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09/06/2022 | FRANCE | N°19/03091

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 09 juin 2022, 19/03091


N° RG 19/03091 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IH6H





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 09 JUIN 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES D'EVREUX du 01 Juillet 2019





APPELANTE :





Madame [N] [I]

domicile élu C/O Maître Fang Fang WANG

Cabinet ISTYA ASSOCIES

[Adresse 4]

[Localité 3]



représentée par Me Silvia DIAZ,

avocat au barreau de ROUEN







INTIMEE :





SA SOCIETE DE L'ECOLE NOUVELLE - ECOLE DES [7]

[Adresse 2]

[Localité 1]



représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée...

N° RG 19/03091 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IH6H

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 09 JUIN 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES D'EVREUX du 01 Juillet 2019

APPELANTE :

Madame [N] [I]

domicile élu C/O Maître Fang Fang WANG

Cabinet ISTYA ASSOCIES

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Silvia DIAZ, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

SA SOCIETE DE L'ECOLE NOUVELLE - ECOLE DES [7]

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Rosine DE MATOS, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 27 Avril 2022 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 27 Avril 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 09 Juin 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 09 Juin 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

A compter du mois de juillet 2008, Mme [N] [I], ressortissante chinoise, demeurant en Chine, a travaillé pour le compte de la SA Société de l'Ecole Nouvelle exploitant à [Localité 1] un établissement d'enseignement international dénommé l'Ecole des [7]. Elle était chargée de développer un réseau de recrutement d'élèves en Chine et d'assurer le suivi des inscriptions des élèves chinois.

Au cours de l'année 2017, les relations entre les parties ont cessé.

Revendiquant l'existence d'un contrat de travail la liant à la Société de l'Ecole Nouvelle, par requête du 26 décembre 2017, Mme [N] [I] a saisi le conseil de prud'hommes d'Evreux en reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail à durée indéterminée, ainsi qu'en paiement de rappels de salaire et d'indemnités.

Par jugement du 1er juillet 2019, le conseil de prud'hommes, en sa formation départage, a requalifié les relations entre Mme [N] [I] et la Société de l'Ecole Nouvelle en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er juillet 2008, rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la Société de l'Ecole Nouvelle, dit que la loi chinoise est applicable au contrat de travail entre les parties, rejeté toutes les demandes de Mme [N] [I] fondées uniquement sur l'application de la loi française, rejeté les demandes de la Société de l'Ecole Nouvelle, condamné Mme [N] [I] aux dépens.

Mme [N] [I] a interjeté appel de cette décision le 29 juillet 2019.

Par conclusions remises le 15 avril 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, Mme [N] [I] demande à la cour de réformer partiellement le jugement entrepris en ce qui concerne l'application de la loi chinoise à la relation de travail liant les parties ainsi que le rejet de toutes ses demandes et les condamnations prononcées à son encontre, rejeter l'incompétence in limine litis du tribunal de prud'homme d'Evreux soulevé par la partie adverse, dire que le droit français est applicable en raison de sa vocation de substitution, statuant à nouveau,

-à titre principal, dire que la loi française est applicable au contrat de travail entre les parties, en conséquence, dire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, et irrégulier, condamner la Société de l'Ecole Nouvelle à lui verser les sommes suivantes :

7 014 euros à titre d'indemnité de licenciement, au regard de son ancienneté et de l'absence de faute grave ou lourde imputable à cette dernière,

2 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'irrégularité de la procédure de licenciement,

28 056 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

20 000 euros, en réparation du préjudice moral subi du fait des circonstances vexatoires de la rupture du contrat de travail par la Société de l'Ecole Nouvelle et corrélativement du comportement fautif de celle-ci,

1 800 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

3 240 euros au titre de l'indemnité de congés payés sur les trois années précédant la rupture de son contrat de travail,

288 655,56 euros au titre de l'ensemble des heures supplémentaires impayées du 1er juin 2012 au 1er juin 2017,

-ordonner la remise par la Société de l'Ecole Nouvelle du certificat de travail conformément à l'article L.1234-19 du code du travail, et des bulletins de paie de juillet 2008 à juillet 2017 conformément aux articles L.3243-1 à L.3243-5 du code du travail et ce, dans les quinze jours de la signification de la décision assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard,

-à titre subsidiaire, si la cour considère que la loi chinoise est applicable en lieu et place de la loi française, condamner la Société de l'Ecole Nouvelle à lui verser les sommes suivantes :

119 700 yuans, soit 15 238,10 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

8 000 yuans, soit 1 018,42 euros, au titre de son arrêt maladie, chinois,

4 344,90 yuans, soit 553,12 euros au titre de l'indemnité de congés payés,

765 515,61 yuans, soit 97 452,02 euros au titre des heures supplémentaires réalisées les jours ouvrables sur la période allant du 1er juillet 2008 au 3 juillet 2017,

542 243,52 yuans, soit 69 028,94 euros au titre des heures supplémentaires réalisées les jours de repos sur la période allant du 1er juillet 2008 au 3 juillet 2017,

54 745,74 yuans, soit 6 969,27 euros au titre des heures supplémentaires réalisées les jours de fête et lors des vacances légales sur la période allant du 1er juillet 2008 au 3 juillet 2017,

360 612 yuans, soit 45 906,80 euros, au titre des cotisations sociales impayées sur la période allant du 1er juillet 2008 au 3 juillet 2017,

-ordonner la remise par la Société de l'Ecole Nouvelle du certificat de travail et des bulletins de paie de juillet 2008 à juillet 2017 et ce, dans les quinze jours de la signification de la décision à intervenir, assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard,

-en tout état de cause, débouter la Société de l'Ecole Nouvelle de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, condamner la Société de l'Ecole Nouvelle à lui verser somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions remises le 6 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la Société de l'Ecole Nouvelle demande à la cour de recevoir son appel incident et l'en déclaré bien fondé, in limine litis, infirmer le jugement rendu en ce qu'il a requalifié les relations entre Mme [I] et la société en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er juillet 2008 et rejeté l'exception d'incompétence soulevée, statuant à nouveau, déclarer le conseil de prud'hommes d'Evreux incompétent, si la cour retenait la compétence de la juridiction prud'homale, constater que la demande de dommages et intérêts au titre d'un arrêt maladie est irrecevable et débouter Mme [I] de cette demande nouvelle, à titre principal, confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la loi chinoise est applicable au contrat de travail entre les parties, rejeté toutes les demandes de Mme [I], à titre subsidiaire, constater que les demandes de Mme [I] fondées sur le droit chinois sont infondées et la débouter de ces demandes, ou, à tout le moins, les rapporter à de plus justes proportions, à titre reconventionnel, condamner Mme [I] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 27 avril 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la compétence de la juridiction prud'homale

En application de l'article L. 1411-1 du code du travail, le conseil de prud'hommes est compétent pour statuer sur les différends qui peuvent s'élever entre les employeurs et les salariés qu'ils emploient à l'occasion de tout contrat de travail, et par suite pour établir l'existence même d'un tel contrat de travail.

En l'espèce, l'action de Mme [I] tend à voir reconnaître l'existence d'un contrat de travail la liant à la Société de l'Ecole Nouvelle pour ensuite en tirer toutes les conséquences financières et indemnitaires. Cette action relève de la compétence de la juridiction prud'homale, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Ecole Nouvelle.

Sur l'existence du contrat de travail

L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur, et il appartient au juge du fond pour retenir l'existence d'un contrat de travail de vérifier l'existence des éléments constitutifs de ce dernier, en particulier de celui essentiel que constitue le lien de subordination, lequel est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives , d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

S'il convient d'admettre qu'en présence d'un contrat de travail écrit et de bulletins de salaire existe une apparence de contrat de travail , il s'agit d'une présomption simple qui peut donc être renversée et il appartient à celui qui en invoque le caractère fictif d'en rapporter la preuve.

En l'espèce, en l'absence de contrat écrit ou de bulletins de salaire, il n'y a aucune présomption d'existence d'un contrat de travail et il incombe alors à Mme [I] d'apporter la preuve de faits caractérisant les éléments constitutifs d'une relation salariale.

Il est constant que la Société de l'Ecole Nouvelle a confié à Mme [I], à compter de juillet 2008, la mission de développer un réseau de recrutement en Chine et d'assurer le suivi des inscriptions des élèves chinois.

En revanche, les parties s'opposent sur les conditions d'exercice de cette mission, la Société de l'Ecole Nouvelle soutenant que Mme [I] agissait dans le cadre d'un contrat de prestation de service pour lequel il n'est pas contesté qu'elle était rémunérée à hauteur de 900 euros par mois et Mme [I] estimant qu'elle exécutait un véritable contrat de travail.

L'effectivité des tâches accomplies par Mme [I] qui agissait en qualité de mandataire et donc de représentante de la Société de l'Ecole Nouvelle en Chine n'est donc pas remise en cause.

Il en est de même de la contre-partie financière perçue par Mme [I] à ce titre, étant néanmoins fait observer qu'il ne peut être tiré aucune conclusion en faveur de l'existence d'un contrat de travail de l'évocation du versement d'un 'salaire' sur les pièces que Mme [I] présente comme étant des relevés bancaires. En effet, contrairement aux deux dernières pages de la pièce n°4-1 dont la présentation établit de manière certaine qu'il s'agit d'un relevé bancaire avec des sommes exprimées en euros, pages sur lesquelles apparaît le virement de 900 euros mensuel mais sans aucune mention y afférente de 'salaire', les autres pages sont constituées d'un tableau mêlant des sommes exprimées en euros, d'autres exprimées en yuang avec des opérations diverses qui ne peuvent correspondre à un relevé bancaire, mais plutôt à un tableau de gestion établi par Mme [I] elle-même. Dès lors, quand bien même la traduction chinoise portée librement par Mme [I] sur le mot 'salaire' présent sur ce document n'est pas contestée, cet élément n'établit aucunement que la dénomination provient de la Société de l'Ecole Nouvelle qui considérait qu'elle versait des 'salaires' à Mme [I].

Sur les conditions matérielles de travail de Mme [I], s'il n'est pas contesté que celle-ci utilisait des cartes de visite au nom de l'Ecole des [7] et qu'elle pouvait se présenter comme étant 'la directrice du bureau de [Localité 6] de l'Ecole des [7]', ces éléments correspondent à sa mission de représentation de l'Ecole des [7] et ne sont pas antinomiques avec son rôle de mandataire non salarié, de sorte qu'il ne peut en être tiré argument pour établir l'existence d'un lien de subordination.

Il en est de même de l'utilisation par Mme [I] d'une adresse mail au nom de l'Ecole des [7] ([Courriel 5]), étant de surcroît fait observer qu'alors que Mme [I] revendique l'existence d'un contrat de travail depuis juillet 2008, il est constant que cette adresse mail n'a été créée qu'en novembre 2016 et qu'antérieurement, elle utilisait une adresse personnelle pour ses correspondances tant avec la Société de l'Ecole Nouvelle qu'avec les clients chinois de l'Ecole des [7].

Quant à la mise à sa disposition par la Société de l'Ecole Nouvelle d'un bureau à [Localité 6], en l'absence de tout élément établissant l'existence d'une contrainte pour Mme [I] lui imposant l'utilisation de ce bureau à des horaires fixes et définis par son co-contractant, ce n'est pas un élément déterminant.

En effet, si Mme [I] produit à cet effet deux attestations, force est de considérer qu'il ne peut être accordé aucune valeur à ces deux témoignages en raison de leur caractère partial, très général et peu circonstancié, et en tout état de cause contraires aux autres éléments du dossier.

Ainsi, Mme [I] produit une attestation d'un présupposé gardien de l'immeuble dans lequel se trouvait son bureau qui atteste en ces termes 'Mme [I] [N] a respecté strictement le système de navettage requis par l'Etat et, tous les jours ouvrables de décembre 2013 à juin 2017, notre registre a témoigné sa présence complète et des heures supplémentaires, sans absence ni retard ni sortie en avance'. L'attestation rédigée pour la période de février 2012 à décembre 2013 est rédigée dans des termes similaires. En l'absence de pièce d'identité permettant de vérifier la qualité du témoin et eu égard à la généralité des propos tenus, ce témoignage n'a aucune valeur probante.

Quant à l'attestation de Mme [Y] [I], ainsi que le fait justement observer la Société de l'Ecole Nouvelle, la sincérité de ce témoignage doit être remise en question, puisque Mme [Y] [I], qui était la référente salariée en France des chinois scolarisés à l'Ecole des [7], était engagée elle aussi dans une procédure judiciaire contre son ancien employeur lorsqu'elle a rédigée son attestation.

En outre et en tout état de cause, il convient de relever que ce témoignage ne donne aucun exemple précis établissant qu'il existait un quelconque lien de subordination entre les deux femmes ou entre Mme[N] [I] et d'autres responsables de l'Ecole des [7]. De plus, il contient des affirmations nécessairement fausses, de sorte qu'il ne peut lui être attribué aucune valeur probante. La témoin fait ainsi état des éléments suivants :

'Au regard du développement exponentielle des inscriptions d'élèves chinois, et pour m'apporter un appui important et surtout une présence physique permanente à [Localité 6], l'école avait recruté Madame [N] [I] en 2008 pour nous aider à traiter les dossiers et les promotions en Chine.

Il est bien entendu que cette dernière était recrutée en qualité de salariée, son salaire avait été défini par l'école et l'école avait loué un bureau à [Localité 6] pour que Madame [I] puisse effectuer son travail. Elle avait les cartes de visite de l'école, une ligne téléphonique fixe, une adresse mail de l'école et surtout devait travailler 5 jours sur 7 de 8 heures à 18 heures environ par jour pour l'école. Après son recrutement, et en ma qualité de directrice marketing en charge de la Chine, j'étais devenue le supérieur hiérarchique de Madame [N] [I] jusqu'en 2016 sur demande du directeur de l'école Monsieur [R].

Je peux certifier que cette dernière faisant tous ses horaires de bureau et de manière fixe puisqu'elle me rendait des comptes tous les jours par email, je contrôlais bien évidemment les horaires en me référent aux heures d'envoi des courriels et les retours de parents d'élèves ainsi que la régis de l'immeuble où était loué le bureau qui exerçait un contrôle quotidien des allers et retours des travailleurs des bureaux loués et je lui donnais toutes les tâches et directives à exécuter quotidiennement.

Il est évident que cette dernière n'avait aucun pouvoir de décision personnelle ni la liberté d'organiser son emploi du temps puisqu'elle exécutait les tâches que je lui demandais de faire et toutes les décisions sont prises directement depuis la France aussi bien pour les brochures à distribuer que les salons choisi par la direction de l'école et devait être présente au bureau car la direction en France et moi-même pouvaient l'appeler à tout moment directement sur la ligne fixe.

Elle ne faisait qu'exécuter les directives de France.

En cas d'erreur ou d'omission pour un travail, je n'hésitais pas à rappeler Madame [N] [I] à l'ordre mais très peu d'erreur n'avait été commise.'

La témoin évoque l'adresse mail de l'école des [7] attribuée à Mme [I]. Or, il résulte des motifs adoptés précédemment que cette adresse de messagerie n'a été créée qu'en novembre 2016, à une période où la témoin avait cessé son activité au sein de l'Ecole des [7] pour cause d'arrêt maladie ainsi que cela résulte de l'arrêt rendu le 17 mars 2022 par la présente cour produit aux débats par la Société de l'Ecole Nouvelle. Elle ne pouvait donc en avoir connaissance.

De même, puisqu'il n'est pas contesté que l'activité principale de Mme [I] était de participer aux salons d'étudiants organisés dans le pays, ce qui la contraignait nécessairement à s'absenter très fréquemment de son bureau de [Localité 6], elle ne pouvait respecter des horaires quotidiens fixes de présence au dit bureau. De plus, la présence impérative de Mme [I] au bureau de 8h à 18 heures (heure locale) pour répondre à un appel téléphonique qui pouvait intervenir à tout moment de la journée en provenance de France n'apparaît pas comme un argument crédible et pertinent compte tenu de l'importance du décalage horaire existant entre les deux pays.

Au demeurant, non seulement Mme [I] ne produit aucun mail échangé avec ce témoin qui pourrait corroborer ces affirmations, mais en plus, produit des mails qui contredisent ces déclarations, notamment sur l'obligation de présence. Ainsi, le mail de Mme [M] du 1er avril 2017 finit son échange avec Mme [I] en ces termes: 'J'aimerais faire un skype avec vous après vos jours de fête nationale pour faire le point sur le salon du 6 avril. Pourriez vous me dire quel jour et quelle heure vous conviennent' En attendant, je suis à votre entière disposition et vous souhaite un bon dimanche. Profitez de vos jours fériés pour vous reposer et à bientôt', ce qui démontre que la Société de l'Ecole Nouvelle n'exigeait pas de Mme [I] qu'elle puisse à tout moment répondre à ses sollicitations par visio-conférence ou téléphone mais qu'au contraire, ce type d'échanges faisait l'objet d'un rendez-vous fixé à la convenance de Mme [I].

Ces éléments ne permettent donc pas d'établir que Mme [I] exerçait son activité professionnelle dans des conditions matérielles imposées par la Société de l'Ecole Nouvelle.

S'agissant du contrôle de son activité et des directives données par la Société de l'Ecole Nouvelle, si les échanges de mails produits par Mme [I] montrent effectivement un contrôle de la part des directeurs marketing de la Société de l'Ecole Nouvelle, celui-ci ne porte aucunement sur les choix opérés par Mme [I] pour l'exercice de sa mission de représentation de l'Ecole des [7], de développement de son activité de recrutement et de gestion des relations avec la famille des élèves scolarisés en France mais uniquement sur le coût des frais de déplacement et autres engagés par Mme [I] à l'occasion des salons auxquels elle se rendait pour représenter l'Ecole des [7], dépenses qui lui étaient remboursées par la société de l'Ecole Nouvelle, en sus de sa rémunération. En outre, si la teneur des échanges montre qu'un refus de prise en charge des frais d'un client a pu lui être opposé une fois ou que des explications pouvaient lui être demandées sur certaines notes de frais, aucun des mails adressés à cet effet ne contient de directives lui interdisant l'engagement de dépenses ou contenant des consignes strictes sur les frais pris en charge.

De même, s'il est constant et établi par ces échanges de mails que Mme [I] devait faire un rapport hebdomadaire de son activité, la lecture complète desdits échanges, qui permettent de replacer les phrases citées par le conseil de prud'hommes et Mme [I] dans leur contexte, montrent qu'en amont, si une stratégie était définie en commun, ce qui relève incontestablement de la simple exécution du mandat confié à Mme [I], en revanche, aucun objectif précis sur la promotion de l'Ecole des [7] et ses retombées en terme d'inscription n'était assigné à Mme [I], les mails produits montrant uniquement que cette dernière sollicitait des informations sur le coup des inscriptions à l'année, le coût et le contenu des stages d'été, etc..... Elle gérait également en totale liberté la relation avec les parents des élèves scolarisés en France. En aval de ces rapports d'activité, Mme [I] n'a jamais reçu le moindre commentaire ou la moindre critique sur le contenu des rapports, ses interlocuteurs se présentant, à cet égard, non pas comme des supérieurs hiérarchiques, mais comme des partenaires et, le cas échéant, des 'référents', des soutiens pour l'aider dans l'exercice de sa mission.

Enfin, si la Société de l'Ecole Nouvelle reconnaît qu'elle a mis fin unilatéralement au contrat de prestations de services la liant à Mme [I] le 3 juillet 2017, elle justifie sa décision en invoquant un changement de stratégie dans le développement de l'activité de l'Ecole des [7] en Chine. En l'absence de tout élément contraire qui pourrait permettre d'établir que cette décision aurait été prise pour sanctionner le comportement de Mme [I], cet événement ne peut être assimilé à la manifestation de l'exercice du pouvoir disciplinaire d'un employeur. Il s'inscrit dans l'exercice normal des droits et obligations contractuelles résultant du contrat de prestation de services conclu entre les parties.

Au vu de l'ensemble des éléments, il convient de constater que Mme [I] ne rapporte pas la preuve de l'existence du contrat de travail la liant à la Société de l'Ecole Nouvelle qu'elle invoque, le jugement entrepris étant ainsi infirmé.

L'ensemble des demandes pécuniaires présentées par Mme [I] étant fondée sur la reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail, le jugement est confirmé en ce qu'il l'a déboutée de toutes ses demandes.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner Mme [I] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à la société de l'Ecole nouvelle la somme de 100 euros sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement,

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu l'existence d'un contrat de travail liant Mme [N] [I] et la SA Société de l'Ecole Nouvelle ;

Statuant à nouveau,

Déboute Mme [N] [I] de sa demande de reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail la liant à la SA Société de l'Ecole Nouvelle ;

Confirme le jugement entrepris pour le surplus ;

Y ajoutant,

Déboute Mme [N] [I] de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [N] [I] à payer à la SA Société de l'Ecole Nouvelle la somme de 100 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [N] [I] aux dépens de la présente instance.

La greffièreLa présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/03091
Date de la décision : 09/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-09;19.03091 ?
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