N° RG 21/00647 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IV4E
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 12 OCTOBRE 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
18/00249
Tribunal judiciaire du Havre du 14 janvier 2021
APPELANTES :
Sas LE HAVRE ENTREPRISE
RCS du Havre B 750 382 723
[Adresse 6]
[Localité 5]
représentée et assistée par Me Richard FIQUET de la Selarl SUREL LACIRE-PROFICHET FIQUET, avocat au barreau du Havre
Sci JCJ
RCS du Havre SIREN 812 624 674
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée et assistée par Me Richard FIQUET de la Selarl SUREL LACIRE-PROFICHET FIQUET, avocat au barreau du Havre
INTIMES :
Monsieur [V] [O]
né le 23 novembre 1979 à Bois [V]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté et assisté par Me Céline BART de la Selarl EMMANUELLE BOURDON CELINE BART AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de Rouen
Madame [B] [I], notaire
[Adresse 2]
[Adresse 7]
[Localité 5]
représentée par Me Yannick ENAULT de la Selarl YANNICK ENAULT-CHRISTIAN HENRY, avocat au barreau de Rouen
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 22 juin 2022 sans opposition des avocats devant Mme Magali DEGUETTE, conseillère, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre
M. Jean-François MELLET, conseiller
Mme Magali DEGUETTE, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Catherine CHEVALIER,
DEBATS :
A l'audience publique du 22 juin 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 12 otobre 2022
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 12 otobre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cur, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Le 16 décembre 2015, M. [V] [O] a mandaté la Sas Le Havre Entreprise, exerçant sous l'enseigne Arthur Loyd, pour rechercher une parcelle de terrain à acheter au Havre d'une superficie comprise entre 12 000 et 13 000 m².
Par compromis du 28 janvier 2016 rédigé par Me [B] [I], notaire au Havre, la Sci Jcj a, par l'intermédiaire de la Sas Le Havre Entreprise, vendu à M. [V] [O] une parcelle de terrain, d'une surface totale d'environ 12 677 m² et située [Adresse 3], pour le prix net vendeur de
1 380 000 euros. Y a été insérée une clause suspensive d'obtention d'un prêt bancaire de ce montant à réaliser au plus tard pour le 1er avril 2016.
La réitération de la vente par acte authentique, qui devait intervenir au plus tard le 29 avril 2016, n'a pas eu lieu.
Par acte d'huissier de justice du 5 septembre 2016, la Sci Jcj a fait assigner
M. [V] [O] devant le tribunal de grande instance du Havre en paiement de la clause pénale de 138 000 euros.
Suivant exploit du 27 février 2017, M. [V] [O] a fait intervenir à la cause Me [B] [I] aux fins de garantie.
Par exploit du 20 mars 2017, la Sas Le Havre Entreprise a fait assigner M. [V] [O] devant ce même tribunal en paiement de ses honoraires de 54 000 euros TTC.
Par jugement du 14 janvier 2021, le tribunal judiciaire du Havre a :
- débouté la Sci Jcj de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la société Le Havre Entreprise de l'ensemble de ses demandes,
- débouté M. [V] [O] de l'ensemble de ses demandes formées contre Me Johanne Cousin,
- condamné la Sci Jcj et la société Le Havre Entreprise, in solidum, à payer à
M. [V] [O] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [V] [O] à payer à Me Johanne Cousin la somme de
1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné la Sci Jcj et la société Le Havre Entreprise, in solidum, aux entiers dépens de l'instance.
Par déclarations respectives du 16 février 2021, la Sci Jcj et la Sas Le Havre Entreprise ont formé appel contre ce jugement.
Ces deux instances ont été jointes par ordonnance du 3 mars 2021.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 14 mai 2021, la Sci Jcj et la Sas Le Havre Entreprise sollicitent de voir en vertu des articles 1103, 1104, 1112, 1304 et suivants, 1134, 1178 et 1226 du code civil :
- infirmer partiellement la décision entreprise en ce qu'elle a :
. débouté la Sci Jcj et la Sas Le Havre Entreprise de l'ensemble de leurs demandes,
. condamné la Sci Jcj et la Sas Le Havre Entreprise solidairement à payer à
M. [V] [O] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [V] [O] à payer à la Sci Jcj une somme de 138 000 euros au titre de la clause pénale avec intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance,
- condamner M. [V] [O] à payer à la Sas Le Havre Entreprise la somme de 54 000 euros au titre de ses honoraires,
- condamner M. [V] [O] à payer à la Sci Jcj et à la Sas Le Havre Entreprise la somme de 2 000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
La Sci Jcj fait valoir que la non-réalisation de la vente est exclusivement imputable à M.[V] [O] qui délibérément n'a respecté aucun des délais et des conditions quant au montant et aux modalités prévus pour la réalisation de la condition suspensive d'obtention d'un prêt ; qu'il souhaitait renoncer à cet achat car il a trouvé entre-temps un autre bien qu'il a acquis en juillet 2016 pour le prix de
1 200 000 euros net vendeur ; qu'il ne peut donc pas se prévaloir de l'absence de mise en demeure préalable du notaire pour s'exonérer de sa responsabilité ; que la clause pénale fixée à 138 000 euros n'est pas excessive au regard du préjudice qu'elle a effectivement subi ; que son immeuble a été immobilisé pendant de nombreux mois, ce qui lui a fait manquer des opportunités de vente.
La Sas Le Havre Entreprise expose que, si la vente ne s'est finalement pas réalisée, la condition suspensive étant réputée accomplie du fait du comportement de l'acheteur, elle est considérée réalisée d'un point de vue juridique ; que la signature d'un compromis de vente suffit pour que ses honoraires lui soient réglés.
Par dernières conclusions notifiées le 29 juin 2021, M. [V] [O] demande de voir en application des articles 1152, 1147, 1184, 1230, 1382 et 1363 du code civil dans leur rédaction applicable à l'espèce, 6-1 de la loi n°70-10 du 2 janvier 1970 :
- à titre principal, confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire du Havre le 14 janvier 2021 en ce qu'il a débouté la Sci Jcj et la Sas Le Havre Entreprise de l'ensemble de leurs demandes et en ce qu'il a condamné ces dernières à lui verser in solidum la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance,
- à titre subsidiaire, réduire le montant de la clause pénale réclamée par la Sci Jcj à la somme de 4 200 euros et cantonner toute condamnation éventuelle à son encontre au règlement de cette seule somme,
- en tout état de cause, débouter la Sci Jcj et la Sas Le Havre Entreprise de toutes leurs autres demandes et condamner ces dernières in solidum à lui payer une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en plus des entiers dépens de l'instance.
Il expose que la Sci Jcj ne l'a à aucun moment mis en demeure de régulariser l'acte authentique d'acquisition du terrain, de sorte que la clause pénale n'a pas lieu d'être appliquée ; que, dans l'hypothèse où la clause pénale serait jugée applicable, il n'a pas commis de faute dans l'exécution de ses obligations ; que la condition suspensive d'obtention d'un prêt était en tout état de cause irréalisable et donc réputée défaillie sans faute de sa part, et la condition relative à la justification de l'origine de propriété était également défaillie sans faute de sa part.
Il avance à titre subsidiaire que le montant de la clause pénale est manifestement disproportionné aux motifs que le délai prévu pour le dépôt de la demande de prêt a été dépassé de quelques jours seulement ; que la Sci Jcj ne l'a jamais mis en demeure de régulariser l'acte authentique de vente et aurait pu se considérer déliée de la promesse dès le 1er avril 2016, ; que le délai d'immobilisation du terrain a été très court ; que les pièces produites évoquant de possibles acquéreurs et son dédit pour acheter un autre terrain sont émises par la Sas Le Havre Entreprise, de sorte qu'elles n'ont aucune force probante car nul ne peut se constituer de titre à soi-même.
Il précise enfin qu'en l'absence d'un acte définitif de cession, aucune rémunération n'est due à la Sas Le Havre Entreprise quand bien même la défaillance de la condition suspensive d'obtention d'un prêt lui serait imputable.
Par dernières conclusions notifiées le 12 juillet 2021, Me [B] [I] sollicite de voir :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [V] [O] de l'ensemble de ses demandes contre elle et en ce qu'il a condamné ce dernier à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la Sci Jcj et la Sas Le Havre Entreprise à lui payer chacune la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
- statuer ce que de droit sur les dépens qui ne sauraient être à sa charge.
Elle indique qu'aucune des parties adverses n'a formé de demande contre elle et qu'elle a donc été intimée à tort par les appelantes.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 1er juin 2022.
MOTIFS
Sur le paiement de la clause pénale à la Sci Jcj
L'ancien article 1134 du code civil en vigueur au jour de la rédaction du compromis de vente précise que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Selon l'ancien article 1230 du code précité, soit que l'obligation primitive contienne, soit qu'elle ne contienne pas un terme dans lequel elle doive être accomplie, la peine n'est encourue que lorsque celui qui s'est obligé soit à livrer, soit à prendre, soit à faire, est en demeure.
La mise en oeuvre d'une clause pénale suppose non seulement que le débiteur a manqué à ses obligations, mais aussi qu'il a été mis en demeure d'exécuter par le créancier.
En l'espèce, à la page 30, le compromis de vente précise que l'acquéreur 'envisage, pour couvrir la somme de 1.380.00,00 euros, de solliciter un ou plusieurs crédits auprès d'organismes financiers, et que en considération de ses ressources mensuelles, le ou les prêts qui lui seront consentis devront être remboursables dans un délai de 20 années, au taux d'intérêt maximum de 3 % hors assurances.
3°- Qu'il s'oblige :
a- à déposer son dossier de demande de prêt au plus tard dans les dix jours de la signature des présentes ;
b- à justifier auprès du rédacteur des présentes du dépôt de son dossier auprès de l'organisme prêteur dans les 48 heures de ce dépôt ;
c- à justifier auprès du rédacteur des présentes de toute acceptation ou de tout refus motivé qui lui aura été adressé à la suite de sa demande d'emprunt, en lui adressant une photocopie du document qu'il aura reçu.
Il reconnaît être informé que la caducité de la présente convention pourrait être invoquée par le vendeur conformément aux articles 1177 et 1178 du Code civil.'.
Il stipule à la page 31, dans son paragraphe relatif à la clause pénale, qu': 'Au cas où l'une quelconque des parties, après avoir été mise en demeure, ne régulariserait pas l'acte authentique et ne satisferait pas ainsi aux obligations alors exigibles, elle devra verser à l'autre partie à titre de clause pénale conformément aux dispositions des articles 1152 et 1226 du Code civil, une somme de [...] 138.000,00 €).'.
Contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la condition suspensive d'obtention de prêt n'a pas été réalisée puisqu'aucune offre de prêt conforme aux caractéristiques contenues dans le compromis n'a été notifiée par M. [O] dans le délai convenu. Les demandes de prêts formulées auprès du Crédit Mutuel au-delà du délai de 10 jours du compromis portaient respectivement sur les sommes de 2 585 700 euros sur 180 mois et de 1 380 000 euros sur 180 mois, alors que la durée de remboursement était prévue sur 240 mois. M. [O] ne justifie pas du montant du prêt et de la durée de remboursement qu'il a sollicités auprès de Bnp Paribas, la Société Générale, le Crédit du Nord, et le Cic Nord Ouest. Enfin, les réponses de ces organismes bancaires, qui ont tous opposé un refus de prêt, sont parvenues après le terme du 1er avril 2016.
Le compromis de vente est donc devenu caduc du fait de la défaillance de ladite condition suspensive.
Toutefois, la Sci Jcj n'a délivré aucune mise en demeure préalable à M. [O] en vue de régulariser l'acte authentique.
Or, la délivrance à cet effet d'une mise en demeure était un préalable nécessaire à l'application de la pénalité stipulée qui ne constitue pas une clause limitative ou exonératoire de responsabilité.
En conséquence, l'indemnité au titre de la clause pénale n'est pas due. La décision du premier juge ayant statué en ce sens sera confirmée.
Sur le paiement des honoraires à la Sas Le Havre Entreprise
Selon l'ancien article 73 du décret n°72-678 du 20 juillet 1972 fixant les conditions d'application de la loi n°70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et fonds de commerce, le titulaire de la carte professionnelle perçoit sans délai sa rémunération ou sa commission une fois constatée par acte authentique l'opération conclue par son intermédiaire.
En l'espèce, le mandat de recherche du 16 décembre 2015 a prévu qu': 'En cas de réalisation, la rémunération du mandataire sera à la charge de l'Acquéreur selon le barème en vigueur. Elle ne deviendra exigible que le jour de la signature effective de l'acte de vente, levée étant obligatoirement faite de toutes éventuelles conditions suspensives.'.
La reconnaissance d'honoraires souscrite par M. [O] le 31 décembre 2015 précisait que la rémunération de 54 000 euros TTC 'sera définitivement acquise dès levée de la dernière condition suspensive, conformément à l'article 72 du décret du 20 juillet 1972 et sera versée à la signature de l'acte définitif constatant l'accord des parties.'.
A défaut de réitération de l'acte authentique de vente, le règlement des honoraires de la Sas Entreprise Le Havre n'est pas dû. Contrairement à ce qu'elle indique, la signature du compromis même s'il n'est pas authentique ne vaut pas vente puisqu'il est devenu caduc. Elle sera déboutée de sa réclamation. La décision du tribunal ayant statué en ce sens sera confirmée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dispositions de première instance sur les dépens et les frais irrépétibles seront confirmées.
Parties perdantes, les appelantes seront condamnées in solidum aux dépens d'appel.
L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Ayant inutilement attrait Me [I] à la présente instance, elles seront également condamnées chacune à lui verser une indemnité de 1 500 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu publiquement par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort :
Dans les limites de l'appel formé,
Confirme le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Condamne la Sci Jcj et la Sas Le Havre Entreprise chacune à payer à Me Johanne Cousin la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,
Déboute les parties pour le surplus des demandes,
Condamne in solidum la Sci Jcj et la Sas Le Havre Entreprise aux dépens d'appel.
Le greffier,La présidente de chambre,