N° RG 19/04728 - N° Portalis DBV2-V-B7D-ILIQ
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 14 SEPTEMBRE 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DU HAVRE du 21 Octobre 2019
APPELANTE :
URSSAF HAUTE NORMANDIE
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Mme [W] [S] munie d'un pouvoir
INTIMEE :
Madame [O] [Z]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Laurent BENOIST, avocat au barreau du HAVRE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/17389 du 21/01/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Rouen)
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 10 Mai 2022 sans opposition des parties devant Monsieur POUPET, Président, magistrat chargé d'instruire l'affaire.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur POUPET, Président
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Patrick Cabrelli
DEBATS :
A l'audience publique du 10 Mai 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 29 juin 2022, prorogé au 13 juillet 2022 puis au 14 septembre 2022.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 14 septembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame ROGER-MINNE, Conseillère et par M. CABRELLI, Greffier.
* * *
EXPOSE DU LITIGE
Mme [O] [Z] a été affiliée auprès de la caisse du régime social des indépendants (le RSI) du 10 juin 2003 au 30 novembre 2007 au titre d'une activité artisanale, du 5 décembre 2007 au 31 décembre 2012 en qualité de travailleur indépendant, puis en qualité d'auto-entrepreneur à compter du 1er janvier 2013.
En l'absence de règlement de ses cotisations, le RSI de Haute Normandie lui a notifié cinq mises en demeure :
- le 24 avril 2012, d'un montant de 1 131 euros, concernant les cotisations santé des 1er, 2ème, 3ème et 4ème trimestres 2010,
- le 24 avril 2012, d'un montant de 853 euros, concernant les cotisations santé des 1er, 2ème, 3ème et 4ème trimestres 2011,
- le 12 décembre 2012 d'un montant de 217 euros, concernant les cotisations invalidité décès retraite du 4ème trimestre 2009 et des 1er, 2ème et 3ème trimestres 2010,
- le 12 décembre 2012, d'un montant de 736 euros, concernant les cotisations invalidité décès retraite du 4ème trimestre 2010, et les cotisations santé ainsi que invalidité décès retraite des 1er et 2ème trimestres 2011,
- le 12 décembre 2012, d'un montant de 2 329 euros, concernant les cotisations maladie maternité invalidité décès retraite et complémentaire santé des 3ème et 4ème trimestres 2011, et cotisations pour tous les risques du 4ème trimestre 2012.
A défaut de règlement, une contrainte émise le 16 décembre 2014 lui a été signifiée le 15 janvier 2015 pour un montant de 4 690 euros dont 369 euros de majorations de retard.
Mme [Z] a formé opposition à cette contrainte devant le tribunal des affaires de sécurité sociale du Havre.
Par jugement du 21 octobre 2019, le tribunal de grande instance du Havre, devenu compétent pour statuer, a dit que ladite contrainte était nulle.
L'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Haute-Normandie a interjeté appel de cette décision et, par conclusions remises le 29 décembre 2021 et soutenues oralement lors de l'audience, demande à la cour :
- d'infirmer le jugement,
- de valider la contrainte à concurrence de 2 626,03 euros, soit 2 448 euros de cotisations et 178,03 euros de majorations de retard,
- de condamner Mme [Z] à lui payer ladite somme outre 73,74 euros au titre des frais de signification.
Elle expose que lors de sa nouvelle affiliation en décembre 2007, le dossier de l'intimée a été scindé, de sorte que si les mises en demeure préalables à la contrainte portent sur des périodes identiques, elles ne portent pas sur les mêmes risques au titre desquels les cotisations n'ont été appelées qu'une seule fois, concernant l'activité artisanale exercée du 5 décembre 2007 au 31 décembre 2012.
Elle fait valoir que l'échéance du quatrième trimestre 2009, qui apparaît sur la mise en demeure du 12 décembre 2012, a été soldée et n'a donc pas été reportée sur la contrainte. Elle détaille le montant des cotisations provisionnelles et définitives ainsi que les imputations effectuées et précise que le montant de la contrainte a été actualisé à la suite de l'enregistrement du RSA socle pour les périodes auxquelles il a été versé à l'intimée, les cotisations santé n'étant pas dues.
Par conclusions remises le 22 mars 2022 et soutenues oralement lors de l'audience, Mme [Z] demande pour sa part la confirmation du jugement et, subsidiairement, une décharge de toute majoration et de toute condamnation aux dépens.
Elle fait valoir que les montants figurant dans la contrainte au titre des cotisations visées dans la mise en demeure du 24 avril 2012, concernant les quatre trimestres de l'année 2010, sont différents de ceux indiqués dans la mise en demeure. Elle ajoute que cette mise en demeure vise exclusivement des cotisations maladie qui n'étaient pas dues compte tenu de la perception du RSA socle pour les périodes concernées. Elle en déduit avoir versé à tort la somme de 473 euros qui est donc déductible de toute cotisation qui pourrait s'avérer due.
Elle fait également valoir que les mises en demeure du 12 décembre 2012, concernant des cotisations invalidité décès retraite pour les quatre trimestres de l'année 2010, mentionnent des cotisations provisionnelles alors que l'URSSAF fait état de cotisations définitives. Elle fait observer que la contrainte ne vise pas, au titre des deux premières mises en demeure du 12 décembre 2012, les deux premiers trimestres 2010 ni les sommes versées à hauteur de 111 est de 345 euros, pourtant visées dans la première mise en demeure. Elle en déduit l'existence d'un nouvel indu de 456 euros, à nouveau déductible de ce qui pourrait être dû.
S'agissant des cotisations dues pour l'année 2011 au titre de la maladie maternité et indemnités journalières, elle invoque la nullité de la seconde mise en demeure du 24 avril 2012 en raison de ce qu'elle était bénéficiaire du RSA socle du 1er juin au 30 novembre 2011 et l'existence d'un crédit de 37 euros visé dans la mise en demeure, mais non repris dans la contrainte. S'agissant des cotisations invalidité décès retraite, elle soutient que les deux dernières mises en demeure du 12 décembre 2012 mentionnent des cotisations sociales maladie invalidité constituées de cotisations provisionnelles et d'une régularisation sans qu'il ne ressorte des écritures de l'appelante qu'une régularisation au titre de l'année précédente soit justifiée.
Elle fait également valoir que, s'agissant du quatrième trimestre 2012, la mise en demeure sollicite paiement de cotisations prétendument dues mais comprenant des régularisations sans référence de période et que les montants sont différents dans la contrainte.
Mme [Z] en déduit qu'elle était dans l'impossibilité d'identifier la nature, la cause et l'étendue réelle de son obligation.
Elle considère enfin que son opposition était, au moins partiellement, fondée de sorte qu'elle ne doit pas être condamnée aux dépens, ni aux majorations de retard, la créance n'ayant pas été certaine dans son montant, jusqu'à la reconnaissance tardive par l'appelante du bien-fondé de sa réclamation.
Les parties ont été invitées à présenter, par une note en délibéré, leurs observations sur la recevabilité de l'appel, compte tenu du montant de la demande, au regard de l'article R.'142-25 du code de la sécurité sociale.
L'URSSAF, soulignant que la contrainte porte en partie sur des sommes dues au titre de la CSG et de la CRDS, a conclu à la recevabilité de l'appel.
Mme [Z] a conclu à l'irrecevabilité de l'appel.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1) Sur la recevabilité de l'appel
L'article R. 142-25 du code de la sécurité sociale, en vigueur jusqu'au 1er janvier 2019 et donc à la date d'engagement de la procédure de première instance, disposait que le tribunal des affaires de sécurité sociale statuait en dernier ressort jusqu'à la valeur de 4 000 euros.
L'article R. 211-3 du code de l'organisation judiciaire, en vigueur jusqu'au 1er janvier 2020 et donc à la date du prononcé du jugement, disposait pour sa part que dans les matières pour lesquelles il avait compétence exclusive, et sauf disposition contraire, le tribunal de grande instance statuait en dernier ressort lorsque le montant de la demande était inférieur ou égal à la somme de 4 000 euros.
Il ressort du jugement frappé d'appel que devant le tribunal, l'URSSAF, demanderesse par l'effet de l'opposition à contrainte formée par Mme [Z], a demandé la validation de la contrainte pour son montant ramené à 2 626,03 euros.
Cependant, en application de l'article L. 136-5 IV du code de la sécurité sociale, applicable au présent litige, les décisions rendues par les tribunaux judiciaires spécialement désignés en application de l'article L. 211-16 du code de l'organisation judiciaire jugeant des différends portant sur la contribution sociale sur les revenus d'activité et de remplacement sont susceptibles d'appel quel que soit le montant du litige.
Or, la dernière mise en demeure du 12 décembre 2012, à laquelle se réfère la contrainte du 16 décembre 2014, mentionne la CSG-CRDS parmi les diverses sommes réclamées.
Il en résulte que l'appel est recevable.
2) Sur la régularité de la contrainte
En vertu de l'article L. 244-2 du code de la sécurité sociale la contrainte doit obligatoirement être précédée d'une mise en demeure qui, selon l'article R. 244-1, constitue une invitation impérative adressée au débiteur d'avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti et doit permettre à l'intéressé d'avoir connaissance de la nature, de la cause et de l'étendue de son obligation. A cette fin il importe qu'elle précise, à peine de nullité outre la nature et le montant des cotisations réclamées, la période à laquelle elle se rapporte. La motivation de la mise en demeure adressée au cotisant ne dispense pas l'organisme social de motiver la contrainte décernée ensuite pour le recouvrement des cotisations mentionnées dans la mise en demeure.
Une contrainte est valablement motivée par référence à la ou les mises en demeure qui l'ont précédée, dès lors qu'elles-mêmes permettent au cotisant de connaître la cause de son obligation et que ce dernier puisse comprendre à quoi correspondent les éventuelles différences de montants entre les mises en demeure et la contrainte.
En l'espèce, la contrainte mentionne la mise en demeure du 24 avril 2012 portant sur les cotisations provisionnelles santé des 1er, 2ème, 3ème et 4ème trimestres 2010 pour un montant de 1 131 euros, un versement de 473 euros et une déduction de 38 euros, soit un montant réclamé de 620 euros. Les montants sont donc cohérents et Mme [Z] pouvait connaître la cause, la nature et l'étendue de son obligation.
La seconde mise en demeure du 24 avril 2012 portant sur les cotisations provisionnelles santé du 1er au 4ème trimestre 2011 d'un montant de 853 euros, après déduction d'un versement de 37 euros qu'elle indique, est reportée telle quelle sur la contrainte litigieuse.
La première mise en demeure du 12 décembre 2012 portant sur les cotisations invalidité décès et provisionnelles de retraite du 4ème trimestre 2009, 1er, 2ème et 3ème trimestre 2010, d'un montant de 217 euros, après déduction de deux versements d'un total de 456 euros, n'est reprise par la contrainte que s'agissant du troisième trimestre 2010 pour 154 euros de cotisations et majorations de retard. Il n'y avait donc pas lieu de reprendre ces versements qui avaient permis de solder le principal des autres échéances.
La deuxième mise en demeure du 12 décembre 2012 portant sur les cotisations maladie maternité (provisionnelles), invalidité décès, retraite (provisionnelles) du 4ème trimestre 2010 et du 1er et 2ème trimestres 2011, d'un montant de 736 euros, est reprise telle quelle sur la contrainte.
Lorsque les mises en demeure ont été notifiées et la contrainte signifiée, les cotisations étaient bien réclamées à titre provisionnel, de sorte qu'il importe peu que l'Urssaf mentionne dans ses écritures le montant des cotisations définitives après prise en compte des revenus déclarés, en vue de récapituler ce qui reste dû.
La dernière mise en demeure du 12 décembre 2012, d'un montant de 2 329 euros, est reprise par la contrainte pour un montant de 2 327 euros après déduction de 2 euros. Cependant, ainsi que l'indique l'intimée, la mise en demeure comporte des cotisations et contributions réclamées au titre du quatrième trimestre 2012 pour une régularisation sans mentionner la période au titre de laquelle est réclamée cette régularisation. Il en résulte que seule cette mise en demeure ne permettait pas à Mme [Z] de connaître la cause de son obligation.
En conséquence, en présence d'une seule mise en demeure irrégulière, le tribunal ne pouvait annuler la contrainte qui doit être validée en sa référence aux quatre autres mises en demeure.
3) Sur le bien-fondé des cotisations
Dans ses écritures, l'Urssaf communique le détail de la dette dont elle réclame paiement devant la cour, après avoir supprimé les cotisations et majorations de retard afférentes aux cotisations de santé, en raison de la perception du RSA socle. Mme [Z] ne discute pas les modalités de calcul.
En déduisant les cotisations vieillesse et majorations afférentes aux 3e et 4e trimestres 2011 ainsi que les sommes réclamées au titre du 4e trimestre 2012, figurant dans la mise en demeure irrégulière, il reste dû une somme de 517 euros en principal (1er et 2e trimestres 2011, 3e et 4e trimestres 2010) et une somme de 62,03 euros au titre des majorations de retard, calculées sur des sommes présentant un caractère certain.
4) Sur la demande de remise des majorations de retard
Une telle remise fait l'objet d'une procédure particulière décrite à l'article R. 243- 20 du code de la sécurité sociale et il n'entre pas dans les pouvoirs de la juridiction de statuer sur une telle demande.
5) Sur les frais du procès
Si l'opposition de Mme [Z] était partiellement fondée, des sommes restent cependant à sa charge, de sorte qu'elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Déclare l'appel recevable ;
Infirme le jugement ;
Statuant à nouveau :
Valide la contrainte du 16 décembre 2014 à hauteur de 579,03 euros, soit 517 euros en principal et 62,03 euros en majoration de retard ;
Condamne Mme [O] [Z] à payer à l'Urssaf de Haute Normandie cette somme ainsi que les frais de signification de la contrainte, pour 73,74 euros, la présente décision se substituant à cette contrainte ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne Mme [Z] aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.
LE GREFFIER LA CONSEILLERE