La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/06/2008 | FRANCE | N°04/5001bis

France | France, Cour d'appel de Rouen, Ct0044, 05 juin 2008, 04/5001bis


R.G : 04/05001

COUR D'APPEL DE ROUEN

DEUXIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 05 JUIN 2008

DÉCISION DÉFÉRÉE :

TRIBUNAL DE COMMERCE DU HAVRE du 07 Mai 2003

APPELANTE :

M. L'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR PUBLIC

représentant L'ÉTAT FRANÇAIS

6 rue Louise Weiss

Bâtiment Condorcet

75703 PARIS CEDEX 13

représentée par la SCP COLIN-VOINCHET RADIGUET-THOMAS ENAULT, avoués à la Cour

assistée de Me François-Xavier LE COZ, avocat au barreau du Havre

INTIMÉS :

Société TUNISIAN SEA TRANSPORT COMPANY a

rmateur propriétaire du navire JERBA

9 rue Amilcar

1000 TUNIS (TUNISIE)

Monsieur Ahmed Z... capitaine du navire JERBA

Chez TUNISIAN SEA TRANSPORT COMPANY...

R.G : 04/05001

COUR D'APPEL DE ROUEN

DEUXIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 05 JUIN 2008

DÉCISION DÉFÉRÉE :

TRIBUNAL DE COMMERCE DU HAVRE du 07 Mai 2003

APPELANTE :

M. L'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR PUBLIC

représentant L'ÉTAT FRANÇAIS

6 rue Louise Weiss

Bâtiment Condorcet

75703 PARIS CEDEX 13

représentée par la SCP COLIN-VOINCHET RADIGUET-THOMAS ENAULT, avoués à la Cour

assistée de Me François-Xavier LE COZ, avocat au barreau du Havre

INTIMÉS :

Société TUNISIAN SEA TRANSPORT COMPANY armateur propriétaire du navire JERBA

9 rue Amilcar

1000 TUNIS (TUNISIE)

Monsieur Ahmed Z... capitaine du navire JERBA

Chez TUNISIAN SEA TRANSPORT COMPANY

9 rue Amilcar

1000 TUNIS (TUNISIE)

représentés par Me Marie-Christine COUPPEY, avoué à la Cour

assistés de Me François LEBORGNE, avocat au barreau de Paris

S.A. MONTE PASCHI BANQUE

7 rue Meyerbeer

75009 PARIS

représentée par la SCP DUVAL BART, avoués à la Cour

assistée de Me Pier CORRADO, avocat au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré :

Madame BARTHOLIN, Présidente

Monsieur LOTTIN, Conseiller

Madame VINOT, Conseiller

GREFFIER LORS DES DÉBATS :

Madame DURIEZ, Greffier

DÉBATS :

A l'audience publique du 03 Avril 2008, où la présidente a été entendue en son rapport oral et l'affaire mise en délibéré au 05 Juin 2008

ARRÊT :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 05 Juin 2008, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BARTHOLIN, Présidente et par Madame DURIEZ, Greffier.

*

* *

Exposé du litige

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, il est fait référence aux énonciations de l'arrêt du 14 septembre 2006 par lequel la cour avait sursis à statuer jusqu'à l'issue de la procédure en cours sur le pourvoi formé contre un précédent arrêt de la cour rendu le 5 septembre 2002, un arrêt de la cour de cassation en date du 11 juillet 2006 ayant cassé en toutes ses dispositions la décision du 5 septembre 2002 et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Paris.

Pour la compréhension du litige dont la cour est saisie, il suffit de savoir que:

- le 24 janvier 2002, le navire de pavillon tunisien "le Jerba", exploité par la société Tunisian Sea Transport Company (ci-après dénommée TSTC), s'est incliné brutalement alors qu'il se trouvait dans les eaux du port autonome de Rouen, faisant chuter environ 800 billes de bois dans la mer;

- le Préfet maritime a dû mettre en oeuvre un certain nombre de moyens maritimes et aériens pendant plusieurs jours pour surveiller la navigation et enlever les billes de bois;

- faute d'avoir pu obtenir amiablement une caution bancaire de la société TSTC, le Préfet maritime et l'Agent judiciaire du Trésor représentant l'Etat français ont diligenté une procédure de saisie conservatoire du navire;

- parallèlement et par ordonnance du 31 janvier 2002, le président du tribunal de commerce de Rouen, saisi par la société TSTC, a constaté la constitution d'un fonds de limitation de responsabilité tel que prévu par la convention de Londres du 19 novembre 1976;

- bien que la société TSTC ait fourni une caution bancaire de 1.000.000 € de la Monte Paschi Banque, le juge des référés du tribunal d'instance du Havre, par ordonnance du 1er février 2002, a rejeté la demande de mainlevée de la saisie conservatoire du navire en motivant notamment sa décision sur le fondement de l'article 59 de la loi du 3 janvier 1967 selon lequel le propriétaire du navire ne peut opposer la limitation de sa responsabilité aux créances de l'Etat qui aurait, au lieu et place du propriétaire, renfloué, enlevé, détruit ou rendu inoffensif un navire coulé, naufragé, échoué ou abandonné, y compris tout ce qui se trouve ou s'est trouvé à bord;

- sur appel de cette décision et par arrêt infirmatif du 5 septembre 2002, la cour d'appel de Rouen a ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire du navire et la libération de la garantie de la Monte Paschi Banque, mais cette décision a été cassée par la cour de cassation en toutes ses dispositions dans la décision mentionnée en tête du présent arrêt, l'affaire étant renvoyée devant la cour d'appel de Paris;

- la présente instance a été engagée le 28 février 2002 par l'Agent judiciaire du Trésor représentant l'Etat français qui a assigné la société TSTC ainsi que M. D... en qualité de capitaine du navire représentant les armateurs et affréteurs et la société Monte Paschi Banque aux fins de voir condamner l'armateur et le capitaine du navire es-qualités à lui payer la somme de 408.497,43 € sauf à parfaire, outre les intérêts de droit à compter de l'ordonnance de saisie conservatoire du 30 janvier 2002;

- par jugement du 7 mai 2003, le tribunal de commerce de Rouen a mis hors de cause le capitaine du navire et la banque, a reconnu le droit à limitation de la société TSTC et a fixé la créance de l'Etat Français sur cette dernière à la somme de

219.700,51 € outre les intérêts de droit à compter du 28 février 2002;

- L'Agent judiciaire du Trésor Public représentant l'Etat français a interjeté appel de cette décision à l'encontre de la société TSTC, de M. D... et de la société Monte Paschi Banque.

Suite à la décision de sursis à statuer rendue par la cour dans son précédent arrêt, la société TSTC a informé la cour le 17 octobre 2006 qu'elle avait renoncé à saisir la cour de renvoi suite à l'arrêt de cassation du 11 juillet 2006.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 mars 2008.

Prétentions et moyens des parties

Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions signifiées le 28 février 2008 par l'Agent judiciaire du Trésor Public représentant l'Etat français, le 20 mars 2008 par la société TSTC et par M. D... et le 11 mai 2006 par la société Monte Paschi Banque.

Leurs moyens seront examinés dans les motifs de l'arrêt.

L'Agent judiciaire du Trésor Public sollicite la réformation du jugement et la condamnation de la société TSTC à lui payer en qualité de représentant de l'Etat français la somme de 408.493,43 € avec intérêts au taux légal à compter du 23 février 2002, correspondant à l'intégralité des frais qu'il a exposés suite au désarrimage et à la perte de cargaison du Jerba, ainsi qu'une somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Il demande que l'arrêt à intervenir soit déclaré commun à la société Monte Paschi Banque.

La société TSTC et M. D... sollicitent la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a mis hors de cause ce dernier et sa réformation en ce qu'il a retenu une créance de l'Agent judiciaire du Trésor à l'encontre de la société TSTC et en ce qu'il a condamné cette société aux dépens comprenant ceux de la saisie conservatoire du navire et au paiement d'une somme au titre des frais irrépétibles.

Ils demandent à la cour de débouter l'Agent judiciaire du Trésor de toutes ses demandes et de le condamner à payer une somme de 5.000 € en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

A titre subsidiaire, ils sollicitent la fixation du préjudice indemnisable de l'Etat français à la somme maximale de 37.060,12 €.

La société Monte Paschi Banque sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'a mise hors de cause et a condamné l'Agent judiciaire du Trésor à lui payer une somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elle demande en outre à la cour de condamner l'Agent judiciaire du Trésor à lui payer une somme complémentaire de 3.500 € au titre des frais irrépétibles.

Sur ce, la Cour,

Sur la mise hors de cause du capitaine M. Z...

M. Z... est fondé à solliciter sa mise hors de cause dès lors que la société TSTC comparait en qualité d'armateur du navire.

L'Etat français, s'il a intimé M. D..., ne critique d'ailleurs pas les dispositions du jugement ayant mis hors de cause ce dernier en qualité de capitaine du Jerba.

La décision entreprise sera confirmée de ce chef.

Sur le fondement de l'action de l'Etat français

La société TSTC et M. Z... font grief au jugement entrepris d'avoir retenu que "sans même connaître les causes exactes de l'événement, il suffit de constater qu'il a eu lieu pendant que TSTC en était responsable pour conclure que TSTC devra rembourser les frais engagés", alors que:

- la société TSTC en sa qualité de transporteur maritime n'est responsable de la perte des billes de bois qu'envers les bénéficiaires des connaissements ou le cas échéant des chargeurs, mais non vis-à-vis de tiers;

- la mise en demeure faite par l'Etat français au capitaine du navire de mettre fin au danger ne permet pas de considérer qu'il s'est substitué à l'armateur pour prendre les mesures urgentes, les dispositions de l'article L 218-72 du code de l'environnement invoquées par le préfet maritime pour l'exercice de cette mise en demeure ne visant que le danger de pollution, qui n'existait pas en l'espèce;

- la société TSTC ne peut être considérée comme le gardien des billes de bois dès lors qu'elle n'en était pas propriétaire et n'en avait pas l'usage, de telle sorte que les dispositions de l'article 1er de la loi no61-1262 du 24 novembre 1961 relative à la police des épaves maritimes et de l'article 5 du décret no61-1547 du 26 décembre 1961 ne peuvent être invoquées à son encontre;

- qu'aucune faute n'est établie à son encontre, le non respect des prescriptions du Bea Mer invoqué par l'Etat français n'ayant pas de lien de causalité avec la survenance de l‘accident.

Toutefois la responsabilité de la société TSTC est invoquée par l'Etat français et a été retenue par le tribunal sur le fondement de l'article 1384 du code civil, en tant que gardien des marchandises, constituées en l'espèce par les grumes qui ont été précipitées dans la mer.

Si le propriétaire est présumé être le gardien des choses, la garde est transférée à celui qui a un pouvoir de direction et de contrôle sur ces mêmes choses.

En l'espèce, la société TSTC, qui s'était vue confier le transport maritime des grumes, en avait la direction et le contrôle pendant ces opérations de transport maritime.

La chute dans la mer de ces grumes, qui a obligé l'Etat français à mettre en oeuvre des moyens pour sécuriser la zone dans le cadre de sa mission, lui a causé un préjudice que le gardien de ces choses est tenu de réparer.

La société TSTC sera en conséquence condamnée à payer les frais exposés par l'Etat français en conséquence du désarrimage et de la perte de cargaison du navire Jerba.

Sur le montant du préjudice de l'Etat français

La société TSTC n'invoque plus la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes résultant de l'article 8 de la convention de Londres, laquelle a été exclue par l'arrêt de la cour de cassation rendu le 11 juillet 2006 qui, au vu de la réserve émise par la France lors de l'approbation de cette convention internationale, a cassé dans toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel de Rouen en date du 5 septembre 2002.

Cependant la société TSTC conteste la partie du préjudice relative à l'amortissement des frais fixes des aéronefs et du "CMT" utilisés lors des opérations, lesquels auraient été supportés par l'Etat même si l'événement litigieux ne s'était pas produit, et aux frais de location du navire Alcyon qui n'a pas été affrété spécialement pour ces opérations.

Elle soutient que les seuls frais qui sont la conséquence de l'événement litigieux sont les frais de combustible, de pilotage et de lamanage du navire Alcyon, voire les frais de location d'un dinghy venant de Cherbourg, ainsi que les frais d'hélicoptère sur la base du prix de revient de l'heure de vol.

Toutefois, le principe de la réparation intégrale du préjudice ne peut être assuré que par le remboursement des frais engagés pour remédier aux désordres engendrés, soit en l'espèce pour prévenir le danger constitué par les grumes tombées du navire, et la circonstance que la victime a procédé en utilisant ses propres moyens humains et matériels ne saurait diminuer ses droits à un réparation intégrale.

L'Etat français ainsi fondé à solliciter son indemnisation sur la base des coûts réels de fonctionnement des navires et aéronefs utilisés lors des opérations de sécurisation, comprenant notamment les coûts fixes, qui auraient été supportés au titre de la location si l'Etat n'avait pas possédé lui-m^me ces moyens.

S'agissant du navire Alcyon, il importe peu qu'il n'ait pas été affrété spécialement pour les opérations consécutives à l'événement litigieux dès lors que son utilisation dans le cadre de ces opérations n'est pas contestée.

Au vu des justificatifs détaillés produits par l'Etat français, sa créance sur la société TSTC sera fixée à la somme de 408.493,43 €, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation.

Sur la mise en cause de la société Monte Paschi Banque

L'Etat français demande à la cour de déclarer opposable à la société Monte Paschi Banque la décision à intervenir.

Toutefois il ne critique pas les dispositions du jugement entrepris qui ont mis hors de cause cette société.

Le tribunal avait relevé que l'arrêt rendu par la cour d'appel de Rouen le 5 septembre 2002 avait ordonné la libération de la garantie de la banque Monte Paschi Banque en date du 6 février 2002 émise en faveur de l'Etat.

Si l'Etat français avait fait valoir antérieurement qu'il avait formé un pourvoi à l'encontre de cet arrêt, il résulte des pièces versées aux débats que ce pourvoi n'a été dirigé qu'à l'encontre de la seule société TSTC, de telle sorte que la cassation intervenue par arrêt du 11 juillet 2006, dans un instance à laquelle la société Monte Paschi Banque n'était pas partie, ne peut avoir aucun effet à l'égard de cette dernière.

Le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes

La société TSTC et M. Z... seront déboutés de leur demande faite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la cour confirmera le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société TSTC à payer à l'Etat français une somme de 5.000 € à ce titre.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné l'Agent judiciaire du Trésor à payer à la société Monte Paschi Banque une somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et il sera alloué en outre à la banque un somme complémentaire de 1.000 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris excepté en celles de ses dispositions qui ont dit que la société Tunisian Sea Transport Company a droit à limitation et en celles qui ont fixé la créance de Monsieur l'Agent judiciaire du Trésor à la somme de 219.700,51 € plus intérêts de droit à compter du 28 février 2002, date de l'assignation,

L'infirmant de ces chefs et statuant à nouveau,

Condamne la société Tunisian Sea Transport Company à payer à l'Agent judiciaire du Trésor représentant l'Etat français la somme de 408.493,43 € avec intérêts au taux légal à compter du 28 février 2002,

Déboute la société Tunisian Sea Transport Company et M. Ahmed Z... de leur demande faite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne l'Agent judiciaire du Trésor représentant l'Etat français à payer à la société Monte Paschi Banque une somme de 1.000 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

Condamne la société Tunisian Sea Transport Company à payer les dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Ct0044
Numéro d'arrêt : 04/5001bis
Date de la décision : 05/06/2008

Références :

Décision attaquée : Tribunal de commerce du Havre, 07 mai 2003


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.rouen;arret;2008-06-05;04.5001bis ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award