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07/09/2022 | FRANCE | N°17/01064

France | France, Cour d'appel de Rouen, 1ère ch. civile, 07 septembre 2022, 17/01064


N° RG 17/01064 - N° Portalis DBV2-V-B7B-HNFJ







COUR D'APPEL DE ROUEN



1ERE CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 07 SEPTEMBRE 2022









DÉCISION DÉFÉRÉE :



15/00131

Tribunal de grande instance de Rouen du 06 février 2017





APPELANTS :



Madame [R] [C]

née le [Date naissance 6] 1990 à [Localité 20]

[Adresse 13]

[Localité 5]



représentée et assistée par Me François JEGU de la Selarl JEGU VERHAEGHE LEROUX, avocat au

barreau de Rouen plaidant par Me Marie LEROUX





Madame [D] [C]

née le [Date naissance 4] 1962 à [Localité 5]

[Adresse 12]

[Adresse 12]



représentée et assistée par Me François JEGU de la Selarl JEGU VERHAEGHE ...

N° RG 17/01064 - N° Portalis DBV2-V-B7B-HNFJ

COUR D'APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 07 SEPTEMBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

15/00131

Tribunal de grande instance de Rouen du 06 février 2017

APPELANTS :

Madame [R] [C]

née le [Date naissance 6] 1990 à [Localité 20]

[Adresse 13]

[Localité 5]

représentée et assistée par Me François JEGU de la Selarl JEGU VERHAEGHE LEROUX, avocat au barreau de Rouen plaidant par Me Marie LEROUX

Madame [D] [C]

née le [Date naissance 4] 1962 à [Localité 5]

[Adresse 12]

[Adresse 12]

représentée et assistée par Me François JEGU de la Selarl JEGU VERHAEGHE LEROUX, avocat au barreau de Rouen plaidant par Me Marie LEROUX

Madame [A] [Y] veuve [C]

née le [Date naissance 1] 1937 à [Localité 19]

[Adresse 11]

[Localité 5]

représentée et assistée par Me François JEGU de la Selarl JEGU VERHAEGHE LEROUX, avocat au barreau de Rouen plaidant par Me Marie LEROUX

Monsieur [Z] [U]

né le [Date naissance 2] 1980 à [Localité 22] (Tunisie)

chez M. [T] [S]

[Adresse 10]

[Adresse 10]

représenté et assisté par Me François JEGU de la Selarl JEGU VERHAEGHE LEROUX, avocat au barreau de Rouen plaidant par Me Marie LEROUX

INTIMES :

Monsieur le Docteur [J] [X]

né le [Date naissance 9] 1964 à [Localité 19]

[Adresse 14]

[Adresse 14]

représenté par Me Vincent MOSQUET de la Selarl LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de Rouen et assisté de Me Soledad RICOUARD, avocat au barreau de Paris

Madame le Docteur [N] [L]

née le [Date naissance 7] 1967 à [Localité 16]

[Adresse 15]

[Adresse 15]

comparante en personne représentée et assistée par Me Marie-Noëlle CAMPERGUE de la Scp EMO Avocats, avocat au barreau de Rouen

ONIAM - Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales

[Adresse 23]

[Adresse 23]

[Adresse 23]

représenté par Me Christophe SOLIN de la Selarl CABINET CHRISTOPHE SOLIN, avocat au barreau de Rouen et assisté de Me Sylvie WELSCH du cabinet UGGC, avocat au barreau de Paris, plaidant par Me BLANC

Sas CLINIQUE [17]

RCS de Rouen 620 500 223

[Adresse 14]

[Adresse 14]

représentée par Me Renaud DE BEZENAC de la Selarl DE BEZENAC & Associés, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Juliette VOGEL de la Selas HMN Partners, avocat au barreau de Paris plaidant par Me WEMAERE

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU CALVADOS

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représentée et assistée par Me Vincent BOURDON, avocat au barreau de Rouen

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 9 mai 2022 sans opposition des avocats devant M. Jean-François MELLET, conseiller, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre,

M. Jean-François MELLET, conseiller,

Mme Magali DEGUETTE, conseillère,

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Catherine CHEVALIER,

DEBATS :

A l'audience publique du 9 mai 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 7 septembre 2022.

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Rendu publiquement le 7 septembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 8 février 2013, Mme [R] [C] accouchait de l'enfant [I], après tentative d'extraction par deux poses de ventouse inefficaces, une tentative de rotation de la tête foetale et une tentative d'extraction au forceps, puis une césarienne. Le docteur [X] a réalisé cet accouchement de 18 h 20 à 18 h 50.

L'enfant présentait une bosse séro-sanguine de 36 cm de périmètre, ainsi qu'un hématome entre la lèvre et le nez.

Le docteur [G], pédiatre exerçant en libéral, se voyait alors confier le nouveau-né, pour lequel elle prescrivait du Dafalgan en cas de douleur, une surveillance habituelle de l'enfant, une dextro et une hémocue à H1, pour permettre de détecter une hémorragie.

L'enfant était placé en incubateur et il était noté, à 21 heures, qu'il était très pâle et qu'il geignait.

Vers minuit, une surveillance des sages-femmes révélait que l'enfant était aréactif, blanc, et qu'aucune fréquence cardiaque n'était perçue, de sorte que le docteur [G], pratiquait un massage cardiaque.

[I] était alors transféré, le 9 février 2013 vers 3h du matin, au CHU de [Localité 21], en réanimation pédiatrique, présentant une céphalhématome, avec un périmètre crânien de 37,5 cm.

Après une stabilisation de son état, l'enfant présentait au septième jour une défaillance multi-viscérale puis se montrait aréactif, présentait une bradycardie et une désaturation à 60 %, jusqu'à son décès survenu le [Date décès 8] 2013.

Par ordonnance de référé du 27 février 2014, le professeur [O] [P], expert en gynécologie obstétrique, était missionné ; il s'adjoignait en qualité de sapiteur, le professeur [B], chef de service des urgences pédiatriques de l'hôpital [18] à [Localité 20]. Le rapport d'expertise était déposé le 30 juin 2014.

Par actes d'huissier des 17 et 18 décembre 2014, les consorts [C] ([R] [C], mère de l'enfant, [Z] [U], son père, [D] et [A] [C] ses grand-mère et arrière grand-mère), ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Rouen les Drs [X] et [G], la clinique [17] et ont appelé en cause la CPAM de [Localité 21], aux fins de voir statuer sur les responsabilités médicales et les réparations du préjudice subi tant par l'enfant que par ses proches.

Par jugement réputé contradictoire en date du 6 février 2017, le tribunal de grande instance de Rouen a notamment :

- mis hors de cause la CPAM de [Localité 21] et reçu l'intervention volontaire de la CPAM du Calvados ;

- déclaré la clinique [17] responsable du retard de prise en charge de l'enfant [I] [C] présentant une grave complication néonatale, à concurrence de 20 % du dommage ;

- écarté des débats la pièce numéro 16 versée dans l'intérêt des consorts [C] ;

- condamné la clinique [17] à payer à Mme [R] [C] et M. [Z] [U], la somme de 7 600 euros ensemble, ou 3 800 euros pour chacun, au titre du préjudice subi par l'enfant décédé, en leur qualité d'administrateurs légaux de leur fils [I] [C], à Mme [R] [C], les sommes de 348,36 euros au titre des frais d'obsèques, et 6 000 euros au titre de son préjudice moral, à Mme [D] [C] et Mme [A] [C], la somme de 1 600 euros pour chacune, au titre de leur préjudice moral ;

- sursis à statuer sur l'éventuelle responsabilité du Dr [X] ;

- ordonné une nouvelle expertise médicale, concernant la seule participation du Dr [X] aux gestes de l'accouchement de Mme [R] [C] ;

- réservé les dépens et les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe le 28 février 2017, les consorts [C] ont interjeté appel de la décision.

Par arrêt en date du 30 mai 2018, la cour d'appel de Rouen a notamment :

- dit les appels des consorts [F] et de la clinique [17] recevables,

- dit le Dr [X] irrecevable à demander en appel la nullité du rapport d'expertise,

- confirmé le jugement sauf en ce qu'il a :

. déclaré la clinique [17] responsable du retard de prise en charge de l'enfant [I] [C] présentant une grave complication néonatale, à concurrence de

20 % du dommage,

. écarté des débats la pièce numéro 16 versée dans l'intérêt des consorts [C],

. condamné la clinique [17] à payer à Mme [R] [C] et M. [Z] [U] la somme de 7 600 euros ensemble ou 3 800 euros pour chacun au titre du préjudice subi par l'enfant décédé, en leur qualité d'administrateurs légaux de leur fils [I] [C], à payer à Mme [R] [C] les sommes de 348,36 euros au titre des frais d'obsèques et de 6 000 euros au titre de son préjudice moral, à payer à Mme [D] [C] et Mme [A] [C] la somme de 1 600 euros pour chacune, au titre de leur préjudice moral,

statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

- débouté le Dr [X] de sa demande tendant à écarter des débats la pièce n° 16 produite par les consorts [F],

- sursis à statuer sur les responsabilités du Dr [G] et de la clinique [17] dans l'attente du rapport de contre-expertise,

- sursis à statuer sur les demandes indemnitaires formées par les consorts [F] et sur la demande formée par la CPAM du Calvados au titre de ses débours et de l'indemnité forfaitaire dans l'attente du rapport de contre-expertise,

- débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

- réservé les dépens d'appel et dit qu'ils suivraient le sort des dépens de première instance.

L'expert désigné a été remplacé par le Dr [M] selon ordonnance en date du 12 juin 2018.

Les consorts [C] ont assigné l'ONIAM en intervention forcée le 23 septembre 2019.

Les experts ont déposé le second rapport le 2 mars 2021.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 3 mai 2022, les consorts [C]/[U] demandent à la cour d'appel, au visa des articles 1142-1 du code de la santé publique et 700 du code de procédure civile, de réformer partiellement le jugement dont appel et de condamner l'ONIAM, à titre principal, à régler :

- à Mme [R] [C] et à M. [Z] [U] agissant ès qualités d'ayants droit de leur fils [I], au titre des souffrances endurées par ces derniers, la somme de 38 000 euros ;

- à Mme [R] [C], au titre des frais d'obsèques, la somme de 1 741,80 euros et au titre de son préjudice moral, la somme de 30 000 euros ;

- à M. [Z] [U], au titre de son préjudice moral, la somme de 30 000 euros ;

- à Mme [D] [C], au titre de son préjudice moral, la somme de 8 000 euros ;

- à Mme [A] [C], au titre de son préjudice moral, la somme de 8 000 euros ;

- statuer ce que droit sur les garanties dues à l'ONIAM ;

- condamner in solidum l'ONIAM, le Dr [G] et la clinique [17] à régler aux requérants la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum l'ONIAM, le Dr [G] et la clinique [17] aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la Selarl JVL & associés, avocats aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 4 mai 2022 , l'ONIAM demande à la cour d'appel, au visa des articles L. 1142-1, L.1110-5 et R. 4127-33 du code de la santé publique d'infirmer le jugement en ce qu'il déclaré la clinique [17] responsable à hauteur de seulement 20 % du dommage et en ce qu'il n'a pas retenu la responsabilité du Dr [G], et statuant à nouveau de :

- fixer à un pourcentage qui ne serait être inférieur à 30 % la perte de chance d'éviter le décès du jeune [I] [C] au titre des manquements fautifs imputables au Dr [G] et à la clinique [17] ;

- en conséquence, rejeter les demandes formulées à l'encontre de l'ONIAM en ce qu'elles excèdent une prise en charge supérieure à 70 % des sommes suivantes :

. 10 500 euros au titre des souffrances endurées de l'enfant [I] [C],

. 1 219,26 euros au titre des frais d'obsèques,

. 17 500 euros au titre du préjudice moral de Mme [R] [C],

. 3 100 euros au titre du préjudice moral de Mme [D] [C],

. 3 100 euros au titre du préjudice moral de Mme [A] [Y] veuve [C].

- débouter M. [U] de sa demande au titre du préjudice moral ;

à titre subsidiaire,

- condamner le Dr [G] et la clinique [17] à garantir l'ONIAM dans l'indemnisation des préjudices des consorts [F] à hauteur de 30 % ;

en tout état de cause,

- débouter les consorts [C]/[U] de leurs demandes de condamnation in solidum à l'encontre de l'ONIAM.

- réduire à de plus justes proportions les frais dus au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- statuer ce que de droit sur les dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 15 avril 2022, Mme le Dr [N] [L] demande à la cour d'appel, au visa des articles L. 1142-1, L. 4151-1 et R. 4127-318 du code de la santé publique de confirmer le jugement en ce qu'il la met hors de cause.

Par dernières conclusions notifiées le 18 février 2022, la clinique [17] demande à la cour d'appel, au visa des articles L.1142-1 du code de la santé publique d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté M. [Z] [U] de sa demande formée au titre d'un préjudice moral, et statuant à nouveau à titre principal de :

- fixer la perte de chance de l'enfant [I] [C] d'éviter le décès à 30%, taux dont il sera fait application pour la liquidation des préjudices indemnisables ainsi que pour la créance de la CPAM du Calvados ;

- dire et juger que le défaut de prise en charge retenu à l'origine d'une perte de chance de 30 % d'éviter le décès de l'enfant [I] [C] doit être imputé à hauteur de moitié au Dr [G] et à hauteur de moitié à la clinique [17] ;

- fixer, en conséquence, la part de responsabilité de la clinique [17] à hauteur de 50 % de la perte de chance de 30 % et en tenir compte dans les rapports entre codébiteurs ;

- liquider les préjudices subis par les consorts [C], avant application du taux de perte de chance de 30 %, de la manière suivante :

. au titre des souffrances endurées par l'enfant [I] [C] : 25 000 euros

. au titre des frais d'obsèques : 1 741,80 euros

. au titre du préjudice moral de [R] [C] : 20 000 euros

. au titre du préjudice moral de [D] [C] : 2 500 euros

. au titre du préjudice moral de [A] [C] : 1 500 euros

- fixer à la somme maximale de 4 240,15 euros la somme due par la clinique [17] à la CPAM du Calvados au titre de ses débours ;

en tout état de cause,

- débouter les consorts [C]/[U] et la CPAM du Calvados, ainsi que toute autre partie intimée, du surplus de leurs demandes formées à l'encontre de la clinique [17] ;

- ramener à de plus justes proportions les sommes réclamées par les consorts [C]/[U] et la CPAM du Calvados au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 8 décembre 2021, M. le Dr [J] [X] demande à la cour d'appel d'infirmer le jugement en ce qu'il a sursis à statuer sur sa responsabilité éventuelle et de :

- prononcer sa mise hors de cause ;

- condamner in solidum l'ONIAM, le Dr [G] et la clinique [17] à lui payer une indemnité d'un montant de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les condamner sous la même solidarité aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître [V] [K], pour ceux dont il en aura fait l'avance, sans en avoir reçu provision.

Par dernières conclusions notifiées le 8 juin 2021, la CPAM du Calvados demande à la cour d'appel, au visa des articles L.1142-1 du code de la santé publique, L. 376-1 du code de la sécurité sociale de :

- condamner le Dr [N] [G] à lui payer la somme de 2 120,07 euros au titre de ses débours, outre intérêts de droit à compter du jugement à intervenir ;

- condamner la clinique [17] à lui payer la somme de 6 360,23 euros au titre de ses débours, outre intérêts de droit à compter du jugement à intervenir ;

- condamner in solidum le Dr [N] [G] et la clinique [17] à lui payer 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

- condamner in solidum le Dr [N] [G] et la clinique [17] à lui payer la somme de 1 800 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner le Dr [N] [G] et la clinique [17], in solidum, aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Vincent Bourdon, avocat aux offres de droit conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 9 mai 2022.

MOTIFS

Sur les débiteurs de l'indemnisation

Aux termes de l'article L.1142-1 du code de la santé publique, les professionnels de santé sont responsables pour faute au titre des soins qu'ils prodiguent. Le II du même article dispose qu'à défaut d'engagement de la faute d'un professionnel, un accident médical ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale, lorsque les préjudices imputables sont anormaux et graves.

Il ressort du second rapport d'expertise que l'acte médical initial, à savoir l'accouchement pratiqué par le Dr [X], n'est pas fautif.

En effet, à dire d'expert, 'la conduite de l'accouchement de Mme [C] a été en tout point conforme aux bonnes pratiques médicales : tentative de ventouse réalisée en respectant les recommandations du collège national des gynécologues et obstétriciens français, suivie d'une tentative de forceps sans traction puis décision de césarienne', intervention elle-même réalisée ' dans les règles de l'art'.

Le décès de [I] a pour origine principale un accident médical non fautif, l'hématome extensif du cuir chevelu étant une complication 'classique, rare, grave et imprévisible de l'utilisation, même correctement effectuée, d'une ventouse obstétricale à dépression'. La prise en charge, d'un point de vue obstétricale, a été 'en tout point conforme aux bonnes pratiques'.

Le Dr [X] est donc hors de cause.

Les experts indiquent en outre qu'un défaut de surveillance post-natal a fait perdre une chance d'éviter le décès de l'enfant. Ils évaluent cette perte de chance à 30 %, taux que personne ne conteste et qui apparaît adapté aux données acquises du litige.

L'ONIAM ne conteste ni ce ratio, ni le fait qu'elle doive indemnisation dans ce contexte où l'aléa thérapeutique est à l'origine des complications fatales, mais où les fautes médicales qui y ont concouru sont postérieures à sa réalisation.

Ces ratios seront retenus, la question étant par suite de déterminer les fautes qui ont concouru à la perte de chance dans la prise en charge de l'enfant.

A dire d'experts, compte tenu du potentiel d'extrême gravité de l'hématome du cuir chevelu, dont l'occurence est multiplié par 59 en cas d'extraction instrumentale par ventouse, une suspicion peut naître de la présence d'un traumatisme obstétrical du scalp chez le nourisson, et doit donner lieu à une surveillance clinique rapprochée pendant au mois 8 heures, orientée sur l'observation clinique et la palpation, ainsi que la mesure du périmètre crânien. Une évaluation biologique doit également être centrée sur la situation hématologique et sur l'état acido-basique.

[I] a fait l'objet de deux essais par voie basse, d'une tentative d'extraction par ventouse puis d'une tentative par voie haute après césarienne. La présence d'une tuméfaction pouvait faire évoquer une bosse séro-sanguine. Dans ce contexte, l'enfant relevait dès la naissance d'une 'approche clinique renforcée'.

Le Dr [G] a prescrit une 'surveillance habituelle du nouveau-né, Dextro et Hémocue à H 1. PG en urgence si + refaire CRP à h 12', puis, étant d'astreinte, a quitté le service à 19 h 24, soit après 35 minutes de vie de l'enfant, confiant la poursuite du suivi aux sages-femmes.

A dire d'expert, l'enfant a été orienté en secteur de soins non adapté à la surveillance. Dès une heure de vie, le constat d'une valeur d'hémocue inférieure au seuil de normalité constituait un point d'alerte qui aurait dû justifier un appel au Dr [G]. Des signes inquiétants sont apparus progressivement ensuite (pâleur, hypothermie, plaintes). Le maintien des signes d'alerte à H + 4 obligeait le recueil par l'équipe soignante d'un avis médical spécialisé, ce qui n'a pas été fait. La pédiatre n'a pas été appelée avant que l'enfant ne fasse un arrêt cardiaque, soit à minuit.

Au vu de cette chronologie, les experts mettent clairement en cause un défaut de suivi imputable aux sages-femmes, préposées de la clinique [17], auxquelles l'article L.4151-1 du code de la santé publique impose de surveiller les soins postnataux. Ils indiquent qu'elles avaient compétence pour connaître les risques inhérents à l'état de [I] 'sans qu'on le leur précise', et pour interpréter les résultats de l'hémocue.

Les experts ont également relevé une faute du Dr [G], non pas dans le diagnostic qu'elle a effectué sur l'enfant, ni dans le contenu des examens de contrôle qu'elle a prescrit, qui était 'conforme aux règles de l'art', mais à raison d'une imprécision du protocole de surveillance qu'elle a défini.

La prescription ci-dessus est en effet insuffisamment précise quant au rythme de la surveillance à effectuer par les sages-femmes et aux modalités de transmission des résultats au pédiatre.

Etant d'astreinte, et non de garde, le Dr [G] était fondée à quitter la clinique. Toutefois, compte tenu des circonstances de la naissance de [I] et du risque de complication vitale, il lui revenait de donner aux sages-femmes des consignes précises et claires sur la conduite à tenir en fonction des résultats, et notamment d'indiquer les hypothèses dans lesquelles il était impérieux qu'elle soit rappelée. En l'espèce, elle a délivré une prescription sans alerte ni consigne particulière. Il n'est d'ailleurs pas contesté qu'elle prescrivait un hémocue de façon habituelle, si bien que l'attention des sages-femmes n'a pas pu être attirée sur l'importance de la surveillance à opérer spécifiquement sur [I]. A défaut d'avoir veillé ab initio à la rigueur du suivi prescrit, le Dr [G] aurait dû s'en enquérir personnellement, ce qu'elle n'a pas fait, alors que la vie de cet enfant à risque lui avait été confiée.

Cette faute vient en concours avec celle des sages-femmes qui ont négligé d'avertir le Dr [G], alors qu'elle avaient compétence pour détecter l'anormalité de la situation de l'enfant dès une heure de vie. La responsabilité de la clinique [17] est prépondérante à cet égard, car le défaut de suivi s'est prolongé sur plusieurs heures. Le défaut de surveillance postnatal a entraîné un retard de prise en charge préjudiciable aux chances de survie de l'enfant, même si les experts expliquent bien que ses chances de survie restaient faibles compte tenu de son état initial. Il doit être également relevé l'absence d'un protocole normalisé au sein de la clinique afin d'articuler les interventions des différents professionnels de santé intervenant en libéral, ce qui traduit un défaut organisationnel grave compte tenu des enjeux vitaux dont cette structure a la charge.

Compte tenu des éléments du dossier, la perte de chance sera imputée à la clinique [17] à hauteur de 75 % et au Dr [G] à hauteur de 25 %.

Sur les demandes formées par les consorts [C]

Les consorts [C]/[U] sollicitent la condamnation de l'ONIAM à indemniser l'intégralité des préjudices, l'arrêt de notre cour du 30 mai 2018 s'étant déjà prononcé sur le principe de l'infirmation de ces chefs, les montants étant réservés.

L'ONIAM réplique qu'elle ne peut être condamnée qu'à hauteur de 70 %, soit la part causale de l'aléa thérapeutique dans la survenue du décès.

En application de l'article L.1142-1 du code la santé publique, l'ONIAM intervient à titre subsidiaire pour indemniser les préjudices ayant pour origine des accidents médicaux non fautifs.

Dans l'hypothèse présente, le dommage a pour origine un aléa thérapeutique : la faute de suivi postopératoire a fait perdre une chance d'éviter les complications fatales.

Il s'ensuit que l'ONIAM doit indemniser l'intégralité des préjudices, sous réserve de son recours en garantie à hauteur de 30 % contre la clinique [17] et le Dr [G].

Ces dernières seront condamnées à garantie à hauteur de 30 %. Elles ne forment pas de recours en garantie entre elles et il n'y a pas lieu d'y procéder.

S'agissant du préjudice corporel de [I] [C], le tribunal a retenu une somme de 38 000 euros compte tenu de la cotation à 6/7, relevant que l'enfant avait vécu de grandes souffrances pendant ses 12 jours de vie.

Le barême interne dont se prévaut l'ONIAM est indicatif et ne lie pas la juridiction.

Le montant n'est pas contesté par les appelants et apparaît approprié.

L'ONIAM sera condamnée à payer cette somme au bénéfice des deux parents ainsi qu'il est demandé.

S'agissant du préjudice matériel lié aux frais d'obsèques, le montant de

1 741,80 euros n'est pas contesté.

L'ONIAM sera condamnée à payer cette somme à Mme [C] seule s'agissant de débours qui lui sont propres.

Le tribunal a fixé à 30 000 euros le montant du préjudice moral de Mme [C], relevant qu'après avoir porté [I] et accouché de l'enfant, elle avait dû assister à ses souffrances pendant 12 jours puis à son décès.

Ces motifs sont propres et le montant fixé n'appelle pas d'infirmation quant au quantum.

L'ONIAM sera condamnée à hauteur de cette somme.

Le tribunal a débouté M. [U] de sa demande de dommages et intérêts, relevant qu'il n'avait pas assisté à l'accouchement, puisqu'il se trouvait en Tunisie à l'époque, et qu'il n'avait reconnu son fils que 3 jours avant l'audience de plaidoirie, alors que [I] était décédé depuis plus de trois ans.

En cause d'appel, M. [U] ne donne pas d'explication particulière à son absence à la naissance ni de la tardiveté de la reconnaissance, mais soutient que le principe de son préjudice est établi, et que 'nul ne peut se faire juge des formes que prennent l'amour et le soutien d'un père pour son fils'.

Compte tenu de l'absence de toute pièce de nature à établir l'existence d'un lien affectif avec l'enfant, ou d'un réel projet parental, le préjudice moral de M. [U] sera évalué à 1 000 euros, somme faisant l'objet de la condamnation de l'ONIAM.

La somme de 8 000 euros fixée par le tribunal au titre du préjudice moral de Mme [D] [C], grand-mère de [I], n'appelle pas de critique, compte tenu des circonstances dramatiques du décès de l'enfant.

En revanche, s'agissant du préjudice de Mme [A] [Y] veuve [C], arrière grand-mère de [I], l'indemnisation sera fixée, après infirmation, à 4 000 euros à défaut de preuve d'une implication particulière dans la grossesse ou la courte vie de l'enfant.

L'ONIAM sera condamnée à payer les sommes ci-dessus.

Sur les demandes formées par la CPAM du Calvados

Le relevé de débours produits par la CPAM du Calvados au titre des dépenses de santé actuelles n'est pas contesté. Il y a donc lieu de retenir la somme de

28 267,60 euros, soit 8 480,30 euros à répartir entre les deux débiteurs à hauteur de leur implication dans la perte de chance.

Il en découle une condamnation du Dr [G] à hauteur de 2 120,07 euros , soit 25 %, et de la clinique [17] à hauteur de 6 360,23 euros, soit 75 %.

La condamnation in solidum du Dr [G] et de la clinique [17] à payer à la CPAM du Calvados la somme de 1 098 euros est de droit s'agissant de l'indemnité prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Quand bien même l'ONIAM est condamnée à titre principal au fond, la clinique [17] et le Dr [G], seules fautives, seront condamnées après infirmation, aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au bénéfice de Me [K], Me [H] et le Selarl JVL et associés, outre une somme au titre des frais irrépétibles qu'il est équitable de fixer à 3 000 euros pour les consorts [C],

1 800 euros à la CPAM du Calvados et 3 000 euros pour le Dr [W] [E].

Il n'y a pas lieu d'inclure les frais d'expertise dans les dépens à défaut de demande en ce sens de la part des consorts [C].

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et en dernier ressort,

Vu l'arrêt de notre cour du 30 mai 2018,

Y ajoutant,

Met hors de cause le Dr [J] [X] ;

Condamne l'ONIAM à payer :

- à Mme [R] [C] et M. [Z] [U] la somme de 38 000 euros au titre des souffrances supportées par l'enfant ;

- à Mme [R] [C] la somme de 1 741,80 euros au titre des frais d'obsèques ;

- à Mme [R] [C] la somme 30 000 euros au titre de son préjudice moral ;

- à M. [Z] [U] la somme de 1 000 euros au titre de son préjudice moral ;

- à Mme [D] [C] une somme de 8 000 euros au titre de son préjudice moral :

- à Mme [A] [Y] veuve [C] la somme de 4 000 euros au titre de son préjudice moral ;

Condamne la clinique [17] et le Dr [N] [G] à garantir l'ONIAM des condamnations ci-dessus à hauteur de 30 % ;

Condamne la clinique [17] à payer à la CPAM du Calvados la somme

6 360,23 euros ;

Condamne le Dr [N] [G] à payer à la CPAM du Calvados la somme de 2 120,07 euros ;

Condamne in solidum la clinique [17] et le Dr [N] [G] à payer à la CPAM du Calvados la somme de 1 098 euros :

Condamne in solidum la clinique [17] et le Dr [N] [G] à payer, au titre des frais irrépétibles :

- à Mme [R] [C], M. [Z] [U], Mme [D] [C] et Mme [A] [Y] veuve [C] une somme de 3 000 euros ;

- au Dr [J] [X] une somme de 3 000 euros ;

- à la CPAM du Calvados une somme de 1 800 euros au titre des frais irrépétibles ;

Déboute les parties de leurs autres demandes ;

Condamne in solidum la clinique [17] et le Dr [N] [G] aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au bénéfice de Me [K], de Me [H] et de la Selarl JVL et associés.

Le greffierLa présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : 1ère ch. civile
Numéro d'arrêt : 17/01064
Date de la décision : 07/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-07;17.01064 ?
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