entreprise utilisatrice auprès de laquelle elle était mise à disposition décrit comme suit: 'selon les déclarations de l'entreprise utilisatrice Mme [W] balayait son poste de travail. Sa responsable positionnait une palette à l'aide d'un transpalette. La victime en reculant se serait cognée le bas du dos contre la palette que sa collègue venait de ramener. Nous émettons des réserves sur les circonstances de l'accident. Siège des lésions : dos. Nature des lésions : douleurs. Accident connu le 23/03/2015 à14h50'.
Le certificat médical initial établi le 20 mars 2015 fait état d'une 'lombalgie hyperalgique L2,L3,L4 sur trauma mécanique-chute d'une palette sur le dos', le médecin prescrivant un arrêt de travail jusqu'au 26 mars 2015, arrêt prolongé jusqu'au 30 octobre 2015.
Par décision du 27 mars 2015 la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure a pris en charge cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels.
La société [5] a contesté cette décision devant la commission de recours amiable qui a rejeté son recours le 13 octobre 2016. Elle a contesté cette décision devant le pôle social du tribunal judiciaire d'Evreux qui, par jugement du 10 janvier 2020 a :
- rejeté le recours formé par la société [5] à l'encontre de la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de l'accident de travail dont a été victime Mme [M] [W] le 20 mars 2015, décision confirmée par la commission de recours amiable le 13 octobre 2016,
- condamné la société [5] aux dépens nés après le 1er janvier 2019.
La société [5] a interjeté appel par lettre recommandée du 24 février 2020 de ce jugement qui lui avait été notifié le 28 janvier précédent.
Par conclusions remises le 1er septembre 2022, soutenues oralement à l'audience, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens et prétentions, la société [5] demande à la cour de :
- rejeter l'exception de péremption d'instance soulevée par la caisse,
- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire le 10 janvier 2020 en toutes ses dispositions,
- déclaré inopposable à son encontre la décision de prise en charge de l'accident du 20 mars 2015 déclaré par Mme [W],
- débouter la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure de toutes ses demandes, fin et conclusions dirigées à son encontre.
Elle fait valoir que la péremption n'est pas acquise en ce qu'elle a adressé à la cour un courrier le 30 juillet 2021 lui demandant la fixation de l'affaire, que cette diligence a interrompu la prescription.
L'appelante soutient qu'il n'est pas établi que la salariée a été victime d'une lésion brutale et soudaine au temps et au lieu de travail en l'absence de témoin et des déclarations variables de la salariée concernant les circonstances de l'accident et considère que le certificat médical initial ne corrobore pas les dires de Mme [W]. Elle argue de la tardiveté de la déclaration d'accident de travail à l'employeur trois jours après les faits, considère que la présomption d'imputabilité ne peut s'appliquer en l'espèce.
La société considère que la caisse a méconnu le principe du contradictoire en écartant les réserves qu'elle a formées.
Par conclusions remises le 5 août 2022, soutenues oralement à l'audience, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens et prétentions, la CPAM de l'Eure demande à la cour de :
- déclarer périmée l'instance d'appel formée par la société [5] à l'encontre du jugement du pôle social du tribunal judiciaire de l'Eure en date du 10 janvier 2020,
subsidiairement :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté le recours formé par la société [5] à l'encontre de la décision de la CPAM de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de l'accident du travail dont a été victime Mme [M] [W] le 20 mars 2015, décision confirmée par la commission de recours amiable le 13 octobre 2016, l'ayant également condamnée aux dépens,
- en tant que de besoin dire et juger la décision de la CPAM opposable à la société [5],
- débouter la société [5] de l'ensemble de ses demandes, fins moyens et conclusions,
- condamner la société [5] au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
La caisse soutient la péremption de l'instance, deux années s'étant écoulées entre la déclaration d'appel et la manifestation par la société de ses intentions.
Elle affirme avoir respecté le principe du contradictoire de la procédure observant que l'employeur n'a pas formulé de réserves motivées sur les circonstances de temps et de lieu de l'accident ou sur l'existence d'une cause totalement étrangère au travail.
Elle fait valoir que la victime devait bénéficier de la présomption d'imputabilité dès lors que le fait accidentel s'est produit le 20 mars 2015 à 15h30 sur le lieu de travail, que les circonstances de l'accident portées sur la déclaration sont clairement expliquées, que le constat médical fait par un praticien hospitalier est intervenu le jour même, que l'état de santé de l'assurée a justifié un arrêt de travail, que la lésion constatée a été directement placée en relation avec l'accident.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le moyen tiré de la péremption d'instance
Aux termes de l'article 2 du code de procédure civile, les parties conduisent l'instance sous les charges qui leur incombent ; il leur appartient d'accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis.
L'article 386 du même code dispose que l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans.
Il est constant que constitue une telle diligence toute action manifestant la volonté des parties de poursuivre l'instance et de faire avancer le procès.
Si en procédure orale les parties n'ont pas l'obligation de conclure, il leur appartient à tout le moins, si elles n'entendent pas le faire, de manifester leur intention de poursuivre l'instance en demandant la fixation de l'affaire à une audience, quelles que soient au demeurant les chances de succès d'une telle demande, et, si au contraire elles entendent conclure, de le faire en temps voulu.
En l'espèce, la société [5], qui a interjeté appel le 24 février 2020, a adressé un courrier à la juridiction le 30 juillet 2021 demandant la fixation de l'affaire.
Il en résulte que la péremption n'est pas acquise.
Sur la demande tendant à voir dire inopposable à la société la décision de prise en charge de l'accident
Sur le respect du principe du contradictoire
La société invoque un manquement au principe du contradictoire tenant au fait
qu'elle a émis des réserves sur les circonstances de l'accident, sur la bonne foi de la salariée et que la caisse n'a pas procédé à une enquête, a écarté sa lettre de réserves.
Il résulte de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale que constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle ou psychologique, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.
L'article R 441-11 du code de la sécurité sociale en son dernier alinéa, dans sa version applicable à l'espèce, dispose qu'en cas de réserves motivées de la part de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la caisse envoie avant décision à l'employeur et à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés. Une enquête est obligatoire en cas de décès.
S'agissant des réserves invoquées par la société qui imposent à la caisse, en application de ces dispositions, d'adresser avant de prendre sa décision à l'employeur et à la victime un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident ou de procéder à une enquête auprès des intéressés, il convient de rappeler que constituent des réserves motivées au sens de cet article toute contestation du caractère professionnel de l'accident portant sur les circonstances de temps et de lieu de celui-ci ou sur l'existence d'une cause totalement étrangère au travail.
En l'espèce, le courrier de la société adressé à la caisse le 24 mars 2015 est motivé comme suit: ' (...) Compte tenu des circonstances dans lesquelles l'intéressée prétend avoir été victime, nous émettons les plus expresses réserves sur la matérialité de l'accident. Nous considérons en effet que l'intéressée n'apporte pas la preuve à sa charge qu'elle a bien été victime de cet accident au temps et au lieu de travail. En effet, il convient de relever que l'intéressée a terminé sa journée du vendredi sans faire de déclaration auprès de sa hiérarchie et nous a informé lundi matin qu'elle s'était cognée sur son lieu de travail et s'était rendue à l'hôpital vers 19h ( soit 3h après la fin de sa journée de travail). De plus, il n'y aurait pas de témoin direct oculaire ou auditif de l'accident.'
Il ressort de ce courrier que la société a bien émis un doute sur le fait que l'accident ait pu se produire au temps et lieu du travail en relevant l'absence de témoin et une information tardive.
Il en résulte que la caisse aurait dû procéder à une instruction préalable et qu'à défaut la décision de prise en charge est inopposable à l'employeur.
Il y a lieu dès lors à infirmation du jugement.
Sur les dépens et frais irrépétibles
La caisse qui perd le procès sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort ;
Rejette le moyen tiré de la péremption d'instance ;
Infirme en toutes ses dispositions le jugement du pôle social du tribunal judiciaire d'Evreux du 10 janvier 2020 ;
Déclare la décision de prise en charge de l'accident concernant Mme [M] [W] déclaré le 24 mars 2015 inopposable à la société [5],
Déboute la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE