N° RG 20/03820 - N° Portalis DBV2-V-B7E-ITQJ
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 12 OCTOBRE 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
19/00636
Tribunal judiciaire de Rouen du 24 septembre 2020
APPELANT :
Monsieur [H] [Z]
né le 13 juin 1954 à [Localité 6]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté et assisté par Me Jean-Sébastien VAYSSE, avocat au barreau de Rouen
INTIMEES :
Madame [V] [Z] épouse [N]
née le 03 janvier 1952 à [Localité 6]
[Adresse 1]
[Localité 7]
représentée et assistée par Me Thomas DUGARD de la Selarl VD & ASSOCIES, avocat au barreau de Rouen
Madame [O] [Z]
née le 27 décembre 1958 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 7]
représentée et assistée par Me Thomas DUGARD de la Selarl VD & ASSOCIES, avocat au barreau de Rouen
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 22 juin 2022 sans opposition des avocats devant Mme Magali DEGUETTE, conseiller, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre,
M. Jean-François MELLET, conseiller,
Mme Magali DEGUETTE, conseillère,
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Catherine CHEVALIER,
DEBATS :
A l'audience publique du 22 juin 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 12 octobre 2022.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Rendu publiquement le 12 octobre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Mme [T] [W] veuve [Z] est décédée le 5 février 2014 à [Localité 7] (27). Elle a laissé pour lui succéder ses trois enfants [V], [H], et [O] [Z], nés de son mariage avec M. [R] [Z], décédé le 3 avril 2006.
L'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de cette succession a été ordonnée par jugement du 9 août 2018 du tribunal de grande instance de Rouen qui avait été saisi par M. [H] [Z] les 20 juin et 4 juillet 2016. Ont été désignés Me [U] [E], notaire à [Localité 5], pour y procéder et un juge commis.
Par acte d'huissier de justice du 24 janvier 2019, Mmes [V] [Z] épouse [N] et [O] [Z] ont fait assigner leur frère devant le tribunal de grande instance de Rouen aux fins d'homologation du projet d'état liquidatif de Me [U] [E] du 4 janvier 2019 et de paiement de diverses sommes.
Suivant jugement du 24 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Rouen a :
- homologué le projet d'état liquidatif établi par Me [E] en date du 4 janvier 2019,
- condamné [H] [Z] à payer à [V] et [O] [Z] la somme de
1 000 euros à chacune à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée,
- rejeté la demande formée au titre des intérêts,
- dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'amende civile,
- condamné [H] [Z] à payer à [V] et [O] [Z] la somme de
1 000 euros à chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que les dépens de l'instance seront compris dans les frais du partage et supportés à due proportion entre les parties, à l'exception des frais tendant à l'obtention de la copie des chèques, des frais relatifs au procès-verbal de continuation du 15 novembre 2018 et des frais de signification du projet d'acte qui resteront à la charge exclusive de [H] [Z] pour un total de 1 556,48 euros.
Par déclaration du 24 novembre 2020, M. [H] [Z] a formé un appel contre ce jugement.
EXPOSE DES PRETENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 22 février 2021, M. [H] [Z] sollicite de voir en vertu de l'article 843 du code civil :
- débouter les intimées de l'intégralité de leurs demandes,
- réformer le jugement du 24 septembre 2020 en ce qu'il a :
. homologué le projet d'état liquidatif établi par Me [E] en date du 4 janvier 2019,
. condamné [H] [Z] à payer à [V] et [O] [Z] la somme de
1 000 euros à chacune à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée,
. condamné [H] [Z] à payer à [V] et [O] [Z] la somme de
1 000 euros à chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
. dit que les dépens de l'instance seront compris dans les frais du partage et supportés à due proportion entre les parties, à l'exception des frais tendant à l'obtention de la copie des chèques, des frais relatifs au procès-verbal de continuation du 15 novembre 2018 et des frais de signification du projet d'acte qui resteront à la charge exclusive de [H] [Z] pour un total de 1 556,48 euros,
- confirmer ce jugement pour le surplus,
- désigner tel notaire qu'il plaira, autre que Me [U] [E], aux fins de poursuivre les opérations de compte, liquidation et partage,
- condamner les intimées à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, en plus des entiers dépens qui seront employés en frais privilégiés de partage.
Par dernières conclusions notifiées le 9 avril 2021, Mmes [V] [Z] épouse [N] et [O] [Z] demandent de voir en application des articles 1374 et suivants du code civil et 559 du code de procédure civile :
- débouter totalement M. [H] [Z] de son appel,
- dire et juger que sa demande présentée devant la cour d'appel est irrecevable et infondée faute d'avoir soumis ses contestations précises devant le notaire dans le cadre des opérations de partage,
- débouter M. [H] [Z] de toutes ses demandes,
- confirmer les dispositions du jugement entrepris à l'exception de la disposition ayant rejeté leurs demandes quant aux intérêts qu'elles sollicitaient,
Y ajoutant, statuant sur leur appel incident :
- condamner M. [H] [Z] à payer à chacune une somme correspondant aux intérêts qu'aurait pu leur rapporter un placement de type assurance-vie d'un minimum de 2 % par an, soit 2 574,30 euros sauf à parfaire pour Mme [V] [Z] épouse [N] et 3 883 euros sauf à parfaire pour Mme [O] [Z], jusqu'à complet règlement de la succession,
- condamner M. [H] [Z] à payer à chacune la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires devant la cour d'appel pour procédure abusive et injustifiée, celle de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour frais irrépétibles exposés devant la cour d'appel,
- condamner encore M. [H] [Z] à une amende civile de 3 000 euros eu égard à son appel abusif,
- condamner celui-ci en tous les dépens.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 1er juin 2022.
MOTIFS
Sur l'homologation du projet d'état liquidatif du 4 janvier 2019
- Sur la recevabilité de la demande de M. [Z]
Les intimées avancent qu'à défaut de précisions suffisantes, les contestations qui ne sont pas intégrées dans le procès-verbal de difficultés ou soulevées par le juge commis avant qu'il n'établisse son rapport sont irrecevables sauf nouvelles circonstances, que toute demande de désignation d'un autre notaire est irrecevable car il faut d'abord que le tribunal statue sur les points de désaccord en application des articles 1374 et 1375 du code de procédure civile.
L'appelant ne formule aucun moyen contre cette fin de non-recevoir.
L'article 1373 du code de procédure civile prévoit qu'en cas de désaccord des copartageants sur le projet d'état liquidatif dressé par le notaire, ce dernier transmet au juge commis un procès-verbal reprenant les dires respectifs des parties ainsi que le projet d'état liquidatif. Le greffe invite les parties non représentées à constituer avocat. Le juge commis peut entendre les parties ou leurs représentants et le notaire et tenter une conciliation. Il fait rapport au tribunal des points de désaccord subsistants.
Selon l'article 1374 du même code, toutes les demandes faites en application de l'article 1373 entre les mêmes parties, qu'elles émanent du demandeur ou du défendeur, ne constituent qu'une seule instance. Toute demande distincte est irrecevable à moins que le fondement des prétentions ne soit né ou ne soit révélé que postérieurement à l'établissement du rapport par le juge commis.
Il se déduit de ces textes que l'irrecevabilité ne peut être prononcée que si le notaire a établi un procès-verbal de dires et de difficultés et que le désaccord fondant la demande est mentionné dans le rapport du juge commis.
Or, en l'espèce, le juge commis n'a effectué aucun rapport.
Dès lors, la demande de M. [Z] tendant à l'infirmation du jugement qui a homologué le projet d'état liquidatif du 4 janvier 2019 et au remplacement de Me [E] pour poursuivre les opérations de compte, liquidation et partage, est recevable.
- Sur le bien-fondé de la demande de M. [Z]
M. [Z] verse aux débats un décompte établi par ses soins des débits effectués sur les comptes de sa mère à la Banque Postale du 28 avril 2006 au 18 décembre 2008, à la banque Hsbc/Ccf du 10 février 2006 au 15 février 2008 et à la banque Barclays du 29 juillet 2008 au 31 décembre 2013. Il produit également les relevés du compte à la banque Barclays.
Il précise que, pour l'année 2013, des retraits d'un montant total de 11 135,91 euros et d'un montant total de 10 446 euros pour les dépenses alimentaires ont été réalisés sur ledit compte par carte bancaire qui n'ont pas concerné exclusivement sa mère qui vivait au domicile de Mme [Z] épouse [N].
Il souligne aussi que des achats de billets d'avion ont été effectués en 2009 et 2010 pour Mme [Z] épouse [N], son époux et leur fille, ainsi que des dépenses de terrassement, de décoration, de jardineries, de frais d'autoroute, de carburant, de parking et de bricolage en 2012.
Il expose que les procurations dont bénéficiaient ses soeurs sur le compte de leur mère ne les autorisaient pas à en faire un usage personnel répété sur plusieurs années et pour des montants très importants qui ont dépassé les simples cadeaux d'anniversaire ou de Noël, que le contexte familial décrit par ces dernières est caricatural et contraire à la réalité.
Les intimées répondent que M. [Z] ne conteste pas en cause d'appel les dispositions précises du projet d'état liquidatif, contrairement à ce que le tribunal lui a rappelé dans sa motivation aux termes de son jugement du 24 septembre 2020, et ne demande pas précisément ce qui devrait être rapporté à la succession, se contentant de demander la désignation d'un autre notaire.
Elles ajoutent qu'en application du jugement du 9 août 2018, il appartient à
M. [Z] d'apporter les éléments de preuve objectifs à ses allégations de retraits bancaires abusifs de leur part, ce que n'est pas le décompte récapitulatif constituant sa pièce 72 dans lequel il ne fait que lister les opérations qu'il considère comme suspectes sans prouver que chacune ne correspond pas à une dépense justifiée ou à l'intention libérale de leur mère.
M. [Z] fonde ses demandes sur l'article 843 du code civil régissant le rapport des libéralités.
Mais, aux termes du dispositif de ses conclusions, il ne formule aucune prétention tendant à ce que les intimées ou l'une d'elles rapportent à la succession de leur mère les sommes d'argent, objet des libéralités dénoncées, dont il ne chiffre pas précisément le montant dans les motifs de ses écritures. En outre, il ne critique aucune disposition du projet d'état liquidatif et limite sa demande uniquement au remplacement du notaire liquidateur.
En application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour d'appel n'est donc pas saisie d'une demande utile de nature à modifier le projet d'état liquidatif du 4 janvier 2019. Elle ne peut que confirmer le jugement en sa disposition sur l'homologation de celui-ci et rejeter la demande de désignation d'un nouveau notaire.
Sur les demandes indemnitaires
- Sur les demandes d'intérêts
Les intimées font valoir que, compte tenu des revendications incessantes de
M. [Z], elles ont été privées de la remise de leurs fonds dans la succession de leur mère depuis cinq ans et par conséquent des intérêts qu'aurait pu leur apporter un placement de type assurance-vie sur la base de 2 % par an.
M. [H] [Z] conclut au rejet de cette demande sans développer de moyen opposant.
Dans le cas présent, la perte de chance alléguée n'est pas justifiée. Les intimées ne prouvent pas qu'elles auraient effectivement placé le capital correspondant à leur quote-part dans la succession de leur mère sur tel ou tel type de placement. Aucun document sur un tel choix, comme la consultation d'un conseiller financier d'une banque, n'est versé aux débats.
De plus, comme l'a exactement souligné le premier juge, la faculté légale de solliciter une provision dans l'attente du partage était ouverte aux intimées qu'elles n'ont pas décidé d'exercer.
En conséquence, leurs réclamations seront rejetées. La décision du tribunal ayant statué en ce sens sera confirmée.
- Sur les demandes pour procédure abusive et injustifiée
Les intimées sollicitent la confirmation de la condamnation de M. [Z] à leur verser à chacune la somme de 1 000 euros en réparation de leur préjudice né de l'attitude d'obstruction systématique caractérisant l'abus de droit et la résistance abusive de ce dernier. Elles demandent également pour les mêmes motifs la condamnation de celui-ci en appel à les indemniser chacune à hauteur de 3 000 euros.
M. [Z] répond que ce reproche est infondé, qu'il demande simplement que soient produits les justificatifs attestant que les dépenses apparaissant sur le compte de sa mère ont bien profité à celle-ci et n'ont pas assuré le train de vie de ses soeurs.
En application de l'article 1240 du code civil, toute faute dans l'exercice des voies de droit, même dépourvue d'intention de nuire, est de nature à engager la responsabilité de son auteur. Il incombe au demandeur d'en apporter la preuve.
En l'espèce, dans son jugement du 9 août 2018, le tribunal n'avait pas en l'état condamné M. [Z] dont l'abus de droit n'était pas caractérisé dès lors qu'il n'avait fait qu'user de son droit à contester. En revanche, il l'avait averti que le fait d''adopter une attitude d'obstruction systématique aux opérations de liquidation partage judiciaire ouvertes en niant des évidences ou en formulant des contestations sans preuve caractérisera un abus de droit et une résistance abusive ouvrant droit à indemnisation.'.
Les dénégations de M. [Z] ne remettent pas en question le fait qu'en connaissance de cause il n'a formulé aucun moyen utile devant le notaire liquidateur lors de la lecture du procès-verbal de continuation et du projet d'état liquidatif respectivement les 15 novembre 2018 et 4 janvier 2019, rendez-vous auxquels il n'a pas assisté et pour lesquels il n'a transmis aucun argumentaire étayé pour s'y opposer.
Devant le tribunal et en cause d'appel, M. [Z], alors qu'il était à l'initiative de l'ouverture des opérations judiciaires de liquidation-partage de la succession de sa mère et disposait des relevés d'un des comptes bancaires de celle-ci dont la transmission par la Banque Barclays avait été acceptée par ses soeurs, n'a critiqué aucune disposition du projet d'état liquidatif et n'a pas mis à même le juge de trancher une contestation présentée en bonne et dûe forme. Sa seule prétention tendant à remplacer Me [E] n'a pas vocation à pallier cette carence.
Cette attitude fautive délibérée de M. [Z] a pour effet de retarder de manière injustifiée le partage judiciaire de la succession de leur mère et de créer un dommage à ses soeurs qui sont contraintes de supporter ses atermoiements depuis plusieurs années. La décision du premier juge ayant accordé à chacune une indemnité de
1 000 euros sera confirmée. M. [Z], qui a renouvelé cette résistance abusive en appel et a de nouveau engagé sa responsabilité extra-contractuelle, sera condamné à payer à chacune d'elle la somme de 1 500 euros.
Sur le prononcé d'une amende civile
L'article 559 du code de procédure civile prévoit qu'en cas d'appel principal dilatoire ou abusif, l'appelant peut être condamné à une amende civile d'un maximum de
10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui lui seraient réclamés.
Il ne sera pas fait usage de cette faculté. Cette réclamation sera donc rejetée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dispositions de première instance sur les dépens et les frais irrépétibles seront confirmées.
Partie perdante, M. [Z] sera condamné aux dépens d'appel.
Il n'est pas inéquitable de le condamner également à payer à chacune des intimées la somme de 2 000 euros au titre de leurs frais non compris dans les dépens qu'elles ont engagés pour cette procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu publiquement par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort :
Déclare recevable la demande de M. [H] [Z] tendant à l'infirmation du jugement qui a homologué le projet d'état liquidatif du 4 janvier 2019 et au remplacement de Me [U] [E] pour poursuivre les opérations de compte, liquidation et partage,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute M. [H] [Z] de sa demande de désignation d'un nouveau notaire,
Condamne M. [H] [Z] à payer à Mme [V] [Z] épouse [N] et à Mme [O] [Z] chacune la somme de 1 500 euros pour procédure abusive et injustifiée,
Condamne M. [H] [Z] à payer à Mme [V] [Z] épouse [N] et à Mme [O] [Z] chacune la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne M. [H] [Z] aux dépens d'appel.
Le greffier,La présidente de chambre,