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06/12/2007 | FRANCE | N°05/2319

France | France, Cour d'appel de Rouen, Ct0044, 06 décembre 2007, 05/2319


R.G : 05/02319

COUR D'APPEL DE ROUEN

DEUXIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 06 DÉCEMBRE 2007

DÉCISION DÉFÉRÉE :

TRIBUNAL DE COMMERCE DE ROUEN du 02 Mai 2005

APPELANTES :

S.A.S. ROBUST

26 rue de Varize - BP 313

28006 CHARTRES CEDEX

représentée par la SCP GALLIERE LEJEUNE MARCHAND GRAY, avoués à la Cour

assistée de Me Guillaume BRAJEUX, avocat au barreau de Paris

CAISSE DE REASSURANCE MUTUELLE AGRICOLE DE CENTRE MANCHE venant aux droits de la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricole de Normandie exerçant

sous l'enseigne GROUPAMA CENTRE MANCHE

88 rue Saint Brice - BP 337

28023 CHARTRES CEDEX

représentée par la SCP GALLIERE LEJEUNE M...

R.G : 05/02319

COUR D'APPEL DE ROUEN

DEUXIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 06 DÉCEMBRE 2007

DÉCISION DÉFÉRÉE :

TRIBUNAL DE COMMERCE DE ROUEN du 02 Mai 2005

APPELANTES :

S.A.S. ROBUST

26 rue de Varize - BP 313

28006 CHARTRES CEDEX

représentée par la SCP GALLIERE LEJEUNE MARCHAND GRAY, avoués à la Cour

assistée de Me Guillaume BRAJEUX, avocat au barreau de Paris

CAISSE DE REASSURANCE MUTUELLE AGRICOLE DE CENTRE MANCHE venant aux droits de la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricole de Normandie exerçant sous l'enseigne GROUPAMA CENTRE MANCHE

88 rue Saint Brice - BP 337

28023 CHARTRES CEDEX

représentée par la SCP GALLIERE LEJEUNE MARCHAND GRAY, avoués à la Cour

INTIMÉES :

SA CEGELEC SERVICES

72 Avenue de la Liberté

92000 NANTERRE

représentée par la SCP HAMEL FAGOO DUROY, avoués à la Cour

assistée de Me Laurence BEQUET, avocat au barreau de Paris

SA GENERALI ASSURANCES IARD venant aux droits de GENERALI FRANCE ASSURANCES

7 boulevard Hausmann

75009 PARIS

représentée par la SCP GREFF PEUGNIEZ, avoués à la Cour

assistée de Me Michel BELLAÏCHE, avocat au barreau de Paris

S.A.S. TRACTEL SOLUTIONS anciennement dénommée société CHARLET

77 rue Jules Guesde

69230 ST GENIS LAVAL

représentée par la SCP GREFF PEUGNIEZ, avoués à la Cour

assistée de Me Domitille POZZANA, substituant Me Patrice GRENIER, avocat au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré :

Madame BARTHOLIN, Présidente

Monsieur LOTTIN, Conseiller

Madame VINOT, Conseiller

GREFFIER LORS DES DÉBATS :

Madame DURIEZ, Greffier

DÉBATS :

A l'audience publique du 25 Octobre 2007, où la présidente a été entendue en son rapport oral et l'affaire mise en délibéré au 06 Décembre 2007

ARRÊT :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 06 Décembre 2007, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile,

signé par Madame BARTHOLIN, Présidente et par Madame DURIEZ, Greffier.

*

* *

Exposé du litige

La société Robust a été créée en 1994 pour créer et exploiter sur le port de Rouen un terminal sucrier de réception de cette marchandise en vrac, de stockage, d'ensachage et de chargement des sacs de sucre sur les navires.

La société Alsthom, suivant marché du 1er septembre 1995, s'est engagée à lui fournir et installer deux appareils descenseurs à sacs, aux fins de charger les marchandises sur les navires, moyennant le prix de 26.576.000 francs.

Les appareils ont été réceptionnés le 30 septembre 1997 avec réserves, mais divers incidents de fonctionnement se sont produits et M. C... a été désigné dès le 24 décembre 1997 en qualité d'expert par le président du tribunal de commerce de Rouen statuant en référé, sa mission étant ensuite complétée à plusieurs reprises.

A la suite de nouveaux incidents survenus en juin et juillet 2001 qui ont nécessité les arrêts successifs voire simultanés des deux descenseurs, une nouvelle expertise a été confiée par le juge des référés à Messieurs C... et D..., qui a été ensuite rendue commune à la société Charlet, fournisseur d'Alsthom pour les poulies ( réas). Le rapport a été déposé le 30 avril 2004.

Le rapport d'expertise a été déposé le 30 avril 2004.

Par acte en date du 31 août 2004, la société Robust et son assureur la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles de Normandie, aux droits de laquelle vient la Caisse Régionale de Réassurance Mutuelle Agricole de Centre Manche (ci-après dénommée Groupama Normandie) ont assigné à jour fixe la société Cegelec Services (Cegelec), venant aux droits de la société Alsthom, ainsi que la société Tractel Solutions (Tractel), anciennement dénommée Charlet, et la société Generali France Iard (Generali), anciennement dénommée Generali France Assurances et assureur de la société Charlet, aux fins de les voir déclarer toutes trois conjointement et solidairement responsables de la survenance du sinistre et de les voir condamner à payer conjointement et solidairement :

- à Groupama Normandie la somme de 106.413 € HT et à la société Robust la somme de 8.404 € HT au titre des dommages directs,

- à Groupama Normandie la somme de 573.877 € HT et à la société Robust la somme de 38.509 € HT au titre du préjudice direct d'exploitation,

- à la société Robust la somme de 400.000 € HT au titre du préjudice indirect d'exploitation,

- aux dépens incluant les frais d'expertise de 49.916,82 € outre les frais de 1.000 € réglés par la société Robust pour obtenir sur la demande d'Alsthom l'attestation par le commissaire aux comptes des tonnages sortis en 1999/2000 et 2000/2001,

avec intérêts de droit à compter du 20 juillet 2001 et capitalisation des intérêts par application de l'article 1154 du code civil,

- aux sociétés Robust et Groupama Normandie la somme de 30.000 € par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par jugement rendu le 26 mai 2005, le tribunal de commerce de ROUEN a :

- débouté la société Tractel Solutions venant aux droits de la société Charlet de sa demande de renvoi,

- reçu les sociétés Robust et Groupama Normandie en leurs demandes, fins et conclusions, les a dites non fondées et les en a déboutées,

- condamné les sociétés Robust et Groupama Normandie à payer à la société Tractel Solutions venant aux droits de la société Charlet la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du Ncpc,

- condamné les sociétés Robust et Groupama Normandie à payer à la société Cegelec Services venant aux droits de la société Alsthom la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Ncpc,

- condamné les sociétés Robust et Groupama Normandie aux entiers dépens.

Pour statuer comme il l'a fait, le tribunal a estimé non fondées les appréciations des experts et a jugé que la défaillance contractuelle de la société Charlet dans la fourniture de ses poulies n'était pas prouvée.

S'agissant de la société Alsthom, le tribunal a jugé que les réas litigieux constituaient des éléments d'équipement ne faisant pas indissociablement corps avec l'ouvrage et faisant en conséquence l'objet d'une garantie de bon fonctionnement de deux ans à compter de la réception. Il a exclu la société Robust du bénéfice de cette garantie après avoir constaté que la réception avait eu lieu le 29 septembre 1997 et que l'avarie sur les poulies s'était produite le 26 juin 2001.

Les sociétés Robust et Groupama Normandie ont interjeté appel de cette décision.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 octobre 2007.

Prétentions et moyens des parties

Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions signifiées le 19 octobre 2007 par les sociétés Robust et Groupama Normandie, le 25 octobre 2007 par la société Cegelec, le 12 octobre 2007 par la société Tractel et le 11 mai 2007 par la société Genérali.

Leurs moyens seront examinés dans les motifs de l'arrêt.

Les sociétés Robust et Groupama Normandie, qui sollicitent l'infirmation du jugement entrepris, demandent à la cour de juger que les responsabilités de la société Tractel d'une part et de la société Cegelec d'autre part sont engagées, de constater que la société Generali est l'assureur de responsabilité civile de la société Tractel et ne conteste pas sa garantie, et de condamner in solidum les sociétés Tractel, Cegelec, et Generali à payer :

- à la société Robust les sommes de 8.404 € HT au titre des dommages directs, de 38.509 € HT au titre de son préjudice direct d'exploitation et de 400.000 € au titre de son préjudice indirect d'exploitation ;

- à Groupama Normandie les sommes de 106.413 € et 573.877 € correspondant aux indemnités versées par cet assureur à Robust au titre respectivement des dommages directs et du préjudice direct d'exploitation ;

avec intérêts de droit à compter du 20 juillet 2001, date à laquelle le projet d'assignation en référé a été transmis au conseil de la société Cegelec, et capitalisation de ces intérêts par application de l'article 1154 du code civil,

- à Robust et Groupama Normandie une indemnité de 60.000 € au titre de l'article 700 du Ncpc.

La société Cegelec sollicite à titre principal la confirmation en tous points du jugement entrepris.

A titre subsidaire, elle sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a invalidé le rapport d'expertise de Messieurs C... et D..., demande à la cour de dire que le sinistre provient de la non-conformité des réas aux spécifications contractuelles et aux règles de l'art, de constater qu'elle avait remis à la société Charlet les spécifications contractuelles à respecter, en tous points conformes à la norme FEM, de dire que les fautes commises par la société Charlet sont exonératoires de responsabilité pour la société Cegelec, de dire que cette dernière n'a pas manqué à ses obligations en ne vérifiant pas la conformité des réas aux spécifications, et de débouter les sociétés Robust et Groupama Normandie de toutes leurs demandes faites à son encontre.

A titre plus subsidiaire, la société Cegelec sollicite la condamnation de la société Tractel et de son assureur la société Generali à la relever et garantir de l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre au bénéfice de la société Robust et de son assureur. Elle demande à la cour de juger que les sociétés Robust et Groupama Normandie ne pourront percevoir davantage que la somme de 652.536 € à laquelle les experts ont fixé l'ensemble des préjudices de la société Robust.

A titre encore plus subsidiaire, elle conclut que les prétentions indemnitaires de la société Robust et de Groupama Normandie au titre des dommages directs ne sauraient excéder la somme de 32.302,84 € et demande à la cour de juger que le préjudice direct d'exploitation n'a couru que pendant la période du 21 juillet 2001 au 31 septembre 2001. Elle sollicite donc la réduction des prétentions indemnitaires de la société Robust et de son assureur à la somme de 500.134,18 € au titre du préjudice direct d'expoitation et le rejet de la demande formée au titre du prétendu préjudice d'image ou à défaut sa réduction à de plus justes proportions ne dépassant pas la somme de 9.000 €.

En tout état de cause, la société Cegelec sollicte la condamnation de la partie succombante à lui payer la somme de 30.000 € au titre de l'article 700 du Ncpc.

La société Tractel sollicite à titre principal la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Robust et son assureur de leurs demandes et les a condamnés sur le fondement de l'article 700 du Ncpc.

A titre subsidiaire, elle conclut à la nullité du rapport d'expertise en ce qui concerne l'estimation des préjudices et demande à la cour de débouter la société Robust de ses demandes au titre des préjudices directs, des préjudices indirects et de la capitalisation des intérêts.

A titre infiniment subsidiaire, la société Tractel sollicite la condamnation de la société Cegelec à la garantir de toutes condamnations et demande à la cour de débouter la société Cegelec de toutes ses demandes faites à son encontre.

En tout état de cause, la société Tractel demande à la cour de débouter la société Robust et son assureur de leurs demandes faites sur le fondement de l'article 700 du Ncpc et de les condamner à lui payer à ce titre la somme de 60.000 €.

La société Generali demande qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle fait entièrement siennes les écritures de la société Tractel et sollicite en conséquence à titre principal la confirmation du jugement entrepris.

A titre subsidiaire et dans l'hypothèse où une condamnation serait prononcée sur le fondement de l'article 1792 du code civil, elle demande à la cour de constater que sa garantie ne peut être acquise au regard des clauses contractuelles d'exclusion.

A titre plus subsidiaire, la société Generali demande qu'il soit jugé qu'elle ne peut être tenue que dans les limites de sa garantie, laquelle n'est acquise que pour les préjudices d'exploitation ou financiers (dommages immatériels non consécutifs à un dommage matériel non garanti), et ce à hauteur de (y compris frais de dépose et repose) la somme de 381.122,54 € avec franchise absolue de 3.048,96 €.

En toute hypothèse, elle sollicite la condamnation de la société Cegelec à la garantir de toutes les condamnations prononcées à son encontre.

Sur ce, la Cour,

Sur la détermination des causes techniques des désordres

Le 26 juin 1997, au cours des opérations de chargement d'un navire, des bruits anormaux lors de manoeuvres de relevage des descenseurs de la flèche du deuxième appareil (dénommé D2), ont été détectés par les dockers qui en ont informé le propriétaire de l'installation. Les poulies dites "réas" guidant les câbles de levage ont été démontées pour examen et il est apparu que nombre d'entre elles étaient affectées de ruptures totales ou partielles des soudures entre les flasques et le moyeu.

Après avoir examiné les documents relatifs à la commande des réas par la société Alsthom à la société Charlet puis procédé et fait procéder à des calculs de résistance de ces pièces, les experts judiciaires ont conclu que la société Charlet avait fourni des réas non conformes aux spécifications (classification M7) qui lui avaient été communiquées par la société Alsthom et ne respectant pas la contrainte de fatigue des règles de l'art.

Selon leurs conclusions définitives, la rupture est la conséquence de la conception de la poulie et surtout de ses soudures, qui a conduit à une contrainte inadmissible dans les conditions de service contractuelles, de telle sorte qu'il n'y a pas lieu de rechercher si ces conditions de service ont été dépassées.

Il est effectivement établi par les pièces versées aux débats que la société Alsthom a consulté la société Charlet pour la fourniture de poulies de relevage "suivant spécifications jointes", lesquelles étaient détaillées et mentionnaient notamment la référence au classement FEM (Fédération Européenne de la Manutention) du mécanisme selon les normes L4,T5,M7.

Or la société Charlet a accepté de fournir des réas de type BS renforcé (en acier E 36.3 ou 1) présentés comme conformes aux exigences FEM et utilisables jusqu'au groupe M7 alors qu'il s'est avéré par la suite, selon pièce versée aux débats (A66 des annexes du rapport d'expertise) que les réas de type BS "série légère" étaient adaptés jusqu'au groupe M6 de la FEM tandis que seuls les réas sur mesure "série lourde" BR, fournis par la suite en remplacement des précédents au cours de l'été 1997, étaient adaptés jusqu'au groupe M8 de la FEM.

En outre il résulte des calculs effectués dans le cadre de l'expertise, même s'ils sont contestés par la société Tractel et n'ont pas été validés par le tribunal, que les réas BS fournis n'étaient pas conformes à la spécification M7.

Toutefois, à supposer qu'il soit démontré que la société Charlet ait commis une faute en fournissant des réas non conformes à la commande, la responsabilité de cette société ne peut être engagée que s'il est établi que cette faute est la cause du sinistre.

A cet égard, la cour constate, comme l'a fait le tribunal, que malgré les nombreuses demandes faites au cours de l'expertise, les experts judiciaires se sont refusés, au motif que la non-conformité des réas leur paraissait suffisamment démonstratrice, à rechercher si les contraintes engendrées par l'installation conçue et construite par la société Alsthom étaient celles prévues au marché et étaient ainsi compatibles avec les spécifications communiquées à la société Charlet.

Il résulte pourtant du rapport de l'Apave, intervenue en qualité de contrôleur technique pour la société Robust, que ces contraintes n'ont cessé d'évoluer dans le temps, sans que les calculs aient été sérieusement refaits pour en mesurer les conséquences, et notamment après la fourniture des réas.

Ainsi l'Apave fait elle état dans son rapport communiqué aux débats d'augmentations de masse qui ont abouti dès le mois de février 1997 à dépasser l'enveloppe de poids prévue par la société Robust. La société Alsthom avait néanmoins alors interrogé la société Charlet sur les conséquences de ces modifications et il avait été décidé sur le conseil de cette dernière de renforcer plusieurs réas en fonction de leurs emplacements.

Mais surtout une nouvelle révision allant de nouveau dans le sens d'un accroissement des contraintes est survenue en septembre 1997, l'Apave signalant en outre des anomalies dans les calculs et attirant l'attention sur le fait que la remise à niveau de tous ces écarts (de poids) pourrait entraîner des "répercussions non négligeables sur les autres composants de l'engin tels que flèche, relevage, portique, stabilité".

Il ne peut être dès lors affirmé que des réas répondant à la spécification M7 auraient pu résister aux contraintes réelles subies en raison des caractéristiques réelles d'utilisation, ou en d'autres termes déterminer si les ruptures constatées sont la conséquence d'une résistance insuffisante des réas ou de l'excès des contraintes exercées par les câbles par rapport aux spécifications prévues.

Les experts, après avoir indiqué dans un premier temps ( p 19 de leur rapport) qu'ils ne pourraient se prononcer, en raison du renforcement par Alsthom de l'arrimeur ayant entraîné un surpoids, qu'après communication et étude des notes de calculs et des plans réclamés, se sont bornés à indiquer qu'ils traiteraient de la seule question de la conformité de la livraison Charlet.

En conséquence et faute de preuve du lien de causalité entre la faute et le préjudice, la cour, comme l'ont fait les premiers juges, exonérera la société Tractel (venant aux droits de la société Charlet) de toute responsabilité dans la survenance du sinistre et dans ses conséquences.

La société Robust sera déboutée de ses demandes tant à l'encontre de la société Tractel que de la société Generali, assureur de cette dernière.

Sur la responsabilité de la société Cegelec

La société Cegelec, si elle ne conteste pas que les descenseurs à sacs qu'elle a livrés se sont avérés impropres à leur destination ni que sa responsabilité contractuelle soit susceptible de relever, en application de l'article 6.4 du cahier des clauses administratives générales du marché passé avec la société Robust, de la garantie prévue par les articles 1792 et 2270 du code civil modifiés par la loi du 4 janvier 1978, sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré prescrite l'action de la société Robust.

Elle fait en effet valoir que les réas litigieux sont des éléments dissociables puisqu'ils peuvent être démontés, de telle sorte qu'ils ne font l'objet que de la garantie de bon fonctionnement de deux ans à compter de la réception prévue par l'article 1792-3 du code civil.

Toutefois, si la distinction entre les éléments d'équipements dissociables ou indissociables est utile pour déterminer, lorsqu'un tel élément est affecté dans sa solidité, entre les garanties prévues par les articles 1792-2 et 1792-3 du code civil, tel n'est pas le cas lorsque, comme en l'espèce, le vice affectant cet élément rend l'ensemble de l'ouvrage impropre à son usage.

La responsabilité de plein droit de la société Cegelec relève en conséquence de l'article 1792 du code civil, les dommages affectant les descenseurs les rendant impropres à leur destination, de telle sorte que l'action de la société Robust, recevable pendant un délai de 10 ans à compter de la réception, n'est pas prescrite.

Surabondamment, il convient de relever que, ainsi que démontré plus haut, la cause du sinistre n'a pu être déterminée puisqu'elle pourrait résider dans la non conformité des réas à la spécificité commandée mais aussi avec les contraintes potentiellement excessives de fonctionnement des appareils qui n'ont pas été mesurées.

La société Cegelec, qui ne peut s'exonérer de sa responsabilité de plein droit que par une cause étrangère, n'invoque pas une telle cause . Elle sera en conséquence déclarée responsable du préjudice causé à la société Robust et condamnée à payer l'entier préjudice de celle-ci.

Elle sera déboutée de son action en garantie contre la société Tractel pour les motifs exposés plus haut.

Sur la détermination du préjudice de la société Robust

Les experts judiciaires, qui avaient notamment pour mission de donner au tribunal tous les éléments lui permettant de fixer le montant des préjudices subis, tant directs qu'indirects, de la société Robust, ont relaté que les experts d'assurance s'étaient réunis au siège de la société Robust à Chartres (le 24 juillet 2002) et avaient abouti à un accord de principe.

Cet accord, dont il n'est pas précisé s'il a été concrétisé par un écrit, est indiqué par les experts comme ayant été confirmé par une lettre du 31 juillet 2002.

Ce courrier figure en annexe du rapport à la page A 496. Il émane de M. E..., expert d'assurance représentant la société Groupama et chiffre ainsi l'arrêté des dommages:

- dommages directs: 114.817 €

- perte de marge sur un tonnage perdu ramené

à 40.000 t : 478.012 €

- frais supplémentaires subis par les clients et supportés

par Robust : 59.807 €

TOTAL 652.636 €

Le courrier précise que cela ne comprend pas les frais financiers supplémentaires, les pertes subies par Ucacel, ni le préjudice pour perte d'image commerciale.

Dans un courrier daté du 2 octobre 2002, le conseil de la société Alsthom (devenu Cegelec) , sans contester l'existence de cet accord, remettait en cause la somme allouée au titre de la perte de marge en la conditionnant à la certification par un expert comptable ou commissaire aux comptes du bilan des activités "entrées sucre et "mise fob export sucre" et des déclarations en douane correspondant à ce tonnage.

La société Cegelec, qui ne sollicite plus communication de ces pièces, soutient devant la cour que l'accord sur la somme de 652.636 €, qu'elle invoque désormais à l'appui de ses prétentions, correspondait à une indemnisation totale, de telle sorte qu'il ne peut être alloué davantage à la société Robust.

Toutefois il résulte des pièces versées aux débats et du rapport d'expertise qu'au contraire les experts d'assurance n'avaient pu s'accorder sur un certain nombre de points, telles que les pertes indirectes et la privation de trésorerie, ou encore les pertes d'Ucacel.

Dès lors, la société Cegelec n'est pas fondée à contester comme elle le fait l'existence d'un préjudice lié aux dommages directs, étant rappelé qu'elle avait, dans le courrier de son conseil daté du 2 octobre 2002, seulement exigé des justificatifs concernant le préjudice lié à la perte de marge.

Surabondamment, les demandes faites tant au titre des dommages directs que des coûts supplémentaires d'immobilisation et de la perte de marge brute sont justifiées par les pièces versées aux débats.

Egalement à titre surabondant, le fait que la société Robust n'ait été selon elle avisée du sinistre du 26 juin 2001 que par l'assignation du 20 juillet 2001 est sans incidence dès lors que la société Robust avait pris très rapidement les mesures nécessaires pour remettre les descenseurs en service le plus vite possible en prenant contact avec la société Charlet dès le 2 juillet 2001 et en commandant les nouveaux réas le 5 juillet 2001.

La cour entérinera en conséquence l'accord sur les trois chefs de préjudice susvisés avant d'examiner les autres demandes ainsi qu'il suit.

- Perte subie par Ucacel

La société Robust fait valoir que Ucacel, qui intervient pour elle comme prestataire de services, a été privée de sa rémunération de 11 francs par tonne sur les 40.000 tonnes qui n'ont pas transité par le terminal soit 440.000 francs ou 67.078 €.

Ce poste de préjudice, qui ne correspond pas à une perte de la société Robust mais à une répartition interne de gains par ailleurs réparée, n'est en outre justifié par aucune pièce et sera écarté.

- Coût financier consécutif à la privation de trésorerie

Ce poste de préjudice, qui est justifié par les calculs versés aux débats, qui a été validé par les experts judiciaires et qui n'est pas critiqué par la société Cegelec, sera admis à hauteur de la somme sollicitée de 7.489 €.

- Préjudice indirect d'exploitation

La société Robust fait valoir que l'interruption du fonctionnement des descenseurs, totale pendant plus d'un mois, lui a causé, outre les pertes de revenus indemnisées, une atteinte à l'image commerciale de son terminal, dans la mesure où un exportateur de sucre qui choisit de stocker ses marchandises dans un terminal doit pouvoir en disposer et charger ce stock à son gré sur les navires.

La remise en cause de la fiabilité du terminal aurait selon elle durablement incité certains chargeurs à détourner leurs stocks dans un autre terminal.

La société Robust expose avoir dû accepter des sacrifices financiers pour regagner la confiance de ses clients lors de la saison sucrière suivante, tant sur le prix des prestations que sur les conditions d'exploitation, et estime ce chef de préjudice à la somme de 400.000 €.

Les experts ont admis l'existence de ce préjudice mais l'ont évalué à une somme de 9.000 €.

Toutefois, ainsi que le souligne la société Cegelec comme l'ont d'ailleurs fait les experts, la société Robust ne produit aucun élément chiffré à l'appui de cette demande.

En outre, il est établi que les parts de marché de la société Robust ont augmenté entre les campagnes 2001 et 2002 contrairement aux prévisions de la société Robust elle-même qui s'était basée sur l'impact de la mauvaise météo sur les récoltes.

La cour, au vu de cette absence de pièces et de cette évolution favorable en terme de parts de marché, retiendra le principe d'une atteinte très momentanée à l'image commerciale de la société Robust, qui sera réparée par l'allocation d'une somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts.

Sur les demandes en paiement

Le préjudice de la société Robust peut être récapitulé ainsi qu'il suit :

- dommages directs: 114.817€

- Préjudice direct d'exploitation 545.308 €

dont

59.807 € de perte coûts supplémentaires d'exploitation

478.012 € de perte de marge brute

7.489 € de coût financiers ( trésorerie)

- préjudice indirect d'exploitation 15.000 €

Total 675.125 €.

La société Cegelec sera condamnée à payer à la société Groupama Normandie, qui justifie d'un quittance subrogative de la société Robust en date du 30 septembre 2002 à hauteur de 106.413 € au titre des dommages directs et de 573.817 € au titre du préjudice direct d'exploitation, une somme de 106.413 € au titre du premier poste et un somme de 545.308 € au titre du second dans la limite allouée par la cour, soit une somme totale de 651.721 €.

La société Cegelec sera condamnée à payer à la société Robust le solde du préjudice soit une somme de 23.404 €.

Si les sociétés demanderesses sollicitent que le point de départ des intérêts soit fixé au 20 juillet 2001, date à laquelle un projet d'assignation aurait été transmis au conseil de la société Cegelec, cette pièce n'est pas produite.

Le point de départ des intérêts au taux légal sur ces sommes sera fixé en conséquence à la date de l'assignation, soit le 31 août 2004. Il sera fait droit à la demande de capitalisation sans les conditions fixées par l'article 1154 du Code civil.

En outre, s'agissant de sommes ayant un caractère indemnitaire, elle ne sont pas soumises à la TVA, et ne seront pas allouées HT comme le sollicite la société Robust.

La société Cegelec sera déboutée de sa demande faite au titre des frais irrépétibles et sera condamnée à payer à ce titre aux sociétés Robust et Groupama Normandie une unique somme de 40.000 €.

La société Tractel sera déboutée de sa demande ce chef.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Déboute les sociétés Robust et Groupama Normandie de leurs demandes faites à l'encontre des sociétés Tractel Solutions et Generali Assurances Iard,

Déclare la société Cegelec Services responsable du sinistre du 26 juin 2001,

Condamne la société Cegelec Services à payer à Groupama Normandie une somme de 651.721 € avec intérêts au taux légal à compter du 31 août 2004 et capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1154 du code civil,

Condamne la société Cegelec Services à payer à la société Robust une somme de 23.404 € avec intérêts au taux légal à compter du 31 août 2004 et capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1154 du code civil,

Condamne la société Cegelec Services à payer aux sociétés Robust et Groupama Normandie une somme de 40.000 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,

Déboute la société Cegelec Services de toutes ses demandes, notamment au titre de son appel en garantie à l'encontre des sociétés Tractel Solutions et Generali Assurances Iard et au titre des frais irrépétibles,

Déboute la société Tractel Solutions de sa demande faite au titre des frais irrépétibles,

Condamne la société Cegelec Services à payer les dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise, avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Ct0044
Numéro d'arrêt : 05/2319
Date de la décision : 06/12/2007

Références :

Décision attaquée : Tribunal de commerce de Rouen, 02 mai 2005


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.rouen;arret;2007-12-06;05.2319 ?
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