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12/05/2022 | FRANCE | N°19/04151

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 12 mai 2022, 19/04151


N° RG 19/04151 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IKDZ





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 12 MAI 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 03 Octobre 2019





APPELANT :





Monsieur [N] [O]

[Adresse 2]

[Localité 3]



représenté par Me Anne LEMONNIER-BUREL de l'AARPI SOCIALITIS, avocat au barreau du HAVRE




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INTIMEE :



SAS COSCO SHIPPING LINES FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]



représentée par Me Yannick ENAULT de la SELARL YANNICK ENAULT-CHRISTIAN HENRY, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Rémy RUBAUDO, avocat au barreau de...

N° RG 19/04151 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IKDZ

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 12 MAI 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 03 Octobre 2019

APPELANT :

Monsieur [N] [O]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Anne LEMONNIER-BUREL de l'AARPI SOCIALITIS, avocat au barreau du HAVRE

INTIMEE :

SAS COSCO SHIPPING LINES FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Yannick ENAULT de la SELARL YANNICK ENAULT-CHRISTIAN HENRY, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Rémy RUBAUDO, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 06 Avril 2022 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 06 Avril 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 12 Mai 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 12 Mai 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [N] [O] a été engagé en qualité d'employé du service shipping par la SA Cosco France par contrat de travail à durée indéterminée du 15 octobre 1998.

Par avenant du 1er avril 2009, M. [O] a été promu responsable des opérations portuaires de l'agence du [Localité 3].

Le 22 mars 2018, les parties ont signé une rupture conventionnelle avec effet au 18 avril 2018.

Par requête du 6 décembre 2018, M. [N] [O] a saisi le conseil de prud'hommes du Havre de demandes de rappels de salaire et d'indemnités.

Par jugement du 3 octobre 2019, le conseil de prud'hommes a jugé que M. [N] [O] a effectué des heures supplémentaires, en conséquence, sur la base du salaire mensuel de 5 548,76 euros soit 36,58 euros de l'heure, condamné la SAS Cosco Shipping Lines venant aux droits de la SA Cosco France à verser à M. [O] les sommes suivantes :

heures supplémentaires pour les années 2015, 2016 et 2017 : 3 337,99 euros,

congés payés afférents : 333,79 euros,

maintien de salaire sur arrêt maladie : 4 000 euros,

-dit que lesdites sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du défendeur soit à la date du 10 décembre 2018,

-condamné la SAS Cosco Shipping Lines à verser à M. [O] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dit que ladite somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du jugement,

-condamné la SAS Cosco Shipping Lines à lui remettre les documents suivants :

-le bulletin de salaire récapitulatif conforme au jugement,

- l'attestation Pôle emploi rectifiée,

- le certificat de travail rectifié sur l'ancienneté de M. [O] à la date du 15 octobre 1998

et ce sous astreinte de 5 euros par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la notification du jugement,

-s'est réservé le droit de liquider l'astreinte,

-débouté M. [O] de ses demandes d'indemnités sur le travail dissimulé, des dommages et intérêts pour violation de multiples dispositions légales, des indemnités pour règlement en contrepartie de repos, des indemnités de congés payés sur prime d'astreinte des rappels de salaires lors de l'arrêt maladie,

-débouté M. [O] de sa demande d'indemnité spécifique de rupture de son contrat de travail,

-dit que la convention collective nationale est bien celle des transports routiers et activités auxiliaires de transport, débouté la SAS Cosco Shipping Lines de ses demandes principales et subsidiaires,

-fixé en application de l'article R.1454-28 du code du travail la moyenne mensuelle de salaire de M. [O] à la somme de 5 548,76 euros,

-condamné la SAS Cosco Shipping Lines aux éventuels dépens et frais d'exécution du jugement.

M. [N] [O] a interjeté appel de cette décision le 22 octobre 2019.

Par conclusions remises le 17 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [N] [O] demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SAS Cosco Shipping Lines à lui verser uniquement la somme de 3 337,99 euros à titre de rappel de salaires sur heures supplémentaires pour les années 2015, 2016, 2017, et l'a débouté du surplus de sa demande sur ce chef, condamné la SAS Cosco Shipping Lines à lui verser uniquement la somme de 333,79 euros à titre de congés payés sur le rappel de salaires sur heures supplémentaires, et l'a débouté du surplus de sa demande sur ce chef, l'a débouté de ses demandes d'indemnité forfaitaire de travail dissimulé, des dommages-intérêts pour violation de multiples dispositions légales (durées maximales, congés payés), des sommes dues au titre des contreparties obligatoires en repos et des congé payés afférents, des indemnités de congés payés au titre du rappel de maintien de salaire pendant la maladie, et en solde de l'indemnité spécifique de rupture, jugé que la convention collective nationale applicable est celle des transports routiers et activités auxiliaires de transport,

et, statuant à nouveau :

- condamner la SAS Cosco Shipping Lines à titre de rappels de salaires sur heures supplémentaires aux sommes suivantes :

4 878,25 euros bruts pour la période décembre 2015, outre 487,82 euros bruts à titre de congés payés,

53 943,87 euros bruts pour l'année 2016, outre 5 394 38 euros bruts à titre de congés payés,

9 703,68 euros bruts pour la période janvier à mars 2017, outre 970,36 euros bruts à titre de congés payés ,

-condamner la SAS Cosco Shipping Lines à lui verser une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé d'un montant de 27 240 euros,

-constater la violation de multiples dispositions légales et lui allouer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- dire que l'employeur n'a pas réglé les contreparties obligatoires en repos et lui allouer les sommes suivantes :

- pour 2016 : 26 264 euros, outre 2 626 euros bruts au titre des congés payés,

- pour 2017 : 2 335,60 euros, outre 233,56 euros bruts au titre des congés payés,

-condamner la société intimée à titre de rappel sur indemnité spécifique de rupture pour un montant de 53 368,11 euros,

- sur le rappel de salaire pendant la maladie, condamner la société à verser :

- à titre principal, par application de la convention collective de la navigation :

- pour la période avril 2017 au 30 septembre 2017 : 6 000 euros bruts (outre 600 euros bruts à titre de rappel sur indemnité de congés payés),

- pour la période d'octobre 2017 au 12 mars 2018 : 2 700 euros bruts (outre 270 euros bruts de rappel sur indemnité de congés payés),

- à titre subsidiaire, en application de la convention collective des transports routiers, pour la période de avril à juillet 2017, confirmer le jugement sur la condamnation à 4 000 euros bruts, et y ajouter 400 euros bruts à titre de rappel sur indemnité de congés payés,

-ordonner à la société intimée, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, l'édition des documents suivants : bulletins de paie en fonction des rappels de salaires qui seront judiciairement fixés, attestation Pôle emploi conforme au jugement,

-en tout état de cause, débouter la société intimée de toutes ses demandes, fins et moyens, condamner la SAS Cosco Shipping Lines à lui verser la somme de 2500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens qui comprendront les éventuels frais et honoraires d'exécution de la décision.

Par conclusions remises le 8 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la SAS Cosco Shipping Lines demande à la cour, à titre principal, d'infirmer le jugement rendu en ce qu'il a jugé que M. [O] a effectué des heures supplémentaires et l'a condamnée au paiement des sommes suivantes :

heures supplémentaires pour les années 2015, 2016 et 2017 : 3 337,99 euros,

congés payés afférents : 333,79 euros,

maintien de salaire sur arrêt maladie : 4 000 euros,

-confirmer le jugement rendu en ce qu'il a débouté M. [O] de ses demandes d'indemnité au titre du travail dissimulé, de dommages et intérêts pour violation de multiples dispositions légales, d'indemnité au titre de la contrepartie obligatoire en repos, d'indemnité de congés payés afférents au maintien de la rémunération pendant l'arrêt maladie, de rappel sur l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle, en conséquence, juger que M. [N] [O] n'a accompli aucune heure supplémentaire, juger que la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport régit la relation des parties, juger que la prime d'astreinte de M. [N] [O] ne devait pas être maintenue pendant son arrêt de travail,22 mars 2022 débouter M. [N] [O] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

-à titre subsidiaire, confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu, à titre infiniment subsidiaire, déduire du montant des demandes de rappels de salaires sur heures supplémentaires la prime d'astreinte perçue mensuellement de décembre 2015 à mars 2017 d'un montant de 16 000 euros, en tout état de cause, condamner M. [O] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 6 avril 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les heures supplémentaires et les demandes subséquentes relatives au respect de la durée du temps de travail maximal et du repos hebdomadaire obligatoire

Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Seules les heures effectuées à la demande de l'employeur ou avec son accord, donnent droit à rémunération, étant précisé que l'accord peut être implicite. De même lorsque la réalisation de ces heures a été rendue nécessaire par les tâches confiées au salarié, celui-ci a droit à la rémunération de ses heures supplémentaires.

En l'espèce, au soutien de sa demande, M. [O] fait valoir, qu'alors que son contrat de travail prévoit un temps complet de 35 heures par semaine, ses conditions de travail et sa surcharge de travail le contraignaient à effectuer les horaires suivants : du lundi au vendredi 6h45-12h/12h30-18h, soit 53h45 par semaine, outre 5 heures de travail les samedis et jours fériés (7h-12h) et 6h30 le dimanche de 7h-12h30/17h-18h. Il a établi un tableau reprenant les horaires effectués jour par jour et le nombres d'heures supplémentaires dues par semaine, du 30 novembre 2015 au 2 avril 2017, date à laquelle il a été placé en arrêt de travail.

Au vu de la précision de cet élément, le salarié met l'employeur en mesure d'y répondre, étant précisé que pour corroborer ce document, il verse également aux débats :

- des attestations d'anciens salariés et de l'ancien directeur de la société, M. [B], qui sont, cependant, inopérantes puisqu'elles portent sur la charge et les horaires de travail de M. [O] sur des années bien antérieures à sa demande en 2006-2009, alors même qu'il n'avait pas encore été promu au poste de responsable qu'il occupe depuis le 1er avril 2009,

- des témoignages de clients de la société Cosco Shipping Lines ou de personnels maritimes ayant eu à travailler avec lui, mais qui sont tous peu circonstanciés, évoquant uniquement de manière générale le fait qu'ils ont pu avoir au téléphone ou constaté sur place la présence de M. [O] le soir après 17h ou tôt le matin vers 7h, voire également certains week-end et jours fériés, sans que des dates ou des périodes de temps soient précisées,

- une trentaine de page d'historiques de consultations de sites Internet pour des motifs professionnels et personnels sur la période 2015-2017 destinée à établir ses heures de présence au bureau, étant précisé qu'il n'est pas contesté que l'extraction de ces informations provient de l'ordinateur qu'il utilise sur son lieu de travail,

- des relevés bancaires mensuels de novembre 2015 à avril 2017 sur lesquels apparaissent des règlements de note de frais de l'ordre de 30-40 euros par mois, M. [O] soutenant qu'ils correspondent au remboursement de ses frais de transport pour les déplacements le week-end,

- des mails et captures d'écrans étrangers au litige, puisque portant sur l'année 2009, outre deux mails en anglais envoyés par M. [O] le 28 mars 2017 à 8h01 et le 27 mars 2017 à 18h50,

- un mail du 24 mars 2017 dans lequel M. [O] explique qu'il est le seul à remplir 'le tableau OPS', étant cependant fait observer que son interlocuteur s'interroge sur cette organisation, lui rappelant qu'il a été invité à déléguer et répartir les tâches pour qu'il y ait une personne par service qui remplisse ce tableau,

- un document qui semble être l'édition des comptes-rendus informatiques des entretiens qu'il a pu avoir avec le personnel de la médecine du travail (docteur ou infirmier), duquel il ressort un investissement professionnel très (trop) important. Cependant, il n'est pas fait de véritable lien avec la surcharge de travail impliquée par le poste de M. [O] ou les exigences de son employeur. La lecture de ce document tend plutôt à mettre en lumière les troubles psychologiques de M. [O], qui, depuis 2011, se reconnaît lui-même comme étant 'addict au travail' ne voyant 'pas comment sortir de la spirale', qui explique qu'il n'a aucun loisir car il travaille tout le temps, qu'il ne souhaite pas que les choses changent, qu'il a fait le choix de déjeuner en mangeant un sandwich sur son lieu de travail, qu'il n'aime pas manger seul chez lui. Même lorsque M. [O] justifie ses horaires de travail en évoquant des contraintes professionnelles, indiquant qu'il doit gérer seul avec une seule assistante une grosse agence, il explique que cela lui plaît, qu'il ne souhaite pas que cela change ni être déchargé des astreintes le week end car elles lui permettent de percevoir une prime. Il précise, par ailleurs, qu'en guise de congés, il prend tous ses mercredis après-midi.

Sur la charge de travail de M. [O], la société Cosco Shipping Lines conteste les affirmations de son salarié.

Outre ce document médical produit par le salarié lui-même qui tend à établir que les heures de travail qu'il revendique avoir accomplies n'étaient imposées ni par l'employeur ni par la charge de travail que celui-ci lui confiait mais plutôt par une pathologie personnelle addictive dont M. [O] peinait à se départir, la société Cosco Shipping Lines rappelle et établit, en produisant la fiche du poste occupé par M. [O] ainsi qu'un organigramme du service actuel pour montrer la persistance de l'organisation du service après son départ, que contrairement à ce qu'il tente de faire croire, M. [O] n'était pas seul à gérer son service, qu'il avait sous sa responsabilité une équipe de 4 employés et 2 managers et que toutes ces personnes avaient accès au logiciel de gestion des arrivées maritimes, qu'il appartenait à chacun d'enregistrer les navires conteneurisés, et que le poste de M. [O] consistait à gérer cette équipe et à contrôler leur travail, mais aucunement à le faire à leur place et surtout pas de le faire en continu de 7heures du matin à 18 heures le soir.

C'est, au demeurant, l'idée qui ressort de l'échange de mails produit par M. [O] évoqué ci-dessus, dans lequel son supérieur hiérarchique lui rappelle qu'il n'avait pas à gérer seul le logiciel et qu'il devait mettre en place une organisation différente en répartissant cette tâche entre tous les services concernés. De surcroît, l'employeur justifie avoir délivré un avertissement à M. [O] à cet égard le 12 avril 2017.

En outre, la cour relève que le tableau des heures supplémentaires établi par M. [O] contient des incohérences et contradictions avec les autres éléments produits. Ainsi, alors que devant les services de la médecine du travail, il évoque prendre tous ses mercredis après-midi, ces périodes sont comptabilisées comme du temps de travail effectif par M. [O]. Par ailleurs, M. [O] a indiqué dans ce tableau avoir posé des périodes de congés, parfois longues, pendant plusieurs semaines, notamment l'été. Or, c'est incompatible avec les explications fournies par M. [O] pour caractériser ses horaires de travail, en ce qu'il ne peut, à la fois, présenter son poste et l'activité de fret maritime de la société comme engendrant des responsabilités et des contraintes telles que sa présence est indispensable 10 heures par jour sur tous les jours de la semaine, et, dans le même temps, sans expliquer dans quelles conditions il était secondé ou remplacé, reconnaître qu'il pouvait être absent pendant plusieurs semaines. De même, alors qu'il tend à caractériser ses contraintes professionnelles en faisant état de la nature de l'activité du fret maritime aléatoire et sans interruption, M. [O] revendique un emploi du temps stable avec des horaires de travail fixes et donc par définition non adaptés aux dites contraintes.

Enfin, concernant les heures effectuées par le salarié pendant les week-end et jours fériés, à titre liminaire, il convient de préciser qu'il est constant que M. [O] était, tenu à des astreintes tous les week-end et jours fériés, hors périodes de congés pendant lesquelles l'astreinte était prise par son supérieur hiérarchique, et qu'il percevait à ce titre une rémunération supplémentaire de 1 000 euros bruts par mois. A défaut de précisions expresses dans le contrat de travail et la convention collective appliquée par l'entreprise, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que cette contrepartie financière rémunérait uniquement le temps d'astreinte, à l'exclusion du temps de travail effectif. Aussi, et dans la mesure où il n'est pas contesté qu'aucune heure de travail effective n'a été réglée à M. [O] sur ses temps d'astreintes, il est bien fondé à en réclamer, dans le principe, le paiement au titre d'heures supplémentaires.

Sur les heures de travail effectif effectuées sur ce temps d'astreinte, si la société Cosco Shipping Lines ne conteste pas que M. [O] pouvait se déplacer sur son lieu de travail le week-end, elle conteste en revanche l'amplitude horaire revendiquée.

À ce titre, elle fait valoir, sans être contredite, que l'astreinte consistait principalement à répondre ponctuellement au téléphone, que certes, M. [O] pouvait avoir besoin de se déplacer à son bureau pour disposer d'informations papiers ou pour accéder à son ordinateur, que néanmoins cette dernière situation résulte d'un choix personnel du salarié, puisque la société a proposé de mettre à disposition de M. [O] un ordinateur portable pour qu'il puisse gérer les astreintes de son domicile, mais qu'il a refusé car il n'avait pas de connexion Internet à son domicile.

Par ailleurs, elle rappelle, là encore sans être contredite, que l'enregistrement des navires doit être effectué dans un délai de 24 heures, de sorte que contrairement à ce que soutient le salarié, ce système d'astreinte ne lui imposait pas de se rendre le dimanche sur place pour enregistrer les navires arrivés le même jour, que cette tâche pouvait très bien être effectuée le lundi matin.

Elle produit à cet égard, l'attestation du responsable du service support, M. [I], qui certes, compte tenu du lien de subordination, présente une faible valeur probatoire, mais qui n'en demeure pas moins un élément corroborant cette affirmation et qui explique que depuis le départ de M. [O], aucun salarié n'est présent sur site pendant les week-end et jours fériés pour traiter les mails, les opérations de suivi des navires, le logiciel d'enregistrement, etc.....

De même, si les historiques de connexion Internet établissent de manière incontestable que M. [O] était présent plusieurs heures par week- end sur son lieu de travail, le nombre de sites consultés à des fins personnelles sur ces journées, parfois pendant plusieurs heures, tend à corroborer les affirmations de la société Cosco Shipping Lines selon lesquelles les astreintes de week-end représentaient en général une charge de travail d'enregistrement informatique de l'ordre d'une vingtaine de minutes par jour et que le reste du temps passé par M. [O] sur son lieu de travail n'était pas nécessaire à l'exécution de ses missions.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la cour a la conviction que M. [O] a accompli des heures supplémentaires non rémunérées uniquement sur ses jours de travail effectifs hors périodes d' astreintes dans les proportions suivantes :

- du 30 novembre au 31 décembre 2015 : 14heures

- année 2016 : 144 heures

- du 1er janvier au 2 avril 2017 : 35 heures

En conséquence, il convient d'infirmer le jugement entrepris et d'allouer à ce titre à M [O] la somme de 5 762,83 euros, outre la somme de 576,29 euros au titre des congés payés y afférents.

Le nombre d'heures supplémentaires retenu établissant que M. [O] a réalisé des heures supplémentaires au-delà du contingent d'heures supplémentaires annuelles prévu par la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du transport appliqué par l'employeur de 130 heures que sur l'année 2016, il convient de lui allouer à ce titre une somme de 334,42 euros, outre 33,44 euros au titre des congés payés y afférents, le jugement étant ainsi infirmé.

Par ailleurs, les heures supplémentaires ainsi retenus montrent qu'il n'a jamais travaillé plus de 10 heures par jour et plus de 48 heures par semaine, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [O] de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect de la législation sur la durée du travail sur ce fondement.

En revanche, en l'absence de dispositions légales ou conventionnelles dérogatoires sur le repos hebdomadaire obligatoire et eu égard aux motifs adoptés précédemment qui établissent que M. [O] travaillait très régulièrement tous les samedis et dimanches pendant une heure ou deux, il est justifié de faire droit à la demande indemnitaire présentée par le salarié au titre de la violation du repos hebdomadaire obligatoire. Cette situation qui engendre des conséquences sur la fatigue physique et psychique du salarié, justifie l'allocation d'une somme de 1 000 euros.

Le jugement entrepris est donc infirmé sur ce point.

Sur le travail dissimulé

Il résulte de l'article L. 8221-5 du code du travail qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur, soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche, soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Selon l'article L. 8223-1, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.*

En l'espèce, s'il est effectivement justifié d'heures de travail effectuées par le salarié non rémunérées par l'employeur, il n'est cependant pas suffisamment établi que la société Cosco Shipping Lines en avait connaissance et aurait intentionnellement mentionné un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, M. [O] bénéficiant d'une certaine autonomie dans l'organisation de son travail et n'ayant jamais fait de réclamations au cours de l'exécution du contrat de travail.

Le jugement entrepris est confirmé sur ce point.

Sur l'indemnité de rupture

Selon l'article L. 2261-2 du code du travail, la convention collective applicable est celle dont relève l'activité principale exercée par l'employeur. En cas de pluralité d'activités rendant incertaine l'application de ce critère pour le rattachement d'une entreprise à un champ conventionnel, les conventions collectives et les accords professionnels peuvent, par des clauses réciproques et de nature identique, prévoir les conditions dans lesquelles l'entreprise détermine les conventions et accords qui lui sont applicables.

En l'absence de mention de la convention collective applicable, le code APE délivré par l'INSEE n'a qu'une valeur indicative et il appartient à la juridiction de rechercher l'activité réelle et principale de l'entreprise, peu important la fonction assurée par le salarié.

Par ailleurs, si le salarié peut se prévaloir de la convention collective mentionnée sur le bulletin de paie, cette faculté ne lui interdit pas de revendiquer l'application de la convention collective à laquelle l'employeur est assujetti, dans ses dispositions qui lui sont plus favorables.

En l'espèce, pour critiquer le montant de l'indemnité qui lui a été versée dans le cadre de la rupture conventionnelle de son contrat de travail, soit la somme de 28 198,96 euros, M. [O] fait valoir que cette somme a été calculée selon l'application les dispositions de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport alors qu'eu égard à la réelle activité de la société Cosco Shipping Lines, ce sont les dispositions de la convention collective du personnel sédentaire de la navigation qui auraient dû être appliquées, aux termes desquelles il aurait dû percevoir une somme de 81 567,07 euros.

La convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport définit, en son article 1er, son champ d'application par référence à la nomenclature d'activité française - NAF - adaptée de la nomenclature d'activité européenne - NACE - et approuvée par le décret n°92-1129 du 2 octobre 1992. À ce titre, sont notamment visés les activités suivantes :

'63-4 A. - Messagerie, fret express :

Cette classe comprend :

- la collecte d'envois multiples (groupage) de moins de 3 tonnes groupés sur des quais pour constituer des chargements complets aptes à remplir des véhicules de transport pour dégroupage au quai du centre réceptionnaire et livraison au domicile du destinataire ;

- le fret express de marchandises.

63-4 B. - Affrètement :

Cette classe comprend l'affrètement terrestre, maritime et aérien (ou une combinaison de ces moyens) qui consiste à confier des envois sans groupage préalable à des transporteurs publics.

63-4 C. - Organisation des transports internationaux :

Cette classe comprend :

- l'organisation logistique des transports de marchandises en provenance ou à destination du territoire national ou international, par tous les modes de transports appropriés ;

- le transit terrestre, maritime ou aérien ;

- les activités de commissionnaire en douane.'

Il convient de préciser que cette nomenclature visée dans la convention collective a été modifiée à compter du 1er janvier 2008 et que les anciens codes correspondent désormais aux codes suivants :

- ancien code NAF : 634A-Messagerie, fret express/ nouveau code NAF : 5229A - Messagerie, fret express,

- ancien code NAF : 634B-Affrètement/ nouveau code NAF : 5229B- Affrètement et organisation des transports,

- ancien code NAF : 634C-Organisation des transports internationaux/ nouveau code NAF : 7490B-Activités spécialisées, scientifiques et techniques diverses.

Quant à la convention collective du personnel sédentaire de la navigation, l'article 1.1 définit son champ d'application comme suit :

'La présente convention collective est applicable aux salariés sédentaires des entreprises établies en France dont l'activité principale est l'exploitation de navires armés au commerce, ou les services auxiliaires spécifiques au transport maritime listés ci-après, dont l'emploi est exercé en France métropolitaine ou dans un département d'outre-mer.

Sont notamment concernées les entreprises classées dans la nomenclature APE sous les codes :

' 50.1. Transports maritimes et côtiers de passagers (ancienne nomenclature NAF/ APE 611 A);

' 50.2. Transports maritimes et côtiers de fret (ancienne nomenclature NAF/ APE 611 B);

' 52.22. Services auxiliaires de transports par eau (ancienne nomenclature NAF/ APE 632 C); pour les activités suivantes : pilotage, remorquage et lamanage (52.22.13); renflouage et sauvetage maritime (52.22.15); consignataires maritimes (52.22.19) et les entreprises dont l'activité principale est agence maritime.'

Le code APE de la société Cosco Shipping Lines est le code 5229B-Affrètement et organisation des transports qui couvre les activités suivantes : 'affrètement terrestre, maritime et aérien (ou une combinaison de ces moyens) qui consiste à confier des envois sans groupage préalable à des transporteurs publics, l'organisation logistique des transports de marchandises en provenance ou à destination du territoire national ou international, par tous les modes de transports appropriés, les services spécialisés qu'implique cette organisation (prise en charge des formalités diverses, opérations de manutention des marchandises liées à leur transit, etc.), l'établissement et l'obtention de documents et de lettres de transport, les activités de commissionnaire en douane, les activités des commissaires de transport de fret maritime ainsi que des agents de fret aérien'.

Ce code est expressément visé par la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport.

Certes, ce code n'a qu'une valeur indicative et il convient de rechercher l'activité réelle et principale de l'entreprise. Toutefois, aucune des deux parties ne produit d'éléments permettant de contredire cette indication. La société Cosco Shipping Lines demande l'application de la convention collective applicable à son code APE. M. [O], qui conteste cette application, se contente d'indiquer que son employeur est armateur et agent maritime et que c'est à ce titre qu'il accomplissait des tâches directement reliées au personnel sédentaire de la navigation, étant fait observer que cette affirmation n'exclut pas que l'activité principale de la société relève du code APE 5229-B, puisque les activités rattachées à ce code sont des opérations d'affrètement qui peuvent être notamment maritimes.

Au vu de ces éléments, c'est en vain que M. [O] sollicite l'application de la convention collective nationale du personnel sédentaire de la navigation et par suite la condamnation de son employeur au paiement d'une indemnité de rupture complémentaire.

Le jugement entrepris est confirmé sur ce point.

Sur le maintien de l'obligation de salaire pendant l'arrêt maladie

Il résulte des motifs adoptés précédemment que M. [O] ne peut se prévaloir des dispositions de la collective nationale du personnel sédentaire de la navigation qui prévoient un maintien de salaire à 100 % pendant six mois, alors que la convention collective applicable prévoit seulement ce maintien de salaire pendant 120 jours.

En revanche, dans la mesure où la convention collective ne précise pas les éléments de rémunération à prendre en compte pour déterminer, pendant l'arrêt maladie, la rémunération que le salarié aurait perçu s'il avait travaillé, et où la prime d'astreinte litigieuse était versée mensuellement, de manière forfaitaire, peu important le nombre de jours d'astreinte réalisés par mois et le nombre d'interventions effectives sur les dits jours, c'est à juste que M. [O] soutient que cette rémunération d'astreinte, qui constituaient une de ses tâches habituelles expressément prévue par son contrat de travail, devait entrer dans l'assiette de calcul du maintien de salaire prévu par la convention collective.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris sur ce point.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Cosco Shipping Lines aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [O] la somme de 2 200 euros sur ce même fondement pour les frais générés en appel et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement,

Infirme le jugement entrepris sur le montant du rappel de salaires du au titre des heures supplémentaires, des repos compensateurs et sur le montant des dommages et intérêts pour violation des dispositions sur la durée du temps de travail maximal et du repos hebdomadaire obligatoire,

Statuant à nouveau,

Condamne la SAS Cosco Shipping Lines à payer à M. [N] [O] les sommes suivantes :

5 762,83 euros à titre de rappels de salaires pour heures supplémentaires, outre la somme de 567,29 euros au titre des congés payés y afférents,

334,42 euros à titre de rappels de salaires pour repos compensateurs sur l'année 2016, outre la somme de 33,44 euros au titre des congés payés y afférents,

1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de repos hebdomadaire obligatoire,

Confirme le jugement entrepris sur le surplus,

Y ajoutant,

Déboute la SAS Cosco Shipping Lines de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Cosco Shipping Lines à payer à M. [N] [O] la somme de 2 200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Cosco Shipping Lines aux dépens de la présente instance.

La greffièreLa présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/04151
Date de la décision : 12/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-12;19.04151 ?
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