N° RG 20/03082 - N° Portalis DBV2-V-B7E-ISBB
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 05 OCTOBRE 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
19/00874
Tribunal judiciaire d'Evreux du 18 août 2020
APPELANTS :
Monsieur [T] [D]
né le 24 juin 1970 à [Localité 6]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Akli AIT-TALEB, avocat au barreau de Rouen
Madame [L] [S] épouse [D]
née le 10 avril 1975 à [Localité 5] (Algérie)
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Akli AIT-TALEB, avocat au barreau de Rouen
INTIMES :
Madame [M] [P]
née le 24 juillet 1985 à [Localité 8]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée et assistée par Me Marie TESSIER de la Scp BOBEE TESSIER, avocat au barreau de Rouen
Monsieur [C] [O]
né le 31 mars 1984 à [Localité 7]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté et assisté par Me Marie TESSIER de la Scp BOBEE TESSIER, avocat au barreau de Rouen
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 20 juin 2022 sans opposition des avocats devant M. Jean-François MELLET, conseiller, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre,
M. Jean-François MELLET, conseiller,
Mme Magali DEGUETTE, conseillère,
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Catherine CHEVALIER,
DEBATS :
A l'audience publique du 20 juin 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 5 octobre 2022.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Rendu publiquement le 5 octobre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par acte authentique du 23 mars 2016, M. [T] [D] et Mme [L] [S], son épouse, se sont engagés à vendre à M. [C] [O] et Mme [M] [P] une maison d'habitation située [Adresse 2] au prix de 240 000 euros. Les promettants se sont engagés dans l'acte à exécuter certains travaux préalablement à la vente.
Le 25 mai 2016, Mme [P] et M. [O] sont entrés dans les lieux, sans que l'ensemble des travaux n'aient été réalisés.
Par acte authentique du 6 septembre 2016, la vente a finalement été régularisée sans que les travaux convenus ne soient achevés et une somme de 23 000 euros a été séquestrée.
Par acte d'huissier du 18 février 2019, Mme [P] et M. [O] ont assigné leurs vendeurs afin d'être indemnisés du coût du reliquat de travaux.
Par jugement réputé contradictoire en date du 18 août 2020, le tribunal judiciaire d'Evreux a :
- condamné solidairement M. et Mme [D] à verser à M. [C] [O] et Mme [M] [P] les sommes suivantes :
.10 437,28 euros au titre des travaux réalisés ou à réaliser,
. 3 000 euros au titre du préjudice de jouissance,
. 2 000 euros au titre du préjudice moral,
- condamné M. et Mme [D] à verser à M. [C] [O] et Mme [M] [P] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné au séquestre de verser la somme de 23 000 euros constituée dans l'acte de vente du 6 septembre 2016 et de verser le reliquat à M. et Mme [D]
(5 562,72 euros) ;
- condamné M. et Mme [D] aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 29 septembre 2020, M. et Mme [D] ont interjeté appel de la décision.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 28 décembre 2020, M. [T] [D] et Mme [L] [S], son épouse demandent à la cour, au visa des articles 1231 et suivants du code civil et 700 et suivants du code de procédure civile d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement et de :
- débouter Mme [M] [P] et M. [C] [O] de toutes leurs demandes,
- dire que la somme de 23 000 euros aujourd'hui séquestrée devra être versée dans les mains des appelants sur simple présentation de l'arrêt à intervenir,
- condamner Mme [M] [P] et M. [C] [O] au paiement d'une indemnité de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens.
Ils soutiennent en substance qu'une mise en demeure de réaliser aurait été nécessaire afin de rendre exigible leur obligation de réaliser les travaux convenus, qu'en l'espèce aucune n'a été délivrée, que les intimés leur ont refusé l'accès à l'appartement ainsi qu'à leur prestataire, et que les préjudices de jouissance et moral ne sont pas démontrés.
Par dernières conclusions notifiées le 24 mars 2021, M. [C] [O] et Mme [M] [P] demandent à la cour, au visa des articles 1217, 1231-1, 1242 du code civil, de confirmer le jugement, à l'exception du quantum des dommages et intérêts alloués au titre du préjudice de jouissance et du préjudice moral et statuant à nouveau de ce chef, de :
- condamner solidairement M. [T] [D] et Mme [L] [S] à leur payer la somme de 5 000 euros au titre du préjudice de jouissance,
- condamner solidairement M. [T] [D] et Mme [L] [S] à leur payer la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral,
- débouter M. [T] [D] et Mme [L] [S] de l'intégralité de leurs demandes,
- condamner [T] [D] et Mme [L] [S] à leur payer la somme de
3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. et Mme [D] en tous les dépens.
Ils soutiennent en substance ce qui suit :
- M. et Mme [D] n'ont pas respecté leur engagement contractuel d'effectuer les travaux listés dans l'acte de vente avant la date butoir du 15 décembre 2016, de sorte qu'au-delà de cette date ils étaient libres de constater ce manquement et d'organiser la finalisation du chantier eux-mêmes ;
- l'acte de vente ne prévoyait pas une mise en demeure préalable d'avoir à effectuer les travaux, puisque ceux-ci étaient contractuellement prévus avec un calendrier précis ;
- ils ont dû relancer à maintes reprises Me [I], notaire rédacteur de l'acte, afin de connaître les dates de rendez-vous de travaux.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er juin 2022.
MOTIFS
Sur la responsabilité des vendeurs
Les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Le tribunal a relevé que M. et Mme [D] n'avaient pas réalisé les travaux qu'ils s'étaient contractuellement engagés à faire, ce qu'ils ne contestent pas. Il a également relevé que les vendeurs ne justifiaient d'aucune démarche, ni après la signature du compromis, ni après la régularisation dans le délai convenu, afin de faire réaliser des devis ou prendre l'attache des acquéreurs pour convenir de l'intervention d'entreprises.
Le dossier versé devant la cour par M. et Mme [D] reste vide de toute pièce pertinente à cet égard. Ils allèguent que les intimés se seraient opposés à la réalisation des travaux, ce qui n'est confirmé par aucune pièce. En revanche, il résulte des échanges de courriels versés par les intimés que M. [D] ne s'est pas présenté à plusieurs rendez-vous convenus avec M. [O] par l'intermédiaire du notaire, notamment les 9 novembre et 26 novembre 2016, et qu'au 15 décembre, les travaux n'étaient pas achevés.
Les appelants soutiennent essentiellement qu'aucune indemnisation ne pourrait être mise à leur charge car ils n'ont pas été mis en demeure de réaliser les travaux.
L'ancien l'article 1146 du code civil, applicable au litige à raison de la date de signature de la promesse et de l'acte authentique, dispose que les dommages et intérêts ne sont dus que lorsque le débiteur est en demeure de remplir son obligation, excepté lorsque la chose que le débiteur s'était obligé à faire ne pouvait être faite que dans un certain temps qu'il a laissé passer.
En outre, il revient au juge de vérifier si les circonstances de la cause n'impliquent pas une renonciation tacite des parties à l'exigence d'une mise en demeure.
En pages 6 et 7 de la promesse de vente, M. et Mme [D] se sont engagés à faire effectuer, préalablement à la régularisation par acte authentique et à leurs frais, certains travaux listés.
Compte tenu de l'inexécution de cette obligation, les parties sont à nouveau convenues, en page 10 de l'acte authentique, que le vendeur s'engage à faire à ses frais, par hommes de l'art, les différents travaux dont l'inexécution avait été préalablement constatée par procès-verbal dressé le 7 juillet 2016, outre la pose d'une ligne téléphonique.
L'accord des parties prévoit un programme de travaux détaillé, assorti d'échéances par paliers, comportant des dates limites d'exécution les 31 octobre, 15 novembre et 15 décembre 2016, ainsi que des modalités de fixation des rendez-vous pour les travaux, à réaliser les jeudis ou samedis.
Dès lors que l'obligation de réaliser les travaux, qui a dû être stipulée à nouveau, de façon très précise à raison d'une première inexécution, comprenait plusieurs dates butoirs successives, les intimés n'étaient pas tenus de mettre en demeure M. et Mme [D] de les exécuter ; les modalités de cet accord traduisent d'ailleurs que les parties ont entendu s'en dispenser. Ces derniers ne peuvent sérieusement prétendre, compte tenu de l'historique de la relation contractuelle et des échanges de courriels versés, qu'ils n'avaient pas conscience de l'exigibilité de leur obligation de travaux.
M. [O] et Mme [P] justifient avoir engagé la somme de 10 437,28 euros afin de réaliser les travaux convenus, somme qui n'est pas contestée. Le montant de la condamnation n'appelle donc pas d'infirmation.
Par ailleurs, ils ont dû réaliser ces travaux après l'acquisition du bien alors que les vendeurs devaient leur céder une maison immédiatement habitable. Cette situation est à l'origine d'un préjudice de jouissance dont le tribunal a évalué le montant à
3 000 euros, somme qui n'appelle pas de critique au regard de la durée du trouble et des équipements manquants.
Les intimés ont enfin été contraints de défendre en justice à raison du positionnement de leurs cocontractants, qui persistent jusqu'en cause d'appel dans une attitude contentieuse alors que leurs inexécutions sont flagrantes et continues. M. [O] et Mme [P] démontrent avoir dû adresser de nombreux courriels en vain afin d'obtenir la réalisation des travaux promis, et se rendre disponibles pour des rendez-vous qui n'ont pas été honorés.
Dans un tel contexte, le préjudice moral est avéré et, compte tenu de l'appel, le montant accordé sera porté à 2 500 euros pour chacun des intimés.
Les intimés ne sollicitent pas la modification des dispositions relatives au séquestre et la cour ne saurait y procéder à défaut de demande en ce sens.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles n'appellent pas de critique.
M. et Mme [D] succombent et seront condamnés solidairement aux dépens d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, ils seront condamnés en outre au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles supportés par les intimés.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et en dernier ressort,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce que le tribunal a condamné M. [T] [D] et Mme [L] [S], son épouse à verser à M. [C] [O] et Mme [M] [P] la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral ;
Statuant à nouveau de ce chef infirmé,
Condamne solidairement M. [T] [D] et Mme [L] [S], son épouse à verser à M. [C] [O] et Mme [M] [P] la somme de 2 500 euros chacun au titre du préjudice moral, soit 5 000 euros au total ;
Y ajoutant,
Condamne solidairement M. [T] [D] et Mme [L] [S], son épouse à payer à M. [C] [O] et Mme [M] [P] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [T] [D] et Mme [L] [S], son épouse solidairement aux dépens.
Le greffier,La présidente de chambre,