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28/04/2022 | FRANCE | N°19/02444

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 28 avril 2022, 19/02444


N° RG 19/02444 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IGUG





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 28 AVRIL 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 21 Mai 2019





APPELANT :





Monsieur [E] [S]

517 Route de Rouen

76690 SIERVILLE



représenté par Me Agathe BEAULAVON, avocat au barreau de ROUEN









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INTIMEE :





SA LA POSTE

9 Rue du Colonel Pierre Avia

75757 PARIS CEDEX 15



représentée par Me Eric DI COSTANZO de la SELARL ACT'AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Julie LEMAIRE ETIENNE, avocat au barreau de ROUEN








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N° RG 19/02444 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IGUG

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 28 AVRIL 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 21 Mai 2019

APPELANT :

Monsieur [E] [S]

517 Route de Rouen

76690 SIERVILLE

représenté par Me Agathe BEAULAVON, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

SA LA POSTE

9 Rue du Colonel Pierre Avia

75757 PARIS CEDEX 15

représentée par Me Eric DI COSTANZO de la SELARL ACT'AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Julie LEMAIRE ETIENNE, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 09 Mars 2022 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 09 Mars 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 28 Avril 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 28 Avril 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [E] [S] a été engagé par la société Somepost, filiale de La Poste, par contrat de travail à durée indéterminée du 3 novembre 1980, puis directement par la SA La Poste par contrat de travail à durée indéterminée du 11 octobre 1999 en qualité d'ingénieur coordinateur filière formation avec reprise de son ancienneté.

M. [S] a évolué au sein de l'entreprise et aux termes d'un avenant conclu le 8 octobre 2009, il a été nommé responsable distribution pour occuper un poste de coordinateur organisation process (COP), poste relevant de la catégorie 'Ingénieurs et Cadres supérieurs', position III Groupe A.

À la suite d'un accident vasculaire cérébral, M. [S] a été placé en arrêt de travail du 22 juillet 2014 au 15 juillet 2015, le médecin du travail l'ayant, dans un premier temps, déclaré apte mais uniquement dans le cadre d'un travail à temps partiel, puis, lors de la visite du 22 septembre 2015, déclaré apte sans restriction.

M. [S] a, ensuite été placé en arrêt de travail du 30 mars au 1er mai 2016.

Le 11 mai 2016, M. [S] a signé une convention d'engagement pour les salariés qui accèdent au dispositif de temps partiel aménagé senior (TPAS).

Par requête du 22 mai 2017, M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen en contestation de la convention d'accès au dispositif TPAS, en reconnaissance du harcèlement moral qu'il a subi, ainsi qu'en paiement d'indemnités.

Par jugement du 21 mai 2019, le conseil a dit que M. [S] n'a pas subi de harcèlement moral, dit qu'il n'a pas subi de discrimination liée à son état de santé, dit que le consentement de M. [S] sur la convention TPAS n'a pas été viciée, dit que le contrat de travail de M. [S] n'a pas été rompu et que celui-ci est toujours salarié de La Poste, débouté M. [S] de toutes ses autres demandes, débouté la société La Poste de sa demande reconventionnelle, laissé les dépens à la charge des parties, chacune par moitié.

M. [E] [S] a interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions le 20 juin 2019.

Par conclusions remises le 16 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [E] [S] demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société La Poste de sa demande reconventionnelle, laissé les dépens à la charge des parties, chacune par moitié, statuant à nouveau, dire qu'il a été victime de faits de harcèlement moral, dire que son consentement a été vicié, dans le cadre de la signature du TPAS, dire que la convention de TPAS est nulle en raison du harcèlement moral subi caractérisant la contrainte ayant vicié son consentement, en conséquence, condamner la société La Poste à lui verser les sommes suivantes :

indemnité de licenciement : 32 370,77 euros,

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 109.251,36 euros,

indemnité compensatrice de préavis : 6.069,52 euros,

dommages et intérêts pour harcèlement moral : 60 000 euros,

dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de santé et de sécurité : 10 000 euros,

dommages et intérêts pour discrimination sur son état de santé : 3 000 euros,

dommages et intérêts pour préjudice économique : 67 000 euros,

dommages et intérêts pour préjudice de carrière : 50 000 euros,

indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros,

-condamner la société La Poste aux entiers dépens, et la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Par conclusions remises le 11 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société La Poste demande à la cour de recevoir M. [S] en son appel et le dire mal fondé, confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il n'a pas fait droit à la condamnation de M. [S] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en conséquence, débouter M. [S] de la totalité de ses demandes, fins et prétentions, en conséquence, le condamner à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-statuant à nouveau, dire que M. [S] n'a pas subi de harcèlement moral, en conséquence, le débouter de toute demande afférente, dire qu'il n'a pas subi de discrimination liée à son état de santé, en conséquence, le débouter de toute demande afférente, dire que son consentement sur la convention de TPAS n'a pas été vicié, en conséquence, le débouter de toute demande afférente, dire que le contrat de travail avec M. [S] n'a pas été rompu, qu'il était toujours salarié de La Poste jusqu'à son départ à la retraite le 30 septembre 2019, en conséquence, le débouter de toute demande afférente, dire qu'elle n'a pas méconnu son obligation de santé et de sécurité à l'égard de M. [S], en conséquence, le débouter de toute demande afférente, à titre subsidiaire, dire que M. [S] ne justifie d'aucun préjudice, à défaut, réduire la demande de M. [S] à ce titre à de plus juste proportions,

-dire que M. [S] n'a pas subi aucune discrimination eu égard à son état de santé, en conséquence, le débouter de toute demande afférente, à titre subsidiaire, dire que M. [S] ne justifie d'aucun préjudice, à défaut, réduire sa demande à ce titre à de plus juste proportions,

-dire que M. [E] [S] ne justifie d'aucun préjudice économique et d'aucun préjudice de carrière, en conséquence, le débouter de toute demande afférente, à titre subsidiaire, dire que M. [S] ne justifie d'aucun préjudice spécifique, à défaut, réduire la demande de M. [S] à ce titre à de plus juste proportions,

-débouter M. [S] de toutes demandes indemnitaires, à titre subsidiaire et en tout état de cause, réduire les demandes de M. [S] à de plus justes proportions, en tout état de cause, le condamner à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 24 février 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 du même code, dans sa version postérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 applicable au cas d'espèce prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, M. [S] soutient que la situation de harcèlement moral qu'il entend dénoncer résulte des agissements suivants :

- Des obstacles injustifiés à son évolution de carrière, de surcroît, non pris en compte par l'employeur malgré les alertes du salarié

M. [S] explique qu'à compter de l'arrivée de M. [Y], son N +2, à la fin de l'année 2010, ses évaluations, qui étaient plus qu'élogieuses depuis 30 ans, vont devenir moyennes voire médiocres, sans aucune raison objective. En outre, alors qu'il avait été intégré, au terme d'un processus sélectif d'appréciation de ses compétences, dans le vivier des cadres B promis à occuper un poste de ce niveau dans les deux ans suivants, il n'a jamais obtenu un poste de cadres B, malgré de multiples postulations. Il soutient que son employeur savait pertinemment que cette situation résultait d'un blocage injustifié de la part de M. [Y], puisqu'il a accepté de le laisser indéfiniment dans le vivier B alors que la pratique normale voulait qu'au terme d'un délai de deux ans, si le salarié n'avait pas obtenu un poste de cadre B, il sortait du vivier.

Il résulte de l'examen des évaluations produites aux débats par M. [S] sur les années 2003 à 2010 que tous ses supérieurs hiérarchiques directs qui se sont succédés sur cette période ont mis en avant les excellentes compétences de M. [S] qui étaient évaluées comme étant d'un 'niveau supérieur' à ce qui était attendu de lui, à l'exception toutefois, de son aptitude à la conduite d'équipe et au développement des collaborateurs évaluée parfois à un niveau en dessous comme étant 'parfaitement adaptée' ainsi que son comportement relationnel évalué au même niveau. Les appréciations littérales étaient valorisantes et élogieuses malgré parfois des objectifs non atteints.

Contrairement à ce que soutient M. [S], les évaluations postérieures, réalisées après l'arrivée de M. [Y] sont du même ordre. Ainsi, l'évaluation de l'année 2011 réalisée le 24 février 2012 met toujours en avant des compétences 'nettement supérieures' à l'exception du comportement relationnel évalué à 'parfaitement adapté', le commentaire littéral indiquant 'déployer en 2012 la conviction et l'influence'.

Il en est de même de l'évaluation pour l'année 2012 réalisée les 11 et 22 février 2013 par M. [A] supérieur hiérarchique direct qui évalue toutes les compétences du salarié comme étant nettement supérieures y compris le comportement relationnel. Certes, M. [Y], en contre-signant cette évaluation, a porté la mention suivante 'des réserves quant au niveau d'évaluation s'agissant des compétences 'comportement relationnel et 'développement des collaborateurs', mais l'évaluation n'a pas été modifiée pour autant.

Il est en revanche exact que l'évaluation de l'année 2013 réalisée le 17 décembre 2013 par M. [A] dans le cadre d'un entretien de management de la performance baisse sensiblement les compétences du salarié. Ainsi si elle qualifie toujours les compétences techniques et la capacité à appliquer les compétences de 'nettement supérieur', en revanche, les trois autres items sont évalués un cran en dessous à 'parfaitement adapté', avec les commentaires suivants : pour l'efficacité personnelle, il est indiqué que 'les missions confiées sont menées dans les délais, l'initiative personnelle gagnerait à être plus marquée', pour le comportement relationnel que 'l'esprit d'équipe ok, la coopération et l'entraide avec ses pairs pourrait être plus forte' et pour l'aptitude à la conduite d'équipe et au développement des collaborateurs que 'les équipes sont gérées avec fermeté, un peu de rondeur dans les rapports permettrait d'être plus efficient (ex: pôle OA)'.

Cependant, il ne s'agit pas comme peut la qualifier M. [S] d'une évaluation 'médiocre' et de surcroît, la baisse de niveau de certains items est motivée par des remarques littérales, qui reflète plus une baisse de motivation et d'engagement en lien avec l'absence de promotion et de changement de poste espérés par M. [S] depuis au moins six ans au vu des commentaires présents dans les évaluations dès 2006 qu'une volonté de M. [Y], qui contre-signe les dites évaluations mais qui n'en est pas l'auteur, de déprécier le travail de M. [S].

Par ailleurs, sur l'absence d'accès à un poste de cadre B, il est établi par le courrier du 20 avril 2010 de la directrice développement ressources humaines qu'il a été annoncé à M. [S] que 'le comité des carrières du 8 avril 2010 a retenu votre candidature pour l'accès au vivier des cadres stratégiques groupe B'. A partir de cette validation, M. [S] indique, sans être contesté, avoir postulé sur 27 postes différents entre avril 2010 et août 2012, toutes ses candidatures ayant échoué, situation que le salarié impute à M. [Y] qu'il accuse d'avoir refusé de valider ses candidatures.

Contrairement à ce que soutient M. [S], les éléments qu'il évoque à cet égard n'illustre aucune ingérence infondée de M. [Y] pour s'opposer à l'obtention d'une promotion.

En effet, l'analyse des multiples candidatures présentées par M. [S] montre qu'elles n'étaient pas ciblées, que certains postes demandés ne correspondaient pas à ses compétences, ce qui explique que sur ses 27 candidatures, il n'a été reçu qu'à 7 entretiens. A l'issue de ces entretiens, les postes ne lui ont finalement pas été attribués, sans qu'aucun lien objectif ne puisse être fait avec un quelconque positionnement de M. [Y], les mails produits aux débats à ce titre n'émanant pas de tiers mais uniquement de M. [S] qui impute lui-même l'échec de ses candidatures à M. [Y] qui aurait décidé de bloquer sa carrière.

De même, certes, par courriel du 19 avril 2012, M. [S] a saisi la médiatrice du travail, Mme [P], de cette situation, évoquant le harcèlement de M. [Y] qui s'opposerait à toutes ses candidatures. Toutefois, encore une fois, aucun élément objectif ne vient corroborer cette analyse personnelle de M. [S], étant relevé qu'à la suite de cette démarche, il est établi par les pièces produites tant par le salarié (notamment réponse de Mme [P] du 15 février 2013) que par l'employeur que des actions ont été mises en place pour soutenir M. [S] dans sa démarche professionnelle de promotion : M. [T], le directeur des ressources humaines de la DOTC Haute Normandie, a examiné le dossier de M. [S], a mis en place des actions de soutien et de formation pour l'accompagner dans sa démarche et consécutivement, accepté de prolonger la présence de M. [S] dans le vivier cadres B afin de pouvoir utilement mettre en oeuvre ce soutien qui débutait alors que M. [S] arrivait au terme des deux années de présence dans ledit vivier.

C'est au demeurant, ce que constate le courrier produit aux débats par le salarié écrit le 17 septembre 2012 par un membre du Syndicat CGC que M. [S] avait saisi de ses difficultés de harcèlement dès 2009, ayant déjà jugé à cette époque, ce qu'il n'évoque plus dans le cadre de la présente instance, qu'il avait été 'évincé de la PPDC d'Yvetot', étant surabondamment fait observer que ce courrier ne mentionne aucunement le harcèlement dont M. [Y] pourrait être l'auteur mais uniquement un projet de nouvel organigramme qui pourrait modifier le poste occupé par M. [S], ce que ce dernier 'vivrait comme un déclassement'.

Il résulte de l'ensemble de ces motifs que contrairement à ce que soutient M. [S], les éléments qu'il présente ne sont pas susceptibles de laisser présumer l'existence d'un harcèlement commis par M. [Y] à son encontre en s'opposant à toute promotion et en dévalorisant son travail ni l'absence de prise en compte par la hiérarchie de sa situation de mal-être qui aurait contribué à aggraver la situation.

- Des atteintes aux fonctions et au poste de M. [S] au retour de son arrêt maladie

Il est constant que le 22 juillet 2014, au cours d'un entretien à la DOTC d'Orléans pour un poste sur lequel M. [S] candidatait, celui-ci a été victime d'un accident vasculaire cérébral avec lésion traumatique interne ainsi que cela résulte du certificat médical d'accident du travail. M. [S] a été en arrêt maladie jusqu'au mois de juillet 2015.

Dans ce contexte, M. [S] reproche à son employeur, lors de son retour d'arrêt maladie, de lui avoir ôté toute fonction de management et de gestion, estimant avoir été 'mis au placard', puisque sa dernière mission de mai 2016 intitulée 'missions BAL 100 % connectées' consistait, selon lui, à photographier des boîtes aux lettres sur plusieurs secteurs. Pour illustrer cette situation, il explique qu'il a été dépossédé de son poste pour que celui-ci soit confié à Mme [C], puis à Mme [Z], que ses supérieurs hiérarchiques n'ont eu de cesse de lui faire des reproches injustifiés sur son travail ou de lui confier des missions non réalisables, qu'il a été exclu des listes de diffusion des courriels utiles à sa fonction et qu'il a fait l'objet d'un abus d'autorité et d'un harcèlement de la part de son supérieur hiérarchique direct, M. [R], qui n'a notamment pas hésité à le contacter pendant son arrêt maladie.

À titre liminaire, il convient de préciser que M. [S] ne conteste pas avoir repris le travail à l'issue de son arrêt maladie dans un contexte particulier de mise en place d'un projet d'évolution de la direction services courrier colis de Haute Normandie dont il dépendait, ce qui engendrait, à compter du 1er janvier 2016, une réorganisation complète de tous les services avec une modification des organigrammes. De même, il est constant que si M. [S] a été déclaré apte à la reprise de son poste par le médecin du travail le 27 juillet 2015, ce n'est qu'avec les restrictions suivantes : 'travail à temps partiel sans journée entière, à revoir début septembre'. En revanche, lors de la visite du 22 septembre 2015, M. [S] a été déclaré apte sans restriction. Toutefois, il est constant que M. [S] a été maintenu en mi-temps thérapeutique avec travail uniquement le matin pendant plusieurs mois.

Il résulte des mails produits aux débats par M. [S] qu'en raison du projet de restructuration globale de la direction services courrier colis de Haute Normandie dont il dépendait, M. [R], son responsable hiérarchique, a échangé avec lui par mail entre les mois de mars et juillet 2015 pour l'informer de la modification de son poste de Coordinateur Organisation Process (COP) distribution et concentration et du fait qu'il était possible que celui-ci disparaisse ou à tout le moins que le contenu des missions qui y étaient affectées soient modifiées, de sorte que M. [R] interrogeait M. [S] sur ses souhaits à son retour d'arrêt, M. [S] indiquant spontanément dès le mois d'avril qu'il était vraisemblable qu'il serait apte à reprendre son poste au mois de juillet.

M. [S] n'a pas donné suite aux différentes propositions faites par M. [R] pour une rencontre ou pour échanger sur les conditions de son retour, de sorte qu'il est constant que M. [S] a repris le travail sur son poste d'origine, la réorganisation n'étant effective qu'au 1er janvier 2016, pendant la période des congés estivaux de M. [R], ce qui explique que M. [S] n'ait pas été accueilli par son supérieur hiérarchique. Cette situation ne laisse présumer aucune volonté de porter atteinte à la santé du salarié, mais montre uniquement un souci de prise en compte des souhaits d'un salarié temporairement absent dans un contexte de réorganisation du service et de possible suppression du poste occupé par M. [S].

De même, sur l'abus d'autorité qui aurait été commis par M. [R], les mails produits par M. [S] ne font que relater des demandes faites au salarié de respecter le planning de déménagement imposé par la restructuration et de mettre en oeuvre les actions incombant à ses fonctions de COP distribution, étant relevé que si M. [S] se défend en contestant la responsabilité de ces actions d'organisation et de management qui ne lui incomberaient pas, dans le même temps, il adresse des mails pour se plaindre d'être relégué à un rôle de simple secrétaire et de ne plus avoir de fonctions de gestion.

Sur l'évolution du poste du M. [S], le dossier de présentation du projet de restructuration présenté au CHSCT au mois de novembre 2015 montre qu'effectivement, si l'intitulé du poste de M. [S] était conservé, en revanche, les tâches relevant de ce poste évoluaient pour le recentrer sur des fonctions de distribution. La comparaison de l'actuel et futur organigramme dressé dans ce document montre également qu'alors que dans l'ancienne organisation M. [S] se trouvait directement sous l'autorité du directeur satisfaction client et gérait sur le papier 14 personnes - mais en réalité moins d'une dizaine de personnes compte tenu de la vacance de plusieurs postes - dans la nouvelle organisation, son poste se retrouve sous l'autorité d'un responsable Pôle Process lui même sous la direction du directeur satisfaction client, avec un service doté de 4 personnes sous sa direction.

Toutefois, d'une part, il ressort de ce même document que cette situation ne concerne pas uniquement M. [S] mais l'intégralité du service, puisque le directeur de la satisfaction client à la tête dudit service, qui avait jusqu'à présent 7 personnes sous sa direction directe et une trentaine de personnes sur l'entier service, se retrouve, après restructuration, avec uniquement 3 responsables de pôle et une vingtaine de personnes sur l'entier service, toutes les activités de traitement, logistique, régulation ayant été confiées à une autre direction au vu des organigrammes présentés.

D'autre part, M. [S] ne conteste pas que le contenu de son poste tel qu'il existait avant cette restructuration n'était pas maintenu et qu'il devait donc évoluer soit vers un poste avec des responsabilités identiques en termes de projets mais moindres sur le plan de la gestion d'équipe, soit vers un poste avec des responsabilités plus importantes sur le plan du management. Il a été fait le choix de la première option, ce que critique le salarié, estimant qu'il disposait des compétences nécessaires pour occuper un poste à management plus important et que le fait qu'il ne lui ait pas été confié caractérise des faits de harcèlement.

Il est exact qu'à la lecture du nouvel organigramme, à compter de janvier 2016, il aurait pu être proposé à M. [S] d'occuper les deux postes intermédiaires créés par la nouvelle organisation, à savoir celui de responsables des COP et celui de responsable 'Pôle Process' qui étaient d'un niveau de responsabilité supérieure à son ancien poste sur le plan de la gestion de personnel. Néanmoins, M. [S] reconnaît lui-même qu'il n'avait pas les compétences pour exercer immédiatement le poste de responsable 'Pôle Process', soutenant néanmoins qu'il aurait pu être formé. Cependant, ainsi que le fait observer son employeur, son comportement relationnel et son aptitude à gérer une équipe sont toujours apparus dans ses évaluations comme étant les deux compétences les moins efficientes, M. [S] n'effectuant aucune formation adaptée pour améliorer son positionnement. Dans ces conditions, M. [S] ne peut soutenir, dans le cadre de la présente instance, qu'il aurait pu accéder à ces postes au moyen d'une formation qu'il n'a jamais voulu suivre. Quant au poste de responsable des COP, il est constant que M. [S] n'a pas candidaté sur le poste, de sorte qu'il ne pouvait pas lui être attribué.

Par ailleurs, c'est à tort que M. [S] soutient qu'il a été évincé au profit de Mme [Z], cette dernière n'occupant pas du tout le même poste que lui, puisqu'elle a été affectée dans un autre pôle, à savoir celui de la performance.

Quant à l'intérêt des missions qui lui étaient confiées à la suite de la réorganisation de son service, si M. [S] présente sa dernière mission comme étant une simple prise de photographies de boîtes aux lettres, ce qui caractériserait 'sa mise au placard', cette description ne correspond pas à ce qui est défini par la lettre de mission qui lui a été adressée. En effet, s'il est exact qu'il est évoqué la possibilité de photographier les boîtes aux lettres pour preuve de l'exactitude des informations portées dessus, ce n'est qu'à titre d'illustration du contenu de la mission plus générale de recensement et d'état des lieux des BAL avec vérifications des indications portées dessus, identification des éventuelles anomalies et préconisation des actions correctives.

Enfin, sur les conséquences de cette restructuration, il est indéniable, au vu des mails que M. [S] a pu rédiger à des interlocuteurs de la société La Poste non identifiés ainsi qu'à la médecine du travail, que celui-ci vivait très mal cette restructuration. Toutefois, son employeur n'est pas resté insensible à sa situation, puisque M. [R], son supérieur hiérarchique a participé au mois d'octobre 2015 à une réunion avec la médecine du travail pour tenter de trouver une solution. Le 6 décembre 2015, M. [R] s'est lui-même rapproché de la médecin du travail pour lui faire part de son inquiétude sur la situation de M. [S] qui refusait le déménagement imposé par la restructuration, qui s'isolait du reste de l'équipe en maintenant constamment la porte de son bureau fermé à clé, se contentant de gérer ou de sous-traiter ses missions aux moyens de courriels.

Enfin, sur le fait que M. [S] ait été victime de reproches infondés, de missions irréalisables et d'une éviction du service par retrait des listes de discussion, les seuls éléments produits à cet égard sont :

-un mail de février 2016 lui demandant de respecter un processus de travail lié à l'offre 'destinéo', M. [S] ne contestant pas avoir connaissance de ce mode opératoire mais estimant qu'il n'est pas responsable de son application,

-un mail envoyé à 8h00 du matin lui demandant 'de se rendre sur place le plus tôt possible' le jour même sur le site de Rouen pour 'observer le TG' , ce qu'il considère comme une mission irréalisable sans expliquer pourquoi et d'un mail constatant que depuis son retour d'arrêt maladie, il n'était plus dans la liste de diffusion des 'flash info' gérée directement par le siège social de La Poste, ce à quoi il a été immédiatement remédié, dès que l'information a été relayée, étant de surcroît fait observer que M. [S] a été absent pendant un an.

L'analyse de l'ensemble de ces éléments montre que s'il est incontestable que M. [S] a mal vécu la restructuration de son service et l'évolution de son poste de travail à son retour d'arrêt maladie, cette situation totalement subjective n'est objectivée par aucun fait concret.

- De la discrimination en lien avec son état de santé

A ce titre, M. [S] fait état d'une seule pièce, un mail adressé le 29 mars 2016 à M. [F] [L], dont la fonction n'est pas précisée, rédigé en ces termes : 'Bonjour [F], te sachant dans le secteur, je t'informe que ma situation est intenable ici et que ma santé est en jeu. Tu trouveras en pièce jointe un document qui m'a été remis ce matin, avec des menaces de F. [R]. Pour faire rentrer une personne ([U] [Z]), il faut que je parte les moyens sont bons. Après m'avoir fortement poussé à partir, y compris avec des menaces, comme je viens ici, il vient de me débarquer de mon poste. Au diable le formalisme, les instances.... le fait du prince prédomine et je dois obtempérer. Comme tu le verras dans le document, 'l'aménagement de mes horaires est devenu incompatible'. Que fait-on des belles paroles de l'entreprise sur la santé et la sécurité au travail' Rien. Mon état de santé n'est que la résultante du travail du précédent DSCC pendant 5 ans. Pour ce qui est des méthodes appliquées (par moi) qui ne respectent pas ses préconisations (à lu), en effet dès lors qu'il m'est demandé de fonctionner non plus comme un cadre supérieur mais comme un secrétaire, cela me pose problème. J'ai bien essayé d'alerter le DSCC, mais cela s'est traduit par 75 mn de réprimande (pour ne pas dire autrement, étant par nature poli et courtois...). C'est vrai que lorsque l'on dit à un collaborateur ' pour qui vous vous prenez, vous ne pensez pas que je vais recevoir tous ceux qui le demande!!!' il ne faut pas que ce collaborateur s'attende à des miracles.'

La pièce jointe évoquée dans ce courriel n'est pas produite aux débats et aucun autre élément objectif ne vient illustrer le ressenti ainsi évoqué par M. [S], étant en tout état de cause fait observer que le contenu intrinsèque de ce document ne permet pas de faire un lien entre la discrimination dont se plaint le salarié et son état de santé.

- Du non-respect des préconisations de la médecine du travail

M. [S] reproche à la société La Poste de lui avoir imposé un TPAS avec, de surcroît, un passage à temps plein incompatible avec son état de santé.

Ainsi que précédemment évoqué, s'il est exact que le 27 juillet 2015, le médecin du travail a déclaré M. [S] apte à la reprise de son poste avec les restrictions suivantes : 'travail à temps partiel sans journée entière, à revoir début septembre', en revanche, lors de la visite du 22 septembre 2015, M. [S] a été déclaré apte sans restriction. Les parties ne précisent pas dans quelles conditions a été prévu le mi-temps thérapeutique de M. [S] maintenu au delà du 22 septembre 2015, ce dernier travaillant uniquement le matin, mais il est certain que cette situation ne correspond pas au respect des préconisations du médecin du travail.

De même, à la suite d'un second arrêt de travail du 30 mars au 1er mai 2016 pour souffrance au travail, M. [S] a été reçu par le médecin du travail le 4 mai 2016 qui l'a déclaré apte à la reprise de son poste, sans aucune restriction.

Il s'en suit que c'est à tort que M. [S] reproche à son employeur la mise en place d'un TPAS à temps plein en contradiction avec les préconisations de la médecine du travail.

En outre, et en tout état de cause, contrairement à ce que soutient M. [S], le temps plein invoqué ne résulte pas de la volonté de l'employeur, mais de son propre choix. En effet, les pièces produites aux débats par le salarié montrent que dans le cadre des discussions sur la mise en place de ce TPAS à partir de mars 2016, il a été exposé à M. [S], notamment par la conseillère en évolution professionnelle du service ainsi que par plusieurs personnes du service des ressources humaines, les conditions de mise en place de ce dispositif d'organisation progressive du départ à la retraite ainsi que les différentes modalités en terme d'organisation du temps de travail (temps plein ou partiel) avec les conséquences sur la rémunération.

Les différentes options ont été proposées à M. [S] et c'est ce dernier, après s'être renseigné auprès de plusieurs interlocuteurs, ainsi que l'établissent les mails qu'il produit, qui a opté pour un TPAS d'une durée réduite avec un travail à temps complet sur une période de 5 mois, puis à temps partiel sur une durée de six mois. Contrairement à ce qu'il soutient, aucun des échanges versés aux débats ne permet d'établir qu'il a accepté ce dispositif sous la contrainte de son employeur.

Ce sentiment résulte uniquement d'un mail adressé par M. [S] le 22 mars 2016 à Mme [J], infirmière DSCC Haute Normandie, auprès de qui il se plaint de l'attitude menaçante de M. [R], en ces termes: 'Des vacances bienvenues car dans le service, j'ai bien compris que ma présence n'était plus souhaité. Après avoir voulu m'envoyer à 55 km de mon domicile, on veut que je parte au plus vite en TPAS. F. [R] n'a même pas la patience d'attendre que je puisse rencontrer quelqu'un de la CARSAT afin de vérifier si mes droits sont ouverts. Hier, celui-ci m'a enjoint de faire au plus tôt une demande de TPAS, je pensais naïvement que cela relevait d'une démarche personnelle. Lorsque je lui est indiqué que je ne ferai rien sans l'étude de la CARSAT, et que j'avais un RDV le 18/04, alors il est devenu menaçant. : 'cela ne peut durer aussi longtemps, je vais passer à autre chose'. La volonté de me sortir est flagrante et la situation peut devenir rapidement conflictuelle, avec tous les risques que cela comporte. Comment supporter une telle situation' Je suis fatigué. Quelle fin de carrière!' En l'absence d'explications précises sur les menaces dont M. [S] aurait été victime, cet unique mail n'est pas significatif.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, M. [S] ne présente pas de faits susceptibles de laisser présumer l'existence du harcèlement moral dont il se dit victime.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [S] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement pour moral ainsi que de ses demandes indemnitaires accessoires fondées sur les mêmes faits, à savoir les dommages et intérêts pour discrimination en lien avec son état de santé, pour préjudice spécifique de carrière et perte de droit à la retraite en ce que M. [S] estime que les faits constitutifs de harcèlement l'ont stoppé dans son évolution professionnelle.

Sur le non-respect de l'obligation de sécurité

L'article L.1152-4 du code du travail impose à l'employeur de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral. Cette obligation de prévention est distincte de celle résultant de l'article L.1152-1. Aussi, la méconnaissance de chacune des obligations, lorsqu'elle entraîne des préjudices différents pour le salarié, peut ouvrir droit à des réparations spécifiques.

En l'espèce, il résulte des motifs adoptés précédemment que contrairement à ce que soutient M. [S], la société La Poste a, à chaque fois qu'il s'est plaint de difficultés dans son environnement professionnel, que ce soit dans le cadre de l'absence d'évolution de sa carrière ou lors de sa reprise du travail avant son accident vasculaire cérébral dans un contexte de restructuration du service, pris des mesures d'accompagnement, par le biais de ses services de formation ou de ressources humaines, ou encore avec l'aide de la médecine du travail, pour tenter de le soutenir et de l'accompagner.

Aussi, il n'est pas établi que la société La Poste a manqué à son obligation de sécurité et qu'elle est à l'origine d'un préjudice distinct du harcèlement moral non avéré évoqué par M. [S].

Le jugement entrepris est confirmé sur ce point.

Sur la nullité de la convention de TPAS

M. [S] demande d'annuler la convention TPAS conclue en mai 2016 au motif qu'il a adhéré à ce dispositif sous la contrainte de son employeur, ce qui, conformément aux dispositions des articles 1112 et suivants du code civil dans leur version antérieure à l'ordonnance du 10février 2016 entrée en vigueur le 1er octobre 2016, a vicié son consentement.

Au vu des motifs retenus précédemment, il ne peut être fait droit à cette demande, M. [S] n'établissant pas la contrainte qu'il invoque. En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [S] de sa demande d'annulation et de ses demandes indemnitaires subséquentes pour préjudice financier et licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner M. [S] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de le débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité et la situation financière respective des parties commandent qu'il ne soit pas fait application des dispositions de l'article 700 au profit de la société La Poste.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Déboute M. [S] et la société La Poste de leur demande respective au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [S] aux dépens de l'instance.

La greffièreLa présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/02444
Date de la décision : 28/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-28;19.02444 ?
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