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12/10/2022 | FRANCE | N°20/04001

France | France, Cour d'appel de Rouen, 1ère ch. civile, 12 octobre 2022, 20/04001


N° RG 20/04001 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IT4E





COUR D'APPEL DE ROUEN



1ERE CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 12 OCTOBRE 2022







DÉCISION DÉFÉRÉE :



19/01831

Tribunal judiciaire d'Evreux du 27 octobre 2020





APPELANT :



Monsieur [L] [B], médecin

né le [Date naissance 3] 1958 à [Localité 9] (Maroc)

[Adresse 6]

[Localité 8]



représenté par Me Marion JONQUARD, avocat au barreau de l'Eure et assisté par Me Amélie CHIFFERT, avoc

at au barreau de Paris





INTIMEES :



Madame [D] [Y]

née le [Date naissance 1] 1934

[Adresse 7]

[Localité 5]



représentée et assistée par Me Karine ALEXANDRE, avocat au barreau de l'Eure





CAISS...

N° RG 20/04001 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IT4E

COUR D'APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 12 OCTOBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

19/01831

Tribunal judiciaire d'Evreux du 27 octobre 2020

APPELANT :

Monsieur [L] [B], médecin

né le [Date naissance 3] 1958 à [Localité 9] (Maroc)

[Adresse 6]

[Localité 8]

représenté par Me Marion JONQUARD, avocat au barreau de l'Eure et assisté par Me Amélie CHIFFERT, avocat au barreau de Paris

INTIMEES :

Madame [D] [Y]

née le [Date naissance 1] 1934

[Adresse 7]

[Localité 5]

représentée et assistée par Me Karine ALEXANDRE, avocat au barreau de l'Eure

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE

[Adresse 2]

[Localité 4]

non constituée bien que régulièrement assignée par acte d'huissier délivré le 3 février 2021 à personne habilitée

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 27 juin 2022 sans opposition des avocats devant M. Jean-François MELLET conseiller, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre,

M. Jean-François MELLET, conseiller,

Mme Magali DEGUETTE, conseillère,

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Catherine CHEVALIER,

DEBATS :

A l'audience publique du 27 juin 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 12 octobre 2022.

ARRET :

REPUTE CONTRADICTOIRE

Rendu publiquement le 12 octobre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Le 17 février 2015, Mme [D] [Y] a subi une phlébectomie chirurgicale du pied gauche (ablation des varices), pratiquée par le Dr [L] [B].

Se plaignant d'une perte de sensibilité du pied gauche survenue à la suite de l'opération, Mme [D] [Y] a sollicité une expertise médicale, qui lui a été accordée par une ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance d'Evreux du 14 juin 2017.

L'expert judiciaire, le Dr [V] [Z], a déposé son rapport le 20 septembre 2018.

Par actes des 9 et 14 mai 2019, Mme [D] [Y] a assigné le Dr [L] [B] et la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure (la CPAM) devant le tribunal judiciaire d'Evreux.

Par jugement réputé contradictoire du 27 octobre 2020, le tribunal judiciaire d'Evreux a :

- débouté Mme [D] [Y] de sa demande d'expertise ;

- déclaré le Dr [L] [B] responsable des conséquences dommageables de la section du nerf sural gauche subie par Mme [D] [Y] au cours de l'opération chirurgicale de phlébectomie lui ayant été dispensée le 17 février 2015 ;

- dit que le Dr [L] [B] a manqué à son devoir d'informer sa patiente des risques inhérents à cette opération ;

- condamné le Dr [L] [B] à régler à Mme [D] [Y] les indemnités suivantes :

. 936,25 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

. 5 000 euros au titre des souffrances endurées ;

. 4 785 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

. 2 000 euros au titre du préjudice d'impréparation ;

- débouté Mme [D] [Y] de ses plus amples demandes ;

- condamné le Dr [L] [B] à verser à Mme [D] [Y] une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné le Dr [L] [B] aux entiers dépens, en ce compris les frais de la procédure de référé enregistrée sous le n°RG 17/165 et le coût de l'expertise judiciaire diligentée par le Dr [V] [Z] ;

- assortit le jugement de l'exécution provisoire ;

- déclaré le jugement commun à la CPAM de l'Eure.

Par déclaration reçue au greffe le 7 décembre 2020, M. [B] a interjeté appel de la décision.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 7 juin 2022, le Dr [B] demande à la cour d'appel, au visa de l'article L.1142-1-I du code de la santé publique de :

in limine litis,

- rejeter car étant irrecevable la demande de contre-expertise formée par Mme [Y] en l'état de ses seules dernières écritures signifiées le 7 juin 2022, veille de la clôture ;

à titre principal,

- confirmer le jugement en ce que le tribunal déboutait Mme [Y] de sa demande de nouvelle expertise judiciaire ;

- infirmer le jugement en ce qu'il retenait la responsabilité du Dr [B] au titre d'un défaut d'information sur le risque de lésion du nerf sural ;

- infirmer le jugement en ce qu'il retenait une faute peropératoire du Dr [B], à l'origine de la lésion du nerf sural survenue ;

en conséquence

- débouter Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes à son encontre ;

- condamner Mme [Y] à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens ;

- condamner cette dernière à lui verser la somme de 14 721,25 euros, correspondant aux condamnations assorties de l'exécution provisoire (soit le quantum des sommes dues en principal, ainsi que la condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens), qu'il a versée à Mme [Y] à la suite du jugement attaqué ;

à titre subsidiaire,

- réformer le jugement et statuant à nouveau,

- condamner le Dr [B] exclusivement au titre d'un défaut d'information en infirmant en revanche la condamnation prononcée au titre d'une faute peropératoire ;

- fixer à 5 % le taux de perte de chance en lien avec le défaut d'information du Dr [B] ;

- condamner le Dr [B] au titre des sommes suivantes, application faite des

5 % de perte de chance :

. déficit fonctionnel temporaire total : 1,15 euros

. souffrances endurées : 250 euros

. déficit fonctionnel permanent : 220 euros

- fixer à 500 euros maximum l'indemnisation due au titre du préjudice d'impréparation ;

- infirmer le jugement en ce qu'il retenait comme indemnisable une période de déficit fonctionnel temporaire partiel non retenue par l'expert ;

- confirmer le jugement en ce qu'il déboutait Mme [Y] de sa demande d'indemnisation d'un préjudice exceptionnel lié au fait de s'occuper de son mari ;

- limiter à juste proportion la condamnation qui pourrait être prononcée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il soutient en substance ce qui suit :

- Mme [Y] n'a pas présenté, dans ses premières écritures d'appelant incident (pièce n°31), une demande de réformation du jugement en ce qu'il rejette sa demande d'expertise, de sorte que la demande est irrecevable ;

- la partialité de l'expert [Z] n'est pas démontrée et le contenu du rapport ne traduit aucune insuffisance technique ;

- l'absence d'information sur un risque opératoire est fautive, uniquement au titre des risques fréquents ou graves normalement prévisibles ;

- or, l 'atteinte du nerf sural est exceptionnelle, décrite au maximum dans 1 % des cas et ce risque ne peut pas emporter la qualification de 'risque grave', puisqu'il induit des phénomènes algiques qui n'ont aucune répercussion fonctionnelle, et sont manifestement gérables au quotidien pour Mme [Y] ;

- l'aléa thérapeutique doit être retenu en cas de survenue d'un risque connu ne pouvant être maîtrisé par l'opérateur ou l'existence d'une anomalie rendant l'atteinte inévitable ;

- l'expert a sans réserve, écarté l'existence d'une faute ;

- la section du nerf sural par le crochet était imprévisible et elle est la conséquence de la proximité anatomique de la veine saphène et du nerf ;

- ce n'est pas parce qu'une proximité anatomique est connue entre la zone à opérer que le risque d'atteinte peut être maîtrisé ;

- à partir du moment où le principe de la phlébectomie, qui comporte une incision millimétrique, est validé, il ne peut être reproché à l'opérateur la survenue d'un risque exceptionnel, même s'il est inhérent à cette technique ;

- la technique alternative d'éveinage comprenant 'zéro risque de lésion du nerf sural' était contre indiquée au regard des complications esthétiques qu'elle induisait ;

- en cas de condamnation au titre d'un défaut d'information, celui-ci ne pourrait être indemnisé qu'au titre d'une perte de chance minime de ne pas se soumettre à l'intervention.

Par dernières conclusions notifiées le 7 juin 2022, Mme [Y] demande à la cour d'appel, au visa des articles L.1111-2 et L. 1141-1 du code de la santé publique de :

à titre principal,

- recevoir l'appel incident de Mme [Y] sur son débouté d'une demande de contre-expertise, et en conséquence,

- ordonner une nouvelle expertise médicale confiée à un expert médical près la cour d'appel de Rouen afin de déterminer les éventuelles fautes commises par le Dr [B] dans la réalisation du geste chirurgical, et au titre de son devoir d'information ainsi que de chiffrer intégralement les postes de préjudices subis par Mme [Y].

à titre subsidiaire,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu la responsabilité professionnelle du Dr [B] dans l'exécution du geste chirurgical litigieux ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu le manquement du Dr [B] à son devoir d'information envers Mme [Y] ;

- recevoir l'appel incident de Mme [Y] au titre de l'évaluation de ses postes de préjudices et en conséquence ;

- réformer le jugement entrepris et accorder à Mme [Y] :

. une indemnité qui ne saurait être inférieure à 23 euros proposée par la partie adverse au regard d'un déficit fonctionnel temporaire total pour la journée d'hospitalisation ;

. une indemnité à hauteur de 10 000 euros au titre des souffrances endurées ;

. une indemnité à hauteur de 10 450 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

. une indemnité à hauteur de 10 000 euros au titre de la pénibilité accrue ;

. une indemnité à hauteur de 5 000 euros au titre du préjudice d'impréparation, soit un total de 35 473 euros ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qui concerne l'allocation d'une somme de 936,25 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel à hauteur de 5 % de Mme [Y] ;

- condamner en outre le Dr [B] à lui payer les intérêts légaux à compter de la décision de la cour à intervenir ;

- confirmer la condamnation du Dr [B] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en première instance ;

y ajoutant,

- condamner le Dr [B] à lui payer la somme de 3 000 euros en cause d'appel ;

- condamner le Dr [B] aux entiers dépens de l'instance, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Alexandre.

Elle soutient en substance ce qui suit :

- l'expert désigné a manqué à son obligation d'impartialité et fait une présentation élogieuse du Dr [B] ;

- l'expert a dénaturé une phrase prononcée par Mme [Y] au cours des opérations d'expertise, pour en tirer une conséquence juridique fausse, ce que l'expert judiciaire reconnaît lui-même en page 25 de son rapport ;

- l'expert n'a pas retiré cette phrase de son rapport définitif, contrairement à son engagement exprès ;

- elle n'était pas venue consulter pour son pied mais pour des varices à la cuisse gauche ;

- contrairement à ce qu'indique l'expert, les décisions de Mme [Y], âgée de 84 ans, n'étaient pas dictées par des considérations esthétiques ;

- l'expert judiciaire a également sous-estimé voire totalement dénié certains postes de préjudice subis par Mme [Y] ;

- le Dr [B] doit combattre une présomption de faute en établissant la présence d'une anomalie rendant l'atteinte inévitable, ou la survenance d'un aléa thérapeutique, ce qu'il ne fait pas ;

- il avait l'obligation d'informer sa patiente, non seulement des risques et complications courantes, mais également des risques et complications exceptionnelles, ce qu'il n'a pas fait ;

- Mme [Y] n'a jamais dit à l'expert judiciaire que même informée de l'existence d'un risque neurologique exceptionnel, elle aurait certainement accepté l'intervention.

La CPAM de l'Eure n'a pas constitué avocat. Cette dernière ayant été citée à personne habilitée, la décision sera réputée contradictoire.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 juin 2022.

MOTIFS

Sur la recevabilité de la demande de nouvelle expertise

Le Dr [B] soulève l'irrecevabilité de la demande de Mme [Y] de réformation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande d'expertise au motif qu'elle ne figurait pas dans les premières conclusions d'appelant incident.

Mme [Y] ne réplique pas à cette fin de non-recevoir.

En application de l'article 910-4 du code de procédure civile, l'intimé doit, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, concentrer ses prétentions dès ses premières conclusions et donc sa demande de réformation qui est entendue comme une prétention au fond s'il est appelant incident. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

Néanmoins, demeurent recevables, dans les limites des chefs de jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

En l'espèce, Mme [Y] a demandé l'infirmation de la disposition ayant rejeté sa demande d'expertise, pour la première fois, dans ses conclusions d'appel n°3 notifiées le 7 juin 2022 et formé en conséquence une demande d'expertise.

Cette prétention nouvelle qui n'est pas destinée à répliquer aux conclusions et pièces adverses ni à faire juger une question née, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou révélation d'un fait est donc irrecevable.

Sur la responsabilité médicale

- Sur l'obligation d'information

Mme [Y] conclut à l'absence d'une information préalable particulièrement détaillée sur le risque de la survenue d'une section de son nerf sural, qui selon elle fait partie des risques, bien qu'exceptionnels, dont le Dr [B] aurait dû l'informer avant l'intervention.

Le Dr [B] soutient n'avoir commis aucun manquement, puisque le risque de sectionner le nerf sural, exceptionnel, ne nécessitait pas d'information particulière selon les recommandations en vigueur et que le déficit sensitif subi par la patiente, sans conséquence sur ses fonctions motrices, ne présentait pas le degré de gravité suffisant pour nécessiter une information particulière à ce titre.

Il résulte de la lecture des articles L.1111-2 et R.4127-35 du code de la santé publique que le médecin est tenu d'un devoir d'information envers son patient : il doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent, ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus.

Un risque grave scientifiquement connu à la date des soins comme étant en rapport avec le traitement envisagé constitue, même s'il ne se réalise qu'exceptionnellement, un risque normalement prévisible.

Le non-respect par le médecin du devoir d'information cause à celui auquel l'information était légalement due un préjudice que le juge ne peut laisser sans réparation. Il peut consister en une perte de chance d'éviter la réalisation du risque en refusant le traitement, mais également lorsque ce risque s'est réalisé, en un préjudice moral distinct des atteintes corporelles subies, résultant d'un défaut de préparation à l'éventualité que ce risque survienne.

Le médecin supporte la charge de la preuve de l'exécution de son devoir d'information et peut l'administrer par tous moyens.

En l'espèce, l'expert conclut en pages 18 et 30 de son rapport que si des explications générales ont été données à Mme [Y] sur la procédure de phlébectomie, aucune information détaillée n'a été délivrée, ni par écrit, ni oralement, sur le risque d'une atteinte du nerf sural, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par le Dr [B] dans ses conclusions d'appelant.

L'expert relève à la page 30 que 'l'atteinte du nerf sural est exceptionnelle, décrite au maximum dans 1 % des cas' et précise à cet égard que ce risque exceptionnel 'n'entre pas dans le champ de l'information habituelle pour ce type de traitement'.

En revanche, il n'est pas contesté que le risque d'atteinte du nerf sural, bien qu'exceptionnel, est un risque normalement prévisible au cours d'une procédure de phlébectomie et recensé par la littérature médicale.

La gravité du risque est suffisamment démontrée par les pièces médicales produites et les doléances de Mme [Y] recueillies par l'expert. En effet, cette dernière a subi des séquelles irréversibles à la suite de la section de son nerf sural gauche, au cours de l'opération pratiquée par le Dr [B], consistant en un déficit sensitif complet du nerf sural gauche et des douleurs neuropathiques résiduelles dans le pied gauche.

Si l'expert a évalué le déficit fonctionnel permanent à hauteur de 5 % compte tenu de la faible étendue de la zone anesthésiée (autour de la cheville et sur le bord externe du pied gauche) et de l'absence de répercussions sur les fonctions motrices, il n'en demeure pas moins que Mme [Y] fait état à la page 14 du rapport d'expertise de 'raideurs, crispations, tensions, engourdissements, tiraillements, picotements allant jusqu'à la brûlure, élancements au talon' et qu'il lui semble avoir 'comme un bracelet autour de la cheville'.

Ces sensations s'accompagnent de douleurs, en particulier lors de l'extension du pied, Mme [Y] s'étant plainte en février 2017 auprès du Dr [O], neurologue, de 'douleurs neuropathiques évaluées à 4 dans la journée et à 5 ou 6 la nuit avec surtout un retentissement sévère sur son sommeil qui est très perturbé par ces douleurs' (pièce 19).

En outre, il ne peut lui être reproché de refuser de prendre quotidiennement le traitement antalgique qui lui a été prescrit, ce moyen étant sans emport sur l'appréciation de la gravité du risque.

Il ressort de ces éléments que le Dr [B] n'était pas exempté d'informer sa patiente sur le risque d'une atteinte du nerf sural, même exceptionnel, ce qui n'a pas été fait en l'espèce.

Il s'ensuit que c'est à bon droit que le tribunal a retenu que le Dr [B] avait manqué à son devoir d'informer sa patiente des risques liés à l'opération de phlébectomie, la décision étant confirmée sur ce point.

- Sur la responsabilité pour faute dans les actes médicaux peropératoires

Mme [Y] conclut à la faute du praticien commise dans l'accomplissement de l'acte médical, le Dr [B] ayant sectionné le nerf sural gauche au cours de l'intervention de phlébectomie.

Le Dr [B] s'en défend, soutenant que la lésion du nerf sural gauche survenue au cours de l'intervention est un aléa thérapeutique, non maîtrisé par le praticien, l'expert n'ayant d'ailleurs retenu aucune faute à son égard.

L'article L. 1142-1 I du code de la santé publique énonce que les médecins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

Dès lors que ceux-ci sont tenus d'une obligation de moyens, la preuve d'une faute incombe, en principe, au patient demandeur. Cependant, l'atteinte portée par un chirurgien à un organe ou un tissu que son intervention n'impliquait pas, est fautive en l'absence de preuve par celui-ci, soit d'une anomalie rendant l'atteinte inévitable, soit de la survenance d'un risque inhérent à cette intervention qui, ne pouvant être maîtrisée, relève de l'aléa thérapeutique.

L'application de cette présomption de faute implique qu'il soit tenu pour certain que l'atteinte a été causée par le chirurgien lui-même en accomplissant son geste chirurgical.

L'expert a conclu, à la page 31 de son rapport, que la section du nerf sural gauche était directement imputable au geste du chirurgien accompli lors de la procédure de phlébectomie, de sorte que la faute de ce dernier est présumée.

Le chirurgien invoque l'existence d'un aléa thérapeutique et se fonde sur le rapport d'expertise pour soutenir qu'il lui était impossible de maîtriser son geste en raison de la technique de micro-incision utilisée, de manière aveugle, ainsi que de la proximité connue de la veine saphène et du nerf sural.

Il a été rappelé dans les développements précédents que l'atteinte du nerf sural lors d'une intervention de phlébectomie est une complication scientifiquement connue de sorte qu'il s'agit d'un risque inhérent à ce type de procédure chirurgicale.

L'expert souligne à la page 19 de son rapport, en des termes clairs et dénués d'ambiguïté, que : 'cette technique d'éveinage par phlébectomie au crochet est, pour être esthétiquement acceptable, semi-aveugle. En effet, seules des incisions de taille très limitée, de l'ordre d'un à deux millimètres, sont effectuées. Par ces incisions, un crochet est introduit pour explorer à l'aveugle le tissu sous-cutané et en déloger la veine dont il faut pratiquer l'exérèse. [...] Au cours de cette recherche de la veine au sein du tissu sous-cutané, le crochet peut créer une lésion de structures satellites de la veine et en particulier d'éléments nerveux tels le nerf sural qui en est très proche'.

Il ressort en outre des pages 30 et 31 du rapport qu'aucune imprudence, erreur ou négligence du chirurgien n'a été relevée, l'expert précisant au contraire que 'ce geste de phlébectomie au travers d'une micro-incision est un geste aveugle qui n'offre pas de possibilité de déterminer que le crochet puisse attraper le nerf sural. En conséquence, nous ne relevons ni imprudence, ni manque de précaution, ni négligence, ni défaillance lors de la procédure réalisée par le docteur [B]. La section du nerf sural par le crochet était imprévisible et elle est la conséquence de la proximité anatomique de la veine saphène et du nerf'.

Il résulte donc des constatations fondées sur le rapport d'expertise que la prise de précaution ne pouvait permettre d'écarter l'éventualité de la survenance d'une lésion inhérente à la procédure de phlébectomie utilisée par le Dr [B].

Le risque d'atteinte du nerf sural, non maîtrisable par le chirurgien, présente des conséquences anormales en raison de la très faible probabilité de voir ce risque se réaliser, étant rappelé que l'expert indique qu'il s'agit d'une fréquence inférieure à 1 %.

Par ailleurs, l'apparente décontraction du chirurgien au cours de l'opération de phlébectomie, invoquée par Mme [Y], ne peut suffire à démontrer une quelconque maladresse ou négligence du praticien, le geste chirurgical du Dr [B] étant exempt de critiques d'un point de vue médical.

Les séquelles n'apparaissent pas en rapport avec une faute peropératoire.

Sur la perte de chance

Il ressort de l'expertise que l'intérêt d'une phlébectomie sur des varices au pied est 'principalement d'ordre esthétique', même si certaines crampes étaient associées à l'état de Mme [Y]. Compte tenu de l'intérêt limité, pour une femme de 80 ans, d'une intervention essentiellement esthétique sur des varices d'un pied, il est probable que Mme [Y] aurait renoncé à se faire opérer si elle avait été avertie des graves risques associés. Cette perte de chance n'est pas contredite par le rapport, nonobstant l'interprétation faite initialement par l'expert d'une déclaration de Mme [Y].

La perte de chance d'éviter l'opération et, donc la réalisation de l'aléa thérapeutique, sera donc fixée à 80 %.

Sur les préjudices

Le tribunal n'a pas retenu de déficit fonctionnel temporaire total. Il a fixé le montant du déficit fonctionnel temporaire à 936,25 euros sur la base d'un forfait de 25 euros par jour, et d'un taux de 5 % sur 749 jours entre la date de l'opération et celle de la consolidation.

Le Dr [B] soutient qu'il n'y a pas lieu d'indemniser le déficit fonctionnel temporaire partiel, car Mme [Y] n'a souffert, postérieurement à l'opération, que de douleurs sans répercussions fonctionnelles, l'expert ayant du reste indiqué qu''aucune incapacité fonctionnelle partielle n'était à déplorer'.

Mme [Y] réplique que l'expert a lui-même isolé un déficit fonctionnel permanent de 5 %, si bien qu'a minima, le déficit fonctionnel temporaire partiel devrait être fixé sur cette même base.

Ce raisonnement ne peut toutefois être suivi, puisque le déficit fonctionnel permanent englobe notamment les souffrances endurées réduisant le potentiel physique de la patiente après consolidation.

Le déficit fonctionnel temporaire correspond à la gêne dans les activités de la vie courante. Il est distinct, quant à lui, de l'indemnisation de la douleur causée par les blessures. Il revient à Mme [Y] d'en établir l'existence. En l'espèce, l'expert n'a pas retenu de déficit fonctionnel temporaire. Si Mme [Y] subit d'évidence un déficit sensitif, elle n'explique pas en quoi il en découlerait une gêne particulière dans sa vie courante, n'allègue aucune gêne à la marche ou atteinte motrice.

Elle ne démontre donc pas souffrir d'un déficit fonctionnel temporaire.

En revanche, il n'est pas contesté que Mme [Y] a été totalement immobilisée le jour de l'opération. Ce préjudice, constitutif d'un déficit fonctionnel temporaire total, sera fixé à 23 euros compte tenu de l'accord des parties.

Il en résulte une indemnité de 18,40 euros.

S'agissant des souffrances endurées, évaluées par l'expert à 3/7 au titre des douleurs neuropathiques, le montant fixé par le tribunal, soit 5 000 euros, n'appelle pas de critique. Mme [Y] ne démontre pas la sous-évaluation qu'elle allègue, mais critique le rapport d'expertise sans verser de pièces pertinentes. L'indemnisation sera donc fixée à 4 000 euros.

S'agissant du déficit fonctionnel permanent, l'expert a retenu un taux de 5 %. Compte tenu de l'âge au jour de la consolidation, soit 82 ans, le tribunal a fixé une somme de 4 785 euros.

Mme [Y] soutient que ce préjudice est sous-évalué. Elle explique subir des douleurs nocturnes, et reproche à l'expert ne pas avoir avalisé cette allégation, mais sur ce point également, ne verse aucune pièce pertinente afin de démontrer la réalité, la fréquence ou l'intensité de ces douleurs.

Le montant fixé par le tribunal n'est donc pas utilement critiqué et il sera alloué, au titre de la perte de chance, une somme de 3 828 euros.

Le préjudice d'impréparation, lié à la souffrance morale d'avoir à subir des conséquences inattendues d'une opération perçue comme bénigne, présente un lien de causalité avec la faute, étant précisé que les éléments invoqués par Mme [Y] sur le comportement du Dr [B] après l'opération n'ont pas d'incidence sur l'évaluation de ce poste de préjudice.

Le préjudice a été évalué par le premier juge à la somme de 2 000 euros. Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point, ce montant apparaît sous-évalué compte tenu de l'état séquellaire que Mme [Y] n'a pas pu anticiper, a fortiori au regard de son âge.

Le préjudice sera évalué à 4 000 euros, soit une indemnité de 3 200 euros.

C'est par des motifs propres que le tribunal a rejeté la demande indemnitaire tirée de l'impossibilité de venir en aide à son mari souffrant. Cette impossibilité n'est pas démontrée sur pièces, ni le lien avec les atteintes séquellaires dont souffre Mme [Y].

Le Dr [B] sera débouté de sa demande de remboursement des sommes versées à Mme [Y], le dispositif du présent arrêt constituant en lui-même un titre susceptible d'exécution forcée.

Les intérêts légaux courront à compter de la décision de la cour, conformément à la demande de Mme [Y].

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions de première instance relatives aux dépens et aux frais irrépétibles seront confirmées.

Le Dr [B] succombe et sera condamné aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Alexandre, en application de l'article 699 du code de procédure civile, outre une somme pour frais irrépétibles qu'il convient de fixer à 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire, mis à disposition au greffe et en dernier ressort :

Déclare irrecevable la demande de Mme [D] [Y] tendant à voir ordonner une nouvelle expertise médicale ;

Infirme le jugement en ce que le tribunal a :

- déclaré le Dr [L] [B] responsable des conséquences dommageables de la section du nerf sural gauche subie par Mme [Y] au cours de l'opération chirurgicale de phlébectomie lui ayant été dispensée le 17 février 2015,

- condamné le Dr [L] [B] à régler à Mme [D] [Y] les indemnités suivantes :

* 936,25 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

* 5 000 euros au titre des souffrances endurées,

* 4 785 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,

* 2 000 euros au titre du préjudice d'impréparation ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Condamne M. [L] [B] à régler à Mme [D] [Y] les indemnités suivantes :

* 18,40 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

* 4 000 euros au titre des souffrances endurées,

* 3 828 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,

* 3 200 euros au titre du préjudice d'impréparation,

avec les intérêts légaux à compter de ce jour ;

Y ajoutant,

Déboute M. [L] [B] de sa demande tendant à voir Mme [D] [Y] condamnée à lui rembourser la somme de 14 721,25 euros, correspondant aux condamnations assorties de l'exécution provisoire qu'il lui a versées à la suite du jugement attaqué ;

Condamne M. [L] [B] à payer à Mme [D] [Y] une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Condamne M. [L] [B] aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Alexandre, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Le greffier,La présidente de chambre,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : 1ère ch. civile
Numéro d'arrêt : 20/04001
Date de la décision : 12/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-12;20.04001 ?
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