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09/06/2022 | FRANCE | N°19/04779

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 09 juin 2022, 19/04779


N° RG 19/04779 - N° Portalis DBV2-V-B7D-ILMD





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 09 JUIN 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE DIEPPE du 19 Novembre 2019





APPELANTE :





Madame [E] [D] épouse [O]

[Adresse 1]

[Localité 3]



présente



représentée par Me Eugénie BENOIST de la SCP DIRASSE ET BENOIST, avocat

au barreau de DIEPPE







INTIMEE :





SAS SYSCO FRANCE venant aux droits de la SAS DAVIGEL

[Adresse 4]

[Localité 2]



représentée par Me Dominique LEMIEGRE de la SCP LEMIEGRE ROISSARD LAVANANT, avocat au barreau de DIEPPE su...

N° RG 19/04779 - N° Portalis DBV2-V-B7D-ILMD

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 09 JUIN 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE DIEPPE du 19 Novembre 2019

APPELANTE :

Madame [E] [D] épouse [O]

[Adresse 1]

[Localité 3]

présente

représentée par Me Eugénie BENOIST de la SCP DIRASSE ET BENOIST, avocat au barreau de DIEPPE

INTIMEE :

SAS SYSCO FRANCE venant aux droits de la SAS DAVIGEL

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Dominique LEMIEGRE de la SCP LEMIEGRE ROISSARD LAVANANT, avocat au barreau de DIEPPE substituée par Me Harouna DIALLO, avocat au barreau de DIEPPE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 27 Avril 2022 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 27 Avril 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 09 Juin 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 09 Juin 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [E] [D] épouse [O] a été engagée en qualité de facturière par la société Davigel par contrat de travail à durée indéterminée le 5 septembre 1977. Après avoir été promue agent administratif 1er degré le 17 février 1998, puis 2ème degré le 31 mars 2005, elle a été nommée assistante de gestion Tel.PL, catégorie agent de maîtrise, le 1er juillet 2008.

Elle a été licenciée le 13 décembre 2017 dans les termes suivants :

'(...) Par la présente, nous vous informons de notre décision de procéder à votre licenciement pour cause réelle et sérieuse pour des faits d'insubordination et de mésentente :

En effet, le 18 mai 2017, lors d'une réunion commune avec [S] [C], [N] [B], [R] [T], il vous a été rappelé les principes de fonctionnement du service, à savoir :

- fournir un service professionnel à l'ensemble des collaborateurs

- être équitable envers tous les collaborateurs

- suivre les règles de gestion définies par le groupe

- s'assurer de la bonne communication entre collègues

- travailler en équipe et apporter son aide lorsque sa/ses collègues sont en difficulté

- faire en sorte qu'il y ait une bonne ambiance de travail

L'ensemble de ces principes ont été confirmés par mail en date du 19 mai 2017 par M. [C].

En juin 2017, il a été décidé de répartir entre vous et Mme [T] l'ensemble des missions du parc auto et téléphonique afin que vous puissiez mutuellement vous suppléer en cas d'absence. Cette nouvelle organisation a été annoncée par mail en date du 9 août 2017.

La gestion du parc auto étant à cette date effectuée uniquement par vous, M. [C] vous a demandé de bien vouloir former votre collègue Mme [T] afin qu'elle puisse être opérationnelle pour vos vacances d'été.

Malgré plusieurs demandes de M. [C], et malgré le fait qu'il vous était demandé de travailler en équipe vous avez refusé de former Mme [T] sur la gestion du parc auto. Plutôt que de privilégier l'échange, vous avez écrit vos procédures et les avez adressées à M. [C] sans apporter plus d'explications à Mme [T] qui a dû gérer pendant votre absence avec votre simple support écrit.

Le 16 novembre 2017, après de nouvelles demandes verbales ayant essuyé un refus, M. [C] vous a demandé de former votre collègue [R] [T] sur l'enregistrement des bons de commande dans SIP afin qu'elle puisse mettre à jour SIP pour les utilisations privées et avantages en nature.

Le même jour, par mail, vous avez refusé de former directement Mme [T]. Vous avez répondu que vous alliez former votre manager M. [C] afin qu'il puisse ensuite former Mme [T].

Votre position étant totalement inacceptable et contraire avec les principes convenus le 18 mai 2017, M. [C] vous a redemandé par écrit de former Mme [T].

Par mail en date du 17 novembre 2017, vous avez maintenu votre position de ne pas former directement Mme [T].

Nous estimons que votre position est de l'insubordination puisque vous refusez d'exécuter une tâche qui vous est demandée.

En outre, vous semblez évoquer un problème de communication avec votre collègue Mme [T] dont cette dernière serait à l'origine.

Pour autant, au regard des faits ci-dessous énoncés, force est de constater que vous êtes responsable d'une mésentente avec Mme [T].

En effet, aux termes de votre entretien annuel au titre de l'année 2016, vous aviez comme objectif de 'faire en sorte que notre nouveau collaborateur s'intègre dans l'équipe du parc auto et assurer la formation de celui-ci sur les assurances (gestion des cartes vertes), les pv (gestion de procès-verbaux), la gestion des fournitures de bureau et des machines à affranchir, la formation gestion programme SIP et la formation back up sur la partie véhicules'.

Lors du bilan de la réalisation de vos objectifs le 10 février 2017, cet objectif a été évalué comme non réalisé. De ce fait, vous n'avez pas perçu votre bonus au titre de cet objectif.

Il ressort également de cet entretien le fait que vous ayez des difficultés relationnelles avec certaines personnes.

Suite à diverses remontées de Mme [T] à votre sujet entravant notamment la bonne exécution de ses missions, il a été décidé d'intégrer géographiquement le parc auto et téléphonique dans le bureau open space du contrôle de gestion.

Malheureusement, force est de constater que vos relations avec Mme [T] ne se sont pas améliorées et que toute communication est rompue :

Le 18 octobre 2017, Mme [T] qui est également en charge du parc auto sur son périmètre vous a demandé de mettre la procédure 'politique voiture' sous format word afin d'effectuer une modification sur les numéros de téléphone de [F] qui comportaient une erreur. Le 19 octobre 2017, sans réponse de votre part, Mme [T] vous a de nouveau sollicitée.

Le 20 octobre suivant, dans la mesure où le document mis à disposition n'était toujours pas en format word, elle vous a de nouveau relancée car elle en avait besoin pour avancer sur ces dossiers. De votre pertinence à ne pas mettre à disposition le document demandé sous format word, Mme [T] a dû gérer et refaire la procédure sous format word modifiable, alors que ce document existait en format word mais que vous vous êtes entêtée à ne pas le communiquer.

Votre réaction au dernier mail de Mme [T] a été de dire à M. [C] que vous aviez effectué la modification dans le document et que la bonne version en format non modifiable était disponible.

Le 24 octobre 2017, Mme [T] vous a remonté que vous aviez omis de lui transmettre un mail nécessaire à l'exercice de ses missions. Vous lui avez répondu que vous n'aviez pas oublié de le transférer mais que le dossier sera mis dans SIP quand vous traiteriez le dossier. Pour autant, sans ce mail, Mme [T] ne pouvait pas assurer l'envoi des éléments demandés pour arrêter la facturation de cette location.

Le 30 octobre 2017, Mme [T] vous a demandé de lui transmettre ou de mettre dans le serveur commun la procédure Overlease pour le 31 octobre 2017 au soir au plus tard.

Le 31 octobre 2017 à 17h, la procédure demandée par Mme [T] n'était pas à sa disposition l'empêchant de mener à bien ses missions.

Le 30 octobre 2017, Mme [T] vous a remonté un souci avec une facture ALD pour un véhicule immatriculé EM 713 SC et vous a demandé de faire le nécessaire afin qu'elle puisse transférer un fichier à la comptabilité le jour même à 12h.

Votre réponse a été : 'le véhicule est sur [Localité 6]'.

Il est exact que [Localité 6] est dans le périmètre de Mme [T] mais elle avait besoin de la mise à disposition du véhicule.

Le même jour, Mme [T] vous a demandé des renseignements sur une facture Arval où de nouveau notamment des véhicules n'étaient pas intégrés.

Ces véhicules non intégrés étaient sur [Localité 5], donc dans le périmètre de Mme [T] mais une fois de plus elle n'avait pas les mises à disposition.

La mésentente constatée à ce jour entre vous et Mme [T] n'est pas isolée et les faits sont même répétitifs :

En effet, à compter de votre arrivée au parc auto en 2008 et jusqu'en 2010, vous avez été amenée à collaborer avec Mme [A] qui était en charge du parc auto et vous de la téléphonie.

Suite au départ en retraite de Mme [A] le 30 novembre 2010, il a été décidé de vous allouer un renfort complémentaire en la personne de [Z] [L] pour gérer la téléphonie.

En juin 2011, dans un souci de poursuite d'activité du service en cas d'absence mais également de développement des compétences, il a été décidé que Mme [L] et vous-même auriez les mêmes missions (téléphonie + parc auto) avec des établissements attitrés.

Durant son contrat à durée déterminée, Mme [L] s'est plainte auprès de M. [C] de votre comportement envers elle et de votre refus de la former sur des tâches en lien avec son poste : comme par exemple le 24 juin 2011 où Mme [L] évoque d'une part le fait que vous ne lui parliez pas et d'autre part, que vous vous êtes permise de fouiller dans ses affaires qui étaient rangées la veille.

De ce fait, à la fin de son contrat à durée déterminée et alors que nous souhaitions confirmer Mme [L] en contrat à durée indéterminée, cette dernière a refusé d'être embauchée en contrat à durée indéterminée par rapport à votre comportement et a même souhaité une rupture anticipée de son contrat à durée déterminée que nous n'avons pas acceptée.

Suite au départ de Mme [L], la gestion du parc auto a été confiée au parc auto de Nestlé France. De ce fait, vos missions étaient centrées sur la téléphonie, les baux, les assurances responsabilité civile, les fournitures de bureau et les affranchisseuses.

Vous avez donc occupé votre poste seule pendant environ 4 années.

Suite à la cession de Davigel par Nestlé en novembre 2015, la gestion du parc a été récupérée en direct au sein du service. Cette tâche transférée ne pouvant être absorbée par vous en plus de vos missions habituelles, Mme [T], qui avait occupé différents postes à durée déterminée au sein de Davigel, a rejoint le parc auto et téléphonie à compter du 11 janvier 2016.

En parallèle, afin que le transfert du parc auto se fasse dans les meilleures conditions possibles et que vous puissiez vous y consacrer pleinement, nous avons embauché en renfort provisoire Mme [J] [P], en contrat à durée déterminée à compter du 18 janvier 2016.

Peu de temps après son arrivée et alors que Mme [P] est une collaboratrice qui a effectué d'autres contrats à durée déterminée dans d'autres services du siège, une importante altercation s'est produite en l'absence de témoin. N'ayant pas d'éléments permettant d'identifier la part de responsabilité de chacune dans cette altercation, et la poursuite de la collaboration entre vous et Mme [P] n'étant plus possible, nous avons pris la décision de mettre fin à la période d'essai de Mme [P] le 28 janvier 2016.

La charge de travail temporaire étant toujours présente, Mme [K] [H] a été embauchée à compter du 18 avril 2016 jusqu'au 21 octobre 2016.

En raison de nouvelles diverses altercations avec Mme [H], de votre détermination à ne pas la former comme par exemple sur la partie gestion dans SIM, et de votre rupture totale de toute communication avec elle, cette dernière a souhaité mettre fin par anticipation à son contrat à durée déterminée.

Sur la période 2011-2016, nous avons donc trois collaboratrices successives qui se sont plaintes:

- de votre comportement

- de votre refus de les former au poste

- de votre rupture totale de communication

et dont la collaboration avec la parc auto a cessé soit de leur propre chef soit à notre initiative.

Force est de constater que le schéma évoqué par Mme [L], [P] et [H] se reproduit de nouveau avec Mme [T] et perturbe de nouveau le bon fonctionnement du service parc auto et téléphonique.

Au cours de l'entretien, vous avez indiqué :

- ne pas avoir l'impression d'être méchante

- que lors de l'altercation avec [J] [P] [M] [V] était témoin

Sur ce point, [M] [V] a entendu que le ton montait car il était dans le bureau d'à côté mais n'était pas dans le bureau avec vous et Mme [P].

- que ce ne sont pas des altercations mais quand vous avez quelque chose à dire vous le dites

- que [S] [C] s'était moqué de [J] [P].

Vous avez ajouté avoir été humiliée par [R] [T] : lorsque [R] aurait repris vos dossiers elle aurait dit aux ARH que vous étiez trop nulle et trop lente.

[R] [T] aurait dit aussi tout haut qu'elle avait une licence en communication et non un petit BEP. Vu que vous avez un BEP vous l'avez pris pour vous.

Vous avez également évoqué le fait que vous n'étiez pas formatrice et que vous aviez tout appris à [R] car vous étiez la seule à savoir se servir de SIP.

Vous réfutez le fait d'avoir refusé de former [R] avant les vacances d'été.

Vous auriez simplement dit ne pas avoir le temps de la former et que du coup vous alliez tout écrire.

M. [C] a réfuté cette affirmation en insistant sur le fait que vous aviez bien refusé de former [R] et que vous aviez dit faire uniquement un écrit et que [R] se débrouillerait avec ça.

M. [X] a demandé où était situé l'ancien bureau' Comment vous aviez été informée de ce changement ' Si le CHSCT avait été informé'

M. [C] a répondu :

- sur l'emplacement de l'ancien bureau qui était juste à côté du nouveau

- que vous aviez été prévenue par SMS avec une photo dans la mesure où vous étiez en arrêt maladie

- que cette situation était intervenue au moment des changements au niveau de la compta et que le CHSCT était au courant

Cette mesure de licenciement prendra effet à compter du présent courrier. (...)'.

Par requête du 22 mai 2018, Mme [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Dieppe en contestation du licenciement, ainsi qu'en paiement de rappels de salaire et indemnités.

Par jugement du 19 novembre 2019, le conseil de prud'hommes a débouté Mme [O] de tous ses chefs de demandes, a débouté la société Sysko France, venant aux droits de la société Davigel, de sa demande reconventionnelle et a condamné Mme [O] aux dépens de l'instance.

Mme [O] a interjeté appel de cette décision le 5 décembre 2019.

Par conclusions remises le 20 février 2020, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, Mme [O] demande à la cour de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de :

- dire que son licenciement est sans cause réelle ni sérieuse et que la société Davigel l'a harcelée moralement,

- en conséquence, condamner la société Sysko, venant aux droits de la société Davigel, à lui payer les sommes suivantes :

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 42 298 euros

dommages et intérêts pour harcèlement moral : 25 000 euros

perte de chance pour privation injustifiée du droit à la prime de départ à la retraite : 12 689,40 euros,

indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros,

documents de fins de contrat rectifiés.

Par conclusions remises le 15 mai 2020, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, la société Sysko France demande à la cour de confirmer le jugement rendu en ce qu'il a débouté Mme [O] de tous ses chefs de demandes, l'infirmer en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et, en tout état de cause, débouter Mme [O] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamner cette dernière au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 7 avril 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

Conformément aux dispositions de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu'elle soit objective, établie et exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.

Il résulte de la lettre de licenciement du 13 décembre 2017 qu'il est reproché à Mme [O] non seulement d'avoir refusé de former Mme [T], collègue nouvellement arrivée avec laquelle elle devait se répartir certaines tâches, mais en outre, d'avoir entravé la bonne exécution de ses missions en refusant de lui transmettre un certain nombre d'informations indispensables, et ce, alors que cette situation s'était déjà produite avec trois autres collaboratrices.

A titre liminaire, il doit être relevé qu'il n'est produit aucun élément relatif à de quelconques difficultés relationnelles avec Mmes [P] et [H] et que, s'agissant de Mme [L], il est produit un unique mail dans lequel elle met effectivement en cause l'attitude de Mme [O], étant néanmoins relevé que ce mail date de 2011, soit plus de six ans avant l'engagement de la procédure de licenciement et qu'il n'a jamais été suivi de la moindre lettre d'observations, et a fortiori, de la moindre sanction.

En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme [T] a été engagée le 11 janvier 2016 en qualité d'assistante parc auto, tâches initialement exercées par Mme [O], aussi a t-il été fixé comme objectif à cette dernière à l'occasion de l'entretien annuel d'évaluation de février 2016 de faire en sorte que cette nouvelle collaboratrice s'intègre dans l'équipe du parc auto en assurant sa formation sur les assurances (gestion des cartes vertes), les procès-verbaux (gestion de procès-verbaux), la gestion des fournitures de bureau et des machines à affranchir, la formation gestion programme SIP et la formation back up sur la partie véhicules, objectif dont il a été constaté lors de l'entretien du 10 février 2017 un taux de réalisation de 0 % et Mme [O] n'a en conséquence perçu à ce titre aucune prime d'objectif.

Néanmoins, il n'est par la suite, dans le cadre de cet entretien, fait aucune annotation littérale relative à cet objectif, sachant qu'il est uniquement indiqué que '[E] a tendance à se bloquer vis-à-vis de certaines personnes qui ne sont pas toujours correctes avec elle et que ce blocage peut être un problème lors d'une collaboration', sans que cette difficulté ne remette en cause les qualités relevées puisque toutes les croix se situent dans un niveau 'maîtrisé', voire 'développé', notamment sur le respect des consignes, soit les deux plus hauts niveaux sur quatre, et que, parallèlement à cette remarque, il est noté qu'elle est très réactive lorsqu'elle peut répondre directement aux collaborateurs.

Ainsi, en février 2017, le commentaire de M. [C] pour conclure cet entretien d'évaluation est le suivant : 'Rien à dire sur le travail de [E], elle est autonome, elle gère très bien les véhicules, la reprise de la gestion du parc automobile de Noisel s'est faite sans difficulté. Dommage que les relations avec certaines personnes soient compliquées, nous allons essayer de travailler avec [E] sur cet aspect'.

Ainsi, si un problème relationnel est effectivement évoqué, il ne ressort nullement de cet entretien, plutôt très positif, que Mme [O] aurait été plus particulièrement alertée sur ce sujet avec injonction d'y remédier rapidement et il doit d'ailleurs être relevé qu'il ne lui était plus fixé pour objectif la formation de Mme [T] aux termes de cet entretien.

Bien plus, alors que le 18 mai 2017 s'est tenue une réunion en présence de Mmes [O] et [T] aux termes de laquelle il leur était rappelé les principes de base du bon fonctionnement du service, à savoir, fournir un service professionnel à l'ensemble des collaborateurs, être équitable envers tous les collaborateurs, suivre les règles de gestion définies par le groupe, s'assurer de la bonne communication entre collègues, travailler en équipe, apporter son aide lorsque sa/ses collègues sont en difficulté et faire en sorte qu'il y ait une bonne ambiance de travail, il ne peut qu'être constaté qu'en septembre 2017, soit quelques mois avant le licenciement de Mme [O], il était à nouveau mis en avant ses qualités avec un bilan global qualifié de 'développé', notamment s'agissant du respect des consignes, et il n'était noté aucune difficulté particulière quant à la communication, qualifiée de 'maîtrisée', le commentaire de M. [C] étant 'Nous partons sur de bonnes bases pour améliorer encore notre service'.

Ainsi, seule Mme [O] évoquait une année difficile et un souhait de changement de service pour développer de nouvelles compétences, étant relevé qu'en juin 2017, elle évoquait auprès du médecin du travail une souffrance au travail en raison de difficultés relationnelles avec sa collègue et son supérieur, le médecin relevant qu'elle présentait un risque d'épuisement.

Il résulte de ces éléments qu'à la date du 8 septembre 2017, l'employeur de Mme [O] ne considérait pas que son comportement posait un problème majeur puisqu'au contraire, son évaluation était très positive.

Il s'en déduit également que la société Sysko France avait connaissance de la mésentente existante entre Mmes [O] et [T], sans qu'elle n'ait diligenté la moindre enquête pour appréhender plus finement les responsabilités de chacune.

Or, s'il est justifié que postérieurement à cet entretien, de nouveaux conflits sont intervenus entre les deux salariées, et que Mme [O] a pu montrer une réticence à transmettre des documents plus exploitables, se contentant ainsi pour exemple de transmettre un document pdf alors même que Mme [T] lui demandait un format word pour pouvoir procéder à d'éventuelles corrections, d'autres mails de Mme [T] ne permettent pas, au contraire, d'y voir une réticence de Mme [O] alors qu'elle-même montre un empressement certain à dénoncer auprès de M. [C] les carences de Mme [O].

Aussi, et s'il est exact que le 17 novembre 2017, Mme [O] écrivait à M. [C] qui lui demandait de montrer à Mme [T] comment enregistrer un bon de commande dans SIP '[S], Je veux bien te faire voir et tu formeras [R] si tu veux', démontrant par là même un refus de former sa collègue, sans qu'elle puisse utilement arguer ne pas avoir reçu de formation pour ce faire dès lors qu'il s'agissait d'une simple transmission de connaissances pratiques, elle expliquait néanmoins les raisons la conduisant à ce positionnement et faisait savoir qu'elle mettait la procédure à jour dès le lendemain.

Ainsi, elle poursuivait le précédent mail de cette phrase 'je crois qu'à aujourd'hui elle a dépassé les limites du supportable pour moi alors si tu veux, c'est à toi que je ferai voir', puis dans un second mail, après que M. [C] lui ait rappelé les termes de la réunion du 18 mai 2017, elle écrivait 'Quant à mon comportement, tu m'excuseras mais je suis tellement stressée que je ne peux parler. Je fais de gros efforts mais quand je subis des humiliations, quand j'entends qu'on critique de façon permanente tout mon travail (et je t'ai prévenu il y a quelques semaines), je n'ai vraiment pas le courage d'assurer la moindre formation'.

Au vu de ces divers éléments, outre que la société Sysko France ne justifie pas de la moindre enquête permettant de déterminer plus précisément les responsabilités de chacune des deux protagonistes dans la mésentente existante, l'insubordination reprochée à Mme [O], certes existante, est néanmoins particulièrement circonscrite en ce qu'elle consiste uniquement à refuser de former sa collègue, sur la base d'arguments développés, et sans remettre en cause la nécessaire transmission de connaissances acquises au gré de sa carrière, puisqu'elle proposait de former un tiers et de mettre à jour les process.

Aussi, alors que Mme [O] avait quarante ans d'ancienneté, qu'en septembre 2017, son évaluation était d'un très bon niveau, tout comme ses évaluations précédentes, et qu'elle n'a jamais fait l'objet de la moindre sanction préalable à ce licenciement, cette sanction est à tout le moins disproportionnée et il convient de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Conformément à l'article L. 1235-3 du code du travail, au regard de l'âge de Mme [O], de son ancienneté, de son salaire de l'ordre de 2 200 euros et alors qu'elle ne justifie pas de sa situation postérieurement au licenciement, il convient de condamner la société Sysko France à lui payer la somme de 28 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur le remboursement des indemnités Pôle emploi

Conformément à l'article L 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner à la société Sysko France de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à Mme [O] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de six mois.

Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral

Mme [O] soutient avoir été l'objet de reproches, critiques injustifiées et insultes via les réseaux sociaux de la part de sa collègue, Mme [T], ce qui a nécessité un arrêt de travail de trois semaines sans que son supérieur hiérarchique ne prenne la mesure de sa souffrance mais au contraire lui demande de former Mme [T] à l'ensemble de ses tâches. Aussi, considérant que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité, elle sollicite des dommages et intérêts pour le harcèlement moral subi.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A l'appui de sa demande, Mme [O] se contente de produire ses arrêts maladie du 21 février au 10 mars 2017, puis du 21 novembre au 17 décembre 2017, arrêt pour lequel son médecin certifie qu'il était en lien avec des troubles anxio-dépressifs, le dossier médical de la médecine du travail faisant état de sa souffrance au travail, un certificat du psychologue du travail l'ayant suivie et des attestations de proches et d'un ancien collègue relatant son mal-être en lien avec le travail, sans aucune précision particulière quant à des faits circonstanciés.

Si ces pièces confirment l'existence d'un mal-être chez Mme [O] et qu'il a été vu précédemment qu'il existait une mésentente entre Mmes [O] et [T], il a également été relevé l'absence de tout élément permettant d'en déterminer le responsable et les mails produits relatifs à cette mésentente, même pris dans leur ensemble et couplés aux éléments médicaux, ne permettant pas de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral, à défaut de tout propos insultants ou injurieux ou même de simples brimades.

Il convient en conséquence de débouter Mme [O] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral, étant relevé que si elle invoque le manque de prise en considération des faits par son employeur, elle n'en tire néanmoins aucune conséquence juridique.

Sur la demande de dommages et intérêts pour perte de chance de bénéficier de ses droits au départ à la retraite

Expliquant qu'ayant 41 années d'ancienneté, elle pouvait bénéficier d'un départ à la retraite sous quelques mois, Mme [O] sollicite 12 689,40 euros correspondant à la prime de départ à la retraite.

En réponse, la société Sysco France fait valoir qu'elle aurait pu percevoir à ce titre 13 750 euros mais qu'elle n'avait que 58 ans au moment du licenciement alors que l'âge légal est de 62 ans, que rien ne permet de déterminer l'âge auquel Mme [O] serait effectivement partie, sachant que les durées d'assurance ne sont pas connues par l'employeur.

Outre que les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse indemnisent l'entier préjudice de Mme [O] né de la rupture, en tout état de cause, une indemnité de licenciement supérieure à l'indemnité de retraite a déjà été versée à Mme [O], laquelle a également pour objet d'indemniser une rupture légitime en tenant compte de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise, aussi, il convient de débouter Mme [O] de cette demande.

Sur la remise des documents

Il convient d'ordonner à la société Sysko France de remettre à Mme [O] les documents de fin de contrat rectifiés conformément à la présente décision.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Sysco France aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à Mme [O] la somme de 3 000 euros sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement,

Infirme le jugement en ses dispositions relatives à la remise des documents de fin de contrat rectifiés, aux dépens, à l'article 700 du code de procédure civile, mais aussi en ce qu'il a dit que le licenciement de Mme [E] [O] reposait sur une cause réelle et sérieuse et l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

Dit que le licenciement de Mme [E] [O] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SAS Sysco France à payer à Mme [E] [O] la somme de 28 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Ordonne à la SAS Sysko France de remettre à Mme [E] [O] les documents de fin de contrat rectifiés conformément à la présente décision ;

Confirme le jugement pour le surplus ;

Y ajoutant,

Ordonne à la SAS Sysko France de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à Mme [E] [O] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de six mois ;

Condamne la SAS Sysco France à payer à Mme [E] [O] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SAS Sysco France de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Sysco France aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La greffièreLa présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/04779
Date de la décision : 09/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-09;19.04779 ?
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