N° RG 19/02159 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IGAV
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 14 SEPTEMBRE 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
11-18-1137
Tribunal d'instance de Rouen du 19 avril 2019
APPELANT :
Monsieur [O] [R]
né le 26 février 1981 à [Localité 3]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté et assisté par Me Géraldine DE PELLISSIER, avocat au barreau de Rouen
INTIME :
Monsieur [K] [V]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté et assisté par Me Stéphanie BEAUREPAIRE, avocat au barreau de Rouen
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 6 avril 2022 sans opposition des avocats devant Mme Julie VERA, vice-présidente placée auprès de la première présidente de la cour d'appel de Rouen, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre,
M. Jean-François MELLET, conseiller,
Mme Julie VERA, vice-présidente placée,
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Catherine CHEVALIER,
DEBATS :
A l'audience publique du 6 avril 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 29 juin 2022, date à laquelle le délibéré a été prorogé au 14 septembre 2022.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU PRONONCÉ :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre,
M. Jean-François MELLET, conseiller,
Mme Magali DEGUETTE, conseillère,
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Rendu publiquement le 14 septembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Le 28 juillet 2017, M. [O] [R] a acquis auprès de M. [K] [V] un véhicule Audi A2 immatriculé BS 310 KD, mis en circulation le 9 avril 2002, au prix de 1 800 euros.
Par acte d'huissier du 27 avril 2018, en raison de désordres affectant la voiture,
M. [R] a fait assigner M. [V] afin de voir le juge prononcer la résolution de la vente, la restitution du prix par le vendeur et du véhicule par l'acquéreur outre des dommages et intérêts et une indemnité procédurale.
Par jugement du 19 avril 2019, le tribunal d'instance de Rouen a débouté M. [R] de ses demandes, l'a condamné à payer à M. [V] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamné M. [R] aux dépens de l'instance.
Par déclaration reçue au greffe le 24 mai 2019 (n° RG 19/02159), M. [O] [R] a formé appel de la décision. Par déclaration reçue au greffe également le 24 mai 2019 (n° RG 19/02161), il a formé appel de la décision. Les deux affaires ont été jointes par ordonnance du 11 juin 2019.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 6 avril 2021, M. [O] [R] demande à la cour, au visa des articles R. 322-4 et R. 322-5 du code de la route, des articles 1603, 1604, 1610, 1611, 1615, 1626, 1630, 1631 du code civil, subsidiairement 1641 et suivants du code civil, L. 211-4 du code des assurances d'infirmer le jugement entrepris, et de :
- prononcer la résolution de la vente du véhicule en l'absence de remise du certificat d'immatriculation prévu par les textes et subsidiairement pour l'absence de fonctionnement du voyant de gestion d'anomalies du moteur constituant un vice caché,
- condamner M. [V] à lui rembourser le prix de vente du véhicule de 1 800 euros avec les intérêts légaux à compter de la date de l'assignation,
- condamner M. [V] à lui payer les sommes suivantes :
. 39 euros au titre des frais de diagnostic,
. 252,60 euros au titre de la prime annuelle d'assurances d'août 2017 à août 2018,
. 1 980 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice de jouissance durant 12 mois d'août 2017 à août 2018 (165 euros x 12),
- dire et juger que M. [V] aura la charge matérielle et financière de reprendre le véhicule après la résolution, M. [R] n'étant pas en possession du certificat d'immatriculation du véhicule,
- débouter M. [V] de ses demandes,
- condamner M. [V] à lui payer la somme de 960 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance, de 2 140 euros pour la procédure d'appel et à supporter les dépens.
Il fait valoir que le certificat d'immatriculation du véhicule ne lui a pas été remis ; que le tribunal a retenu que le certificat de cession du véhicule signé par les parties portait la mention de la présence de ce certificat ; qu'en réalité, il s'agit d'un document prérempli par le vendeur qui a apposé la date du 4 août 2011 correspondant à un document établi au nom du propriétaire antérieur du véhicule, M. [X].
M. [V] ne lui a jamais adressé le certificat d'immatriculation malgré de nombreuses relances : les recherches ont établi que la demande de ce certificat n'a été faite que le 28 juillet 2017 par celui-ci, soit le jour de la vente. La vente est donc intervenue illégalement alors que M. [V] n'avait pas respecté les obligations relatives à la cession des véhicules.
S'agissant des désordres allégués, il se prévaut du rapport établi par l'expert missionné par son assureur qui a relevé différentes anomalies, existant antérieurement à la vente, en précisant certes que la plupart était décelable lors d'un essai routier mais l'absence de fonctionnement du voyant de gestion moteur n'a pas pu l'alerter sur les désordres du moteur mis en évidence par l'outil de diagnostic utilisé. Les conclusions de l'expert automobile permettent de confirmer que le véhicule était impropre à sa destination. Pour répondre à la motivation du tribunal qui a relevé que le véhicule avait parcouru 2 000 km depuis l'achat effectué par M. [R], il précise qu'il n'a pas fait ce trajet puisque le défaut de certificat d'immatriculation faisait obstacle à l'utilisation de la voiture. Il rappelle que quel que soit l'ancienneté du véhicule, le véhicule, même d'occasion est censé remplir la fonction qui justifie son achat.
Il conteste l'attestation produite rédigée par la compagne du vendeur qui factuellement, n'a pu constater réellement les documents remis à l'acquéreur qui ne peut affirmer qu'il a effectué un essai routier, ce qu'il n'a pas pratiqué. Il entend que soient écartées les observations de M. [V] qui critique les frais d'assurance réclamés à titre de dommages et intérêts et la demande de M. [V] en délai de paiement.
Par dernières conclusions notifiées le 12 novembre 2019, M. [K] [V] demande à la cour de :
- débouter M. [R] de ses demandes,
- confirmer le jugement entrepris,
- condamner M. [R] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour,
- condamner M. [R] aux dépens,
subsidiairement, au visa de l'article 1343-5 du code civil,
- débouter M. [R] de ses demandes en paiement de dommages et intérêts et lui accorder les plus larges délais de paiement.
S'agissant de l'obligation de délivrance, il soutient avoir remis le certificat d'immatriculation à M. [R] lors de la vente et indique que le formulaire de demande de certificat rempli par son auteur n'est pas un élément de preuve puisqu'il est établi par la partie.
S'agissant de la garantie de l'éviction, il indique que M. [R] ne peut s'en prévaloir puisqu'il s'agit d'une demande nouvelle en cause d'appel et donc irrecevable ; au fond, il conclut à l'absence d'éviction.
Sur la garantie des vices cachés, soulevée pour la première fois en cause d'appel par conclusions du 13 août 2019, il fait valoir que M. [R] avait connaissance des anomalies du véhicule dès le 3 août 2017 et n'a assigné le vendeur que le 27 avril 2018 sans viser cette garantie et est dès lors forclos. Il ajoute que ce dernier n'a pas sollicité la mise en 'uvre d'une expertise judiciaire ; que le seul rapport d'expertise amiable non contradictoire et dressé plus de huit mois après la vente du véhicule alors que M. [R] avait parcouru plus de 2 000 km, n'est pas probante. Toutefois, l'expert observe que M. [R] pouvait percevoir les défauts du véhicule, être alerté sans que le défaut de fonctionnement du voyant moteur, constaté en outre, huit mois après la vente, ne constitue une anomalie cachée rendant le véhicule impropre à sa destination.
Il conteste les indemnisations sollicitées au titre des différents préjudices et demande, dans l'hypothèse d'une condamnation, les plus larges délais.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 12 janvier 2022.
MOTIFS
Sur la résolution de la vente pour manquement à l'obligation de délivrance
Les obligations du vendeur sont définies par les articles 1604 et suivants du code civil. La délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur. Elle doit se faire au lieu où était, au temps de la vente, la chose qui en a fait l'objet, s'il n'en a été autrement convenu. Si le vendeur manque à faire la délivrance dans le temps convenu entre les parties, l'acquéreur pourra, à son choix, demander la résolution de la vente, ou sa mise en possession, si le retard ne vient que du fait du vendeur.
Dans ses conclusions, M. [R] décrit ainsi les conditions de la vente : « Monsieur [V] est venu le chercher à la gare avec le véhicule et l'a déposé à une agence bancaire pour retirer de l'argent. Ensuite, ils ont rejoint le parking où s'est effectuée la vente ».
La déclaration de cession du véhicule signée le 28 juillet 2017 porte une croix dans la case oui pour la mention de la présence du certificat d'immatriculation de sorte que comme l'a retenu le tribunal, l'acquéreur est censé avoir reçu ce document lors de la vente.
M. [R] soutient le contraire en faisant valoir que la déclaration de cession était préremplie par M. [V] : l'écriture et la couleur de l'encre utilisée confirment ce point non contesté par le vendeur. Mais ce fait n'invalide pas l'acceptation des mentions par l'acquéreur en mesure de les vérifier et de les rectifier.
M. [R] attire encore l'attention sur la date du certificat d'immatriculation portée dans l'acte de cession. En effet, la date du certificat mentionnée est celle du 4 août 2011 ; toutefois, elle est conforme à celle qui est rappelée lors du contrôle technique dont le rapport est remis à l'acquéreur. Le procès-verbal de la société Dekra du 12 juillet 2017 précise, de façon très claire, les références relevant de l'identification du véhicule et du titulaire du certificat : M. [X] [H] domicilié à [Localité 4]. Les deux pièces sont cohérentes entre elles ; elles étaient soumises à l'examen de
M. [R] avant la vente. Elles ne répondent pas à la question de la remise matérielle du certificat d'immatriculation discutée par l'acquéreur.
En effet, ces pièces concernent le cas échéant, la question du bénéficiaire réel de la carte grise qui aurait été de nature à justifier la vigilance de l'acquéreur. M. [R] n'explique pas d'une part, les raisons pour lesquelles il aurait accepté de se placer en difficulté en prenant possession du véhicule sans une pièce aussi déterminante que la carte grise du véhicule et ce nonobstant la promesse de M. [V], nécessairement aléatoire, de lui envoyer, d'autre part, son absence d'attention sur le nom du titulaire du contrôle technique et les mentions qu'il a acceptées de valider en signant la déclaration de cession. La prise de possession irrégulière du véhicule en connaissance de cause ferait tout autant obstacle à la mise en 'uvre de l'obligation de délivrance.
Enfin, quant au document qui résulterait de la Préfecture susceptible d'établir l'absence de remise de carte grise, M. [R] communique une « Demande de certificat de situation administrative » éditée à une date ignorée portant le nom de
M. [V] et la date de l'immatriculation du véhicule fixée du 28 juillet 2017. La pièce ne permet pas d'en déterminer l'auteur et d'affirmer que M. [V] a effectué lui-même la démarche le jour de la vente.
En revanche, M. [R] ne justifie d'aucune démarche auprès de la Préfecture à la suite de la vente pour faire immatriculer son véhicule, ne serait-ce qu'en expliquant ses difficultés.
Les éléments versés aux débats par M. [R] sont dès lors insuffisants à contrarier la preuve tirée de la rédaction et de la signature de la déclaration de cession dont se prévaut le vendeur.
L'attestation rédigée par la compagne de M. [V], établie dans les formes prévues par les articles 202 et suivants du code de procédure civile ne fait que conforter, bien qu'émanant d'un proche du vendeur, les pièces discutées.
La demande de résolution de la vente formée de ce chef ne peut qu'être rejetée.
Sur la résolution de la vente pour vices cachés affectant le véhicule
Sur la fin de non-recevoir tirée de la forclusion
L'article 1641 du code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. L'article 1648 précise que l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.
Toutefois en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
M. [V] soulève le moyen tiré de la forclusion plus de deux années s'étant écoulées entre la découverte du vice le 3 août 2017 et les premières écritures fondées sur ce moyen en cour d'appel le 13 août 2019 s'agissant des anomalies en lien avec la boîte de vitesse et le radiateur du turbo.
Le dispositif des dernières conclusions de M. [V] ne comporte pas de prétention au titre de l'irrecevabilité de la demande en raison de sa forclusion ; la cour ne répondra de ce chef.
Sur la garantie invoquée
La responsabilité du vendeur pour vices cachés n'a été invoquée pour la première fois par l'appelant que dans ses conclusions notifiées le 13 août 2019. Comme le souligne l'intimé, M. [R] savait dès le 3 août 2017 devoir effectuer sur le véhicule des travaux sur la boîte de vitesse mais surtout sur le radiateur du turbo, frais représentant un coût de 1 439 euros.
L'expertise amiable effectuée les 12 et 13 février 2018 complète les informations utiles sur le plan technique quant aux anomalies de la voiture mais le professionnel désigné par l'assureur révèle que la plupart des défauts « étaient décelables lors d'un essai routier (claquements train avant, mises en sécurité moteur, difficulté à passer les vitesses) ». Même si l'expertise est réalisée huit mois après la vente, ce rapport révèle que les bruits et les conditions anormales d'utilisation de la voiture étaient perceptibles dès la prise en main du véhicule et donc dès la vente intervenue le 28 juillet 2017 soit sans délai.
S'agissant des autres anomalies, l'expert amiable relève que le véhicule est dans un état de présentation moyen ; qu'il présente 245 521 km au compteur, qu'à l'allumage le voyant de gestion moteur ne s'allume pas, que la jauge à huile est cassée ; qu'un claquement important du train avant et une insuffisance de la puissance du moteur et des mises en sécurité régulières sont observées. Comme l'indique l'expert de façon générale dans les termes ci-dessus rappelés, les dysfonctionnements de la voiture se manifestaient lors de l'achat d'une telle manière que l'acquéreur ne pouvait les ignorer, les vices n'étant pas dès lors cachés. En outre, le rapport de contrôle technique du 12 juillet 2017 fait mention de défauts qui sans exiger de contre-visite, sont d'une nature telle que le candidat à l'achat ne peut qu'être alerté : protection défectueuse des amortisseurs, protection de la rotule défectueuse du demi-train avant, mauvaise fixation ou liaison de la barre stabilisatrice, déformation importante de la traverse, défaut d'étanchéité du moteur.
L'absence d'anomalie susceptible de caractériser un vice caché justifie le débouté des prétentions de M. [R], le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
M. [R] succombe à l'instance et en supportera les dépens.
L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe et en dernier ressort,
Confirme le jugement entrepris,
Déboute les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [O] [R] aux dépens.
Le greffier,La présidente de chambre,