La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/05/2008 | FRANCE | N°07/235

France | France, Cour d'appel de Rouen, Ct0044, 19 mai 2008, 07/235


R.G : 07/00235

COUR D'APPEL DE ROUEN

DEUXIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 19 MAI 2008

DÉCISION DÉFÉRÉE :

TRIBUNAL DE COMMERCE D'EVREUX du 07 Décembre 2006

APPELANTE :

S.A. GAN EUROCOURTAGE IARD

10 rue d'Astorg

75008 PARIS

représentée par la SCP GREFF PEUGNIEZ, avoués à la Cour

assistée de Me Bernard LAURE, avocat au barreau de Marseille

INTIMÉES :

S.A.S. GAGNERAUD INDUSTRIES

7-9 rue Auguste Maquet

75016 PARIS

AGF IARD venant aux droits de la Cie PFA (PRÉSERVATRICE FONCIÈRE)
r>87 rue de Richelieu

75002 PARIS

représentées par la SCP DUVAL BART, avoués à la Cour

assistées de Me PERREAU, avocat au barreau de Paris

SOCIÉTÉ AAF (AMERICAN...

R.G : 07/00235

COUR D'APPEL DE ROUEN

DEUXIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 19 MAI 2008

DÉCISION DÉFÉRÉE :

TRIBUNAL DE COMMERCE D'EVREUX du 07 Décembre 2006

APPELANTE :

S.A. GAN EUROCOURTAGE IARD

10 rue d'Astorg

75008 PARIS

représentée par la SCP GREFF PEUGNIEZ, avoués à la Cour

assistée de Me Bernard LAURE, avocat au barreau de Marseille

INTIMÉES :

S.A.S. GAGNERAUD INDUSTRIES

7-9 rue Auguste Maquet

75016 PARIS

AGF IARD venant aux droits de la Cie PFA (PRÉSERVATRICE FONCIÈRE)

87 rue de Richelieu

75002 PARIS

représentées par la SCP DUVAL BART, avoués à la Cour

assistées de Me PERREAU, avocat au barreau de Paris

SOCIÉTÉ AAF (AMERICAN AIR FILTER)

Rue William Dian

27260 GASNY

représentée par la SCP HAMEL FAGOO DUROY, avoués à la Cour

assistée de Me Catherine MOYSE, avocat au barreau de Paris

AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCE S.A venant aux droits de la Cie AXA GLOBAL RISKS, elle-même venant aux droits de la Cie UNION DES ASSURANCES DE PARIS "U.A.P"

4 rue Jules Lefebvre

75426 PARIS CEDEX 09

représentée par Me COUPPEY, avoué à la Cour

assistée de Me BARDON, avocat au barreau de Marseille

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 910 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 13 Mars 2008 sans opposition des avocats devant Madame BARTHOLIN, Présidente, rapporteur, en présence de Madame VINOT, Conseiller,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BARTHOLIN, Présidente

Monsieur LOTTIN, Conseiller

Madame VINOT, Conseiller

GREFFIER LORS DES DÉBATS :

Madame DURIEZ, Greffier

DÉBATS :

A l'audience publique du 13 Mars 2008, où la présidente a été entendue en son rapport oral et l'affaire mise en délibéré au 15 Mai 2008, délibéré prorogé au 19 Mai 2008 du fait d'un mouvement de grève dans la fonction publique

ARRÊT :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 15 Mai 2008, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BARTHOLIN, Présidente et par Madame DURIEZ, Greffier.

*

* *

EXPOSÉ DU LITIGE

La société SOLLAC a confié à la société GAGNERAUD l'exploitation, sur son site de Fos sur mer, du sous-produit de fusion de la fonte d'un haut fourneau (le laitier) en vue de le transformer en granulats et fibres.

Cette opération de refroidissement-bouletage s'effectue avec projection d'eau et l'air et les gaz émis doivent être traités avant d'être rejetés à l'extérieur.

La société GAGNERAUD a, suivant marché du 19 février 1993, confié à la société AMERICAN AIR FILTER (ci-après dénommée AAF) la conception, la réalisation, le contrôle et la mise en service de l'installation de traitement d'air dont la partie terminale se compose d'une cheminée haute d'environ 40 mètres.

La société AAF a, suivant marché du 20 avril 1993, sous-traité à la société FERBECK ET VINCENT la réalisation des éléments chaudronnés, dont la cheminée.

Les travaux ont fait l'objet d'une réception le 25 mars 1994.

Dans l'année qui a suivi, des désordres de corrosion et destruction accélérée de la cheminée en acier sont apparus et, le 14 mai 1995, le tronçon supérieur de celle-ci s'est écroulé.

Par actes du 5 juillet 1995, la société GAGNERAUD et son assureur, la société PFA (aux droits de laquelle viendra par la suite la société AGF IART), ont fait assigner en référé devant le président du tribunal de commerce de Marseille la société AAF et son assureur, la société GAN, aux fins de voir désigner un expert.

Monsieur B... a été désigné par ordonnance de référé en date du 7 juillet 1995 aux fins de se prononcer sur les causes et origines de l'écroulement de la cheminée.

Par ordonnance du 11 août 1995, l'expertise a été déclarée commune à la société FERBECK ET VINCENT, à Maître C..., administrateur judiciaire de celle-ci, et à la société UAP, assureur.

Par ordonnance du 30 janvier 1996, il a été demandé à l'expert de se prononcer également sur les causes, origines et conséquences des désordres affectant le coude humide, le dévésiculeur et le ventilateur.

L'expert a dressé un rapport le 10 mai 1996.

Entre-temps, en septembre 1995, la cheminée avait été remplacée par une nouvelle cheminée en inox.

Des difficultés étant en outre apparues, liées à la non conformité des rejets dans l'atmosphère, Monsieur B... a été à nouveau désigné par ordonnance du 7 septembre 1998 pour rechercher les causes de ces non conformités.

Il a déposé un second rapport le 8 septembre 2000.

Par une assignation de juillet 2002, la société GAGNERAUD a fait assigner la société AAF et la compagnie LE GAN devant le tribunal de commerce de Salon de Provence aux fins de voir juger que la société AAF a manqué à son obligation de livrer une installation permettant de limiter les rejets de poussières dans l'atmosphère au taux de 50mg/NM3 et voir réparer son préjudice évalué à la somme de 276 237,62 euros HT en principal.

Par jugement du 14 novembre 2003, le tribunal de commerce de Salon de Provence a condamné la société AAF à payer à la société GAGNERAUD la somme de 218 923,35 euros, autorisé celle-ci à déduire la somme de 72 005,41 euros restant due par la société GAGNERAUD, et condamné en outre la société AAF à payer la somme de 12 704,34 euros à titre de dommages immatériels ainsi que celle de 10 000 euros au titre de l'article 700 du NCPC.

Par arrêt du 19 janvier 2006, la cour d'appel d'Aix en Provence a confirmé ces condamnations et, y ajoutant, condamné la société AAF à payer à la société GAGNERAUD la somme de 50 539,90 euros représentant les frais de l'unité pilote, les frais de modification de raccordement et les frais de reprise de fosse et condamné la société GAN à garantir la société AAF de cette condamnation, sous déduction de la franchise.

Après avoir engagé une action devant le tribunal de commerce de Marseille, laquelle a fait l'objet d'une décision de radiation le 18 juin 2001, la société GAGNERAUD, soutenant que le défaut initial de conception de l'installation ayant provoqué la ruine de la cheminée engageait la responsabilité contractuelle de la société AAF, a, par actes des 7 et 11 octobre 2004, fait assigner cette dernière et la société LE GAN devant le tribunal de commerce d'Evreux aux fins de les voir condamner à lui payer la somme de 166 082,53 euros HT en réparation de son préjudice.

La société GAN a fait assigner la société AXA GLOBAL RISKS, venant aux droits de la compagnie UAP en sa qualité d'assureur de la société FERBECK ET VINCENT.

La société AGF IART est intervenue aux débats pour réclamer la condamnation in solidum de la société AAF et de son assureur LE GAN à lui payer la somme de 242 231,27 euros en réparation de son préjudice correspondant aux sommes versées à son assurée.

Par jugement du 7 décembre 2006, le tribunal de commerce d'Evreux a :

- mis hors de cause et sans dépens la compagnie AXA CORPORATE SOLUTIONS

- condamné la société AAF à payer à la société GAGNERAUD la somme de 27 530,16 euros HT montant dû au titre des franchises

- condamné in solidum la société AAF et la compagnie LE GAN à payer à la société GAGNERAUD la somme de 61 443,66 euros HT au titre des interventions sur les éléments chaudronnés avec intérêts au taux légal à compter du 10 mai 1996

- ordonné la capitalisation des intérêts

- condamné in solidum la société AAF et la compagnie LE GAN à payer à la société GAGNERAUD la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du NCPC

- déclaré la société AGF IART recevable et bien fondée en son action

- condamné in solidum la société AAF et la compagnie LE GAN à payer à la société AGF IART la somme de 242 231,27 euros en réparation de son préjudice outre intérêts au taux légal à compter du 19 septembre 1996

- condamné in solidum la société AAF et la compagnie LE GAN à payer à la société AGF IART la somme de 22 069,43 euros à titre de frais d'expertise judiciaire

- ordonné la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du code civil

- condamné in solidum la société AAF et la compagnie LE GAN à payer à la société AGF IART la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du NCPC

- condamné la société AAF et son assureur GAN aux entiers dépens

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

La société GAN a interjeté appel de ce jugement.

Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions signifiées le 2 octobre 2007 pour la société GAN, le 25 novembre 2007 pour la société AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCE, le 14 février 2008 pour la société GAGNERAUD INDUSTRIES et la compagnie AGF IART et le 22 janvier 2008 pour la société AAF.

La société GAN conclut à la réformation, qu'il soit jugé que la procédure introduite par la société GAGNERAUD se heurte à l'autorité de chose jugée, à titre subsidiaire au fond au débouté, à titre encore plus subsidiaire qu'il soit jugé que la société AXA GLOBAL SOLUTIONS devra prendre en charge les condamnations et relever et garantir AAF, à titre infiniment subsidiaire qu'il soit jugé que la demande de capitalisation des intérêts ne peut être accueillie qu'à compter du 30 août 2007 pour les AGF et du 2 août 2007 pour la société GAGNERAUD et en toute hypothèse qu'il lui soit alloué "contre qui l'action compétera le mieux" la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La société AXA CORPORATE SOLUTIONS, venant aux droits de la société AXA GLOBAL RISKS, conclut à la confirmation de la décision en ce qu'elle l'a mise hors de cause, en toute hypothèse qu'il soit jugé que l'obligation de la compagnie AXA CORPORATE SOLUTIONS devra être limitée aux termes des contrats d'assurance souscrits et à la condamnation de tout succombant aux dépens.

Les sociétés GAGNERAUD et AGF IART concluent à l'infirmation du jugement seulement en ce qu'il fixe le montant des sommes allouées à la société GAGNERAUD à titre de dommages et intérêts, à la condamnation in solidum de la société AAF et de son assureur GAN à payer à cette dernière la somme de 166 082,53 euros HT avec intérêts au taux légal à compter du 10 mai 1996, à leur condamnation à payer à la compagnie AGF la somme de 242 031,27 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 mai 1996, qu'il soit statué ce que de droit sur l'appel en garantie à l'encontre de AXA CORPORATE SOLUTIONS, à la condamnation in solidum de la société AAF et de son assureur le GAN à verser à chacune d'elles la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du NCPC et à la capitalisation des intérêts.

La société AAF conclut à la réformation partielle du jugement, qu'il soit jugé que les actions de la société GAGNERAUD et de la société AGF sont irrecevables comme prescrites et se heurtent à l'autorité de la chose jugée par l'arrêt du 19 janvier 2006, subsidiairement au débouté des demandes des sociétés GAGNERAUD et AGF, à titre encore plus subsidiaire à la condamnation de la société AXA CORPORATE SOLUTIONS à la relever et à la garantir de toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre ;

En toute hypothèse à la confirmation du jugement sur la garantie due par le GAN, à titre infiniment subsidiaire qu'il soit jugé que la demande de capitalisation des intérêts ne peut être accueillie qu'à compter du 30 août 2007 pour les AGF et du 2 août 2007 pour la société GAGNERAUD et à la condamnation de tout succombant à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

SUR CE

Sur la péremption

C'est une instance différente de celle engagée devant le tribunal de commerce de Marseille par acte du 26 juin 1988 qui a été engagée devant le tribunal de commerce d'Evreux.

L'éventuelle péremption de cette première instance, qui a fait l'objet d'une décision de radiation le 18 juin 2001, n'a pas éteint l'action qui pouvait donc valablement être reprise par une nouvelle assignation devant une juridiction distincte.

Sur la prescription

L'action engagée sur le fondement de la responsabilité contractuelle est soumise à la prescription de droit commun de dix ans de l'article 110-4 du code de commerce, ainsi que le reconnaît d'ailleurs elle-même la société AAF qui, tout en évoquant les dispositions de l'article 1641 du code civil et l'exigence d'un bref délai, fait référence expressément à ce délai de dix ans dont elle soutient qu'il est prescrit.

Or, il sera relevé que sur assignation en référé aux fins de désignation d'un expert, laquelle a interrompu le délai de prescription, ont été rendues deux ordonnances les 7 juillet 1995 puis 30 janvier 1996, à compter desquelles un nouveau délai de dix ans a couru.

Alors que les parties s'accordent sur le fait que la date de réception de l'ouvrage le 25 mars 1994 constitue le point de départ de l'action, il convient de constater que l'action engagée par acte du 7 octobre 2004 n'est pas prescrite.

Sur l'autorité de chose jugée

Bien qu'ils aient évoqué dans les motifs de leur décision l'ensemble du litige (en rappelant l'ensemble des éléments de fait y compris concernant la chute de la cheminée), le tribunal de commerce de Salon de Provence comme la cour d'Aix en Provence n'étaient saisis, et n'ont statué, que sur des demandes pécuniaires afférentes aux conséquences de la non conformité de l'installation en termes de rejets dans l'atmosphère : ceci résulte clairement de l'examen comparé des rapports d'expertise, de l'assignation délivrée devant le tribunal de Salon de Provence et des décisions rendues.

Aucune des demandes chiffrées présentées devant le tribunal de commerce d'Evreux puis devant la cour, au titre de la ruine initiale de la cheminée, n'était incluse dans la précédente procédure.

Le moyen tiré d'une autorité de la chose jugée n'est donc pas fondé.

Sur les demandes dirigées contre la société AAF

- Sur la responsabilité de la société AAF

Il résulte des conclusions de l'expert D... SULTANA que c'est une corrosion généralisée et anormale (corrosion active avec disparition de matière) de l'acier E24W constituant de la cheminée d'évacuation des gaz, qui est à l'origine de la chute de la partie supérieure de cette cheminée.

L'expert a relevé que si l'acier utilisé possédait une bonne résistance à la corrosion de type atmosphérique par la formation d'un film en surface, en ambiance polluée par des agents chimiques et en particulier SO2 l'acidité empêchait le film de se constituer et l'acier subissait une corrosion très active, qu'en l'espèce le minerai de fer à l'origine de la production de fonte contenait des sulfures métalliques, que les composants sulfureux étaient des éléments notables des vapeurs émises et que le gaz SO2 en était un constituant majeur de sorte qu'il s'était produit un phénomène de production de condensats acides très corrosifs dans une ambiance humide entretenue, concluant que la pose d'une nouvelle cheminée en acier inox 316L constituait la solution pour remédier au problème rencontré.

Sur le plan technique ces conclusions ne sont pas contestées.

Pour conclure à son absence de responsabilité, la société AAF soutient en premier lieu que c'est la société SOLLAC qui a imposé que l'installation soit réalisée en acier E24W, que c'est cette information qui a été donnée aux entreprises consultées pour appel d'offres et qui s'est donc imposée à elle, les sociétés GAGNERAUD et SOLLAC étant les plus compétentes pour définir le type d'acier capable de résister à l'environnement extrêmement acide et humide de l'unité de bouletage.

Elle soutient en second lieu que l'installation a été sous-traitée à la société FERBECK ET VINCENT, professionnelle de l'acier, laquelle a fait un mauvais choix dans la qualité des matériaux mis en oeuvre et a en tout état de cause manqué à son devoir de conseil, ce qui à tout le moins doit conduire à un partage de responsabilité.

Cependant, il résulte des termes des marchés passés respectivement entre la société SOLLAC et la société GAGNERAUD et entre la société GAGNERAUD et la société AAF que la société SOLLAC a simplement imposé à la société GAGNERAUD un certain nombre de prescriptions en termes de respect des rejets dans l'atmosphère, la société AAF présentant quant à elle une proposition détaillée avec notamment fiches nomenclatures de matériel contenant la spécification de l'acier E24W pour la cheminée, sans qu'il résulte en rien des éléments produits aux débats que le choix du type d'acier aurait été déterminé préalablement par la société GAGNERAUD et imposé par cette dernière.

L'expert a relevé que la société AAF était spécialiste d'équipements en milieux extrêmes et s'était chargée de l'ingénierie et de la maîtrise d'oeuvre complète du dispositif.

Ces éléments suffisent à engager la responsabilité de la société AAF pour défaut de conception à l'origine directe de la ruine de la cheminée.

Dans le cadre de ses rapports avec la société GAGNERAUD, la société AAF, seule contractuellement liée à cette dernière, répond entièrement des conséquences de cette faute et les conditions dans lesquelles elle est fondée à invoquer une éventuelle responsabilité de la société FERBECK ET VINCENT seront examinées dans le cadre du recours en garantie dirigé contre l'assureur de cette dernière.

- Sur le préjudice

La société GAGNERAUD réclame les sommes de 27 530,16 euros HT au titre des franchises restées à sa charge (franchise de 11 783,40 euros sur la garantie pertes d'exploitation et franchise de 15 746,76 euros sur la franchise dommages matériels), 61 443,66 euros au titre des désordres affectant les éléments chaudronnés et 77 108,71 euros au titre du surcoût de remplacement de la cheminée.

La société AAF oppose en premier lieu que la société GAGNERAUD ne peut réclamer une franchise sur dommages immatériels alors que, aux termes du contrat signé entre elles, les "dédommagements pour ennuis indirects venant de l'arrêt de l'installation, tels que pertes de production" avaient été exclus de la garantie mécanique souscrite pour une durée de douze mois.

Cependant, la stipulation d'une garantie contractuelle de douze mois n'exclut en rien la responsabilité légale, laquelle implique une indemnisation de l'ensemble des préjudices subis y compris ceux liés à des pertes d'exploitation dues aux perturbations et arrêts d'exploitation tels que retenus par l'expert et non contestés dans leur montant.

S'agissant des éléments chaudronnés, il ressort de l'examen du décompte produit, du rapport d'expertise et des termes de l'arrêt de la cour d'Aix en Provence que ce poste de préjudice n'est pas inclus dans l'indemnisation précédemment allouée par cette juridiction et que, notamment, les pièces de raccordement (dévésiculeur, ventilo) ne sont pas les mêmes que celles déjà indemnisées.

S'agissant enfin de la somme réclamée pour surcoût de remplacement de la cheminée, elle correspond à la différence entre le coût de l'acier et celui de l'inox, somme non intégrée par l'expert dans l'évaluation qu'il a faite du préjudice calculé par référence au coût de reconstruction à l'identique.

Pour rejeter ce chef de demande, le tribunal a considéré que si initialement l'opération avait inclus une cheminée en inox, le coût en aurait été augmenté d'autant et que la société GAGNERAUD aurait supporté ce surplus.

Cependant, quand bien même le choix de l'inox aurait vraisemblablement entraîné un coût supérieur pour la société GAGNERAUD s'il avait été fait dès l'origine, il n'en demeure pas moins que la société AAF, en répondant à l'appel d'offres, a fait une proposition de matériau supposée permettre un rejet des effluents dans de bonnes conditions et sans corrosion anormale.

Or, l'installation n'a pas répondu aux caractéristiques attendues et promises.

Dès lors qu'il n'est pas contesté que la seule solution adaptée pour remédier au désordre et éviter une corrosion anormale en raison de la nature des effluents est d'utiliser de l'inox, la société AAF doit supporter le coût lié à ce changement de matériau dont elle aurait dû préconiser l'utilisation dès l'origine.

- Sur les demandes chiffrées

Il résulte de ce qui précède que la société GAGNERAUD est donc bien fondée à solliciter la condamnation de la société AAF à lui payer la somme de 166 082,53 euros.

La société AGF IART réclame quant à elle, en sa qualité de subrogée dans les droits de son assuré, la condamnation de la société AAF à lui payer la somme de 242 031,27 euros, correspondant aux sommes versées à cette dernière tant au titre des dommages matériels que des pertes d'exploitation.

L'argument opposé par la société AAF afférent à la non garantie des pertes d'exploitation n'est pas davantage opérant à l'égard de la société AGF qu'il ne l'était à l'égard de la société GAGNERAUD.

Il sera cependant relevé qu'il résulte des quittances produites que c'est la seule somme de 230 441,17 euros que la société AGF a été amenée à verser à son assuré, ainsi que cette dernière l'indique au demeurant elle-même en page 32 de ses conclusions : il sera fait droit à la demande de la société AGF à hauteur de cette somme seulement.

Sur les demandes dirigées contre le GAN

La condamnation de la société GAN, assureur de la société AAF, est sollicitée tant à titre de garantie par cette dernière elle-même qu'au titre de l'action directe exercée par la société GAGNERAUD et son assureur AGF.

La société GAN oppose en premier lieu que certains postes de préjudice auraient déjà été indemnisés et que certaines demandes se heurteraient donc à l'autorité de chose jugée.

Or, il a d'ores et déjà été répondu que l'examen comparé de l'ensemble des pièces produites établissait qu'aucun des postes de réclamation n'était inclus dans les demandes précédemment soumises à la cour d'appel d'Aix en Provence.

La société GAN oppose ensuite des exclusions de garantie, portant pour la première sur les frais de réparation et de remplacement de l'ouvrage réalisé par l'assuré et pour la seconde sur les pénalités de retard acquittées par l'assuré, soutenant en outre qu'elle n'a pas à prendre en charge des frais d'expert d'assuré engagés dans un cadre contractuel pour la défense des intérêts de la société GAGNERAUD.

Aux termes de l'article 4.3.1 du contrat souscrit, "sont exclus des risques de responsabilité civile les dommages subis par les biens ou services, cause et origine du dommage, livrés par l'assuré, ainsi que les frais de réparation et/ou remplacement desdits biens", les "frais de transport et/ou frais de dépose et repose d'un bien livré atteint d'un vice caché ou simplement suspecté" n'étant toutefois pas visés par l'exclusion.

La société AAF fait état de ces dispositions, soutenant que la société GAN doit donc prendre en charge les frais de main d'oeuvre et de transport, ce que cette dernière ne conteste pas soutenant que pour les dommages matériels sa garantie est limitée à la somme de 5 154,30 euros : c'est donc cette seule somme que le GAN sera condamné, au titre des dommages matériels, à payer à la société AGF subrogée dans les droits de son assurée.

L'exclusion vantée par référence aux articles 4.1.5 et 5.1 du contrat et relative aux pénalités de retard ne fait l'objet d'aucune contestation de la part de la société AAF.

Cette dernière se contente de soutenir que la garantie n'est exclue pour les dommages immatériels qu'en l'absence de vice de conception, ce qui n'est en réalité pas contesté par la société GAN laquelle, s'agissant de l'indemnisation des dommages immatériels autres que ceux consistant en l'acquittement de pénalités de retard, fait simplement valoir qu'elle n'a pas à être supportée par elle dans la mesure où son propre assuré n'a pas à la supporter.

Or, il a été jugé ci-dessus que la société GAGNERAUD était fondée à solliciter de la société AAF l'indemnisation des dommages immatériels subis.

Le montant des pénalités de retard s'élevant à 42 485,10 euros, la société GAN sera condamnée à payer à la société AGF et à garantir la société AAF à hauteur de la seule somme de 109 711,92 euros pour les dommages immatériels, l'observation sur la non prise en charge d'honoraires d'expert étant par ailleurs fondée.

Sur les demandes dirigées contre la société AXA CORPORATE, assureur de la société FERBECK ET VINCENT

Pour solliciter de la société AXA CORPORATE, prise en sa qualité d'assureur de la société FERBECK ET VINCENT, qu'elle la garantisse de toute condamnation prononcée contre elle, la société AAF soutient que la responsabilité de cette entreprise est engagée dans la mesure où elle est un professionnel hautement qualifié, spécialiste des cheminées industrielles et où il lui appartenait d'émettre des réserves et de proposer d'autres calculs ou solutions techniques si les contraintes qu'on lui donnait ne lui apparaissaient pas conformes aux règles de l'art.

La société GAN sollicite de même la garantie de la société AXA CORPORATE en faisant valoir que la société FERBECK ET VINCENT est à l'origine exclusive des difficultés rencontrées.

La société AXA CORPORATE fait valoir l'existence d'une exclusion de garantie et en outre d'un plafond de garantie et conclut à titre subsidiaire à l'absence de responsabilité de la société FERBECK ET VINCENT.

La police d'assurance souscrite auprès de la société AXA garantissant les cheminées métalliques industrielles stipule en son article III un certain nombre d'exclusions de garantie parmi lesquelles la suivante :

"Sont exclus pour les seules cheminées métalliques industrielles et leurs accessoires : les dommages résultant de la corrosion provoquée par l'action des matières agressives que les ouvrages sont destinés à recevoir ou à évacuer, ou par suite de défaut d'entretien".

En l'état de cette clause, dont ni l'applicabilité ni la lecture qu'en donne la société AXA ne sont contestées de façon pertinente, et alors qu'il résulte de ce qui a été exposé ci-dessus que l'ensemble des réclamations est afférent à des dommages résultant d'une corrosion telle que précisément définie ci-dessus, la société AXA est fondée à soutenir que, à supposer que la responsabilité de son assurée puisse être retenue, elle n'est tenue en tout état de cause à aucune garantie.

Les sociétés GAN et AAF seront donc déboutées de leurs demandes formées contre la société AXA.

Sur les autres demandes

Les dispositions du jugement ayant fait courir les intérêts du jour du dépôt du rapport d'expertise ne sont pas critiquées et seront confirmées.

Il y a lieu d'allouer les sommes précisées au dispositif sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

En conséquence, à l'exception des dispositions ayant condamné la société AAF à payer à la société GAGNERAUD la somme de 27 530,16 euros au titre des franchises restées à charge avec intérêts au taux légal à compter du 10 mai 1996 et celle de 61 443,66 euros au titre des interventions sur les éléments chaudronnés avec intérêts au taux légal à compter du 10 mai 1996, condamné in solidum AAF et la société GAN à payer à la société GAGNERAUD la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et à payer à la société AGF la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, le jugement sera infirmé.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris sauf en celle des ses dispositions ayant condamné la société AAF à payer à la société GAGNERAUD la somme de 27 530,16 euros au titre des franchises restées à charge avec intérêts au taux légal à compter du 10 mai 1996 et celle de 61 443,66 euros au titre des interventions sur les éléments chaudronnés avec intérêts au taux légal à compter du 10 mai 1996, condamné in solidum AAF et la société GAN à payer à la société GAGNERAUD la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et à payer à la société AGF la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

Condamne la société AMERICAN AIR FILTER à payer à la société GAGNERAUD la somme de 77 108,71 euros au titre du remplacement de la cheminée avec intérêts au taux légal à compter du 10 mai 1996.

Condamne la société AMERICAN AIR FILTER à payer à la société AGF IART la somme de 230 441,17 euros avec intérêts au taux légal à compter du 19 septembre 1996, date de la subrogation.

Condamne la société GAN au paiement, in solidum avec la société AMERICAN AIR FILTER à hauteur des seules sommes de 5 154,30 euros et 109 711,92 euros dues à la société AGF IART et la condamne à garantir la société AMERICAN AIR FILTER à hauteur de ces sommes.

Ordonne la capitalisation des intérêts à compter du 13 juillet 2006, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil.

Condamne in solidum la société AMERICAN AIR FILTER et la société GAN à payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme complémentaire de 1 500 euros à la société GAGNERAUD et celle de 1 500 euros à la société AGF IART.

Déboute la société GAN et la société AAF de leurs demandes dirigées contre la société AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCE et de leurs demandes de dommages et intérêts et au titre de l'article 700 du code de procédure civile dirigées contre tout succombant.

Condamne la société GAN et la société AAF à payer chacune à la société AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCE la somme de 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne in solidum la société AAF et la société GAN à payer les dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Ct0044
Numéro d'arrêt : 07/235
Date de la décision : 19/05/2008

Références :

Décision attaquée : Tribunal de commerce d'Evreux, 07 décembre 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.rouen;arret;2008-05-19;07.235 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award