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07/09/2022 | FRANCE | N°19/04192

France | France, Cour d'appel de Rouen, 1ère ch. civile, 07 septembre 2022, 19/04192


N° RG 19/04192 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IKGS



COUR D'APPEL DE ROUEN



1ERE CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 7 SEPTEMBRE 2022





DÉCISION DÉFÉRÉE :



16/02616

Tribunal de grande instance du Havre du 12 septembre 2019





APPELANTS :



Monsieur [F] [V]

né le 21 septembre 1940 à [Localité 18]

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Adresse 1]



représenté par Me Vincent MOSQUET de la Selarl LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de Rouen et assisté par Me I

saline POUX de la Selarl IP Associés, avocat au barreau de Paris plaidant par Me Sandrine JANIN-GADOUX





Madame [B] [D] épouse [V]

née le 24 avril 1950

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Adresse 1]


...

N° RG 19/04192 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IKGS

COUR D'APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 7 SEPTEMBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

16/02616

Tribunal de grande instance du Havre du 12 septembre 2019

APPELANTS :

Monsieur [F] [V]

né le 21 septembre 1940 à [Localité 18]

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Adresse 1]

représenté par Me Vincent MOSQUET de la Selarl LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de Rouen et assisté par Me Isaline POUX de la Selarl IP Associés, avocat au barreau de Paris plaidant par Me Sandrine JANIN-GADOUX

Madame [B] [D] épouse [V]

née le 24 avril 1950

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Adresse 1]

représentée par Me Vincent MOSQUET de la Selarl LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de Rouen et assistée par Me Isaline POUX de la Selarl IP Associés, avocat au barreau de Paris plaidant par Me Sandrine JANIN-GADOUX

Monsieur [K] [L]

né le 19 septembre 1947 à [Localité 15]

[Adresse 12]

[Adresse 12]

[Adresse 12]

représenté par Me Vincent MOSQUET de la Selarl LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de Rouen et assisté par Me Isaline POUX de la Selarl IP Associés, avocat au barreau de Paris plaidant par Me Sandrine JANIN-GADOUX

Monsieur [J] [W]

né le 27 mars 1949 à [Localité 11]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représenté par Me Vincent MOSQUET de la Selarl LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de Rouen et assisté par Me Isaline POUX de la Selarl IP Associés, avocat au barreau de Paris plaidant par Me Sandrine JANIN-GADOUX

INTIMES :

Madame [O] [M]

née le 23 juin 1943 à [Localité 14]

[Adresse 5]

[Localité 8]

représentée par Me Laurent LEPILLIER de la Selarl LEPILLIER BOISSEAU, avocat au barreau du Havre

Monsieur [U] [R]

né le 13 novembre 1942 à [Localité 16]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

non représenté bien que régulièrement assigné par acte d'huissier délivré selon les dispositions de l'article 659 du code de procédure civile le 20 janvier 2020

Madame [T] [R]

née le 02 novembre 1970 à [Localité 10]

[Adresse 9]

[Adresse 9]

représentée par Me Frédéric DUFIEUX, avocat au barreau du Havre

Monsieur [H] [R]

né le 14 janvier 1974 à [Localité 13]

[Adresse 6]

[Localité 8]

représenté par Me Frédéric DUFIEUX, avocat au barreau du Havre

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 25 mai 2022 sans opposition des avocats devant Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre,

M. Jean-François MmeT, conseiller,

Mme Magali DEGUETTE, conseillère,

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme [E] [G],

DEBATS :

A l'audience publique du 25 mai 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 7 septembre 2022.

ARRET :

PAR DEFAUT

Rendu publiquement le 7 septembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier.

*

* *

 

 

 

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

 

La société luxembourgeoise par participation financière, Sa Sainte Hildegarde, était administrée par M. [U] [R], Mme [O] [M], son épouse, Mme [T] [R], leur fille et M. [H] [R], leur fils, la société ayant pour objet social le conseil financier. M. [R] était également gérant de la Sarl société Sainte Hildegarde (SHD). Mme [M], son épouse, était gérante de la société BL courtage assurances devant soumettre les placements consentis en faveur de la Sa Sainte Hildegarde à la caisse de garantie des professionnels de l'assurance.

Par correspondance du 20 mars 1996, M. [U] [R], en sa qualité de président de la Sa Sainte Hildegarde, a proposé à M. [F] [V] d'intervenir en qualité d'intermédiaire auprès de sa famille et de ses proches afin que ces derniers consentent des avances à terme fixe en faveur de cette société contre une perception de 3 % des sommes investies, avec faculté pour les associés de recouvrer leur capital à tout moment. Différentes avances ont ainsi été consenties par M. [A],

M. [W], Mme [Y], Mme [D] épouse [V] et

M. [L].

Les fonds ont été en réalité versés sur le compte de la SHD puis sur celui de M. [R] ouvert auprès de la banque BNP Paribas. Le 8 juin 2000, M. [R] avisait

M. [V] de difficultés sans qu'il y ait lieu à inquiétude. A leur échéance, ni ultérieurement, les avances consenties n'ont pas été réglées et les consorts [V]-[L]-[W] ont déposé une plainte avec constitution de partie civile le 13 juin 2002 contre M. [R] pour abus de confiance, escroquerie et complicité de ces infractions.

Par jugement du tribunal correctionnel de Paris du 9 février 2006, M. [R] était déclaré coupable d'abus de confiance commis entre 1996 et 2002 ; par arrêt du 10 janvier 2007, sur appel concernant les intérêts civils, la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Paris condamnait M. [R] à payer des dommages et intérêts à

M. [V] (24 391,80 euros et 5 000 euros outre intérêts au taux légal), Mme [V] (23 124,99 euros et 5 000 euros avec intérêts au taux légal),

M. [W] (30 489,80 euros et 6 000 euros avec intérêts au taux légal),

M. [L] (15 244,90 euros et 4 200 euros avec intérêts au taux légal), M. [A] (17 798,12 euros et 4 500 euros avec intérêts au taux légal). Les voies d'exécution utilisées ont été vaines et les créances n'ont pas été recouvrées.

Découvrant l'existence d'une donation, consentie par M. [U] [R] à ses enfants, par acte du 22 novembre 1998 et portant sur la nue-propriété d'une maison sise à [Localité 17], les consorts [V]-[L]-[W] ont entendu mettre en oeuvre l'action paulienne.

Par actes d'huissier des 24 février, 8 mars et 3 avril 2012, M. [F] [V], Mme [B] [D], son épouse, M. [K] [L], M. [J] [W] ont fait assigner M. [U] [R], Mme [O] [M], Mme [T] [R] et M. [H] [R], sur le fondement de l'article 1167 du code civil, afin de voir juger que la donation de la nue-propriété de la maison dont était propriétaire M. [U] [R], [Adresse 2] leur était inopposable et de les autoriser à inscrire une hypothèque judiciaire sur l'immeuble à hauteur de 64 101,20 euros correspondant à leur créance outre les dépens et la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.

En cours de procédure, l'immeuble était vendu : par ordonnance du 20 mars 2014 du juge de la mise en état, était ordonnée la consignation de la somme de 65 000 euros provenant de la vente sur le compte séquestre du bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris ; l'ordonnance était exécutée auprès du bâtonnier de l'ordre des avocats du Havre et le solde du prix de vente remis à Mme [M], ex-épouse de

M. [R].

Par ailleurs, M. [V] justifiait de son intérêt à agir en qualité de légataire universel de M. [A].

 

Par jugement du 12 septembre 2019, le tribunal de grande instance du Havre a :

- déclaré irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par Mme [O] [M],

- déclaré les demandes de M. et Mme [V], de M. [W], M. [L] recevables, mais les dit mal fondées,

- débouté M. et Mme [V] et de M. [W], M. [L] de l'ensemble desdites demandes,

- condamné solidairement M. et Mme [V], M. [W], M. [L] à payer à M. [R] et à Mmes [M] et [R] la somme de 2 000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de toutes demandes plus amples ou contraires,

- condamné solidairement M. et Mme [V], M. [W], M. [L] aux dépens.  

               

Par déclaration reçue au greffe le 25 octobre 2019, M. [F] [V], Mme [B] [D], son épouse, M. [K] [L], M. [J] [W] ont formé appel du jugement.

 

Par ordonnance du 23 février 2021, le conseiller de la mise en état a :

- rejeté les moyens soulevés par Mme [O] [M], Mme [T] [R],

M. [H] [R] afin d'obtenir le prononcé de la caducité de l'appel, 

- déclaré irrecevables à conclure Mme [O] [M], Mme [T] [R],

M. [H] [R], le délai pour ce faire étant expiré,

- condamné in solidum Mme [O] [M], Mme [T] [R], M. [H] [R] à verser la somme de 4 000 euros à M. [K] [L], M. [F] [V], Mme [B] [D], son épouse et à M. [J] [W], soit 1 000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [O] [M], Mme [T] [R], M. [H] [R] aux dépens de l'incident dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué Normandie au titre de l'article 699 du code de procédure civile.

 

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

 

Par dernières conclusions notifiées le 25 janvier 2022, les appelants demandent, au visa des articles 1167 et suivants, 1154, 2224 et 2232 du code civil, d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- déclaré les demandes de M. et Mme [V], de M. [W], M. [L] recevables, mais les dit mal fondées,

- débouté M. et Mme [V] et de M. [W], M. [L] de l'ensemble desdites demandes,

- condamné solidairement M. et Mme [V], M. [W], M. [L] à payer à M. [R] et à Mmes [M] et [R] la somme de 2 000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de toutes demandes plus amples ou contraires,

- condamné solidairement M. et Mme [V], M. [W], M. [L] aux dépens,

et de déclarer que :

- la donation de la nue-propriété de la maison susvisée leur sera inopposable,

- cette décision sera opposable au bâtonnier de l'ordre des avocats du Havre ès qualités de séquestre,

- la somme due par M. [R] à M. [V] en qualité d'héritier de M. [A] est de 35 646 euros,

- la somme due à M. [V] est de 44 034 euros,

- la somme due à M. [L] est de 31 453 euros,

- la somme due à M. [W] est de 54 518 euros,

- la somme due à Mme [D] est de 44 034 euros,

- ordonner que les appelants puissent recouvrir leurs créances sur la somme consignée à charge pour eux de se répartir équitablement les sommes,

- ordonner la capitalisation des intérêts sur les sommes dues,

- condamner solidairement les intimés à leur payer, à chacun, la somme de

7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les intimés aux dépens.

S'agissant du respect des délais de mise en 'uvre de l'action paulienne, ils rappellent qu'elle se prescrit dans un délai de cinq ans à compter « du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer » ; qu'en l'espèce, l'information a eu, pour origine, la réception d'une correspondance de

M. [R], en provenance de [Localité 17] le 5 mars 2009 ; que l'action a été introduite en 2012 dans le délai imparti.

S'agissant des conditions de mise en 'uvre de l'action, ils soutiennent que l'exercice de l'action paulienne suppose l'existence d'une créance certaine dans son principe et antérieure à l'acte frauduleux ; que lors de la donation, M. [R] était administrateur de la Sa Sainte Hildegarde, les appelants étant alors déjà ses créanciers sans qu'il ne soit nécessaire de rechercher l'existence de créances liquides et exigibles.

Ils soulignent donc que les avances ont été accordées en 1996, 1998,1999 et 2000 et ont directement bénéficiés à M. [R] alors que ce dernier a consenti la donation critiquée le 22 décembre 1998 ; que la condamnation pénale vise des faits de 1996 à 2002 ; que les créances postérieures à l'acte frauduleux peuvent être invoquées car le débiteur a accompli volontairement un acte d'appauvrissement ayant pour effet de nuire à ses créanciers futurs ; que M. [R] a organisé son insolvabilité ; que

M. [R] était déjà insolvable en 1999 puisque l'avance à terme accordée par Mme [D] le 10 décembre 1997 n'a pas été réglée par la Sa Sainte Hildegarde ou

M. [R] mais par son père, M. [N] [R].

Pour critiquer le jugement entrepris, ils ajoutent que le fait pour M. [R] d'avoir effectué des versements au cours des années 2008 à 2010, d'avoir vendu un immeuble après sa condamnation en 2010 ne peut contredire l'existence de l'insolvabilité caractérisée lorsque l'actif connu est inférieur au passif recensé ; que cette insolvabilité apparente ne fait aucun doute au regard des fonctionnements de la société, tels que révélés au cours de l'enquête notamment du changement d'associés intervenu à la suite d'impayés subis par M. [R] dont la société était en difficulté dès 1996 ; qu'il est acquis que lors de la donation litigieuse, M. [R] était insolvable et avait conscience de la portée de son acte à l'égard des créanciers même si l'intention de nuire n'est pas une condition de succès de l'action paulienne.

Ils tirent les conséquences de ces éléments de preuve pour obtenir l'inopposabilité de la donation consentie par M. [R] à ses enfants et le paiement de leurs créances sur les fonds consignés.


En l'absence de conclusions notifiées dans le délai imparti par les articles 909 et 911 du code de procédure civile, et nonobstant la prorogation des délais fixés par l'ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020, les intimés constitués ont été déclarés irrecevables à conclure.

 

La déclaration d'appel et les conclusions des appelants ont été signifiées à M. [U] [R] suivant les modalités de l'article 659 du code de procédure civile les 28 janvier 2020, 19 novembre 2020 et 20 et 27 janvier 2022, l'intimé n'ayant pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 26 janvier 2022.

 

MOTIFS

Sur l'action paulienne

Les articles 1165, 1666 et 1167 anciens du code civil applicables en l'espèce, soit antérieurs à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ayant pris effet au 1er octobre 2016, disposent que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; qu'elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l'article 1121 ; que néanmoins les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne ; qu'ils peuvent aussi, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits.

L'action paulienne a ainsi pour objet d'autoriser le créancier poursuivant, par décision judiciaire et dans la limite de sa créance, à échapper aux effets de la soustraction d'un bien du patrimoine du débiteur, opérée en fraude de ses droits, afin de bénéficier de cet actif.

Elle suppose l'existence d'une créance certaine en son principe lors de la signature de l'acte et lorsque le juge statue, dès lors antérieure ainsi que d'un dommage causé au créancier soit la privation de la possibilité de recouvrer la créance, le débiteur ayant agi en connaissance de cause quant au préjudice créé.

L'exception d'incompétence soulevée par Mme [M] devant le tribunal n'étant pas discutée en cause d'appel, seules doivent être examinées les conditions de mise en 'uvre de l'action engagée.

Pour rejeter l'action, le tribunal a retenu que seul M. [W] justifiait d'une créance certaine en son principe à la date de la donation litigieuse, les créances de

M. et Mme [Z]-[D] et de M. [L] étant postérieures ; que l'organisation de son insolvabilité par M. [R] n'était pas démontrée au regard de la seule créance antérieure ; qu'il n'était pas établi que le débiteur ait eu l'intention de nuire aux intérêts de M. [W].

Si en réalité, la mise en 'uvre de l'action paulienne n'exige pas la preuve de l'intention de nuire du débiteur, il revient aux créanciers de démontrer l'existence objective d'une fraude et donc de l'appauvrissement volontaire du débiteur aux dépens des tiers, titulaires de créances certaines en leur principe, lors de la passation de l'acte.

Sur production de l'acte du service de la publicité foncière, alors la conservation d'hypothèques d'[Localité 19] du 22 décembre 1998, du compromis de vente du 17 janvier 2014 et de l'attestation notariée du 14 mars 2014, il est établi que par acte du 22 novembre 1998, Mme [T] [R] et M. [H] [R] ont bénéficié de la donation par leurs parents M. et Mme [R] [M] chacun de la moitié de la nue-propriété de l'immeuble sis à [Localité 17]. Suivant le prix de vente du bien en 2014, et donc majorée par rapport à sa valeur lors de la donation, la part soustraite du patrimoine représentait une somme de 63 000 euros (126 000 euros / 2).

Comme l'a rappelé le tribunal, l'avance discutée, consentie par M. [W] est antérieure à la donation pour avoir été émise le 20 novembre 1998.

Il convient, toutefois, d'y ajouter celle qui a été accordée par M. [A] le 10 décembre 1996 aux droits duquel vient M. [V] en qualité de légataire universel.

Surtout, il ressort de la convention signée entre M. [V] et M. [R], le 20 mars 1996, la création d'une relation d'affaires permettant au premier de percevoir « 3 % des sommes investies par les personnes que vous nous aurez fait connaître parmi vos amis et relations, disposées à consentir une Avance à notre Société après s'y être associées. » donc, d'un accord entre les parties à l'origine de créances permettant à la Sa Sainte Hildegarde de bénéficier de fonds devant être investis pour assurer une rentabilité aux investisseurs, suivant un taux d'intérêt défini lors de l'avance devant être restituée à terme déterminé.

En réalité, une lettre du 10 décembre 1997, donc antérieure à la donation, révèle déjà les difficultés financières de M. [R] qui écrit : « Vous trouverez ci-joint un chèque bancaire BNP n°9411176 tiré sur mon compte personnel pour vos honoraires et pour un montant de ' Je vous adresse un chèque personnel pour que vous puissiez disposer rapidement de la somme et je m'occupe de la compensation au niveau de Sainte Hildegarde. ».

Lorsque M. [R] s'est dépossédé de la nue-propriété de l'immeuble de [Localité 17], il existait, compte tenu de l'objet même de son activité personnelle, des créances certaines en leur principe à l'égard de M. [A] et de M. [W] mais également des créances à venir, bien qu'indéterminées quant aux montants et aux titulaires, en raison de la mission confiée à M. [V] d'apporteur des fonds et que M. [R] savait ne pas pouvoir honorer sur son patrimoine.

Il avait conscience de se placer dans une situation d'insolvabilité, en l'absence d'actifs suffisants pour faire face à un passif croissant et supérieur.

Par jugement du 9 février 2006, le tribunal correctionnel de Paris a repris précisément les circonstances dans lesquelles, après avoir prêté des sommes de l'ordre de

900 000 francs en 1995 et 1996 à ses associés qui se sont abstenus de le rembourser, M. [R] s'est trouvé en difficulté financière à travers sa société et avait commencé à solliciter des avances en compte courant en 1996 : « Il espérait récupérer l'argent qui lui était dû pour rembourser les parties civiles. Réinterroger le 21 décembre 2004, il admettait n'avoir jamais placé les versements consentis par les parties civiles alors que c'était le but affiché, les avoir faits transiter par SHD et les avoir utilisés pour son compte personnel. A l'audience, M. [R] a reconnu qu'à l'époque des faits, il avait bien utilisé les fonds à des fins personnelles, attendant en vain par ailleurs le remboursement des sommes qui lui étaient par ailleurs dues par des débiteurs. ».

La donation consentie par M. [R] au profit de ses enfants avait directement comme conséquence, de priver les créanciers, M. [V] et ses proches, de toute possibilité de recouvrement et doit être déclarée inopposable aux appelants.

Le jugement qui a débouté les demandeurs de ce chef sera infirmé.

Les consorts [V]-[L]-[W] sollicitent que la cour qu'ils puissent recouvrir leurs créances sur la somme consignée suite à la vente du bien immobilier, objet de la donation frauduleuse et saisir celle-ci sur le compte séquestre du bâtonnier de l'ordre des avocats du Havre à charge pour eux de se répartir équitablement les sommes, avec capitalisation des intérêts sur les sommes dues.

Afin de déterminer le montant de leurs créances, ils produisent le relevé du compte Carpa ouvert pour cette affaire portant les versements effectués par M. [R] du 18 septembre 2008 au 15 octobre 2021 et des décomptes sur la base des dispositions prises par arrêt de la cour d'appel de Paris du 9 février 2006 intégrant des versements partiels effectués à chacun et un calcul partiel des intérêts échus.

La créance des appelants est définie, suivant titre définitif et exécutoire, par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 10 janvier 2007. Il n'incombe pas à la cour de procéder à la liquidation des créances dues à chacun en suite de l'exécution de cette décision ; il lui revient uniquement d'autoriser leur recouvrement sur l'assiette des sommes consignées soit 65 000 euros correspondant à partie du prix de vente de l'immeuble, objet de la donation litigieuse, ce montant n'étant pas par ailleurs contesté.

Les appelants demandent d'ordonner une répartition à charge pour eux de se répartir équitablement les sommes. Cette demande sera écartée en ce que « l'équité » ne permet pas de déterminer les droits et obligations des parties.

La demande de capitalisation des intérêts sur les sommes dues est sans objet, la présente décision ne prononçant aucune condamnation à paiement.

En l'absence de mise en cause du bâtonnier de l'ordre des avocats du Havre, la présente décision ne peut lui être déclarée opposable.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Compte tenu de la décision prise, le jugement entrepris sera infirmé du chef des dépens et de l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les intimés succombent à l'instance et devront supporter, in solidum, les dépens de première instance et d'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile.

Ils seront également condamnés, in solidum, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, à payer à chacun des appelants la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt rendu par défaut, mis à disposition au greffe et en dernier ressort,

Dans les limites de l'appel formé,

Infirme le jugement entrepris,

Et statuant à nouveau,

Déclare inopposable à M. [F] [V], Mme [B] [D], son épouse,

M. [K] [L], M. [J] [W] la donation, consentie le 22 novembre 1998 par M. [U] [R] au profit de ses enfants, Mme [T] [R] et

M. [H] [R], de la nue-propriété de l'immeuble sis, [Adresse 2] et vendu par acte authentique du 14 mars 2014,

En conséquence, autorise M. [F] [V], Mme [B] [D], son épouse, M. [K] [L], M. [J] [W] à recouvrer leurs créances contre

M. [U] [R] telles que fixées par arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Paris du 10 janvier 2007, sur la somme consignée à hauteur de

65 000 euros entre les mains du bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau du Havre en qualité de séquestre,

Condamne in solidum M. [U] [R], Mme [O] [M], Mme [T] [R] et M. [H] [R] à payer à M. [F] [V], Mme [B] [D], son épouse, M. [K] [L], M. [J] [W], chacun la somme de

5 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute M. [F] [V], Mme [B] [D], son épouse, M. [K] [L], M. [J] [W] pour le surplus des demandes,

Condamne in solidum M. [U] [R], Mme [O] [M], Mme [T] [R] et M. [H] [R] aux dépens de première instance et d'appel.

Le greffier,La présidente de chambre,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : 1ère ch. civile
Numéro d'arrêt : 19/04192
Date de la décision : 07/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-07;19.04192 ?
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