N° RG 19/03549 - N° Portalis DBV2-V-B7D-II4E
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 28 AVRIL 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE DIEPPE du 14 Août 2019
APPELANTE :
SAS LA SOCIETE PLASTIQUES ET TISSAGES DE LUNERAY (PTL)
Avenue des Canadiens - BP N°3
76860 OUVILLE LA RIVIERE
en présence de Jean-Yves LE GALL, Président
représentée par Me Renaud DE BEZENAC de la SELARL DE BEZENAC & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Stéphane ROBILLIART, avocat au barreau de LILLE,
INTIME :
Monsieur [Z] [H]
414 Route de la Gare - Petit Appeville
76550 HAUTOT SUR MER
représenté par Me Rose marie CAPITAINE, avocat au barreau de DIEPPE substitué par Me Mélanie DERNY, avocat au barreau de DIEPPE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 03 Mars 2022 sans opposition des parties devant Madame POUGET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur POUPET, Président
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 03 Mars 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 28 Avril 2022
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 28 Avril 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame ROGER-MINNE, Conseillère, en remplacement du Président empêché et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le 3 juillet 2000, M. [Z] [H] (le salarié) a été embauché en qualité de mécanicien par la société Plastiques et tissages de Luneray (la société) dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.
Le 27 octobre 2017, il a été mis à pied et son licenciement pour faute grave lui a été notifié par courrier du 10 novembre 2017.
Contestant cette décision, il a saisi le conseil de prud'hommes de Dieppe qui, par jugement du 14 août 2019 rendu en formation de départage, a :
-dit que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse,
-condamné la société à lui payer les sommes suivantes :
9 693,70 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
1 938,74 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
193,80 euros au titre des congés payés sur préavis,
9 639,79 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
307,97 euros à titre de rappel de salaire durant la période de mise à pied conservatoire, outre 30,70 euros au titre des congés payés afférents,
1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
-ordonné à la société de lui remettre une attestation Pôle emploi et un certificat de travail, conformes à la décision,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- ordonné à la société de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de deux mois, du jour du licenciement au jour du prononcé du jugement,
- condamné la société aux dépens.
Le 5 septembre 2019, la société a relevé appel du jugement.
Par conclusions du 23 février 2022, elle demande à la cour de :
- infirmer le jugement,
-dire que le licenciement reposait sur une faute grave, subsidiairement, sur une cause réelle et sérieuse,
- limiter à 3 mois de salaire brut, l'indemnisation de M. [H],
- le condamner à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Par conclusions du 3 février 2022, M. [H] demande à la cour de :
- confirmer le jugement sauf à lui accorder les sommes suivantes :
39 710,86 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
4 302,52 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
430,25 euros au titre des congés payés sur préavis,
14 103,68 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
661,91 euros à titre de rappel de salaire durant la période de mise à pied conservatoire, outre 66,20 euros de congés payés afférents,
- à titre subsidiaire, confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- condamner la société à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour le détail de leur argumentation.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La faute grave est caractérisée par tout fait ou ensemble de faits imputable au salarié constituant une violation des obligations découlant de son contrat ou de sa fonction d'une importance telle qu'elle rend immédiatement impossible son maintien dans l'entreprise.
Il appartient à l'employeur qui l'invoque de la démontrer.
Aux termes de la lettre de licenciement, après avoir rappelé les dispositions applicables du règlement intérieur, la société reproche à M. [H] d'avoir été, le 27 octobre 2017, en état d'imprégnation alcoolique caractérisée par des signes d'ébriété (yeux brillants, débit de paroles important, utilisation du tutoiement à l'égard du directeur, haleine alcoolisée) et par deux éthylotests positifs. Elle indique que le salarié était en horaire de nuit (21h-5h) et qu'elle a refusé qu'il prenne son poste pour des raisons de sécurité, celui-ci devant effectuer des réglages sur des machines industrielles en fonctionnement. Elle ajoute que le salarié a reconnu avoir bu de l'alcool fort avant sa prise de poste et qu'il n'avait pas pris conscience lors de l'entretien préalable, des risques tant pour lui que pour les autres, de son comportement.
L'article L. 1321-4 du code du travail, dans sa version applicable au litige, dispose que le règlement intérieur ne peut être introduit qu'après avoir été soumis à l'avis du comité d'entreprise (...) il indique la date de son entrée en vigueur et (...) fait l'objet des mesures de publicité, le règlement intérieur, accompagné de l'avis du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel et, le cas échéant, du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, est communiqué à l'inspecteur du travail.
Si le salarié soutient qu'il appartient à l'employeur de démontrer que le règlement intérieur lui est opposable, faisant valoir que ce dernier ne produit aucun exemplaire visé par ses soins, il convient de constater que par les justificatifs fournis, la société démontre qu'elle a respecté toutes les obligations légales ci-dessus visées pour qu'il soit opposable au salarié, aucune ne prévoyant que celui-ci porte sa signature ou son visa sur ledit document. De plus, il résulte des mentions de son bulletin de salaire de juillet 2014, que le salarié ne discute pas, que le règlement intérieur y était joint.
Dès lors ce moyen ne saurait prospérer.
L'article 2.6 du règlement intérieur interdit à tout membre du personnel de "pénétrer dans l'établissement en état d'ivresse" et précise les modalités de contrôle de l'alcoolémie des salariés "dont l'imprégnation alcoolique serait susceptible de constituer une menace pour eux-mêmes ou pour leur entourage et/ou qui occupent des postes à risques tels qu'énoncés dans le document unique".
C'est vainement que le salarié développe la notion pénale d'état d'ivresse manifeste, laquelle n'est pas celle retenue par le règlement intérieur, ou encore qu'il relève que les éthylotests pratiqués sont insuffisants à déterminer son taux d'imprégnation alcoolique, laquelle doit seulement être matériellement établie.
Or, les pièces versées démontrent qu'à sa prise de poste, le salarié présentait une imprégnation alcoolique supérieure à celle légalement autorisée, puisque les deux éthylotests, conformes à la norme NF X20-702 et non périmés, et alors qu'aucun élément ne permet, au-delà des allégations du salarié, d'établir qu'ils étaient défaillants ou dégradés, se sont révélés positifs. Le salarié avait d'ailleurs reconnu avoir consommé un "verre d'alcool fort" avant sa prise de poste, ce qu'il maintient d'ailleurs dans ses écritures (page 14). Au surplus, M. [G], responsable de l'atelier de nuit, témoigne du comportement inhabituel du salarié (très bavard, tutoiement du directeur) ce soir là, ce qui corrobore les constatations de l'employeur reprises dans la lettre de licenciement.
Par ailleurs, le document unique des risques identifie de nombreux risques liés à son poste de mécanicien régleur (écrasement, entraînement, pincement, brûlure, fracture, foulure, entaille), ce qui est suffisant en soi, pour caractériser l'existence d'un risque lié à son poste, sans qu'il soit nécessaire pour l'employeur de préciser le type de machine industrielle sur lequel il opérait ce soir-là. En effet, dès lors que son poste présentait en temps normal, quelque soit la machine, un danger résultant des diverses tâches qu'il devait accomplir, ce que confirme d'ailleurs son accident de travail de juillet 2015, le fait de s'y présenter en état d'ébriété, majorait nécessairement les risques pour sa sécurité, puisque il est certain que l'alcool diminue, notamment, les réflexes et l'état de vigilance. Alors que l'employeur est tenu à une obligation de sécurité vis-à-vis de ses salariés, il ne peut lui être fait reproche de son refus que le salarié prenne son poste dans un tel état, quand bien même il affirmait être en état de le faire.
Dans ces conditions, les faits reprochés sont matériellement établis. Compte tenu de l'absence de passé disciplinaire et de l'importance de son ancienneté, ce manquement isolé est insuffisant pour constituer une faute grave, mais justifie toutefois le licenciement pour cause réelle et sérieuse de M. [H].
Eu égard à son ancienneté (17,5 ans), au salaire brut le plus favorable, soit celui des trois derniers mois, s'élevant à la somme de 2 419,44 euros et aux dispositions des articles R.1234-1 et R 1234-2 du code du travail, il convient de lui accorder la somme de 12 029,99 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement. Il y a lieu également de lui allouer la somme de 4 302,52 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 430,25 euros à titre de congés payés afférents.
Enfin, compte tenu de la solution de l'arrêt, la mise à pied à titre conservatoire n'était pas justifiée, la société sera tenue de régler la somme de 661,91 euros à titre de rappel de salaire, outre celle de 66,20 euros au titre des congés payés y afférents.
La décision déférée est infirmée sur ces chefs.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
En qualité de partie partiellement succombante, la société est condamnée aux dépens et déboutée de sa demande formée au titre des frais irrépétibles.
Il n'apparaît pas inéquitable de rejeter la demande formée par l'intimé au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit justifié par une cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [Z] [H],
Condamne la société Plastiques et tissages de Luneray à payer à M. [Z] [H] les sommes suivantes :
12 029,99 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
4 302,52 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 430,25 euros de congés payés afférents,
661,91 euros à titre de rappel de salaire, outre celle de 66,20 euros au titre des congés payés y afférents ;
Ordonne à la société Plastiques et tissages de Luneray de remettre à M. [Z] [H] une attestation Pôle emploi et un certificat de travail conformes à l'arrêt ;
Déboute les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la société Plastiques et tissages de Luneray aux dépens.
La greffièreLa conseillère