N° RG 21/00582 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IVXU
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 05 OCTOBRE 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
18/4368
Tribunal judiciaire d'Evreux du 12 janvier 2021
APPELANTS :
Monsieur [J] [O]
né le 04 février 1968 à [Localité 10]
[Adresse 1]
[Adresse 7]
[Localité 2]
représenté par Me Richard DUVAL de la Scp RSD AVOCATS, avocat au barreau de l'Eure
Madame [A] [U] épouse [O]
née le 28 mars 1964 à [Localité 9]
[Adresse 1]
[Adresse 7]
[Localité 2]
représentée par Me Richard DUVAL de la Scp RSD AVOCATS, avocat au barreau de l'Eure
INTIMES :
Monsieur [P] [L]
né le 01 août 1958 à [Localité 8]
[Adresse 5]
[Localité 4]
représenté par Me Jean-Jérôme TOUZE de la Selarl AVOCATS NORMANDS, avocat au barreau de l'Eure
Madame [D] [M] épouse [L]
née le 08 octobre 1959 à [Localité 11]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Jean-Jérôme TOUZE de la Selarl AVOCATS NORMANDS, avocat au barreau de l'Eure
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 15 juin 2022 sans opposition des avocats devant Mme Magali DEGUETTE, conseillère, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre,
M. Jean-François MELLET, conseiller,
Mme Magali DEGUETTE, conseillère,
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme [O] [G],
DEBATS :
A l'audience publique du 15 juin 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 5 octobre 2022.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Rendu publiquement le 5 octobre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier.
*
* *
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par acte authentique du 12 novembre 2015, M. [P] [L] et Mme [D] [M], son épouse, ont vendu à M. [J] [O] et à Mme [A] [U], son épouse leur immeuble d'habitation situé [Adresse 1], (27) [Localité 6], pour le prix de 241 000 euros.
Suivant acte d'huissier de justice du 21 novembre 2018, M. [J] [O] et Mme [A] [U], son épouse, alléguant la découverte de champignons lignivores et de vrillettes à l'occasion de travaux d'aménagement de leur cuisine, ont fait assigner leurs vendeurs devant le tribunal de grande instance d'Evreux sur le fondement de la garantie des vices cachés.
Par jugement du 12 janvier 2021, le tribunal judiciaire d'Evreux a :
- déclaré recevable l'action de M. [J] [O] et Mme [A] [U] épouse [O],
- débouté M. [J] [O] et Mme [A] [U] épouse [O] de leurs demandes,
- condamné M. [J] [O] et Mme [A] [U] épouse [O] à payer à M. [P] [L] et Mme [D] [M] épouse [L] la somme de
1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [J] [O] et Mme [A] [U] épouse [O] aux dépens,
- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire.
Par déclaration du 10 février 2021, M. [J] [O] et Mme [A] [U], son épouse ont formé un appel contre ce jugement.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 20 avril 2022, M. [J] [O] et Mme [A] [U], son épouse demandent de voir :
- réformer la décision dont appel,
- condamner solidairement M. [P] [L] et Mme [D] [M], son épouse
au paiement des sommes suivantes :
. 23 627 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 15 juin 2018 avec capitalisation des intérêts, au besoin à titre de dommages et intérêts complémentaires,
. 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du même code.
Ils font valoir que leur immeuble est affecté d'un vice caché constitué par des infestations de champignons et d'insectes xylophages ; que celles-ci existaient lors des travaux réalisés par le vendeur qui prenait le soin de porter une mention manuscrite dans chaque pièce où il intervenait ; que ce dernier les a dissimulées derrière les panneaux qu'il a installés ; que les travaux de création de la porte de la cuisine sont postérieurs aux altérations biologiques relevées que le vendeur ne pouvait pas ignorer et les a rebouchées avec un mortier de collage (map) ; qu'étant de mauvaise foi, il ne peut pas s'exonérer de sa garantie.
Par dernières conclusions notifiées le 21 avril 2022, M. [P] [L] et Mme [D] [M], son épouse sollicitent de voir sur la base des articles 1641 et 1134 (ancien) du code civil :
- confirmer le jugement du 12 janvier 2021,
- débouter M. [J] [O] et Mme [A] [U], son épouse de toutes leurs demandes,
- subsidiairement, modifier le jugement et désigner tel expert qu'il plaira à la cour de nommer avec pour mission de vérifier l'existence ou non d'un vice antérieur à la vente constitué par la présence de champignons lignivores de type mérule et d'insectes xylophages ayant entraîné des désordres dans la construction, de donner tous éléments pour permettre de déterminer si les vendeurs en avaient connaissance et s'ils l'ont ou non caché aux acheteurs et de déterminer le coût des réparations spécifiques à ces désordres,
- très subsidiairement, réduire les condamnations aux seules réparations du préjudice, un montant de réparations d'au moins 18 632,57 euros n'étant pas relatif à ces réparations,
- en tout état de cause, condamner M. [J] [O] et Mme [A] [U], son épouse au paiement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d'appel.
Ils exposent que les appelants ne justifient pas que le vice caché qu'ils invoquent constitué par la présence de mérule dans les cloisons d'une pièce de la maison est antérieur à la vente, ni qu'il rendrait la maison impropre à l'usage auquel on la destine ou en diminuerait l'usage, ni encore que M. [L], non professionnel de la construction, en avait connaissance lors de la pose du map en juillet 2007 qui n'avait pas pour objet de reprendre des désordres occasionnés par des insectes ou des champignons, que le fait de signer et de dater les travaux est incompatible avec la dissimulation alléguée.
Ils ajoutent que le seul rapport d'expertise privée et non contradictoire de M. [W] est insuffisant à en apporter la preuve dès lors qu'il n'est pas corroboré par les attestations produites par les appelants, que c'est de façon délibérée et non pas pour des raisons financières ou de temps que les époux [O] ont décidé de ne pas mettre en oeuvre une expertise judiciaire contradictoire.
Ils indiquent, à titre subsidiaire, que si l'existence d'un vice caché antérieur à la vente est reconnue par la cour d'appel, ils ne peuvent pas le garantir en application de la clause d'exclusion de garantie figurant dans l'acte de vente et en raison de leur bonne foi car ils n'avaient pas connaissance de l'infestation par la mérule. A titre très subsidiaire, ils soulignent que les demandes de réparations des appelants sont sans rapport avec la présence de mérule.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 25 mai 2022.
MOTIFS
Sur la garantie des vices cachés
L'article 1641 du code civil prévoit que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
Cependant, selon l'article 1643 du même code, le vendeur est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie.
Il incombe à l'acheteur de rapporter la preuve du vice caché et de ses différents caractères.
Le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise privée réalisée non contradictoirement à la demande de l'une des parties. En revanche, il ne peut pas refuser de l'examiner et peut s'appuyer sur celle-ci dès lors qu'elle est corroborée par d'autres éléments de preuve.
En l'espèce, M. et Mme [O] produisent un rapport d'expertise privée et non contradictoire établi le 11 avril 2018 par M. [W] du Groupe L3A, expert en pathologies du bois dans la construction, qu'ils ont mandaté. Celui-ci a visité l'immeuble le 5 avril 2018 et a constaté aux endroits où les habillages des murs avaient été déposés par la Sarl Ets [C] et Fils à qui les époux [O] avaient confié la réalisation de travaux d'aménagement de la cuisine :
- dans les sanitaires au rez-de-chaussée, l'existence d'indices d'infestations de mérule des maisons et de coniophore des caves sur le mur, les pans de bois et le bâti de la porte, résultant d'une pénétration d'eau liquide dans l'ouvrage. Il a ajouté que l'examen des raidisseurs permettait de constater que l'ouverture sur la cuisine n'était pas d'origine, que la traverse en chêne avait été sciée pour créer cette ouverture, que les vides entre le bâti de porte et les pans de bois avaient été comblés avec du map qui recouvrait les galeries d'insectes et les dégradations fongiques, indiquant que les travaux de création de la porte étaient postérieurs aux altérations biologiques. Il a également relevé des cotations tracées sur le mur,
- dans la cuisine, l'existence d'indices d'infestations de polypore des caves, de grosse et de petite vrillettes, sur les pans de bois dans le mur, et l'existence d'une inscription sur l'enduit ciment du mur dans les termes suivants 'TRAVAUX Fait PaR [L] Le 18 Juillet 2007'. L'expert a relevé que cet enduit recouvrait les anciennes galeries et altérations fongiques et en a déduit que les travaux étaient postérieurs aux altérations fongiques,
- dans la cuisine, l'existence d'attaques de pourritures cubiques sur le linteau qui n'ont pas pu être révélées dès lors que les anciens bâtis de porte-fenêtre ont été déposés,
- dans le reste de l'immeuble, l'existence d'autres altérations qui étaient visibles le jour de la vente contrairement aux pathologies décrites ci-dessus.
M. [W] a préconisé la réalisation d'une expertise amiable et/ou judiciaire qui permettrait de confirmer la date des travaux et de déterminer les responsabilités liées aux désordres énoncés. Il a ensuite consacré ses développements à la présentation théorique des insectes à larves xylophages et des champignons lignivores (description, causes et conditions de leur apparition) et à leurs traitements.
Les appelants produisent également le procès-verbal du constat effectué au rez-de-chaussée de l'immeuble le 26 mars 2018, soit quelques jours avant la visite de
M. [W], par Me [V], huissier de justice. Celle-ci a relevé l'existence d'un champignon fibreux entre les tasseaux de bois dans la lingerie et la dégradation du bois au pied de la porte séparant la lingerie du hall d'entrée. Elle a aussi noté, sur le mur du fond dans la cave enterrée, à l'arrière de l'immeuble, la présence d'un champignon accroché dans la brique.
La présence de champignons a également été confirmée par les ouvriers de la Sarl Ets [C] et Fils qui l'ont découverte à l'occasion des travaux d'aménagement de la cuisine débutés en mars 2018, comme l'atteste M. [C].
Si la localisation du champignon mérule n'est pas exacte, Me [V] ayant constaté sa présence dans la lingerie/buanderie et dans son entrée, et M. [W] l'ayant relevée dans les sanitaires et la cuisine, il ressort du plan du rez-de-chaussée, figurant à la page 8/11 du diagnostic électricité annexé au contrat de vente, que ces pièces sont adjacentes. Sur son plan joint à sa facture du 18 mai 2018, la Sarl Sept, spécialiste dans le traitement des bois de charpente, a localisé l'infestation dans deux murs des wc, pièce voisine de la cuisine et dont le mur contigu a été traité. La preuve est ainsi apportée de la présence de champignons dans ces pièces du rez-de-chaussée de l'immeuble des appelants.
Dans leur courrier daté du 5 juillet 2018 adressé à l'avocat de M. [O] et de son épouse en réponse à sa mise en demeure du 15 juin 2018, M. et Mme [L] ont indiqué que les travaux effectués en 2007 et faisant l'objet des mentions manuscrites relevées par M. [W] l'avaient été par M. [L] qui voulait en laisser une trace parce qu'il était fier de son travail. Ils ont ajouté qu'à l'époque de ces travaux n'existait aucune trace de champignons.
Aux termes de son rapport d'expertise privée non contradictoire du 7 mars 2019,
M. [R] de la Sarl Prunay Protection Juridique, expert intervenu à la demande de l'assureur des intimés et ayant effectué une expertise sur pièces au domicile de ces derniers le 25 février 2019, a listé les travaux effectués par M. [L] dans l'immeuble vendu, notamment de faïence, de carrelage de la salle de bains et des wc au rez-de-chaussée, de plâtrerie BA13, d'isolation laine de verre sur l'ensemble des murs périphériques, et de réaménagement de la cuisine. Il a précisé que M.[L] avait réalisé le passage de l'entrée dans la cuisine en abattant la cloison de carreaux de plâtre et en réalisant un cadre en bois, mais sans scier des pans de bois, que le bois utilisé était un bois ancien qui avait été attaqué par des insectes xylophages disparus depuis bien longtemps et que, lors de l'application de l'enduit map, M. [L] avait inévitablement comblé cette déformation en creux du bois.
Ces éléments produits par les intimés corroborent le fait que des indices d'infestations par des insectes xylophages au niveau de l'encadrement en bois de la porte de la cuisine existaient antérieurement à la vente et qu'ils étaient connus de
M. [L].
Mais, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, il n'est pas démontré qu'en 2007, ces infestations étaient actives et inhérentes à l'immeuble. Il n'est pas davantage établi qu'elles étaient actives au jour de la vente et postérieurement en 2018 et rendaient l'immeuble impropre à son usage. M. [W] n'a effectué aucune analyse du bois en cause, n'a pas évoqué de zones humides l'affectant et n'a pas localisé la ou les cause(s) génératrice(s) de ces infestations d'insectes xylophages. Son affirmation selon laquelle la larve de grosse vrillette, avec un cycle de 1 à 10 ans, ne peut se développer qu'à la seule condition que le bois sur lequel la femelle vient pondre ses oeufs soit dégradé par un champignon lignivore, n'est corroboré par aucun autre élément.
Les pièces des appelants ne permettent pas davantage de déterminer la date et les causes de l'apparition des champignons lignivores observés, contrairement à ce qu'a jugé le premier juge. Les conclusions unilatérales de M. [W], notamment sur leur antériorité à la vente, ne sont confirmées par aucun autre élément. Les clichés photographiques produits ne sont pas datés et les attestations, autres que celle précitée de M. [C], ont trait à des vices non cachés (absence d'évacuation du lave-vaisselle, absence de siphon de l'évacuation du lave-linge, mauvaise installation électrique) ou à l'inexistence de travaux, notamment dans la cuisine, avant mars 2018.
Dès lors, la preuve de l'existence d'un vice caché affectant l'immeuble lors de sa vente n'est pas apportée dans toutes ses composantes. Le jugement du tribunal ayant en définitive rejeté les demandes de M. et Mme [O] sera confirmé.
Sur les demandes accessoires
Les dispositions de première instance sur les dépens et les frais irrépétibles seront confirmées.
Partie perdante, les appelants seront condamnés aux dépens d'appel, avec bénéfice de distraction au profit de l'avocat qui en a fait la demande en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Il n'est pas inéquitable de les condamner également à payer aux intimés la somme de 2 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens que ces derniers ont exposés pour cette procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu publiquement par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,
Dans les limites de l'appel formé,
Confirme le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Condamne M. [J] [O] et Mme [A] [U] épouse [O] à payer à M. [P] [L] et à Mme [D] [M] épouse [L] pris ensemble la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [J] [O] et Mme [A] [U] épouse [O] aux dépens d'appel avec bénéfice de distraction au profit de Me Richard Duval de la Scp Rsd Avocats, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier, La présidente de chambre,