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07/07/2022 | FRANCE | N°19/03918

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 07 juillet 2022, 19/03918


N° RG 19/03918 - 20/00852





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 07 JUILLET 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugements du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE DIEPPE des 13 Septembre 2019 et 22 Janvier 2020





APPELANT :





Monsieur [V] [J]

[Adresse 3]

[Localité 1]



représenté par Me David ALVES DA COSTA de la SELARL DAVID ALVES DA COSTA AVOCAT, avocat au barreau de R

OUEN







INTIMEE :





SAS PLASTIQUES ET TISSAGES DE LUNERAY

[Adresse 4]

[Localité 2]



représentée par Me Céline BART de la SELARL EMMANUELLE BOURDON CELINE BART AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN su...

N° RG 19/03918 - 20/00852

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 07 JUILLET 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugements du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE DIEPPE des 13 Septembre 2019 et 22 Janvier 2020

APPELANT :

Monsieur [V] [J]

[Adresse 3]

[Localité 1]

représenté par Me David ALVES DA COSTA de la SELARL DAVID ALVES DA COSTA AVOCAT, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

SAS PLASTIQUES ET TISSAGES DE LUNERAY

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Céline BART de la SELARL EMMANUELLE BOURDON CELINE BART AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Florence DUPONT, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 18 Mai 2022 sans opposition des parties devant Madame POUGET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur POUPET, Président

Madame ROGER-MINNE, Conseillère

Madame POUGET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 18 Mai 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 07 Juillet 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 07 Juillet 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Monsieur POUPET, Président et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [V] [J] a été embauché par la société Plastiques et tissages de Luneray (la société) le 1er octobre 1997 en qualité de technicien en organisation.

Il a été élu membre titulaire du comité d'entreprise le 29 juillet 2014.

A compter du 26 janvier 2015, M. [J] a occupé le poste de responsable hygiène sécurité et environnement (RHSE). Il a été placé sous l'autorité hiérarchique de M. [S], directeur technique, de 2007 à 2012, puis, à nouveau à compter de la fin du mois de mai 2016.

Le 2 mai 2016, il s'est vu notifier un avertissement, pour avoir négligé de prendre les mesures nécessaires au fonctionnement normal d'un pont bascule.

Le 20 juin 2016, une altercation s'est produite entre le salarié et M. [S]. Le même jour, M. [J] a été placé en arrêt de maladie.

Le 30 juin, il a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable. L'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement pour faute grave par décision du 18 septembre 2016. L'employeur a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Rouen qui a rejeté son recours par jugement du 23 mai 2019.

Le 11 mai 2017, le médecin du travail a déclaré M. [J] inapte à son poste lors de la visite de reprise.

Le salarié a été licencié le 20 juillet 2017 pour inaptitude, après autorisation de l'inspecteur du travail.

Il a saisi le conseil de prud'hommes de Dieppe afin notamment que soit reconnue une situation de harcèlement moral à l'origine de son inaptitude.

Par jugement du 13 septembre 2019, la juridiction a :

-débouté M. [J] de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents,

-s'est déclaré en partage de voix pour les autres demandes.

Le salarié a interjeté appel de cette décision. L'affaire a été enrôlée sous le numéro 19/03918.

Par conclusions remises le 9 janvier 2020, M. [J] demande à la cour de :

-infirmer ce jugement,

-condamner la société à lui payer les sommes suivantes :

'11 100 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

'1 100 euros à titre de congés payés sur préavis,

'3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société aux entiers dépens, qui comprendront les éventuels frais et honoraires du jugement à intervenir.

Par conclusions remises le 9 avril 2020, la société demande à la cour de :

-confirmer le jugement,

-débouter M. [J] de ses demandes,

-le condamner aux entiers dépens et au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement du 22 janvier 2020, le conseil de prud'hommes, statuant en formation de départage :

-a débouté M. [J] de toutes ses demandes,

-l'a condamné au paiement d'une somme de 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-l'a condamné aux dépens.

Ce dernier a interjeté appel de cette décision et l'affaire a été enrôlée sous le numéro 20/00852.

Par conclusions remises le 15 mai 2020, M. [J] demande à la cour de :

- réformer la décision,

-condamner la société à lui payer les sommes suivantes :

'20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral,

'44 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte d'emploi,

'3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner la société aux entiers dépens, qui comprendront les éventuels frais et honoraires de l'arrêt à intervenir.

Par conclusions remises le 26 juin 2020, la société demande à la cour de :

-confirmer le jugement,

-débouter M. [J] de ses demandes,

-le condamner aux entiers dépens et au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour un exposé détaillé de leurs moyens et argumentation.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il convient d'ordonner la jonction des deux affaires dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.

Il est constant que l'autorisation administrative de licenciement ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations.

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, les agissements répétés de harcèlement moral ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à la date des premiers faits invoqués, en cas de litige le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

M. [J] invoque des difficultés relationnelles anciennes avec son supérieur, M. [S], et ce depuis 2007, un retrait brutal, injustifié et déloyal d'une grande partie de ses fonctions reprises par Mme [C], embauchée en tant qu'ingénieur maintenance fin mars 2016 pour une entrée en fonction le 1er juin, ainsi que des reproches et propos humiliants et vexatoires.

- sur les difficultés relationnelles : en septembre 2007, le médecin du travail a orienté M. [J] vers une psychologue en raison d'une souffrance au travail liée, selon le salarié, au comportement de son supérieur qui voulait accroître son influence au sein de la société et faisait de la rétention d'informations utiles à son travail ainsi que de la 'récupération' des bonnes idées, sans gratification en retour pour leur auteur.

Aucun élément extérieur ne corrobore toutefois l'existence d'agissements de M. [S] qui seraient responsables de cette souffrance et l'appelant n'indique, ni a fortiori n'établit, avoir alerté les représentants du personnel ou son employeur de sa situation.

- sur les reproches injustifiés : il ressort des pièces du dossier que le salarié était en congés payés du 21 avril au 6 mai 2016 et devait solder encore 12 jours ; que, bien qu'il ait attiré l'attention de son employeur sur ses impératifs avec les assureurs et la préparation d'un audit, sa demande de les poser fin juin n'a pas été acceptée, la société estimant que les impératifs pouvaient être réglés 'en local' ; qu'il a donc été à nouveau en congés du 17 mai au 3 juin. La société lui a ensuite reproché, dans sa demande d'autorisation de licenciement pour faute, d'avoir reporté le contrôle réglementaire des palans, chariots et nacelles prévu le 22 juin, en juillet, sans motif légitime et sans l'en avertir. L'inspecteur du travail, comme le tribunal administratif, ont considéré que le salarié n'était pas fautif pour avoir décalé de quelques jours le contrôle au regard des circonstances.

- sur le retrait brutal des fonctions :

Le salarié indique avoir été appelé plusieurs fois, alors qu'il était en formation les 16 et 17 juin 2016, par son interlocuteur au bureau Veritas, pour le contrat des contrôles réglementaires, celui-ci voulant savoir pour quelle raison il avait été contacté par Mme [C] et non M. [J], comme c'était le cas habituellement.

Il est produit des échanges électroniques du 16 juin 2016 au sujet des contrats Sprinkler, RIA et Poteau incendie, entre la société Méréo, chargée d'un audit du parc extincteurs et M. [S], Mme [C] étant seule en copie. Les courriels suivants ont été envoyés entre les mêmes personnes alors que M. [J] était en arrêt de travail.

- sur les propos humiliants et vexatoires :

M. [Y], ancien directeur de production, atteste avoir constaté que les projets gérés par M. [J] étaient régulièrement bloqués par M. [S], sans raison, alors que quand les mêmes commandes étaient passées à son nom, cela ne posait aucun problème. Il ajoute que la direction générale en était informée et n'a pas pris de mesure ; que par ailleurs, M. [S] dénigrait M. [J] auprès de la direction et du siège

M. [H], ancien assistant méthodes maintenances, atteste avoir constaté, parce qu'il avait accès au logiciel permettant de passer les commandes, que celles de M. [J] mettaient un certain temps à être validées par son supérieur ; qu'il s'en est ouvert à M. [S] qui lui a rétorqué que cela ne le regardait pas et que si M. [J] avait un problème il lui appartenait de venir le voir.

Toutefois, en l'absence de précision permettant d'identifier les projets ou les commandes qui auraient été bloqués et alors que M. [S] avait pour consigne de maîtriser les coûts, le fait invoqué n'est pas établi. Il en est de même du dénigrement mentionné par M. [Y] dont il n'est pas précisé en quoi il consistait ni à quelle occasion il aurait eu lieu.

Mme [T], agent de contrôle qualité et représentante du personnel, atteste que la présidente de la société s'adressait de manière agressive à M. [J], lors des réunions CE/DP, en lui tenant des propos tels que : 'vous êtes abruti ; décidément vous ne comprenez rien.' Contrairement à ce que soutient la société, cet élément, suffisamment circonstancié, est établi.

- s'agissant du différend ayant opposé MM. [J] et [S], le 20 juin 2016, le premier voulant obtenir des explications sur le fait que Mme [C] reprenait une partie de ses attributions, il ressort de l'enquête menée par le CHSCT que si aucun témoin n'a assisté à la discussion, deux personnes ont vu l'appelant, qui était dans tous ses états, se diriger vers le bureau de son supérieur et dire à l'un d'eux : 'j'en ai marre, je m'en vais, l'autre, il me fait chier'. Un salarié l'a entendu dire : 'ils ont embauché quelqu'un pour me remplacer elle est en train de prendre tous mes dossiers.' Les personnes interrogées ont précisé que M. [J] n'était pas comme à l'accoutumé (il était mal rasé, préoccupé, à bout et en train de craquer)

Il en ressort que l'appelant était particulièrement affecté par l'intervention de Mme [C] dans ses dossiers. En revanche, il ne saurait être considéré que M. [S] est à l'origine de l'altercation.

M. [J] produit par ailleurs aux débats des éléments médicaux. Un psychiatre certifie en avril 2017 qu'il lui donnait des soins et le médecin du travail a mentionné, le 27 juin 2016, dans le dossier du salarié, un conflit avec le supérieur hiérarchique.

Les éléments ci-dessus qui sont établis, pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

L'employeur conteste le retrait de fonctions au profit de Mme [C] et justifie que ses fonctions étaient différentes de celles de M. [J]. Il indique que cette salariée n'a été chargée que de traiter l'audit de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) pendant les congés de M. [J], lorsqu'il a réalisé que les éléments requis en vue de cet audit n'avaient pas été finalisés par le salarié, sans qu'il l'en ait informé. Il soutient qu'il en est de même pour les échanges avec la société Méréo qui devait intervenir le 21 juin, date fixée avec M. [J] le 7. Il justifie que le même jour M. [J] avait programmé une intervention de dératisation. En outre, en juillet, la société ne pouvait lui adresser les échanges avec la société Mereo, du fait de son arrêt de maladie.

La société fournit dès lors une explication objective à la situation dénoncée qui ne caractérise pas un retrait définitif de certaines attributions de M. [J].

L'usage du pouvoir de direction et de contrôle par l'employeur, même à tort, ne constitue pas en l'espèce un agissement de harcèlement moral, alors que l'inspecteur du travail avait retenu que le fait de ne pas avoir informé la société du report de la date du contrôle réglementaire était fautif.

Ainsi, l'utilisation du terme 'abruti' ne suffit pas, à lui seul, à caractériser un harcèlement moral.

Enfin, la société, qui n'avait pas été alertée jusque là sur des difficultés relationnelles problématiques, a diligenté une enquête confiée au CHSCT après l'altercation ayant opposé MM. [J] et [S], de sorte qu'elle n'a pas manqué à son obligation de sécurité.

Les jugements déférés doivent en conséquence être confirmés.

M. [J] qui succombe est condamné aux dépens et débouté de ses demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile. Il n'est pas inéquitable, au regard des situations respectives des parties, de laisser à la charge de la société ses frais non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Ordonne la jonction des procédures enrôlées sous les numéros 19/03918 et 20/00852, sous le seul numéro 19/03918 ;

Confirme les jugements du conseil de prud'hommes de Dieppe des 13 septembre 2019 et 22 janvier 2020 ;

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [J] aux dépens d'appel.

La greffièreLe président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/03918
Date de la décision : 07/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-07;19.03918 ?
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