N° RG 20/00258 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IMI6
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 07 JUILLET 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 10 Décembre 2019
APPELANT :
Monsieur [N] [V]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
présent
représenté par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Marie-France MOUCHENOTTE, avocat au barreau de CAEN
INTIMEE :
Société HSBC CONTINENTAL EUROPE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Caroline BRET de l'AARPI BGL AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Emmanuelle ARNOULD, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 08 Juin 2022 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. GUYOT, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 08 Juin 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 07 Juillet 2022
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 07 Juillet 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [N] [V] a été engagé en qualité de directeur d'agence au Havre par la société HSBC France par contrat de travail à durée indéterminée du 4 août 2015 à effet au12 octobre 2015.
Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000.
Le licenciement pour faute simple a été notifié au salarié le 2 mars 2017.
Par requête du 17 juin 2019, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes du Havre en contestation de son licenciement, ainsi qu'en paiement de rappels de salaire et d'indemnités.
Par jugement du 10 décembre 2019, le conseil de prud'hommes a dit la demande de rappel de salaire sur part variable justifiée, en conséquence, condamné la société HSBC France à verser à M. [N] [V] les sommes suivantes :
rappel de salaire sur sa part variable 2016 / 2017 : 11 250 euros,
congés payés sur rappel de salaire sur sa part variable : 1 125 euros,
dit que les dites sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter du 9 avril 2018, rappelé que l'exécution provisoire est de droit pour les salaires et accessoires de salaire,
indemnité pour dépassement de la durée maximale journalière et hebdomadaire : 6 000 euros
indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile 1 200 euros,
dit que les dites sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du jugement,
-condamné la société HSBC France à remettre à M. [V] une attestation Pôle emploi rectifiée, un bulletin de salaire rectificatif et ce, sans astreinte dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement, débouté M. [V] de toutes les demandes plus amples ou contraires, débouté la SA HSBC France de toutes les demandes plus amples ou contraires dont la demande de l'article 700 du code de procédure civile, fixé en application de 1'article R. 1454-28 du code du travail, la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [V] à la somme de 3 423,30 euros, condamné la société HSBC France aux entiers dépens et frais d'exécution du jugement.
M. [V] a interjeté appel de cette décision le 8 janvier 2020.
Par conclusions remises le 25 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [N] [V] demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société HSBC de ses demandes reconventionnelles, en conséquence, statuant à nouveau, condamner la société HSBC France à lui verser les sommes suivantes :
rappel de salaire sur part variable 2016/2017 : 22 500 euros,
congés payés afférents : 2 225,00 euros,
rappel de salaire sur heures supplémentaires : 74 085,655 euros,
congés payés afférents : 7 408,56 euros,
repos compensateur (30hx47 sem ' 100 contingent x 25,90 euros) : 33 929,00 euros,
congés payés sur repos compensateur : 3 392,90 euros,
dommages et intérêts pour dépassement de la durée maximale journalière et hebdomadaire : 10 000 euros,
-déclarer son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, condamner la société HSBC à lui verser les sommes suivantes :
indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 87 529,29 euros,
indemnité pour préjudice distinct (conditions vexatoires) : 52 517,57 euros,
indemnité pour remise tardive des documents de rupture : 500 euros,
indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 4 000 euros,
-dire que les sommes à caractère de salaire produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation en conciliation pour les sommes à caractère de salaire et à compter du jugement pour les autres, ordonner la remise de l'attestation Pôle Emploi rectifiée sous astreinte journalière de 10 euros, ordonner la remise de bulletins de paie rectifiés sous astreinte journalière de 10 euros, condamner la société HSBC aux entiers dépens et frais d'exécution forcée au besoin.
Par conclusions remises le 10 mai 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la Société HSBC France demande à la cour,
-à titre principal, d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté M. [V] du surplus de ses demandes, en conséquence, dire qu'elle respecte ses obligations en matière de contrôle de la charge de travail des salariés en forfait annuel en jours et que la convention de forfait annuel en jours de M. [V] est parfaitement valable, dire que l'absence de rémunération variable est parfaitement justifiée, pour le surplus, confirmer le jugement, en conséquence, dire que le licenciement pour faute simple de M. [V] prononcé est parfaitement justifié et fondé, qu'il n'a subi aucune dégradation de ses conditions de travail du fait de l'employeur, qu'il ne rapporte pas la preuve des heures supplémentaires, que la remise des documents de fin de contrat n'était pas tardive et qu'en tout état de cause, il n'a subi aucun préjudice du fait de la remise des documents de fin de contrat aux dates indiquées, en conséquence, débouter M. [V] de l'intégralité de ses demandes à ce titre,
-à titre subsidiaire, constater que les demandes indemnitaires de M. [V] sont totalement infondées et manifestement excessives, en conséquence, ramener à de plus juste proportion le quantum de ses demandes,
-en tout état de cause, débouter M. [V] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, le condamner à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 19 mai 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les demandes au titre de l'exécution du contrat de travail
- Sur le rappel de salaire au titre de la part variable
Se fondant sur une circulaire émise par son employeur portant sur la rémunération variable 2016 et 2017, M. [V] reproche à la société HSBC France une absence de versement de prime variable pour l'année 2016 en raison d'une notation injuste et infondée lui reprochant des objectifs atteints de manière irrégulière et ce alors même que son supérieur hiérarchique et ses collaborateurs, aux résultats identiques, ont obtenu une prime, ainsi que d'autres directeurs d'agence, aux résultats équivalents voire moindres. Il sollicite, en conséquence, une prime variable de 15 000 euros pour l'année 2016. Pour l'année 2017, en l'absence d'objectifs fixés et malgré son départ en cours d'année, il sollicite une prime proratisée de 7 500 euros.
La société HSBC France s'oppose à cette demande au motif que le bonus réclamé par M. [V] présente un caractère discrétionnaire et aléatoire, de sorte qu'il n'existe aucun droit acquis. En outre, la circulaire invoquée par le salarié précisant expressément que la rémunération variable est déterminée en fonction de la performance du collaborateur et d'une enveloppe globale, M. [V] est mal fondé à revendiquer le bénéfice d'une telle prime, puisqu'il résulte de sa notation annuelle qu'il n'avait pas atteint les objectifs fixés. Enfin, elle soutient qu'il n'y a pas lieu à versement prorata temporis pour l'année 2017.
Le contrat de travail impose au salarié de fournir une prestation de travail qui est la contrepartie du salaire. La possibilité est donnée à l'employeur de préciser encore ses attentes par la formulation d'objectifs professionnels plus précis, de manière à prendre en compte des situations nouvelles et évolutives qui ne peuvent être prévues au moment même de la conclusion du contrat de travail. Ces objectifs professionnels précis peuvent se présenter sous la forme d'une clause d'objectifs ou de résultat. Les objectifs peuvent être définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction. L'accord du salarié n'est pas nécessaire. En cas de conflit, le juge doit vérifier caractère raisonnable de l'objectif fixé, la charge de la preuve du caractère réalisable des objectifs incombant à l'employeur.
En outre, si l'employeur peut valablement prévoir, en plus du salaire fixe, un élément de rémunération laissé à sa discrétion, ce caractère discrétionnaire ne doit néanmoins pas le conduire à traiter différemment des salariés placés dans une situation comparable. Une différence de rémunération entre des salariés exerçant un travail égal est licite, dès lors qu'elle est justifiée par des critères objectifs et pertinents, étrangers à toute discrimination. Si la différence de traitement découle d'une décision unilatérale de l'employeur, celui-ci doit nécessairement en justifier.
En l'espèce, au titre de la rémunération, le contrat de travail de M. [V] prévoit les dispositions suivantes : 'vous recevrez, en rémunération de votre activité, un salaire de base annuel brut de quarante sept mille euros (47 000 €), qui vous sera payé en treize (13) mensualités et au prorata de votre présence effective au cours de l'exercice.
Cette rémunération constitue la contrepartie forfaitaire de votre activité exercée dans le cadre de votre forfait annuel de travail en jours. Il est expressément convenu que toutes primes non conventionnelles, bonus ou gratifications seront attribués de manière individuelle, sans caractère de récurrence ni d'automaticité, et ne feront pas partie de la rémunération de base.' Il n'est donc prévu contractuellement aucune rémunération variable.
Toutefois, la société HSCB France ne conteste pas avoir mis en place un système de rémunération variable sous forme de primes individualisées examinées annuellement.
Les documents internes relatifs à cette question pour les années 2016 et 2017 précisent que cette 'rémunération variable individualisée mesure l'atteinte des objectifs fixés au collaborateur. Elle est proposée par le manageur sur la base de différents indicateurs listés pour chaque emploi-type dans une grille d'objectifs pondérés fournis chaque mois ('Balanced Scorecard') et répartis en 4 grands thèmes : Résultat [...], Activité [...], Contrôle et qualité [...], Global Standards [...], Synergie [...]. Les propositions de rémunérations variables faites par les manageurs seront contrôlées par un Comité RemVar RBWM composé de la Direction RH de la Direction Business Performance et de la Direction des Régions ou de la Direction CRC. L'objectif de ce comité est de veiller à la cohérence et l'équité de l'ensemble des décisions de rémunérations variables.'
Au titre des modalités et du fonctionnement de cette rémunération, il est donné les explications suivantes :
'1. Eligibilité à la rémunération variable
a. Champ d'application :
Les collaborateurs doivent :exercer une activité au sein du réseau RBWM et avoir des objectifs définis sur les items de la grille Balanced Scorecard de la fonction, consacrer à cette activité au moins 50 % du temps d'exercice de leur fonction. L'appréciation du seuil de 50 % est de la responsabilité du directeur de l'entité (arbitrage éventuel du directeur de région), avoir respecté l'ensemble des règles en matière de déontologie et de conformité en vigueur au sein de HSBC France.
b. Condition de présence :
s'applique aux collaborateurs 'nouveaux arrivants' sur une fonction concernée par cette circulaire : Etre présent dans les effectifs de HSBC sur une période de trois mois consécutifs sans interruption, en CDI ou en CDD ou en contrat d'intérim ; le collaborateur pourra alors bénéficier de la rémunération variable au prorata temporis
c. Mise à jour de HPC - gestion des équipes [...]
2. Enveloppe et paiement de la rémunération variable
L'enveloppe globale de rémunération variable sera fixée en fonction des résultats financiers et commerciaux de RBWM (France) et des résultats du Groupe sur l'année 2016. L'attribution d'un variable sera fonction de la performance individuelle du collaborateur avec un versement qui aura lieu annuellement.
3. Comité Remvar RBWM
Les propositions de rémunération variables faites par les manageurs seront contrôlées par un comité RemVar RBWM composé de la direction RH, de la Direction des régions et de la Direction business performance. L'objectif de ce comité est de veiller à la cohérence et l'équité de l'ensemble des décisions de rémunérations variables.
4. Commission d'arbitrage
Une commission d'arbitrage composée de représentants de la direction des Ressources Humaines, de la Direction RBWM et des Régions/CRC, la conformité siégera afin d'étudier les demandes reçues.
Tout collaborateur du périmètre couvert par cette circulaire pourra saisir, sur demande, la commission d'arbitrage afin de faire valoir un élément de nature exceptionnelle qui n'aurait pas été reconnu par son manageur. [...]'
Ensuite, en annexe du document, figurent de nombreuses grilles d'objectifs définis par fonction de salariés et avec des niveaux de pondération.
Force est ainsi de constater que l'attribution de cette rémunération variable annuelle non automatique est régie par une procédure détaillée et des objectifs définis annuellement de manière très précise.
Au demeurant, M. [V] ne critique pas ces modalités d'attribution théoriques en fonction d'objectifs fixés. Il remet uniquement en cause leur application pratique, estimant que sa performance jugée 'irrégulière' pour l'année 2016 en raison d'objectifs non atteints a été appréciée de manière erronée, arbitraire et injuste, sans prendre en considération le contexte social difficile de l'agence du Havre et portant de surcroît, sur des objectifs irréalisables. En tout état de cause, même à considérer que sa performance jugée 'irrégulière' au terme de son entretien d'évaluation pour l'année 2016 ait été correctement notée, il souligne que ce critère d'appréciation ne fait pas partie des objectifs visés par la circulaire, ce qui rompt l'égalité de traitement. De plus, il relève qu'alors qu'il n'a pas eu de primes, tous ses subordonnés en ont eu et que d'autres directeurs d'agence ou manager tel son supérieur hiérarchique ont également eu une prime alors qu'ils ont été évalués au même niveau de performance 'irrégulière'.
Pour 2016, bien qu'il n'en soit pas justifié, les parties ne contestent pas que les objectifs ont été portés à la connaissance de M. [V] en temps utiles. Ce dernier critique le caractère irréalisable de ces objectifs en produisant sa feuille d'objectifs portant des observations manuscrites tendant à établir que les chiffres réclamés ne peuvent être atteints. La société HSBC France ne dit rien sur ce point.
L'appréciation annuelle sur laquelle est fondée l'absence d'attribution de prime variable annuelle pour l'année 2016 est la suivante :
'Niveau : perf. irrégulière
Commentaires: les résultats commerciaux du Havre ne sont globalement pas aux objectifs sur les items principaux de la conquête, de l'Epargne et du crédit Immo avec de belles réalisation sur les SCPI, l'équipement weath, la prévoyance et le crédit conso.
Remis dans le contexte RH des démissions et postes à vide, il convient de relativiser les résultats prenant ainsi plus d'épaisseur au regard des ETP Présents.
L'équipe est dans l'attente d'un nouveau souffle, d'une nouvelle orientation avec mise en place d'une organisation réactive et d'une animation commerciale efficace incarnées par leur leader qu'ils ont l'envie de suivre vers plus de succès.
Malgré de l'engagement, de la présente au travail, [N] n'a pas trouvé en 2016 dans sa mission principale de manager, la bonne partition pour naturellement embarquer toute son équipe, pour installer du leadership sur lequel s'appuyer pour donner le cap en limitant les résistances.
Le trend ne vas pas en s'améliorant.
Cette situation pèse en premier lieu sur [N], et plus généralement sur toute l'équipe du fait de l'absence d'indicateurs d'amélioration palpables.
C'est la raison de l'appréciation en performance irrégulière de [N].
2017 est une autre année, le recrutement et l'accompagnement des nouveaux entrants sera prioritaire pour consolider les forces commerciales.
Je serai aux cotés de [N] pour l'aider à trouver soit les ressources pour rebondir avec son équipe, soit les ressources pour rebondir sur une nouvelle mission.
Il ne faudrait pas omettre en effet que la prise de poste de Manager dans une nouvelle entreprise, avec de nouveaux outils, une nouvelle stratégie, un contexte RH et crédit difficile, en intégrant de surcroît une agence de grande taille, est un challenge qui reste particulièrement difficile.'
La société HSBC France ne communique ni la proposition de rémunération variable faite par le manager de M. [V], qui n'apparaît pas dans cette évaluation, même pour un refus, ni la décision du comité RemVar RBWM, ni celle de la commission d'arbitrage saisie par M. [V], les parties s'accordant pour dire que cette commission n'a pas modifié la décision de non attribution. Toutefois, elle ne conteste pas que l'évaluation 'performance irrégulière' est la cause de l'absence de rémunération variable, soutenant que cela a été le cas pour tous les directeurs d'agence dans cette situation, sans néanmoins le démontrer valablement, puisqu'à ce titre, elle se contente d'évoquer des chiffres sans en préciser la source, de sorte que la cour n'est pas en mesure d'en apprécier la valeur probante et la véracité.
Or, alors qu'il n'est pas contesté que l'agence du Havre dirigée par M. [V] a connu en 2016 un manque d'effectifs important, qu'il ressort clairement de l'évaluation litigieuse que cette situation difficile a impacté les résultats de l'agence et de M. [V] à titre particulier et que la société HSBC ne démontre pas qu'elle a tenu compte de ces éléments pour fixer des objectifs adaptés à la situation, il y a lieu de considérer que l'évaluation 'performance irrégulière' ayant privé M. [V] de sa prime variable est fondée sur des objectifs non réalisables, de sorte que l'absence de versement de la dite prime n'est pas fondée.
En l'absence d'éléments probants déterminant le montant des primes variables perçus par les autres directeurs d'agence de taille équivalente apportés par l'employeur pour critiquer utilement la prétention du salarié, il convient de faire droit à la demande de ce dernier et de lui allouer une prime variable de 15 000 euros pour l'année 2016, conformément à sa demande, outre la somme de 1 500 euros au titre des congés payés y afférents.
En revanche, c'est en vain que M. [V] sollicite le paiement d'une prime variable pour l'année 2017. En effet, la prime variable litigieuse étant une rémunération mesurant l'atteinte d'objectifs annuels s'appréciant à l'issue de chaque exercice clôturé en l'espèce à la fin de l'année civile, le salarié ne peut soutenir qu'il était, lors de son départ au mois de juin 2017, éligible au versement de cette prime, et ce peu important par ailleurs que les objectifs de l'année 2017 lui aient ou non été notifiées officiellement. C'est au demeurant le sens des notes et circulaires de l'entreprise organisant le versement de ladite prime, puisque s'il est logiquement prévu une proratisation de la prime variable annuelle au profit des 'nouveaux arrivants' en fonction de leur temps de présence effectif sur l'année, il n'est en revanche pas prévu de dispositif similaire pour les salariés quittant l'entreprise en cours d'année.
En conséquence, le jugement est infirmé sur ce point.
- Sur la convention de forfait jour
M. [V] sollicite l'annulation de sa convention de forfait jour au motif que l'amplitude et la charge de travail qui lui étaient imposées n'étaient pas raisonnables, que le respect des durées maximales de travail n'était pas garanti, qu'il travaillait en moyenne 13 heures par jour, 5 jours par semaine, qu'en 2016, il a travaillé 235 jours sans aucune compensation, alors que son forfait prévoit seulement 210 jours de travail, de sorte qu'il est établi que l'employeur n'a pas correctement surveillé sa charge de travail.
Aux termes de l'article L. 3121-40 du code du travail issu de la loi du n°2008-789 du 20 août 2008 devenu L. 3121-55 du même code depuis la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, la forfaitisation de la durée du travail doit faire l'objet de l'accord du salarié et d'une convention individuelle de forfait établie par écrit.
En outre, l'article L. 3121-39 du code du travail dans sa version issue de la loi du n°2008-789 du 20 août 2008 prévoit que la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions.
Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016, les articles L. 3121-63 et L. 3121-64 du même code prévoient des dispositions similaires, intégrant la jurisprudence issue de l'application de l'article L. 3121-39 sus-visé pour notamment préciser le contenu de l'accord collectif autorisant le recours au forfait annuel en jours.
Enfin, alors que le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles, toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
En l'espèce, la clause relative à l'organisation du travail insérée dans le contrat du salarié est rédigée comme suit :
'Conformément à l'accord relatif à la durée du travail du 15 octobre 2008 applicable dans la société, les cadres qui, comme vous, occupent un poste impliquant une importante autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps, et dont la principale mission est d'animer et de piloter une équipe et/ou dont la mission nécessite une expertise développée dans leur métier, voient leur durée de travail exprimée en jours.
Votre durée du travail est de 211 jours par année civile, incluant la journée de solidarité instituée par la loi du 30 juin 2004 et compte tenu d'un droit complet à congés payés et à jours de repos, ce dont il a été tenu compter, par ailleurs dans votre rémunération.
Votre activité doit être assumée dans le cadre du nombre de jours défini ci-dessus. Sauf situation particulière, vous bénéficiez de deux jours de repos hebdomadaires consécutifs dont le dimanche.
Par ailleurs, sauf dérogation dans les conditions fixées par les dispositions législatives et conventionnelles en vigueur, votre durée du travail doit se limiter à 10 heures par jour, et vous devez respecter un repos quotidien d'une durée minimale de 11 heures consécutives.
Les questions relatives à l'articulation entre votre activité professionnelle et votre vie familiale, à la charge et à l'amplitude de travail seront abordées notamment au cours des entretiens d'évaluation (de mi-année et de fin d'année).
En complément de ces entretiens, vous pourrez solliciter, à tout moment, un entretien pour faire le point avec votre manager sur ces sujets.'
L'article 6-2 de l'accord d'aménagement et de réduction du temps de travail dans le secteur des banques du 29 mai 2001 étendu par arrêté du 23 octobre 2001, prévoit en ce qui concerne les cadres autonomes, un dispositif de forfait en jours.
Sur les modalités de mise en oeuvre de ce forfait en jours, il contient les dispositions suivantes :
'Le décompte des journées et demi-journées travaillées se fait sur la base d'un système auto-déclaratif. L'organisation du travail de ce salarié devra faire l'objet d'un suivi régulier par la hiérarchie qui veillera notamment aux éventuels surcharges de travail. Dans ce cas, il y aura lieu de procéder à une analyse de la situation, de prendre le cas échéant, toutes dispositions adaptées pour respecter, en particulier, la durée minimale du repos quotidien prévue par l'article L. 220-1 du code du travail et ne pas dépasser le nombre de jours travaillés, et ce dans les limites prévues au dernier alinéa de l'article L. 212-15-3-III dudit code. La charge du travail confiée et l'amplitude de la journée d'activité en résultant doivent permettre à chaque salarié de prendre obligatoirement le repos quotidien visé ci-dessus ; la durée minimale de ce repos est fixée également à 11 heures prises d'une manière consécutive et, le cas échéant, selon les modalités de l'article 63 de la convention collective de la banque.'
Il est constant que les dispositions de cet accord de branche ont été jugées de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours.
En outre, un accord d'entreprise du 15 octobre 2008 applique ces dispositions et prévoit, en sus, au titre des modalités de contrôle du temps de travail une procédure d'alerte rédigée comme suit :
'Lorsqu'il existe des situations objectives de surcharge de travail, un cadre soumis à ces contraintes exceptionnelles dans son activité professionnelle peut prendre l'initiative de déclencher la procédure d'alerte suivante:
- entretien avec le supérieur hiérarchique destiné à rechercher les causes de cette surcharge exceptionnelle de travail et à mettre en place les mesures correctrices nécessaires.
- si cet entretien devait révéler une origine structurelle à cette surcharge, entretien avec un gestionnaire de la DRH afin de rechercher et de mettre en oeuvre des solutions visant à les juguler.
En tout état de cause, le suivi de l'organisation du travail, de la charge de travail qui en résulte et de l'amplitude des journées de travail sera abordée au cours de l'entretien annuel d'évaluation. A cette occasion et au regard de ces éléments, des actions correctives complémentaires pourront être proposées si nécessaires'.
Au vu de l'ensemble des éléments qui sont de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, la convention de forfait-jours à laquelle M. [V] était soumis est parfaitement régulière, ce qu'au demeurant il ne conteste pas.
Néanmoins, il convient de s'assurer que la société HSBC a mis en oeuvre le suivi prévu par ces dispositions, M. [V] reprochant à son employeur de ne pas avoir vérifié qu'il avait une charge de travail raisonnable compatible avec la mise en oeuvre de ce dispositif, alors qu'il travaillait 13 heures par jour, sans pause méridienne, en étant constamment sollicité en dehors de son temps de travail, même pendant ses congés qu'au demeurant, il ne prenait que de façon très partielle.
A cet égard, à titre liminaire, il convient de préciser que tous les documents produits par la société HSCB France établissant la mise en place de dispositifs de contrôle, notamment de la durée minimale annuelle de congés payés consécutifs de 10 jours ('core leave') et d'information des salariés sont inopérants pour rapporter la preuve de leur mise en oeuvre effective à l'égard de M. [V], dans la mesure où il n'est pas établi que ces documents ont été portés à sa connaissance, s'agissant uniquement de notes intitulées 'DRH Info' pour lesquelles les destinataires sont inconnus. De même, la communication d'un document intitulé 'contrôle de la charge de travail' sur lequel n'apparaît pas le nom de M. [V], mais celui de M. [K], chef de projets MOA, est totalement indifférent.
Pour apprécier l'effectivité de la surveillance de la charge de travail de M. [V], il convient de rappeler que celui-ci a pris son poste au sein de la société HSBC France le 12 octobre 2015 et qu'à la suite de son licenciement décidé le 2 mars 2017, il a quitté l'entreprise à la fin du mois de juin 2017, soit 20 mois plus tard.
Au cours de cette période, M. [V] n'a jamais utilisé la procédure d'alerte prévue dans l'accord d'entreprise. Cependant, l'existence de ce dispositif n'exonère pas la société HSBC France de son obligation de contrôle et de surveillance. Or, contrairement à ce qu'elle soutient, à aucun moment, la trame de l'entretien annuel d'évaluation de M. [V], ni celui du bilan à mi-année, ne laissent de place à cette question, que ce soit pour une remarque spontanée du salarié ou pour un contrôle du supérieur hiérarchique. La charge de travail n'est évoquée à aucun moment, si ce n'est le fait que le supérieur hiérarchique de M. [V] reconnaisse lui-même son engagement et ' sa présence au travail'.
Au vu de ces éléments qui ne caractérise aucun contrôle de la charge de travail de M. [V], en contradiction avec les dispositions conventionnelles et contractuelles applicables, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris et de dire que la convention de forfait jour insérée dans le contrat de travail est privée d'effet, quand bien même le salarié n'a émis de protestations durant l'exécution de la relation de travail que tardivement, à compter du mois de janvier 2017, soit quelques semaines avant son licenciement.
- Sur les heures supplémentaires et les repos compensateurs
Dès lors que la clause de forfait jour est privée d'effet, la durée du travail de M. [V] doit être appréciée conformément aux règles de droit commun.
Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
Il est acquis que le salarié doit fournir préalablement des éléments de nature suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.
En l'espèce, à l'appui de sa demande, M. [V] verse aux débats un tableau dactylographié qui reprend, pour chaque semaine, le nombre d'heures hebdomadaires qu'il soutient avoir accomplies, ainsi qu'un calendrier sur lequel il a inscrit de manière manuscrite ses horaires de travail quotidiens, déclarant en moyenne 12h30 de travail par jour. Ces documents, qui montrent également que M. [V] déclare lui-même avoir travaillé uniquement 5 jours par semaine, ayant toujours eu tous ses samedis et dimanches, sont étayés par les courriels envoyés et reçus par le salarié, une attestation de son fils qui explique que son père travaillait tôt le matin, tard le soir, rentrant souvent après 20 heures ainsi que pendant ses congés, et la production de son agenda électronique.
Il s'agit d'éléments suffisamment précis permettant utilement à la société HSBC France d'y répondre.
Si la société HSBC France ne produit aucune pièce établissant les horaires de travail de M. [V], il convient, d'une part, de relever qu'il existe des incohérences et contradictions entre les pièces produites par le salarié. Ainsi, pour sa première semaine de travail, M. [V] indique avoir travaillé 65 heures, soit sur 5 jours une amplitude horaire de 13 heures, avec selon son décompte des journées de travail jusqu'à 22 heures. Or, cette amplitude horaire est incompatible avec les horaires de bureaux des services de la société HSBC France, l'emploi du temps de M. [V] indiquant pour cette semaine qu'il était en stage d'intégration à [Localité 6] dans les différents services de son employeur, et ce d'autant qu'il n'est pas soutenu que celui-ci a travaillé en dehors de sa présence dans lesdits services.
D'autre part, c'est à juste titre que l'employeur fait observer qu'aucun travail effectif fourni par M. [V] et imposé par la société HSBC France ne peut être déduit à partir des mails envoyés sur sa messagerie, aucun de ses mails n'exigeant une réponse ou une intervention immédiate de sa part, la société HSBC France faisant remarquer, de façon pertinente, qu'elle n'a jamais exigé de M. [V] qu'il consulte sa messagerie professionnelle à tout heure, y compris pendant ses congés, ainsi que le démontre, au demeurant, les quelques réponses que le salarié a pu apporter à ces mails qui consistent en une phrase très courte ou en un transfert de mails vers une personne disponible, action qu'il aurait pu éviter s'il avait mis en place le mode réponse automatique de sa messagerie.
De même, l'analyse des mails envoyés par M. [V] montre que très peu de mails sont horodatés avant 9h ou après 20h ce qui est incohérent avec des journées de travail de 13 heures. En tout état de cause, dans la mesure où la lecture du contenu des mails les plus tardifs montre que M. [V] ne répondait pas à un ordre donné par sa hiérarchie d'agir ainsi, il y a lieu de considérer que de par la nature de ses fonctions de directeur, il disposait d'une autonomie non discutée lui permettant, par commodité ou choix personnel, d'accomplir des tâches non urgentes aux heures qu'il souhaitait.
En revanche, il n'est pas contesté par la société HSBC France qu'en raison d'un manque d'effectif important au sein de l'agence du Havre, M. [V] occupait, en sus de ses fonctions de directeur, un poste de conseiller clientèle, de sorte qu'il devait nécessairement faire face à une charge de travail significative qui ne pouvait être accomplie en 35 heures par semaine, ce que la société HSBC France ne pouvait ignorer, notamment eu égard aux objectifs chiffrés attendus sur l'agence du Havre.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, la cour a la conviction que le salarié a accompli des heures supplémentaires, qui sur la base d'un taux horaire conforme à la demande de celui-ci, et non contesté par l'employeur, de 25,90 euros brut, des majorations de 25 % et 50 % applicables et en tenant compte des jours de récupération dont le salarié a bénéficié, justifient d'allouer les sommes suivantes :
pour l'année 2015 : 5 471,37 euros au titre de la réalisation de 155 heures supplémentaires, outre la somme de 541,14 euros au titre des congés payés y afférents,
pour l'année 2016 : 22 578,33 euros au titre de la réalisation de 640 heures supplémentaires, outre la somme de 2 257,83 euros au titre des congés payés y afférents,
pour l'année 2017 : 9 511,78 euros au titre de la réalisation de 270 heures supplémentaires, outre la somme 951, 18 euros au titre des congés payés y afférents.
Par ailleurs, contrairement à ce que soutient M. [V], il n'existe pas de dispositions conventionnelles fixant le contingent annuel d'heures supplémentaires applicable, puisque l'article 18 de la convention collective applicable prévoit uniquement que 'le contingent annuel visé à l'article 1er du décret n° 2000-82 du 31 janvier 2000 relatif à la fixation du contingent d'heures supplémentaires est majoré de 100 heures pour chacun des exercices civils 2001 et 2002 en application de l'article L. 212-6 du code du travail.' En l'absence de nouvelles dispositions pour les années suivantes, il convient d'appliquer le contingent d'heures supplémentaires fixé à 220 heures par l'article D. 3121-24 du code du travail.
Aussi, il convient de faire partiellement droit à la demande de M. [V] au titre des repos compensateurs et de lui allouer à ce titre les sommes suivantes :
pour l'année 2016 : (640 - 220 ) x 25,90 euros = 10 878 euros, outre la somme de 1 087, 80 euros au titre des congés payés y afférents,
pour l'année 2017 : (270-220) x 25,90 = 1 295 euros, outre la somme de 129,50 euros au titre des congés payés y afférents.
- Sur les dommages et intérêts pour dépassement de la durée maximale journée et hebdomadaire du travail
En application des articles L. 3121-34, L. 3121-35 et L. 3121-36 du code du travail devenu, à compter du 10 août 2016, les articles L. 3121-18, L. 3121-20 et L. 3121-22 du même code, la durée journalière de travail ne peut excéder 10 heures ; au cours d'une même semaine, la durée maximale hebdomadaire de travail est de 48 heures . La durée hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ne peut dépasser 44 heures, saut en cas de dispositions conventionnelles dérogatoires.
En l'espèce, la convention collective applicable ne prévoit pas de durée dérogatoire. Or, il résulte des motifs adoptés précédemment que si M. [V] ne dépassait pas la durée maximale journalière de travail de 10 heures, il a, en revanche, régulièrement travaillé plus de 48 heures par semaine.
Il n'est pas établi que cette situation est à l'origine de son arrêt de travail de mai 2017 qui, au vu du contexte, s'explique par les conséquences psychologiques de son licenciement. Néanmoins, il convient de prendre en compte les inévitables conséquences sur son état de santé engendrées par ce rythme surchargé de travail pendant près de 20 mois qui doivent être justement réparées par l'allocation d'une somme forfaitaire de 2 000 euros, en l'absence de préjudice plus précisément établi par le salarié, la cour infirmant ainsi le jugement entrepris.
Sur les demandes au titre de la rupture du contrat de travail
- Sur la régularité de la procédure
M. [V] soutient que son licenciement doit être déclaré sans cause réelle et sérieuse pour violation d'une garantie de fond, au motif que la société HSBC France n'a pas respecté la procédure d'avis instituée par l'article 27.1 de la convention collective applicable en ce qu'en l'absence de transaction entre les parties, un nouvel avis de la commission paritaire de la Banque aurait dû intervenir.
L'article 27.1 de la convention collective invoqué par M. [V] prévoit que 'la convocation à l'entretien préalable et l'expédition de la lettre de licenciement sont soumis aux délais prévus par la législation en vigueur. Le salarié dispose d'un délai de 5 jours calendaires à compter de la notification du licenciement pour, au choix et s'il le souhaite, saisir par lettre recommandée avec accusé de réception, :
- la commission paritaire de recours interne à l'entreprise mise en place par voie d'accord d'entreprise, si elle existe; les modalités de mise en place et les règles de fonctionnement exposées dans l'annexe II constituent une référence supplétive ;
- ou la commission paritaire de la banque.
Ces deux recours sont exclusifs l'un de l'autre.
Ces recours sont suspensifs, sauf si le salarié a fait l'objet d'un licenciement pour faute lourde. Toutefois, ce caractère suspensif ne saurait se prolonger au-delà d'une durée de 30 jours calendaires à partir de la date de la saisine de l'instance de recours interne ou de la commission paritaire de la banque. Le licenciement ne pourra donc être effectif qu'après avis de la commission saisie s'il a été demandé par le salarié sanctionné. L'avis devra être communiqué dans les 30 jours calendaires qui suivent la saisine.'
En l'espèce, il est constant qu'à la suite du licenciement qui lui a été notifié le 2 mars 2017, M. [V] a régulièrement saisi la commission paritaire de la banque en formation recours qui, par courrier du 27 mars 2017, a indiqué qu' 'après avoir examiné les dossiers et entendu les parties, les membres de la commission prennent note de la volonté des parties de se rapprocher en vue d'une solution transactionnelle'.
À la suite de cette décision, la société HSBC France a confirmé à M. [V], par courrier du 3 avril 2017, sa décision de le licencier.
Le fait que la commission paritaire de la Banque ait choisi de rendre un avis au sein duquel les membres de cette commission ont noté l'intention des parties de se rapprocher en vue d'une solution transactionnelle constitue un avis, dont le choix des termes est de la seule responsabilité de ladite commission. Dans ces conditions et alors que cet avis ne prescrivait nullement une nouvelle saisine pour avis en cas d'échec de la transaction, il ne peut ainsi pas être reproché à la société HSBC France, en l'absence de transaction, d'avoir, à l'issue du délai suspensif de 30 jours, confirmer sa décision de licencier M. [V], les dispositions conventionnelles sus-visées ayant été parfaitement respectées.
- Sur le licenciement
Conformément aux dispositions de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu'elle soit objective, établie, exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.
L'article L. 1235-1 du même code précise qu'à défaut d'accord, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, la lettre de licenciement du 2 mars 2017 reprise dans le courrier de confirmation du 3 avril 2017, qui fixe les limites du litige, est rédigée comme suit :
'Le 3 janvier 2017, vous avez informé votre responsable hiérarchique, [H] [F], du fait que vous aviez emprunté le véhicule de service de l'agence le soir du 31 décembre 2016 pour effectuer un trajet personnel entre le Havre et [Localité 3] et qu'à cette occasion, vous aviez eu un accident. Vous étiez alors accompagné de vos deux enfants.
Or, comme cela vous a été rappelé lors de l'entretien, un véhicule de service ne peut être utilisé pour des besoins personnels. En effet, seule une tolérance pour les trajets entre le domicile et le lieu de travail est possible sur accord de la hiérarchie. Compte tenu de votre positionnement dans l'entreprise, vous ne pouviez ignorer ces règles.
Lorsque nous vous avons interrogé afin de comprendre les raisons pour lesquelles vous aviez emprunté ce véhicule, vous avez indiqué que votre véhicule personnel n'avait pas démarré le 31 décembre dans l'après-midi et que vous n'aviez pas trouvé d'autres solutions pour se rendre chez votre famille en Bourgogne.
Selon vous, vous ne disposiez pas du temps nécessaire pour prendre le train ou louer une voiture. Cependant, vous avez admis que vous n'avez pas entrepris de démarches en ce sens pour vérifier si cela était bien le cas.
Vous avez ajouté que, sur le moment, vous n'aviez pas 'vu le problème' puisque vous aviez pris en charge les frais liés à ce trajet. Vous avez précisé ' ne pas avoir réfléchi'.
Nous ne pouvons en effet que constater que vous n'avez même pas pris l'initiative d'évoquer la situation avec votre responsable hiérarchique avant d'emprunter ce véhicule.
Compte tenu de votre niveau de responsabilité, nous ne pouvons tolérer que vous ayez agi de la sorte. Face à ce constant, nous n'avons d'autre choix que de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute simple.'
M. [V] ne conteste pas la matérialité des faits mais uniquement leur caractère fautif, en ce qu'il fait observer qu'il se trouvait dans une situation exceptionnelle tenant à la panne soudaine de son véhicule personnel alors qu'il devait se rendre dans sa famille en Bourgogne pour le réveillon du nouvel an et qu'en outre, il était d'usage dans l'entreprise d'utiliser le véhicule de service en guise de véhicule de fonction, ce que l'employeur ne lui avait jamais reproché, pas plus qu'à son prédécesseur, précisant qu'il n'a jamais eu connaissance des règles imposées par la société HSBC France sur l'utilisation restreinte du véhicule de service. Il affirme qu'en réalité, son employeur s'est emparé de cette situation pour se séparer de lui en raison d'un échec des négociations de décembre 2016 sur une rupture conventionnelle et de la situation économique difficile de la banque à cette époque.
Il est constant que le contrat de travail de M. [V] ne prévoit pas l'attribution d'un véhicule de fonction et qu'il est muet sur l'utilisation du véhicule de service de l'agence du Havre.
La société HSCB France verse aux débats une note de service accessible à partir de l'intranet de la banque, ce que M. [V] ne conteste pas, qui précise notamment que 'le véhicule de service doit être utilisé exclusivement par des collaborateurs de HSBC France, ne peut être utilisée pour des besoins personnels en semaine ni le week-end. Une exception peut être tolérée pour les trajets domicile/travail sous réserve de la validation écrite du N+1. Dans ce cas, le véhicule doit être remis à disposition de l'entité pendant les jours d'absence du collaborateur qui l'utilise habituellement.'
Il n'est pas contesté que M. [V] n'a jamais signé de documents formalisant expressément qu'il avait connaissance de cette note.
C'est à juste titre que la société HSBC France soutient qu'en raison de ses fonctions de directeur d'agence, M. [V] ne pouvait méconnaître cette règle imposant l'autorisation de la hiérarchie pour utiliser, à titre exceptionnel, le véhicule de service à des fins personnels.
A cet égard, il y a lieu de relever que M. [V] échoue à établir qu'il pré-existait à son arrivée un usage personnel du véhicule par l'ancien directeur tacitement autorisé. En effet, alors qu'il justifie lui-même que M. [O], l'ancien directeur, a son domicile à [Adresse 7], les relevés de télépéages qu'il produit aux débats pour le mois de décembre 2014 et le premier semestre 2015 montrent que les aller-retours quotidiens les plus fréquents réalisés par le véhicule de service concernent un trajet [Localité 5]-[Localité 4], ce qui ne correspond pas du tout au trajet domicile-travail de M. [O]. De même, la copie de deux feuilles du carnet d'entretien du véhicule de 2011, en ce qu'elle montre, eu égard aux horaires d'utilisation renseignés sur le départ et l'arrivée, que le véhicule était utilisé exclusivement sur le temps de travail et ramené au siège avant la fin de la journée, est totalement inopérante.
Par ailleurs, le mail adressé par M. [V] à son supérieur hiérarchique pour expliquer l'accident est rédigé comme suit :
'[H], la voiture est habituellement utilisée pour les trajets liés aux formations, aux réunions ou pour se rendre chez nos clients. Par ailleurs, pour ma part, je l'utilise également pour aller de mon domicile à l'agence.
Concernant la journée du 31 décembre 2016, il n'était absolument pas question que j'utilise le véhicule mais ma voiture personnelle est tombée en panne au moment de mon départ samedi 31 vers 15h30. Pour détailler, lors de mon départ pour rejoindre ma famille, ma voiture n'a pas démarrée et s'il s'avère après dépannage que cette panne était due à ma batterie qui semble ne pas avoir supportée le froid de la semaine dernière.
Ainsi sans autre moyen de transport, dans l'urgence et sans aucune volonté de nuire à notre entreprise, j'ai emprunté le véhicule de l'agence et ne pensant pas commettre de faute, et en assument les frais liés à ce déplacement.
Vers 20h40, sur l'autoroute A6 au niveau de [Localité 3], un véhicule qui doublait, a perdu le contrôle et est venu me heurter. Suite à ce choc, j'ai également perdu la maîtrise de la voiture, heurtant les glissières de sécurité avant de m'immobiliser sur le voie d'arrêt d'urgence. Je suis profondément désolée de cette situation et je m'en excuse.'
Ce mail montre que M. [V] avait parfaitement conscience d'avoir utilisé dans des conditions qui n'étaient pas admises le véhicule de service de l'agence.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il est acquis que M. [V] a commis une faute en utilisant le véhicule de service à des fins personnelles. Toutefois, compte tenu du contexte dans lequel ces faits se sont déroulés, à savoir la panne avérée et établie du véhicule personnel du salarié un 31 décembre en milieu de journée, la sanction du licenciement, quand bien même M. [V] ne peut se prévaloir que d'une faible ancienneté de treize mois, apparaît totalement disproportionnée.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement entreprise et de dire le licenciement de M. [V] dénué de cause réelle et sérieuse.
- Sur les conséquences financières
Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Conformément aux dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 applicable au présent litige, en considération de son ancienneté, de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (36 ans), du montant de son salaire mensuel moyen de 5 513,17 euros heures supplémentaires incluses, des circonstances de la rupture, de ce qu'il justifie ne pas avoir retrouvé un emploi au même niveau de rémunération de sorte qu'il a créé sa propre activité qui ne lui procurait néanmoins aucune rémunération en 2018, il y a lieu d'allouer à ce titre à M. [V] une somme de 35 000 euros.
Sur les dommages et intérêts pour conditions vexatoires de la rupture
M. [V] fonde la demande présentée à ce titre sur la mise à l'écart dont il aurait fait l'objet pendant la période de préavis d'exécution de son contrat de travail. Toutefois, ainsi qu'il a été retenu dans les motifs précédents, cette situation ressort uniquement des mails envoyés par le salarié lui-même pour se plaindre de ce ressenti qui n'est objectivé par aucun élément, son supérieur hiérarchique n'ayant de cesse de tenter de lui démontrer à chaque manifestation de cet ordre de la part de M. [V].
En outre, il ne justifie pas non plus de l'existence d'un préjudice moral distinct du licenciement en lui même qu'il a vécu comme une sanction injuste, sentiment amplifié par le fait qu'il affirme, sans être contredit sur ce point, avoir été débauché par la société HSBC France de son ancien poste à la Caisse d'Epargne.
Sur les dommages et intérêts pour remise tardive des documents de rupture
Aux termes de l'article R.1234-9 du code du travail dans sa version en vigueur jusqu'au 2 janvier 2020 applicable au litige, l'employeur délivre au salarié, au moment de l'expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications qui lui permettent d'exercer ses droits aux prestations mentionnées à l'article L. 5421-2 et transmet sans délai ces mêmes attestations à Pôle emploi.
En l'espèce, il est constant que la rupture du contrat de travail est intervenue de manière effective à l'issue du préavis exécuté par M. [V] le 30 juin 2017. L'attestation Pôle Empoi et le certificat de travail mentionnent cette date. Par courrier du 18 juillet 2017, M. [V] s'est plaint auprès de son employeur de ce que ces documents ne lui ont pas été remis. Toutefois, il reconnaît dans ces écritures que la société HSBC France a tenu à sa disposition lesdits documents 'dans le courant du mois de juillet'. L'employeur ne conteste pas cette affirmation.
Au vu de ces éléments qui établissent que M. [V] a disposé des documents litigieux moins d'un mois après la rupture du contrat de travail et en tout état de cause, en l'absence de l'établissement de l'existence d'un préjudice, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur les autres demandes
Les conditions de l'article L.1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d'ordonner le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés des indemnités chômage versées au salarié licencié dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, du jour de la rupture au jour de la présente décision.
Conformément à la demande présentée par M. [V], il convient d'ordonner à la société HSBC France de lui remettre des bulletins de salaires rectifiés ainsi qu'un certificat de travail rectifié conformes à la présente décision, sans que les faits de l'espèce ne justifient néanmoins d'assortir cette obligation d'une astreinte.
Les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du jugement déféré pour les dispositions confirmées et du présent arrêt pour les dispositions infirmées.
Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société HSBC France aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [V] la somme de 1 800 euros sur ce même fondement pour les frais générés en cause d'appel et non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [N] [V] de ses demandes de dommages et intérêts pour conditions vexatoires de la rupture et remise tardive des documents de fin de contrat, en ce qu'il a débouté la société HSBC France de toutes les demandes plus amples ou contraires dont la demande de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il a alloué à M. [N] [V] une somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la société HSBC France à payer à M. [N] [V] la somme de 15 000 euros à titre de prime variable pour l'année 2016, outre la somme de 1 500 euros au titre des congés payés y afférents ;
Déboute M. [N] [V] de sa demande en paiement d'une prime variable pour l'année 2017 ;
Condamne la société HSBC France à payer à M. [N] [V] à titre de rappels de salaires pour heures supplémentaires les sommes suivantes :
pour l'année 2015 : 5 471,37 euros, outre la somme de 541,14 euros au titre des congés payés y afférents,
pour l'année 2016 : 22 578,33 euros, outre la somme de 2 257,83 euros au titre des congés payés y afférents,
pour l'année 2017 : 9 511,78 euros, outre la somme 951,18 euros au titre des congés payés y afférents,
Condamne la société HSBC France à payer à M. [N] [V] au titre des repos compensateurs les sommes suivantes :
pour l'année 2016 : 10 878 euros, outre la somme de 1 087,80 euros au titre des congés payés y afférents,
pour l'année 2017 : 1 295 euros, outre la somme de 129,50 euros au titre des congés payés y afférents,
Déboute M. [N] [V] de sa demande au titre des repos compensateurs pour l'année 2015 ;
Condamne la société HSBC France à payer à M. [N] [V] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour dépassement de la durée maximale journée et hebdomadaire du travail ;
Dit que le licenciement de M. [N] [V] est sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société HSBC France à payer à M. [N] [V] la somme de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Dit que les sommes allouées en première instance et en appel à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du jugement de première instance pour les dispositions confirmées et du présent arrêt pour les dispositions infirmées ;
Ordonne à la société HSBC France de remettre à M. [N] [V] des bulletins de salaires rectifiés ainsi qu'un certificat de travail rectifié conformes à la présente décision ;
Dit n'y avoir lieu d'assortir cette obligation d'une astreinte ;
Ordonne le remboursement par la société HSBC France aux organismes intéressés des indemnités chômage versées à M. [N] [V] dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, du jour de la rupture au jour de la présente décision ;
Condamne la société HSBC France à payer à M. [N] [V] la somme de 1 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la société HSBC France de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société HSBC France aux entiers dépens.
La greffièreLa présidente