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28/04/2022 | FRANCE | N°19/02789

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 28 avril 2022, 19/02789


N° RG 19/02789 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IHJP





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 28 AVRIL 2022











DÉCISIONS DÉFÉRÉES :





Ordonnance du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE LOUVIERS du 02 Mai 2019 et Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE LOUVIERS du 11 Juin 2019





APPELANTE :





SARL MARIE LOUISE

47 rue du Général de Gaulle

27600 GAILLON



représentée par Me V

alérie GRAY de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN







INTIME :



Monsieur [Z] [E]

Chez le Comité contre l'esclavage Moderne (CCEM)

169 bis boulevard Vincent Auriol

75013 PARIS



présent



représe...

N° RG 19/02789 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IHJP

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 28 AVRIL 2022

DÉCISIONS DÉFÉRÉES :

Ordonnance du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE LOUVIERS du 02 Mai 2019 et Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE LOUVIERS du 11 Juin 2019

APPELANTE :

SARL MARIE LOUISE

47 rue du Général de Gaulle

27600 GAILLON

représentée par Me Valérie GRAY de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN

INTIME :

Monsieur [Z] [E]

Chez le Comité contre l'esclavage Moderne (CCEM)

169 bis boulevard Vincent Auriol

75013 PARIS

présent

représenté par Me Nathalie VALLEE de la SCP VALLEE LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Camille BERLAN, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 15 Mars 2022 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère, rédactrice

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 15 Mars 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 28 Avril 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 28 Avril 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Revendiquant une relation salariée de mai 2013 à avril 2016 avec la société Marie-Louise, M. [Z] [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 22 décembre 2017 en paiement de rappels de salaire et indemnités, lequel, par jugement du 12 septembre 2018 s'est déclaré incompétent territorialement au profit du conseil de prud'hommes de Louviers.

Par ordonnance du 2 mai 2019, le conseil de prud'hommes de Louviers a ordonné la réouverture des débats avec obligation de comparaître à l'audience du 20 mai 2019 et de communiquer un certain nombre de pièces, puis, par jugement du 11 juin 2019, il a :

- dit qu'il n'y avait pas nullité de l'instance,

- dit que M. [E] avait travaillé pour la société Marie-Louise du 20 avril 2015 au 20 avril 2016 et condamné la société Marie-Louise à lui verser les sommes suivantes :

rappel de salaires du 20 avril 2015 au 20 avril 2016 : 17 690,76 euros bruts,

congés payés afférents : 1 769,07 euros bruts,

indemnité de préavis : 1 474,23 euros bruts,

congés payés afférents : 147,42 euros bruts,

indemnité de licenciement : 368,56 euros,

indemnité pour travail dissimulé : 8 845,38 euros,

-ordonné la remise des bulletins de paie afférents et des documents de fin de contrat, dit que le paiement serait à adresser par chèque à l'ordre de la CARPA, et ce, avec astreinte globale de 50 euros par jour à compter du 21ème jour suivant la date de la notification du jugement, le conseil se réservant le droit de liquider l'astreinte,

- fixé le salaire moyen mensuel de M. [E] à la somme de 1 473,23 euros et dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la société Marie-Louise à verser à M. [E] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,

- débouté M. [E] de ses autres demandes, la société Marie-Louise de sa demande reconventionnelle et rappelé qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la décision et en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire en application des dispositions de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996, devraient être supportées par la société défenderesse en sus de l'indemnité mise à sa charge sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Marie-Louise a interjeté appel de l'ordonnance du 2 mai 2019 et de l'ensemble des dispositions de la décision le 10 juillet 2019.

Par ordonnance du 20 février 2020, le Président chargé de la mise en état a déclaré irrecevable l'appel de l'ordonnance du 2 mai 2019, rejeté l'exception de caducité de la déclaration d'appel du jugement du 11 juin 2019, débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et dit que les dépens de l'incident suivraient le sort des dépens de l'instance principale.

Par ordonnance du 24 février 2022, le Président chargé de la mise en état a déclaré irrecevable l'exception de sursis à statuer soulevée par la société Marie-Louise.

Par conclusions remises le 14 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, la société Marie-Louise demande à la cour de :

-dire que M. [E] ne justifie ni de son identité, ni de son domicile, en conséquence, annuler l'ordonnance du 2 mai 2019 et le jugement du 11 juin 2019 rendu par le conseil de Prud'hommes de Louviers, et en conséquence de cette annulation, dire nulle et de nul effet la requête introduite par M. [E] devant le conseil de prud'hommes de Paris et tous les actes subséquents à cette requête,

-condamner M. [E] à lui verser une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens de la présente instance dont distraction au profit de la SCP Gray & Scolan pour ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision à cette fin,

-subsidiairement, ordonner, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, qu'il soit sursis à statuer dans la présente instance en l'attente de l'issue de l'information judiciaire ouverte devant le tribunal judiciaire d'Evreux sous le numéro de parquet n° 19267000007 et réserver les dépens de la présente instance.

Par conclusions remises le 6 décembre 2019, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, M. [E] demande à la cour de :

- le déclarer recevable et bien fondé en ses demandes,

- in limine litis, rejeter l'exception de nullité soulevée par la société Marie-Louise ainsi que sa demande de sursis à statuer,

- au fond, rejeter l'ensemble des demandes de la société Marie-Louise, et en conséquence, confirmer la décision en ce qu'elle a :

- dit qu'il avait travaillé pour la société Marie-Louise du 20 avril 2015 au 20 avril 2016 et condamné la société Marie-Louise à lui verser les sommes suivantes :

rappel de salaires du 20 avril 2015 au 20 avril 2016 : 17 690,76 euros bruts,

congés payés afférents : 1 769,07 euros bruts,

indemnité de préavis : 1 474,23 euros bruts,

congés payés afférents : 147,42 euros bruts,

indemnité de licenciement : 368,56 euros,

indemnité pour travail dissimulé : 8 845,38 euros,

-ordonné la remise des bulletins de paie afférents et des documents de fin de contrat, dit que le paiement serait à adresser par chèque à l'ordre de la CARPA, et ce, avec astreinte globale de 50 euros par jour à compter du 21ème jour suivant la date de la notification du jugement, le conseil se réservant le droit de liquider l'astreinte,

- débouté la société Marie-Louise de sa demande reconventionnelle, condamné la société Marie-Louise à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,

- y ajoutant, dire que la société Marie-Louise ne lui a pas versé de salaires correspondants au travail effectué, qu'elle n'a pas respecté son obligation de loyauté, qu'elle s'est rendue coupable de travail dissimulé et condamner la société Marie-Louise à lui verser les sommes suivantes :

- sur la période du 1er mai 2013 au 19 mai 2015 :

- rappel de salaire : 36 075,37 euros bruts,

- congés payés afférents : 3 607,53 euros,

- rappel sur heures supplémentaires : 62 546,85 euros,

- congés payés afférents : 6 254,68 euros,

- indemnité sur repos compensateur : 41 864 euros,

- congés payés afférents : 4 186 euros,

- sur la période du 20 mai 2015 au 20 avril 2016 :

- rappel sur heures supplémentaires : 19 991,58 euros bruts,

- congés payés afférents : 1 999,15 euros,

- indemnité sur repos compensateur : 3 395,53 euros,

- congés payés afférents : 339,55 euros,

-fixer le salaire de référence à la somme de 3 473,39 euros bruts mensuels et condamner la société Marie-Louise à lui payer les sommes suivantes :

dommages et intérêts pour non-respect des repos quotidiens et hebdomadaires obligatoires : 20 841 euros

indemnité pour travail dissimulé : 20 841 euros

dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de loyauté et de préservation de la santé et de la sécurité : 20 841 euros

-dire qu'il a fait l'objet d'un licenciement sans forme et sans procédure le 20 avril 2016, que cette rupture est donc abusive et condamner la société Marie-Louise à lui verser les sommes suivantes :

indemnité compensatrice de préavis : 2 948,46 euros

congés payés y afférents : 294,84 euros

indemnité de licenciement : 2 085 euros

dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail : 34 734 euros

- en tout état de cause, ordonner la communication des bulletins de paie conformes à la décision et les documents de fin de contrats conformément à la décision à intervenir et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document,

- assortir la condamnation des intérêts au taux légal avec capitalisation,

- condamner la société Marie-Louise à lui verser la somme de 5 000 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 15 mars 2022 avant l'ouverture des débats à 9h15 et M. [E] a déposé de nouvelles conclusions le 15 mars 2022 à 9h30.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il convient de déclarer irrecevables les conclusions déposées par M. [E] le 15 mars 2022 dans la mesure où elles ont été déposées postérieurement à l'ordonnance de clôture.

Sur les demandes de nullité présentées par la société Marie-Louise

Il doit être relevé que par ordonnance du 20 février 2020, le Président chargé de la mise en état a déclaré irrecevable l'appel élevé à l'encontre de l'ordonnance du 2 mai 2019, sans qu'aucun recours n'ait été exercé contre cette décision, aussi, cette ordonnance est-elle définitive.

La société Marie-Louise soutient que l'identité de M. [E] est incertaine dès lors qu'il n'a jamais fourni son passeport en original et que la copie produite comporte de nombreuses incohérences, ainsi, la mention de deux numéros distincts, des signatures différentes et enfin un lieu de naissance qui ne correspond pas à une ville, outre des mentions inhabituelles telles que VIP OPP ou OFF ou encore COMM DIPLOMA. Elle relève par ailleurs qu'il s'est fait communiquer deux pages de passeport par fax en septembre 2012 depuis un point Happy phone situé en Guinée Bissau, qu'il a prétendu avoir fait des papiers d'identité en mars 2013 en s'engageant à se rendre au consulat d'Egypte pour faire confirmer son identité, ce qu'il n'a pas fait, qu'il a présenté une carte d'identité devant l'association France terre d'asile les 18 juillet et 1er octobre 2013 et qu'enfin, dans sa demande d'aide médicale d'Etat, il a fait valoir qu'il n'avait pas de passeport mais un document avec photo délivré par la préfecture de police de Paris.

Elle relève par ailleurs d'autres incohérences entre ses différentes déclarations, notant que sa demande d'asile a été admise sous le régime de la procédure accélérée, laquelle s'applique en présence d'une suspicion de fraude et qu'il appartient à chaque juridiction de contrôler l'identité d'une personne physique pour lutter contre la délinquance organisée, sachant que M. [E] prétend être né dans une région classée orange sur la carte de vigilance établie par le ministère des affaires étrangères en raison du risque de terrorisme.

En ce qui concerne le domicile, elle relève qu'alors que M. [E] était domicilié chez M. [X], la veille de l'audience, il a élu domicile auprès du centre contre l'esclavage moderne, et ce, alors que le dispositif de domiciliation n'a pas vocation à concerner des personnes qui ont la possibilité de recevoir du courrier à une adresse stable, sachant qu'il a déclaré qu'il souhaitait que personne ne le trouve, qu'il n'a pas pu lui être remis le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris, que l'adresse de M. [X] correspond en réalité au siège social d'un artisan peintre et qu'il convient donc de se demander si M. [E] ne serait pas M. [X].

Enfin, elle développe le fait qu'il s'agirait d'une escroquerie au jugement au regard de la fausse qualité de demandeur d'asile, de la fausse qualité de cuisinier qu'il s'attribue alors qu'il n'a réalisé que des travaux de peinture, que son adresse déclarée a hébergé de nombreuses fausses sociétés et qu'il sait parfaitement qu'il a perçu les sommes dues pour les travaux qu'il a réalisés.

En réponse, M. [E] relève qu'il s'agit d'un moyen dilatoire soulevé deux jours avant l'audience devant le conseil de prud'hommes, précisant que l'adresse indiquée dans sa requête est la sienne et qu'il ne peut donc en déclarer une autre et s'il a donné d'autres adresses, à savoir celle de l'association France terre d'asile et celle du comité contre l'esclavage moderne, ce n'est que parce qu'il était à cette époque sans domicile fixe et qu'il est permis d'élire domicile auprès de ces associations.

En ce qui concerne son identité, il relève que celle-ci résulte de l'ensemble des pièces produites par la société Marie-Louise elle-même et n'a jamais varié tout au long des différentes procédures engagées, et notamment devant les services de gendarmerie.

Il résulte de l'article 58 du code de procédure civile, dans sa version applicable au litige, que la requête ou la déclaration est l'acte par lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé et qu'elle contient à peine de nullité, pour les personnes physiques, l'indication des nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance du demandeur.

Selon l'article 114 du code de procédure civile, aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public. La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

En l'espèce, la requête comporte l'ensemble des mentions nécessaires telles que prévues par l'article 58 du code de procédure civile.

Or, si la société Marie-Louise développe de très nombreux moyens pour mettre en doute la réalité de l'identité de M. [Z] [E], il doit être relevé que son gérant, M. [K] a, lors de son audition devant les services de gendarmerie, confirmé qu'il avait bien hébergé M. [Z] [E], lequel a été auditionné sous cette identité tant par les services de police que de gendarmerie.

C'est également, toujours à l'encontre de M. [Z] [E], que la société Marie-Louise a déposé plainte avec constitution de partie civile et l'ensemble des documents versés aux débats sont au nom de M. [Z] [E], étant encore relevé que l'audition d'un des salariés de la société évoque également M. [Z] [E] comme ayant été hébergé par M. [K].

Ainsi, et quand bien même les documents administratifs dont dispose M. [E], en situation irrégulière sur le territoire français, peuvent manquer de force probante, il est certain que la procédure engagée l'ait par la personne qui a pu travailler pour M. [K], comme il a pu le reconnaître lors de son audition, et qu'il a hébergé à son domicile, sachant qu'il appartiendra, dans un second temps, à la cour d'apprécier le bien-fondé des demandes de M. [E], s'agissant notamment de ses prétentions relatives à son emploi en qualité de cuisinier.

Par ailleurs, alors que la société Marie-Louise développe également de très nombreux moyens sur la fausse adresse de M. [E], force est de constater qu'il a été auditionné par les services de police du Blanc Mesnil le 23 avril 2018, et ce, sans que les services de police n'évoquent la moindre difficulté pour le faire venir au commissariat, sachant que l'adresse déclarée était celle indiquée dans la requête présentée devant le conseil de prud'hommes, soit le 42 Rue de l'Angelus à Blanc Mesnil, avec en outre une adresse postale 107 Avenue Parmention 75 011 Comité contre l'esclavage moderne.

Il n'existe ainsi aucune difficulté quant au nom et à l'adresse déclarée, et à tout le moins, il n'est prouvé par la société Marie-Louise aucun grief dès lors que M. [Z] [E] est parfaitement identifié et joignable comme le démontre l'audition du 23 avril 2018.

Il convient en conséquence de débouter la société Marie-Louise de ses demandes tendant à l'annulation du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Louviers le 11 juin 2019 et à voir dire nulle et de nul effet la requête introduite par M. [E] devant le conseil de prud'hommes de Paris et tous les actes subséquents à cette requête.

Sur la demande de sursis à statuer

A l'appui de sa demande de sursis à statuer, la société Marie-Louise invoque la plainte avec constitution de partie civile en cours d'enquête devant le juge d'instruction pour faux et usage de faux, précisant que M. [K] doit être entendu le 14 avril 2022 au retour des différentes commissions rogatoires. Elle reprend par ailleurs ses développements relatifs à l'existence d'une escroquerie au jugement, fondée sur le fait que le passeport de M. [E] est un faux, que le domicile déclaré est également faux et que ses demandes sont présentées au titre d'une fausse qualité de cuisinier qu'il n'a jamais eue, sachant que les attestations produites sont mensongères.

M. [E] relève que la plainte de la société Marie-Louise a été classée sans suite par le procureur de la République et que ce n'est qu'à la veille de l'audience devant le conseil de prud'hommes qu'une plainte avec constitution de partie civile a été déposée, sans qu'il soit justifiée que cette plainte serait recevable, étant en tout état de cause relevé que ce sursis à statuer est facultatif et qu'en l'occurrence, cette plainte, contradictoire avec les faits reconnus par le gérant, n'est pas sérieuse.

Il doit être relevé que, comme indiqué précédemment, par ordonnance du 24 février 2022, le Président chargé de la mise en état a déclaré irrecevable cette exception de sursis à statuer, sans que cette ordonnance n'ait fait l'objet d'un quelconque recours, aussi, est-elle définitive.

En outre, la société Marie-Louise ne fait état d'aucun élément nouveau survenu postérieurement qui permettrait de remettre en cause l'autorité de chose jugée de cette décision.

Il s'ensuit que la demande de sursis à statuer présentée devant la cour est irrecevable en raison de l'autorité de chose jugée attachée aux décisions du conseiller de la mise en état statuant sur les exceptions de procédure, conformément à l'application des dispositions combinées des articles 775 et 907 du code de procédure civile.

Sur la portée de l'appel principal et de l'appel incident

Comme relevé par le Président de la mise en état dans son ordonnance du 20 février 2020, les conclusions déposées par la société Marie-Louise ne comportent aucune critique, ni demande d'infirmation des dispositions du jugement reconnaissant à M. [E] la qualité de salarié de la société et prononçant contre celle-ci diverses condamnations et injonctions.

Aussi, et alors qu'au titre de l'appel principal élevé par la société Marie-Louise, la cour a rejeté la demande tendant à l'annulation du jugement ainsi que la demande de sursis à statuer et qu'elle n'est saisie d'aucune demande subsidiaire tendant à l'infirmation du jugement, elle ne peut donc procéder qu'à sa confirmation sur les points non remis en cause par l'appel incident de M. [E].

A cet égard, si M. [E] réclame aux termes de ses conclusions une indemnité pour travail dissimulé, une indemnité de licenciement et une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents plus élevés que ceux alloués par le conseil de prud'hommes, force est de constater qu'il n'a pas sollicité l'infirmation de ces chefs mais en a au contraire expressément sollicité la confirmation.

Aussi, au vu de ces éléments, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit que M. [E] avait travaillé pour la société Marie-Louise du 20 avril 2015 au 20 avril 2016 et condamné la société Marie-Louise à lui verser les sommes suivantes :

rappel de salaires du 20 avril 2015 au 20 avril 2016 : 17 690,76 euros bruts,

congés payés afférents : 1 769,07 euros bruts,

indemnité de préavis : 1 474,23 euros bruts,

congés payés afférents : 147,42 euros bruts,

indemnité de licenciement : 368,56 euros,

indemnité pour travail dissimulé : 8 845,38 euros,

-ordonné la remise des bulletins de paie afférents et des documents de fin de contrat, dit que le paiement serait à adresser par chèque à l'ordre de la CARPA, et ce, avec astreinte globale de 50 euros par jour à compter du 21ème jour suivant la date de la notification du jugement, le conseil se réservant le droit de liquider l'astreinte,

-débouté la société Marie-Louise de sa demande reconventionnelle, condamné la société Marie-Louise à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Pour le surplus, au titre de l'appel incident formé par M. [E], la cour est valablement saisie de ses différentes demandes.

Sur l'existence d'un contrat de travail pour la période du 1er mai 2013 au 19 mai 2015

L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur. Il appartient au juge du fond pour retenir l'existence d'un contrat de travail de vérifier l'existence des éléments constitutifs de ce dernier, en particulier de celui essentiel que constitue le lien de subordination, lequel est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

En l'absence de contrat de travail et de bulletins de salaire, il appartient à celui qui revendique l'existence d'un contrat de travail d'en apporter la preuve.

Alors que M. [E] ne bénéficie d'aucun contrat de travail apparent pour la période du 1er mai 2013 au 19 mai 2015, il se contente de produire quatre attestations rédigées le 30 mars 2017 par MM. [F], [I] [N] et [D], lesquels indiquent, sans autres précisions, qu'il était salarié du restaurant le Tire-bouchon situé Rue de Charenton à Paris en 2013-2014, M. [N] précisant que c'était en tant que cuisinier.

Outre que M. [E] a donné deux explications sur les circonstances dans lesquelles il avait recueilli ces témoignages après avoir été interrogé sur leur date identique, en tout état de cause, à défaut de tous propos circonstanciés, il ne peut leur être accordé aucune force probante, étant au surplus relevé qu'il ressort des auditions mêmes de M. [E] qu'il n'a pas travaillé en 2014.

Quant à la cinquième attestation produite, il convient également d'en écarter toute force probante à défaut d'être datée, accompagnée d'une pièce d'identité et même de préciser la personne ayant été vue en train de travailler au restaurant le Tire-bouchon.

Enfin, surabondamment, il doit être relevé que ces attestations n'apportent aucun élément sur le lien de subordination qui aurait existé entre M. [E] et son employeur et il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [E] de l'ensemble de ses demandes relatives à la période du 1er mai 2013 au 19 mai 2015.

Sur la demande de rappel d'heures supplémentaires et repos compensateurs pour la période du 20 mai 2015 au 20 avril 2016

Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

A l'appui de sa demande, M. [E] explique qu'il travaillait, à l'exception du mercredi, tous les jours de la semaine, sur la totalité du service du restaurant l'Abri Normand (la société Marie-Louise) tel qu'il résulte du site internet, soit de 7h à 20h et même 22h le samedi. Aussi, réclame t-il un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires à raison de 33 heures par semaine.

M. [E] présente des éléments suffisamment précis permettant utilement à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement.

En l'espèce, il résulte de l'audition de M. [W], cuisinier de la société Marie-Louise, que lorsqu'il faisait son service, soit de 9h à 15h30, [M] (M. [K]) faisait la salle et que, lorsqu'il n'était pas là, à savoir le soir et le dimanche, c'était plutôt [M] en cuisine et une serveuse à temps partiel.

S'il explique que M. [E] pouvait parfois travailler en cuisine pour dépanner, notamment quand il était absent, il précise qu'il pense aux dimanches et que ce n'était pas tout le temps. Il indique par ailleurs qu'il mangeait avec eux.

Ainsi, il ressort clairement de cette audition que non seulement les horaires indiqués sur le site internet sont sans rapport avec la réalité des horaires d'ouverture du restaurant situé à Gaillon mais qu'en outre, ils ne correspondent à aucune réalité du travail effectué par M. [E], sachant qu'il résulte de l'audition de M. [W] qu'en réalité, celui-ci effectuait essentiellement des travaux de rénovation au sein du domicile de M. [K], lequel ne peut se confondre avec la société Marie-Louise, personnalité morale distincte, et qu'ainsi le travail réalisé au profit de la société Marie-Louise consistait en quelques travaux de peinture et quelques dépannages en cuisine, essentiellement les dimanches.

Au vu de ces éléments, la cour a la conviction que M. [E] n'a réalisé aucune heure supplémentaire au bénéfice de la société Marie-Louise et il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [E] de sa demande de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires et des repos compensateurs.

Sur la demande de dommages et intérêts pour non-respect des repos quotidiens et hebdomadaires obligatoires

Rappelant qu'il est interdit d'occuper plus de six jours par semaine un même salarié, que le repos hebdomadaire doit avoir une durée minimale de 24 heures consécutives, auquel doit s'ajouter le repos quotidien minimum qui est de 11 heures consécutives, que le jour de repos hebdomadaire doit être accordé le dimanche et qu'enfin l'employeur a une obligation de sécurité, M. [E] soutient qu'il est incontestable qu'il avait une amplitude horaire dépassant les normes prévues par le contrat de travail.

En l'espèce, il ressort des prétentions mêmes de M. [E] qu'il travaillait les mardis jusque 20 heures, qu'il ne travaillait pas les mercredis et qu'il reprenait le jeudi à 7 heures, ce qui correspond à un travail sur six jours par semaine avec un repos hebdomadaire de 24 heures augmenté des 11 heures de repos quotidien.

Aussi, et alors qu'il peut être dérogé au jours de repos le dimanche, notamment pour les restaurants, il n'existe aucun manquement de la société Marie-Louise quant à ces trois règles de droit invoquées par M. [E].

Par ailleurs, et alors qu'il n'a pas été retenu l'existence d'heures supplémentaires et qu'il ressort de l'audition de M. [W] que le début du service se situait en réalité à 9h30, et non 7h, il n'est justifié d'aucun non-respect des repos quotidiens et hebdomadaires obligatoires et il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [E] de cette demande.

Sur la demande de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de loyauté et de préservation de la santé et de la sécurité

M. [E] fait valoir qu'il n'a pas bénéficié de visite d'embauche, qu'il a travaillé dans des conditions indignes de 7 heures à 20 heures en vivant dans un logement insalubre, sous la surveillance constante du gérant, ce qui relève de la définition de l'esclavage moderne, à savoir un travail forcé de personnes sous menace et effectuant des travaux dans des conditions parfois dangereuses, sans rétribution, souvent enfermés, privés d'identité et soumis à des violences physiques et psychologiques.

Au-delà de ces allégations, cette description n'est corroborée par aucune pièce et, au contraire, il résulte de l'audition de M. [W] que M. [K] et M. [E] étaient très proches, que M. [E] dormait au domicile de M. [K], qu'il avait d'ailleurs sa chambre une fois celle-ci refaite par ses soins, qu'il partageait les repas avec l'équipe du restaurant, qu'il avait les clés des lieux, que M. [K] l'emmenait parfois à la gare pour aller à Paris et que M. [E] revenait le jeudi matin par le train, ce qui permet suffisamment de démontrer que M. [E] ne vivait pas dans des conditions indignes et qu'il était libre de ses mouvements.

Aussi, et s'il est certain que M. [E] n'a pas bénéficié de visite médicale d'embauche, il n'est cependant pas allégué le moindre problème de santé et, à défaut de préjudice, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de cette demande.

Sur la demande de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail

Alors qu'il a été retenu que M. [E] avait travaillé du 20 avril 2015 au 20 avril 2016, soit durant un an, mais sans qu'aucune procédure de licenciement n'ait été engagée à son égard, il convient de dire que la rupture s'analyse en un licenciement abusif.

Dès lors, conformément à l'article L. 1235-5 du code du travail, dans sa version applicable au litige, et alors que M. [E] ne justifie pas de sa situation professionnelle et financière postérieurement à la rupture, il convient de lui allouer la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la demande de communication de documents

Dès lors qu'il n'a pas été fait droit à des prétentions salariales complémentaires, il n'y a pas lieu d'ordonner la communication de nouveaux bulletins de salaire ou documents de fin de contrat, la confirmation du jugement de première instance sur ce point étant suffisant.

Sur les intérêts au taux légal avec capitalisation

Les sommes allouées à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du jugement de première instance pour les dispositions confirmées et du présent arrêt pour les dispositions infirmées.

Par ailleurs, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, les intérêts échus produiront intérêts dés lors qu'ils seront dus au moins pour une année entière et ce, à compter de l'arrêt.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Marie-Louise aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [E] la somme de 1 000 euros sur ce même fondement, en plus de la somme allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement,

Statuant dans les limites de sa saisine,

Déclare irrecevables les conclusions déposées par M. [Z] [E] le 15 mars 2022 ;

Rejette les exceptions de nullité présentées par la SARL Marie-Louise ;

Déclare irrecevable la demande de sursis à statuer ;

Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté M. [Z] [E] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive ;

Condamne la SARL Marie-Louise à payer à M. [Z] [E] la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Y ajoutant,

Dit que les sommes allouées à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du jugement de première instance pour les dispositions confirmées et du présent arrêt pour les dispositions infirmées ;

Dit que les intérêts échus produiront intérêts dés lors qu'ils seront dus au moins pour une année entière et ce, à compter de l'arrêt ;

Dit n'y avoir lieu à remise complémentaire de bulletins de salaire et documents de fin de contrat;

Condamne la SARL Marie-Louise à payer à M. [Z] [E] la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SARL Marie-Louise de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [Z] [E] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La greffièreLa présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/02789
Date de la décision : 28/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-28;19.02789 ?
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