N° RG 19/03094 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IH6N
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 28 AVRIL 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 24 Juin 2019
APPELANTE :
S.A.R.L. LOCA RENT
44 rue de la Faisanderie
75116 PARIS
représentée par Me Jerôme DEREUX, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Leslye BENHAMOU, avocat au barreau de PARIS
INTIME :
Monsieur [C] [F]
11 rue Martial Spinneweber
76140 LE PETIT-QUEVILLY
présent
représenté par Me Stéphane PASQUIER de la SELARL PASQUIER, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 09 Mars 2022 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 09 Mars 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 28 Avril 2022
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 28 Avril 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [C] [F] a été engagé en qualité de chauffeur livreur par la SARL Loca Rent par contrat de travail à durée indéterminée du 8 décembre 2015.
Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective des transports routiers.
Par requête du 23 novembre 2017, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen en paiement de rappels de salaire et d'indemnités.
M. [F] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 20 mars 2019.
Par jugement du 24 juin 2019, le conseil a annulé la mise à pied disciplinaire de M. [F], condamné la société Loca Rent à verser à M. [F] les sommes suivantes :
heures supplémentaires pour les années 2015, 2016 et les mois de janvier à avril 2017 : 14 000,11 euros bruts,
congés payés sur le rappel des heures supplémentaires pour les années 2015, 2016 et les mois de janvier à avril 2017 : 1 420,01 euros bruts,
dommages et intérêts pour exécution défectueuse du contrat de travail : 1 800 euros nets,
rappel de salaire sur le paiement de la mise à pied disciplinaire : 531,04 euros bruts,
congés payés sur le rappel de salaire sur le paiement de la mise à pied disciplinaire : 53,10 euros bruts,
dommages et dommages et intérêts pour sanction illicite : 1 000 euros nets,
indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros,
-débouté la société Loca Rent de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ordonné l'exécution provisoire, mis les entiers dépens à la charge de la société Loca Rent, rappelé que les intérêts légaux courent de plein droit à compter de la saisine conformément à l'article 1153 du code civil, sur les créances de nature salariale, dit qu'il faut faire courir les intérêts conformément à l'article 1154 du code civil, dès lors que les intérêts courront depuis plus d'un an et qu'une demande a été faite.
La société Loca Rent a interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions le 30 juillet 2019.
Par conclusions remises le 19 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société Loca Rent demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, dire les demandes de M. [F] infondées, en conséquence, le débouter de l'ensemble de ses chefs de demande et le condamner à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 21 janvier 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [C] [F] demande à la cour de recevoir la société Loca Rent en son appel, l'en déclarer mal fondée, la débouter, en conséquence, condamner la société Loca Rent à lui verser les sommes suivantes :
rappel d'heures supplémentaires majorées : 21 052,938 euros,
congés payés afférents : 2 105,29 euros,
dommages et intérêts pour exécution défectueuse du contrat de travail : 10 000 euros,
rappel de salaire : 531,04 euros,
congés payés afférents : 53,10 euros,
dommages-intérêts pour sanction illicite : 1 500 euros,
indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros,
rappeler que les intérêts légaux courent de plein droit à compter de la saisine conformément à l'article 1153 du code civil, sur les créances de nature salariale, faire courir les intérêts au taux légal sur les demandes indemnitaires à compter de la saisine du conseil conformément à l'article 1153-1 du code civil, ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du code civil, dès lors que les intérêts courront depuis plus d'un an et qu'une demande a été faite, condamner, enfin, la société Loca Rent, aux entiers dépens de l'instance qui comprendront les frais d'exécution de la décision.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 20 janvier 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les heures supplémentaires
Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
En l'espèce, M. [F] fait valoir que la comparaison entre, d'une part, son contrat de travail qui prévoit la réalisation de 215, 41 heures mensuelles représentant une durée hebdomadaire de travail de 55 heures sur 47 semaines travaillées et, d'autre part, ses bulletins de salaires qui le rémunèrent uniquement à hauteur de 169 heures mensuelles, dont 17,33 heures supplémentaires majorées montre qu'il n'a pas été réglé de l'intégralité des heures prévues au contrat, de sorte qu'il sollicite le paiement de la différence.
Le contrat de travail conclu le 8 décembre 2014 prévoit que M. [F] est engagé 'en qualité de chauffeur livreur à temps complet', qu'il 'percevra une rémunération forfaitaire de 1 400 euros net/mensuel, cette rémunération [s'entendant] pour un mois complet et normal de travail suivant l'horaire en vigueur dans [la] société ou l'horaire particulier négocié à [l'] embauche' et que 'la durée du travail de M. [F] [C] comprendra 50 heures de travail par semaine soit 210 heures mensuelles reparties de la façon suivante : 08h30-19h30 du lundi au vendredi inclus'. L'avenant régularisé le 2 octobre 2015 prévoit une rémunération net de 1 700 euros nets par mois pour un temps complet, sans modification des horaires convenus.
Par ailleurs, il résulte de l'examen des bulletins de salaires produits aux débats que sur la période sur laquelle M. [F] réclame ses heures supplémentaires, soit du 1er janvier 2015 au 30 avril 2017, le salarié a perçu au minimum le salaire contractuellement prévu, soit 1 400 euros nets (pour les mois de janvier et février 2015), un salaire de 1 500 euros, outre des indemnités repas hors entreprise comprises d'un montant moyen de 170 euros nets (du mois de mars à juin 2015), soit, à partir du mois de juillet 2015,un salaire net mensuel de 1 700 euros, outre des indemnités repas hors entreprise comprises d'un montant moyen de 170 euros nets.
Les prévisions contractuelles ayant été respectées sur le plan de la rémunération financière, M. [F] est mal fondé à solliciter l'indemnisation d'heures supplémentaires comprises entre les 169 heures mensuelles portées sur son bulletin de salaire et les 210 heures prévues au contrat.
Seules les heures de travail réalisées au-delà de ces 210 heures mensuelles peuvent être considérées comme des heures supplémentaires ouvrant droit à une rémunération en sus du salaire contractuellement fixé qui inclut déjà le paiement du temps complet de 151, 67 heures par mois et les heures supplémentaires majorées jusqu'à 210 heures.
Or, M. [F] ne soutient pas avoir travaillé plus de 210 heures par mois et ne présente aucun élément en ce sens.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement entrepris et de débouter M. [F] de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires.
Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution défectueuse du contrat de travail
L'article L. 3121-16 du code du travail dispose que dès que le temps de travail quotidien atteint six heures, le salarié bénéficie d'un temps de pause d'une durée minimale de vingt minutes consécutives.
M. [F] allègue que ses horaires tels qu'il résulte du contrat de travail ne lui permettaient pas de prendre sa pause déjeuner de vingt minutes et demande, à ce titre, une indemnité de 10 000 euros. Il ne produit aucun document pour étayer ses affirmations et notamment le fait qu'il réalisait les 210 heures mensuelles prévues au contrat.
Au contraire, la société Loca Rent verse aux débats les fiches horaires journalières remplies par M. [F], qui certes ne portent pas sa signature, mais pour lesquelles il ne conteste pas en être le rédacteur. Or, l'examen de ces documents montre soit que M. [F] ne travaillait pas plus de six heures par jour sur certaines journées, soit lorsqu'il travaillait plus de six heures, qu'il n'a jamais fait d'observations pour indiquer qu'il n'avait pas pris sa pause déjeuner et que l'amplitude horaire indiqué sur la feuille correspondait uniquement à du temps de travail effectif. En outre, la société Loca Rent produit une note de service signée le 1er décembre 2015 par M. [F] qui rappelle que les chauffeurs ont le droit à une heure de pause déjeuner par jour et qu'ils doivent impérativement respecter un temps de pause de 20 minutes après six heures de travail ainsi que le témoignage d'un salarié expliquant que les tournées des chauffeurs étaient organisées pour tenir compte de la pause repas qui était prise.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient d'infirmer le jugement entrepris et de débouter M. [F] de sa demande indemnitaire au titre du non-respect du temps de pause journalier.
Sur l'annulation de la mise à pied
En vertu de l'article L. 1332-2 du code du travail, lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l'objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n'ayant pas d'incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié. Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise. Au cours de l'entretien, l'employeur indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié.
La sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d'un mois après le jour fixé pour l'entretien. Elle est motivée et notifiée à l'intéressé.
Selon les articles L. 1333-1 et L.1333-2 du même code, en cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
En l'espèce, le 8 mai 2017, la société Loca Rent a notifié à M. [F] une mise à pied disciplinaire de 7 jours pour sanctionner des faits d'insubordination commis les 6, 7, 8 mars, 7 et 14 avril 2017 caractérisés par le refus de prendre des colis pour les livrer à la SNEF, par le refus d'exécuter les instructions et consignes de l'employeur sur l'aide au chargement à apporter à certains collègues et par l'irrespect des limitations de vitesse commis régulièrement par M. [F]. Il est également reproché au salarié d'avoir enlevé deux colis sans respecter la procédure de numéros de comptes, ce qui a occasionné une pénalité financière pour l'entreprise et également le fait d'avoir perdu un colis livré le 8 février, la cliente s'étant plainte le 14 mars de ce qu'elle n'a en réalité pas réceptionné le colis.
M. [F] critique la régularité de cette sanction au motif qu'aucune durée maximale de mise à pied n'est prévue par le règlement intérieur de l'entreprise. Il soutient également que cette sanction est disproportionnée par rapport aux faits qui lui sont reprochés qu'il conteste, sans néanmoins apporter d'éléments précisant cette critique.
L'argument tiré de la nullité de la sanction est inopérant, dans la mesure où, conformément à l'application de L. 1311-2 du code du travail dans sa version antérieure à la loi n°2019-486 du 22 mai 2019, la société Loca Rent, qui a, de manière non contestée, un effectif permanent de moins de dix salariés, n'était pas soumise à l'obligation de rédaction d'un règlement intérieur et n'était donc pas tenue d'un tel texte.
En revanche, sur le caractère disproportionné, il convient de relever que l'employeur produit uniquement aux débats une attestation d'un ancien stagiaire qui explique que sur la période de son stage qui s'est déroulé du 9 au 28 mai 2016, soit un an avant les faits reprochés à M. [F], il a effectué une tournée avec ce dernier, que celui-ci travaillait vite car il connaissait bien sa tournée, qu'il rentrait donc tôt chez lui, refusant de retourner au dépôt de l'entreprise après sa tournée pour aider ses collègues. Cet élément n'étant aucunement en lien avec la sanction disciplinaire, force est de constater que les critiques la fondant ne sont pas corroborées par aucun élément objectif, ce qui rend la mise à pied disciplinaire injustifiée.
En conséquence, le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de rappels de salaire et de congés payés y afférents consécutive à l'annulation de la sanction. En revanche, il est infirmé sur le montant des dommages et intérêts alloués pour sanction illicite, une somme de 100 euros étant plus justement allouée à ce titre à M. [F], faute pour lui de justifier plus amplement de l'étendue de son préjudice.
Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Loca Rent aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de le débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [F] la somme de 500 euros sur ce même fondement pour les frais générés en appel et non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement,
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a alloué à M. [C] [F] des sommes au titre d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre les congés payés y afférents, et de dommages et intérêts pour exécution défectueuse du contrat et pour sanction illicite ;
Statuant à nouveau,
Déboute M. [C] [F] de ses demandes au titre d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre les congés payés y afférents, à titre de dommages et intérêts pour exécution défectueuse du contrat ;
Condamne la société Loca Rent à payer à M. [C] [F] la somme de 100 euros à titre de dommages et intérêts pour sanction illicite ;
Confirme le jugement pour le surplus ;
Y ajoutant,
Déboute la société Loca Rent de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Loca Rent à payer à M. [C] [F] la somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Loca Rent aux dépens de l'instance.
La greffièreLa présidente