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28/04/2022 | FRANCE | N°19/02446

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 28 avril 2022, 19/02446


N° RG 19/02446 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IGUK





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 28 AVRIL 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES D'EVREUX du 20 Mai 2019





APPELANT :





Monsieur [T] [M]

53 bis route de Houdan

78711 MANTES LA VILLE



représenté par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN







INTIMEE :





SAS BRONZE ALU

Zone industrielle

BP 12

27750 LA COUTURE BOUSSEY



représentée par Me Flore ASSELINEAU de la SELAS ASSELINEAU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Hélène GORKIEWIE...

N° RG 19/02446 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IGUK

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 28 AVRIL 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES D'EVREUX du 20 Mai 2019

APPELANT :

Monsieur [T] [M]

53 bis route de Houdan

78711 MANTES LA VILLE

représenté par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

SAS BRONZE ALU

Zone industrielle

BP 12

27750 LA COUTURE BOUSSEY

représentée par Me Flore ASSELINEAU de la SELAS ASSELINEAU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Hélène GORKIEWIEZ, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 09 Mars 2022 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 09 Mars 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 28 Avril 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 28 Avril 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [T] [M] a été engagé en qualité d'opérateur régleur CN par la SAS Bronze Alu par contrat de travail à durée indéterminée du 4 mars 2013.

Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective de la métallurgie de l'Eure.

Au dernier état des relations contractuelles, M. [M] occupait un poste de conducteur d'installations.

Le 25 août 2016, M. [M] a été victime d'un accident de travail. La machine sur laquelle il travaillait lui a sectionné la main gauche lui occasionnant une plaie de la troisième commissure avec une fracture ainsi qu'une section du fléchisseur et de l'extenseur du 4ème rayon. Il a bénéficié d'un arrêt de travail ininterrompu entre le 27 août 2016 et le 6 juin 2017.

Par requête du 18 juillet 2017, M. [M] a saisi le conseil de prud'hommes d'Evreux en résiliation judiciaire de son contrat de travail pour manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur, ainsi qu'en paiement de rappels de salaire et d'indemnités.

Le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement a été notifié au salarié le 1er février 2018.

Par jugement du 20 mai 2019, le conseil de prud'hommes, en sa formation de départage, a rejeté la pièce n° 47 de M. [M] et ses dernières écritures transmises la veille de l'audience de départage, rejeté les demandes de M. [M] au titre des dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, de la résiliation judiciaire du contrat de travail, d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, du préavis et de l'indemnité de licenciement, rejeté les demandes de M. [M] et de la société Bronze Alu au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de l'exécution provisoire, condamné M. [T] [M] aux dépens.

M. [M] a interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions le 20 juin 2019.

Par conclusions remises le 19 septembre 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [M] demande à la cour de le recevoir en son appel et le dire bien-fondé en ses demandes, à titre principal, infirmer le jugement et statuant à nouveau, dire que la société Bronze Alu a manqué à son obligation de sécurité, la condamner à lui verser 10 000 euros de dommages et intérêts en raison du préjudice subi en raison du manquement à l'obligation de sécurité, prononcer en conséquence la résiliation judiciaire de son contrat de travail, condamner la société Bronze Alu à lui verser la somme de 42 386,40 euros (18 mois) au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, à titre subsidiaire, si la cour ne faisait pas droit à la demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, dire que la société Bronze Alu a manqué à son obligation de reclassement en suite de son licenciement pour inaptitude, la condamner en conséquence à lui verser la somme de 42 386,40 euros (18 mois) au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, en tout état de cause, condamner la société Bronze Alu à lui verser les sommes suivantes :

indemnité de préavis : 2 354,80 euros (1 mois),

congés payés afférents : 235,48 euros,

indemnité légale de licenciement : 2 428,11 euros,

indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 2 500 euros, outre les dépens avec distraction,

dire que le jugement sera assorti de l'exécution provisoire sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile, dire que les intérêts légaux seront dus sur l'ensemble des sommes octroyées à compter de la date d'introduction de l'instance.

Par conclusions remises le 19 décembre 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société Bronze Alu demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne l'absence de condamnation de M. [M] au versement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, statuant à nouveau, dire que la machine sur laquelle s'est produit l'accident de M. [M] présentait toutes les garanties de sécurité, dire que M. [M] était parfaitement formé aux règles de sécurité, dire que l'accident de M. [M] est exclusivement dû à son manquement aux règles de sécurité, dire en conséquence qu'elle a respecté son obligation de sécurité à l'égard de son salarié, le débouter en conséquence de sa demande de résiliation judiciaire et des demandes financières afférentes, débouter M. [M] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, dire que la procédure de licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement est régulière, dire qu'elle a respecté son obligation de recherche de reclassement, dire en conséquence que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de M. [M] repose sur une cause réelle et sérieuse, le débouter de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamner M. [M] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de m'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 24 février 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de résiliation judiciaire pour manquement à l'obligation de sécurité

Lorsqu'un salarié saisit le conseil des prud'hommes d'une demande de résiliation de son contrat de travail et qu'il est ensuite licencié, le juge doit d'abord examiner la demande de résiliation judiciaire, avant de se prononcer sur la régularité du licenciement.

La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être prononcée si l'employeur n'exécute pas ses obligations contractuelles et que les manquements sont d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

La résiliation judiciaire du contrat de travail prend effet au jour où le juge la prononce, dés lors qu'à cette date le salarié est toujours au service de son employeur. Lorsque le salarié n'est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement ou au jour de la prise d'acte de rupture ou au jour à partir duquel le salarié a cessé de se tenir à la disposition de son employeur.

La résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse avec toutes ses conséquences de droit.

En l'espèce, à la suite de l'accident du travail dont il a été victime le 25 août 2016, sur une machine s'apparentant à une scie circulaire, M. [M] reproche à son employeur de ne pas avoir été formé pour utiliser cette machine Piston Knorr, s'agissant de surcroît, d'une machine non homologuée créée par la société Bronze Alu elle-même, de sorte qu'il n'est pas établi qu'elle répondait aux normes de sécurité. En outre, il estime que son poste de travail n'était pas sécurisé, l'automate ne permettant pas de dissocier le mécanisme de mise en route de la scie de celui des capteurs. Par ailleurs, il conteste avoir commis un quelconque manquement aux consignes de sécurité, soutenant que l'arbre des causes qui conduit à cette conclusion est erroné, qu'il n'avait pas d'autre choix que de passer la machine en mode manuel sans couper l'alimentation pour tenter de débloquer l'unité de découpe coincée.

Il résulte des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail, que l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Si l'employeur est tenu à l'égard de son personnel d'une obligation de sécurité, ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l'existence d'un danger, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.

Concernant les circonstances de l'accident survenu le 25 août 2016, la déclaration d'accident du travail mentionne les indications suivantes : « la victime aurait essayé de débloquer une pièce coincée dans la scie. Cette dernière semble s'être remise en marche. La machine n'a pas été mise hors tension (procédure). Complément d'enquête en cours ». Le compte-rendu de la réunion du CHSCT de l'entreprise organisée dès le lendemain expose au titre des ' circonstances détaillées de l'accident' les éléments suivants : 'Lieu : ligne KNORR La scie s'est bloquée lors de la découpe de la carotte de la pièce. La victime est entrée dans l'enceinte pour intervenir sur la scie. Elle a fait plusieurs aller-retour entre la scie et le pupitre de commande situé à l'extérieur de l'enceinte pour débloquer le disque de la scie. Elle a arrêté la scie en appuyant sur le bouton d'arrêt auto (bouton tactil), a démonté le carter, puis le disque NC et a commencé à remonter le nouveau disque quand celui-ci s'est remis en rotation et a happé sa main (pas de translation du disque).'

Il convient de préciser que cette description de l'accident correspond à la version donnée par M. [M].

Or, le compte-rendu de la réunion du CHSCT montre qu'il a été tenté, en vain, de reproduire une situation identique à celle décrite par M. [M] pour identifier les causes de l'accident en envisageant les configurations suivantes :

'Tous les essais ont été réalisés porte de l'enceinte ouverte. Situation lors de l'accident.

1 En mode manuel, le moteur de la scie ne démarre pas (avec ou sans pièce) sans action sur la bi-manuelle

2 En mode manuel, lorsque l'unité de découpe est avancée, cela ne démarre pas le moteur de la scie (avec ou sans pièce)

3 Thermique coupé, enclenchement manuel de celui ci pour redémarrer, obligé de faire un RAZ pour pouvoir réenclencher le cycle auto

4 En auto avec pièce dans la scie, pas de démarrage

5 En manuel sur l'armoire de la scie, sortie robot sur 1 (mode réglage), passage devant le capteur de présence pièce -) verrouillage de la pièce, mise en route et avance du disque

6 Puis si nous passons la sortie robot sur 0 et en position auto sur l'armoire de la scie, passage devant le capteur de présence pièce -) rotation du disque sans avance de celui-ci. Observation : nous nous trouvons hors de l'enceinte robotisée lors de la rotation du disque.'

Dès lors, le CHSCT a conclu qu'il n'avait pas 'réussi à reproduire le défaut dans les conditions expliquées par la victime' et précisé que l'arbre des causes réalisé à partir de ces éléments conduisait à considérer que l'origine de l'accident ne pouvait être qu' un 'non respect des procédures de sécurité' par le salarié.

Ce compte-rendu est corroboré par des attestations des salariés du CHSCT produites par l'employeur et dont la force probante ne saurait être anéantie par la seule circonstance qu'il existe un lien de subordination, qui confirment que dans le cadre de l'enquête réalisée par cette instance à la suite de l'accident, il a été constaté que le poste de travail de M. [M] présentait toutes les conditions de sécurité requises, qu'il n'a pas été possible de reproduire le déroulement des faits tels que relatés par M. [M] malgré plusieurs essais dans des configurations différentes, et qu'il a donc été conclu que l'accident n'a pu survenir qu'en raison du non-respect des procédures de sécurité imposant de couper l'alimentation de la machine, aucun dysfonctionnement de cette dernière utilisée dans les conditions prescrites n'ayant pu être établi.

Il ressort de ces éléments qu'il existe des incertitudes, voire des incohérences, sur les circonstances de l'accident telles qu'elles sont relatées par M. [M], de sorte qu'en l'absence d'éléments objectifs qui viendraient étayer ses explications, il ne peut être considéré que l'accident résulte nécessairement, du seul fait de sa survenance, d'un dysfonctionnement de la machine et d'un défaut de sécurisation de cette dernière.

En outre, contrairement à ce que soutient le salarié, aucun dysfonctionnement ou défaut de sécurité de la machine Piston Knorr qui expliquerait la cause de l'accident ne ressort des pièces produites aux débats.

En effet, aux termes des conclusions de l'enquête du CHSCT, aucun problème de ce type n'a été mis en exergue.

De plus, la société Bronze Alu justifie de ce que lors de sa mise en place au mois de janvier 2016, cette machine Piston Knorr a fait l'objet d'un procès-verbal de réception complet aux termes duquel tous les points de sécurité ont été vérifiés, ce document étant signé à la fois par le représentant sécurité-environnement et par le CHSCT. Il est également établi que la fiche du poste de travail a été mise à jour, avec mention des accès pour mise hors tension (sectionneur, arrêt d'urgence et écran tactile pour mode manuel).

Certes, M. [M] soutient avoir alerté sa hiérarchie sur l'existence des dysfonctionnements de la machine sur laquelle il travaillait et notamment le fait que la scie se bloquait souvent, que le programme ne permettait pas d'arrêt, ce qui causait beaucoup de rebus ainsi la nécessité d' opérations de maintenance sans possibilité de couper l'alimentation de la machine. Toutefois, les feuilles de suivi de production qu'il verse aux débats pour illustrer ses allégations ne concernent pas la machine litigieuse. Quant à l'attestation de M. [F], elle fait uniquement état de difficultés de manipulation, mais ne mentionne pas de problèmes de sécurité.

De même, si l attestation de M. [X] évoque des 'défauts de sécurité sur l'ilôt KNORR notamment sur la scie (des problèmes de capteurs, le verrin ejecteur et le verrin du serrage de la pièce)' et le fait que 'plusieurs fois par semaine dans le document Q98 tous ces problèmes afin de remonter les faits à la Direction et à la maintenance sans succès, nous avions demandé d'installer un bouton d'arrêt d'urgence et un carter de sécurité sans suite', ces explications ne sont pas suffisamment précises et circonstanciées pour venir contredire les conclusions du rapport du CHSCT, aucun lien de causalité ne pouvant être établi entre 'les défauts de sécurité'évoqués et l'accident de M. [M].

Enfin, il ne peut être déduit du fait que cette machine ait été démontée en mai 2017 l'existence d'une dangerosité telle que l'entreprise aurait décidé de s'en séparer, la société Bronze Alu justifiant, au demeurant, que cette décision a été prise pour une raison totalement étrangère à la sécurité, à savoir un manque de productivité de la chaîne.

Dès lors, en l'absence de dysfonctionnement et/ou de défaut de sécurité de la machine, le raisonnement présenté par M. [M] pour critiquer l'analyse faite par l'arbre des causes et les conclusions de l'enquête du CHSCT imputant la responsabilité de l'accident au salarié pour manquement aux règles de sécurité n'est pas pertinent, étant surabondamment fait observer que la société Bronze Alu verse aux débats des rappels à l'ordre et avertissements donnés à M. [M] notamment pour non-respect des règles de sécurité, ce qui établit que celui-ci a déjà pu, par le passé, s'affranchir des règles de sécurité et renforce ainsi l'hypothèse selon laquelle l'accident est survenu en raison d'un non-respect des règles de sécurité par le salarié.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient M. [M], cette situation ne peut s'expliquer par son absence de formation sur la machine.

En effet, d'une part, il convient de relever qu'il ressort du curriculum vitae du salarié que celui-ci est titulaire d'un BEP métiers de la production mécanique informatisée obtenu en 2004, d'un baccalauréat professionnel de technicien d'usinage obtenu en juin 2006 et qu'il a travaillé sur des postes conformes à ses diplômes dès juillet 2006. Lors de l'accident, M. [M] avait donc une formation en adéquation avec son poste de travail et une expérience professionnelle de dix années. En outre, la société Bronze Alu justifie qu'en 2013, lors de son embauche, M. [M] a passé un 'test d'accueil des nouveaux entrants' sur la sécurité, que lui a été remis une fiche d'information sur la sécurité à son poste de travail indiquant notamment de manière très explicite que pour 'toutes interventions sur le poste, il est impératif d'arrêt la machine en coupant son alimentation, aucun mouvement ne doit être en fonctionnement', ainsi que des consignes générales de sécurité en usinage. M. [M] a également bénéficié, au mois de février 2015 d'une formation de 'mise à jour des compétences qualité sécurité environnement'.

D'autre part, aucun élément du dossier n'établit que la machine Piston Knorr sur laquelle est arrivé l'accident imposait un fonctionnement différent des autres postes de travail de l'usinage et des règles de sécurité spécifiques.

Aussi, M. [M] ne peut soutenir qu'il ne disposait pas de la formation suffisante pour utiliser cette machine en toute sécurité.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que la société Bronze Alu démontre suffisamment qu'elle a respecté son obligation de sécurité en ayant pris les mesures de formation et de prévention nécessaires pour éviter ou limiter les risques en matière de sécurité, en ayant sécurisé le poste de travail de M. [M], l'accident étant survenu alors que M. [M] n'a pas respecté scrupuleusement les consignes de sécurité qui lui avaient été transmises par sa hiérarchie quant à la nécessité de couper l'alimentation de la machine avant toute intervention de maintenance.

En conséquence, le jugement entrepris est confirmé.

Sur le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement

- Sur la régularité de l'avis d'inaptitude

En application de l'article R. 4624-42 du code du travail, le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude du salarié à son poste de travail que s'il a réalisé au moins un examen médical de l'intéressé. S'il estime un second examen nécessaire, le médecin le réalise dans un délai qui n'excède pas quinze jours après le premier examen.

En l'espèce, M. [M] soutient que la société Bronze Alu n'a pas respecté la procédure de licenciement pour inaptitude puisque le délai maximal de 15 jours entre les deux visites médicales a été dépassé, de sorte que la procédure se trouve viciée.

Il ressort des fiches d'aptitude médicale versées aux débats que l'inaptitude médicale de M. [M] a été constatée par le médecin du travail lors d'une visite du 30 novembre 2017 et confirmée lors d'une seconde visite du 12 décembre 2017. Il s'est donc écoulé un délai inférieur à quinze jours entre les deux visites, de sorte qu'aucun grief ne peut être retenu sur ce point, M. [M] visant à tort, au soutien de sa démonstration, la visite médicale du 13 juin 2017 qui était une visite de pré-reprise, ainsi que la désigne elle-même la médecin du travail et ainsi que cela ressort des démarches entreprises par ce médecin, à savoir prise de renseignement auprès de l'employeur sur les possibilités d'adaptation du poste, déplacement dans les locaux de l'entreprise pour une étude de poste.

- Sur l'obligation de reclassement

L'article L.1226-10 du code du travail dans sa version applicable lors de l'engagement de la procédure de reclassement, prévoit que  lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

Les propositions de reclassement faites par l'employeur doivent être loyales et sérieuses, ce qui signifie que l'emploi proposé doit être aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, compte tenu de l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. L'employeur n'est toutefois pas tenu de donner au salarié une formation de base différente de la sienne et relevant d'un autre métier.

L'obligation de reclassement n'est pas, pour autant, une obligation de résultat, mais une obligation de moyens renforcée : la cause réelle et sérieuse du licenciement est admise lorsque l'employeur prouve qu'il a procédé à des actes positifs et concrets de recherche de reclassement en cherchant toutes les possibilités d'aménagement. L'employeur peut tenir compte de la position exprimée par le salarié.

L'employeur étant débiteur de cette obligation, la preuve de son exécution lui incombe et il lui revient d'établir l'impossibilité de reclasser le salarié, laquelle doit être distinguée des seules difficultés de reclassement insuffisantes à le dispenser de l'exécution de ses obligations.

En l'espèce, à l'issue de la seconde visite du 12 décembre 2017, le médecin du travail a déclaré M. [M] inapte au poste de conducteur installations usinage en précisant 'après étude de poste du 28 juin 2017 et entretien avec employeur, inapte au poste : à reclasser à un poste sans charges supérieures à 7kg sans machines en mouvement à proximité '.

La société Bronze Alu justifie avoir procédé aux démarches et recherches de reclassement suivantes :

- une demande de renseignement adressée à M. [M] le 13 décembre 2017 afin que celui-ci informe son employeur sur ses diplômes, formation, niveau de connaissance en langue étrangère, en informatique etc...

- une recherche de reclassement sérieuse avec précision de la situation de M. [M] et envoi de son curriculum vitae complet et à jour faite le 20 décembre 2017 auprès de sa filiale roumaine, ainsi qu'auprès de treize structures, telles l'Union des industries et métiers de la métallurgie de l'Eure ou encore la chambre des métiers, et entreprises extérieures susceptibles de disposer de postes en adéquation avec les compétences du salarié,

- les réponses négatives reçues à la suite de cette démarche entre les 20 décembre 2017 et 4 janvier 2018,

- le compte-rendu de la consultation des délégués du personnel du 21 décembre 2017 portant sur le reclassement de M. [M] dont la conclusion est la suivante: « au regard de l'ensemble des éléments en leur possession, les délégués du personnel en ont conclu qu'il n'y avait qu'une seule possibilité de reclassement à proposer à Monsieur [T] [M] : le poste d'agent d'entretien », étant précisé que la discussion a porté sur différents postes validés par une animatrice sécurité environnement, le directeur d'exploitation et la médecin du travail et que seul ce poste s'avérait ne pas être à proximité d'une machine en mouvement,

-un courrier adressé par la directrice des ressources humaines au médecin du travail sollicitant son avis sur la possibilité de proposer une formation pour un poste adapté,

-la proposition de reclassement faite à M [M] le 22 décembre 2017 et la demande de l'entreprise faite à M. [M] en cas de refus de ce poste de formuler des suggestions de postes compatibles avec les restrictions médicales et pour lesquels il pense être capable de les tenir,

- la réponse de M. [M] du 31 décembre 2017 refusant l'offre de reclassement, mais ne formulant pas de demande de reclassement sur un autre poste éventuellement disponible.

Certes, ainsi que le relève M. [M], lors de l'étude de poste réalisée en juin 2017, Mme [K], la directrice des ressources humaines, avait évoqué avec la médecin du travail huit postes disponibles dans le cadre d'un reclassement, car actuellement occupés par des intérimaires. Toutefois, M. [M] ne peut reprocher à son employeur de ne pas lui avoir proposé ces postes. En effet, d'une part, il n'est pas contesté que six mois plus tard, en décembre 2017, la majorité de ces postes n'était plus disponible puisqu'occupés par des salariés engagés en contrat à durée indéterminée. D'autre part et en tout état de cause, leur description montre qu'il s'agissait pour tous de fonctions nécessitant l'utilisation de petites machines de type perceuse ou une présence à proximité de machines industrielles, situation contraire aux restrictions faites dans l'avis d'inaptitude.

De même, il ne peut être reproché à la société Bronze Alu de ne pas avoir proposé à M. [M] d'être reclassé sur les trois postes vacants en décembre 2017, à savoir le poste de comptable, de métrologue et d'animateur qualité UAP, puisqu'il s'agissait, ainsi que cela avait été explicité au salarié, de fonctions pour lesquelles il n'avait pas la formation technique (DUT ou Bac+3) et l'expérience (5 ans minimum) requises.

Enfin, c'est à tort que M. [M] critique le fait qu'aucune formation CFAO ne lui a été proposée pour travailler dans les bureaux sur un poste technique de conception, puisqu'il ressort des éléments produits aux débats et non contestés par le salarié, que l'organisation de la société Bronze Alu est faite de telle sorte que ces postes ne sont pas séparés de l'atelier et que même si M. [M] avait pu bénéficier de cette formation, il aurait occupé un poste à proximité de machines en fonctionnement, situation qui était exclue par la médecine du travail.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la société Bronze Alu démontrant qu'elle a loyalement et sérieusement mis en oeuvre la procédure de reclassement, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le licenciement prononcé repose sur une cause réelle et sérieuse et a débouté M. [M] de ses demandes indemnitaires subséquentes.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner M. [M] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de le débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de le condamner à payer à la société Bronze Alu la somme de 300 euros sur ce même fondement pour les frais générés en appel et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne M. [T] [M] à payer à la société Bronze Alu la somme de 300 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [T] [M] aux entiers dépens.

La greffièreLa présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/02446
Date de la décision : 28/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-28;19.02446 ?
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