N° RG 20/02333 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IQQ2
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 15 JUIN 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
17/01343
Tribunal judiciaire d'Evreux du 30 juin 2020
APPELANT :
Monsieur [V] [H]
né le 24 juillet 1975 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté et assisté par Me Eric CHEVALIER, avocat au barreau de l'Eure
bénéficie de l'aide juridictionnelle totale accordée par décision du 25 mai 2021 n°2021/000331
INTIMEE :
Sa SOGECAP
RCS de Nanterre B086 380 730
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Cécile DAVID, avocat au barreau de Rouen, substituée par Me Philippe DUBOS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 21 mars 2022 sans opposition des avocats devant M. Jean-François MELLET, conseiller, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre,
M. Jean-François MELLET, conseiller,
Mme Magali DEGUETTE, conseillère,
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme [Z] [G],
DEBATS :
A l'audience publique du 21 mars 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 15 juin 2022.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 15 juin 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Le 29 juillet 2008, Mme [D] [K] a souscrit un contrat d'assurance vie Ebene n°742/50023357 auprès de la Sa Sogecap.
Parmi les trois bénéficiaires de ce contrat figurait un de ses fils, M. [V] [H].
Par ordonnance du 14 février 2011, le vice-président chargé de l'instruction auprès du tribunal de grande instance d'Evreux a ordonné la saisie conservatoire des sommes contenues au contrat d'assurance vie Ebene.
Cette ordonnance a été notifiée à la Sa Sogecap le 13 avril 2011 par lettre recommandé avec avis de réception.
Par arrêt définitif du 12 mai 2014, la cour d'appel de Rouen a condamné Mme [D] [K] pour des faits de blanchiment commis entre 2007 et 2009 et prononcé, à titre de peine complémentaire, la saisie des sommes figurant sur le contrat d'assurance vie Ebene. M. [V] [H] a également été condamné a une peine de 5 mois d'emprisonnement avec sursis et a une peine complémentaire de confiscation des sommes contenues sur un autre contrat d'assurance vie.
Mme [D] [K] est décédée le 21 juillet 2015.
Le 17 septembre 2015, la société Sogecap a versé à M. [V] [H] la somme de 144 813,01 euros en exécution du contrat d'assurance vie Ebene.
Par courrier du 27 juillet 2016, l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, se prévalant de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Rouen, a enjoint la Sa Sogecap de se libérer des sommes contenues au contrat. La Sa Sogecap a réglé la somme.
Le 14 octobre 2016, elle a mis a demeure M. [V] [H] de lui restituer la somme de 144 813,01 euros puis saisi le tribunal judiciaire d'Evreux aux fins de condamnation.
Par jugement réputé contradictoire du 30 juin 2020, le tribunal judiciaire d'Evreux a condamné M. [V] [H] à verser à la Sa Sogecap la somme de
144 813,01 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 2016, condamné M. [V] [H] aux entiers dépens, outre 3 000 euros à la société Sogecap au titre de l'article 700 du code de procédure civile et débouté pour le surplus.
Le tribunal a considéré que M. [H] devait répéter les sommes indûment perçues par lui à raison de l'autorité de chose jugée au pénal de la décision qui ordonne la confiscation à titre de peine complémentaire.
Par déclaration reçue au greffe le 23 juillet 2020, M. [H] a interjeté appel de la décision.
EXPOSE DES MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 22 octobre 2020, l'appelant demande à la cour d'appel, au visa des articles L.132-1 du code des assurances, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 6 et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ainsi que 111-3 du code de procédure pénale, 1302-3 et 1352-2 du code civil d'infirmer la décision entreprise et statuant à nouveau de :
- débouter la société Sogecap de l'ensemble de ses demandes, à son encontre ;
- à titre subsidiaire limiter l'obligation de remboursement à un euro symbolique ;
- la condamner à lui payer une somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner en tous les frais et dépens de l'instance, distraits au profit de Maître Eric Chevalier.
Il soutient en substance ce qui suit :
- la saisie conservatoire, qui est une sanction pénale et non une mesure civile, lui est inopposable en tant que bénéficiaire du contrat, alors qu'il n'est pas concerné par l'infraction, et qu'il détient un droit propre sur la somme concernée en application de l'article L.131-12 du code des assurances ;
- en outre, la mesure de saisie est fondée sur l'article 160-9 du code des assurances qui constitue une disposition pénale plus dure que celle existante au moment de la commission de l'infraction, et lui est donc inopposable en application du principe de non-rétroactivité des peines consacré par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les sommes placées étaient sorties du patrimoine de sa mère au moment de la saisie, et son droit spécifique à la perception du capital décès est né à raison du décès de cette dernière : il ne pouvait pas être annulé, même du fait d'un tiers, par l'effet d'un jugement auquel il n'était pas partie ni convoqué.
Par dernières conclusions notifiées le 22 février 2022, la Sa Sogecap demande à la cour d'appel de confirmer le jugement et de :
- condamner M. [H] [V] à lui payer la somme de 144 813,01 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 14 octobre 2016 ;
- débouter M. [H] [V] de toutes ses demandes ;
y ajoutant,
- condamner M. [H] [V] à lui payer une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [H] [V] aux entiers dépens.
Elle soutient qu'à la date de l'arrêt rendu le 12 mai 2014 par la cour d'appel de Rouen, Mme [D] [K] s'était vue confisquée le bénéfice du contrat d'assurance vie Ebene et n'était donc plus propriétaire de la créance, si bien que
M. [V] [H] avait perdu tout droit la concernant.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 2 mars 2022.
MOTIFS
Il ressort de l'article L. 160-9 du code de procédure pénale, issu de la loi 2013-117 du 6 décembre 2013, que la décision définitive de confiscation d'une somme figurant sur un contrat d'assurance vie prononcée par une juridiction pénale, entraîne de plein droit la résolution judiciaire du contrat et le transfert des fonds confisqués à l'Etat.
Ce texte ne modifie pas la nature de la peine, à savoir la confiscation, et ne l'aggrave pas, mais a simplement pour effet de faciliter son exécution, afin de permettre à l'Etat d'appréhender immédiatement les sommes placées sur le contrat d'assurance vie, puisqu'il est résilié rétroactivement. Le moyen tiré du non-respect du principe de non-rétroactivité des peines complémentaires est donc sans emport, étant précisé que la confiscation a été prononcée par un arrêt défintif revêtu de l'autorité de chose jugée.
Cette confiscation a entraîné de plein droit la résolution ab initio du contrat, si bien que le bénéficiaire ne peut pas se prévaloir du droit propre dont il dispose au sens de l'article L.131-12 du code des assurances et plaider que le paiement reçu était justifié. Il doit d'ailleurs être relevé qu'il a lui-même été condamné par la cour d'appel le 12 mai 2014 pour les faits de blanchiment commis en réunion avec sa mère et que sa mauvaise foi est établie.
C'est donc à juste titre que le tribunal, après avoir visé l'article1302 du code civil, a condamné M. [H] à répéter la somme 144 813,01 euros avec intérêts légaux à compter du 14 octobre 2016, date de la mise en demeure.
Le tribunal a relevé une faute de négligence de l'intimée, puisque Sogecap a versé les sommes sans s'enquérir des suites de la saisie conservatoire qui lui avait été notifiée. Il a toutefois, par motifs propres, rejeté la demande indemnitaire formée de ce chef par l'appelant, à défaut de préjudice en lien causal avec le paiement reçu. Il sera ajouté que la faute de négligence ne prive pas de son recours celui qui a enrichi autrui en s'appauvrissant et qu'en l'espèce, la faute lourde n'est ni plaidée ni démontrée.
M. [H] ne saurait échapper à la répétition au motif qu'il aurait consommé la somme, ce d'autant moins qu'il n'établit pas l'avoir dilapidé ni ne fourni aucune information sur son emploi. Il ne saurait davantage sérieusement plaider que cette remise d'une somme de 144 813,01 euros n'aurait pas été à son bénéfice. Le fait qu'il ne déclare que de faibles ressources n'est pas davantage de nature à le faire échapper à l'obligation de restituer, mais concerne les possibilités de mise à exécution.
Les dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles n'appellent pas de critique.
La décision sera donc confirmée.
M. [H] succombe et sera condamné aux dépens, recouvrés selon les dispositions applicables en matière d'aide juridictionnelle et distraction au profit Me Eric Chevalier. Il sera en outre condamné au paiement d'une somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et en dernier ressort :
Confirme la décision déférée ;
Condamne M. [V] [H] à payer à la Sa Sogecap la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [V] [H] aux dépens, recouvrés selon les dispositions applicables en matière d'aide juridictionnelle dont distraction au profit de Me Eric Chevalier.
Le greffier,La présidente de chambre,