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09/07/2024 | FRANCE | N°22/01089

France | France, Cour d'appel de Riom, Chambre pôle social, 09 juillet 2024, 22/01089


9 JUILLET 2024



Arrêt n°

CV/VS/NS



Dossier N° RG 22/01089 - N° Portalis DBVU-V-B7G-F2DY



S.A.S. [10]

/

[G] [J], S.A.S. [7], CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU PUY-DE-DOME (CPAM)





jugement au fond, origine pole social du TJ de Clermont-Ferrand, décision attaquée en date du 21 avril 2022, enregistrée sous le n° 21/00152

Arrêt rendu ce NEUF JUILLET DEUX MILLE VINGT-QUATRE par la CINQUIEME CHAMBRE CIVILE CHARGEE DU DROIT DE LA SECURITE SOCIALE ET DE L'AIDE SOCIALE de la cour d'appel de RIOM,

composée lors des débats et du délibéré de :



Monsieur Christophe VIVET, président



Mme Karine VALLEE, conseillère



Mme Sophie N...

9 JUILLET 2024

Arrêt n°

CV/VS/NS

Dossier N° RG 22/01089 - N° Portalis DBVU-V-B7G-F2DY

S.A.S. [10]

/

[G] [J], S.A.S. [7], CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU PUY-DE-DOME (CPAM)

jugement au fond, origine pole social du TJ de Clermont-Ferrand, décision attaquée en date du 21 avril 2022, enregistrée sous le n° 21/00152

Arrêt rendu ce NEUF JUILLET DEUX MILLE VINGT-QUATRE par la CINQUIEME CHAMBRE CIVILE CHARGEE DU DROIT DE LA SECURITE SOCIALE ET DE L'AIDE SOCIALE de la cour d'appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :

Monsieur Christophe VIVET, président

Mme Karine VALLEE, conseillère

Mme Sophie NOIR, conseillère

En présence de Mme SOUILLAT, greffier, lors des débats et du prononcé

ENTRE :

S.A.S. [10]

prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social sis

[Adresse 11]

[Adresse 11]

[Localité 4]

Représentée par Me Jean-Marie PERINETTI de la SELARL JURISQUES, avocat au barreau de LYON

APPELANTE

ET :

M. [G] [J]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représenté par Me Gaelle BORDAS, suppléant Me Juliette POGLIANI de la SCP LAFOND-POGLIANI-BORDAS, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND

S.A.S. [7]

prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social sis

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Isabelle MOULINOT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU PUY-DE-DÔME (CPAM)

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Florence VOUTE suppléant Me Marie-Caroline JOUCLARD, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIMES

Après avoir entendu M. VIVET, président, en son rapport, et les représentants des parties à l'audience publique du 29 avril 2024, la cour a mis l'affaire en délibéré, le président ayant indiqué aux parties que l'arrêt serait prononcé ce jour, par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

M. [G] [J], salarié de la SAS [7] (la société [7]), entreprise de travail temporaire, a été mis à disposition de la SAS [10] (ensuite devenue SAS [9]) (la société [8]), entreprise utilisatrice, en qualité de travailleur ouvrier non qualifié, intérimaire, affecté à un poste considéré à risque avec formation renforcée à la sécurité, pour la période du 10 juillet 2017 au 21 décembre 2017, renouvelée jusqu'au 30 mars 2018.

Le 18 janvier 2018, la société [7] a transmis à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme (la CPAM) une déclaration d'accident du travail concernant M. [J], indiquant que ce dernier, dans le cadre de son activité auprès de la société [8], avait été blessé alors qu'il engageait un mélange dans la trémie d'une machine boudineuse à l'aide d'une clé plate, qui a été happée par la machine, entraînant avec elle la main gauche, causant l'amputation de l'annulaire et de l'auriculaire et une plaie au majeur. Le certificat médical initial du 22 janvier 2018 mentionne un délabrement D3 D4 D5 de la main gauche.

M. [J] a été placé en arrêt de travail du 18 janvier 2018 au 30 avril 2019. La caisse a considéré que son état était consolidé au 7 avril 2019, et lui a reconnu un taux d'incapacité partielle permanente (IPP) initialement fixé à 18 %, ensuite porté à 25% par décision de la commission de recours amiable de la CPAM (la CRA).

Le Ministère public a engagé à l'encontre de la société [8] et d'un de ses salariés des poursuites devant le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand pour blessures involontaires ayant entraîné une incapacité de travail n'excédant pas trois mois par violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail. La société et le salarié ont été relaxés par jugement du 28 octobre 2020.

Le 2 novembre 2020, M. [J] a présenté à la CPAM une demande de procédure de conciliation en vue de faire reconnaître la faute inexcusable de l'employeur, qui n'a pas abouti.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 29 mars 2021, M. [J] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand d'une action tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

Par jugement contradictoire du 21 avril 2022, le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a statué comme suit:

- dit que l'accident du travail dont M. [J] a été victime le 18 janvier 2018 procède de la faute inexcusable de son employeur la société [7], commise par l'entremise de la société [8],

- fixe au maximum la majoration de rente à laquelle peut prétendre M. [J], dans la limite du taux d'IPP initial déterminé à savoir 18%,

- avant dire droit sur les préjudices envisagés par l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale. ordonne une expertise médicale, et désigne pour y procéder le Dr [D] [I],

- alloue à M. [J] une provision de 5.000 euros,

- dit que la CPAM du Puy-de-Dôme réglera la majoration, la provision et la réparation des préjudices extra-patrimoniaux à M. [J] et récupérera le montant auprès de l'employeur, la société [7], elle-même pouvant se retourner contre la société [8],

- condamne la société [7] à payer à M. [J] une somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne la société [8] à garantir la société [7] de l'intégralité des condamnations mises à sa charge,

- déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- reserve les dépens.

Le jugement a été notifié le 26 avril 2022 à la SAS [10], qui en a relevé appel par déclaration reçue au greffe de la cour le 23 mai 2022.

Les parties ont été convoquées à l'audience de la cour du 29 avril 2024, à laquelle elles ont été représentées par leurs conseils.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par ses dernières écritures notifiées le 29 avril 2024, soutenues oralement à l'audience, la SAS [8] Clermont-Ferrand présente les demandes suivantes à la cour:

* à titre principal, réformer la décision et statuant à nouveau:

- rejeter la demande de reconnaissance de faute inexcusable,

- débouter les parties de l'ensemble de leurs demandes à son encontre,

* à titre subsidiaire, en cas de confirmation de la décision reconnaissant la faute inexcusable :

- confirmer la décision en ce que, dans les rapports entre la CPAM et la société [7], et dans les rapports de cette dernière avec la société [8], la rente sera majorée sur la base du seul taux de 18 %,

- juger que l'expertise éventuellement ordonnée devra l'être aux frais avancés de la CPAM et sera limitée à l'évaluation des seuls préjudices susceptibles d'être indemnisés au titre de la faute inexcusable, tels qu'énumérés à l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale et tels que non pris en charge au livre IV du code,

- réduire à une somme ne dépassant pas 5.000 euros le montant alloué au titre de la provision et dire qu'elle sera aux frais avancés de la CPAM, et réduire le montant alloué au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeter l'intégralité des demandes de la société [7] à son encontre et, très subsidiairement, juger que la société [7] sera relevée et garantie par elle du seul capital représentatif de la majoration de la rente, majoration calculée sur le taux de 18 %.

Par ses dernières écritures notifiées le 29 avril 2024, soutenues oralement à l'audience, M. [G] [J] présente les demandes suivantes à la cour:

- confirmer le jugement, sauf en ce qui concerne le montant de la provision allouée, et en fixer le montant à 10.000 euros,

- y ajouter en jugeant que l'expert devra évaluer le déficit fonctionnel permanent,

- condamner la société [8] à lui verser la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ses dernières écritures notifiées le 29 avril 2024, soutenues oralement à l'audience, la CPAM du Puy-de-Dôme présente les demandes suivantes à la cour:

- prendre acte qu'elle s'en remet à droit au fond et sur les quantum,

- condamner l'employeur à régler le montant des préjudices extra-patrimoniaux,

- dire que conformément aux dispositions de l'article L 452-3 3ème alinéa, elle procédera à leur avance, sur demande, et en récupérera leur montant auprès de l'employeur.

Par ses dernières écritures notifiées le 29 avril 2024, soutenues oralement à l'audience, la SAS [7] présente les demandes suivantes à la cour:

* à titre principal, infirmer le jugement en ce qu'il a reconnu l'existence d'une faute inexcusable, le confirmer pour le surplus, et juger qu'aucune faute inexcusable ne peut lui être imputée,

* à titre subsidiaire, dans l'hypothèse de la reconnaissance de la faute inexcusable:

- juger qu'elle n'a commis aucune faute dans la survenance de l'accident du travail,

- juger qu'elle a respecté les obligations qui lui incombaient,

- juger que la faute inexcusable éventuelle relève de la seule responsabilité de l'entreprise utilisatrice, la société [8], substituée dans la direction des salariés en application de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale,

- condamner la société [8], en application des articles L.452-1 et L.412-6 du code de la sécurité sociale, à la garantir de toutes les condamnations qui seront prononcées au titre de l'éventuelle faute inexcusable (majoration de rente et préjudices extra patrimoniaux), tant en principal qu'en intérêts et frais,

- condamner la société [8], en application des articles L.241-5-1 et R.242-6-1 du code de la sécurité sociale, à prendre en charge sur son compte employeur la totalité de la rente attribuée sur la base du taux d'incapacité permanente partielle de 18 % à M. [J] des suites de son accident du travail du 18 janvier 2018,

- juger le cas échéant que, à l'égard de l'employeur, la majoration de la rente pouvant être récupérée par la CPAM, devra être calculée dans la limite du taux d'incapacité permanente de 18 % qui lui est opposable,

- juger qu'elle s'en remet à la sagesse de la cour concernant l'organisation d'une expertise médicale judiciaire dans la limite des préjudices indemnisables au titre de la faute inexcusable,

- juger qu'elle ne fera pas l'avance des frais d'expertise,

- débouter les autres parties de toute demande de condamnation qui pourrait être formulée à son encontre au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de toute autre demande formulée à son encontre, et subsidiairement condamner la société [8] à la garantir des sommes qu'elle serait éventuellement condamnée à payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- déclarer l'arrêt commun à la CPAM.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions susvisées des parties, soutenues oralement à l'audience, pour l'exposé de leurs moyens.

MOTIFS

Sur la faute inexcusable

L'article L.452-1 du code de la sécurité sociale dispose que, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitué dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait conscience, ou aurait dû avoir conscience, du danger auquel était soumis le travailleur, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

L'obligation légale de sécurité et de protection de la santé pesant sur l'employeur lui impose, conformément à l'article L.4121-1 du code du travail, de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ces mesures comprenant notamment des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation, et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'article L.4121-2 du code du travail précise que l'employeur doit mettre en oeuvre les mesures en question sur le fondement des principes généraux de prévention suivants:

1° éviter les risques;

2° évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités;

3° combattre les risques à la source;

4° adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé;

5° tenir compte de l'état d'évolution de la technique;

6° remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux;

7° planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1;

8° prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle;

9° donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait ou non été la cause déterminante de l'accident subi par le salarié. Il suffit qu'elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur puisse être engagée, alors même que d'autres fautes, en ce compris la faute de la victime, auraient concouru au dommage.

Sauf hypothèses particulières dont ne relève pas le cas d'espèce, il appartient au salarié agissant en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur de prouver que ce dernier, qui devait avoir conscience du danger auquel il était exposé, n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

En l'espèce, pour reconnaître la faute inexcusable de l'employeur, le tribunal a conclu que la faute inexcusable était caractérisée par le fait que l'employeur aurait dû avoir conscience d'un risque pour les salariés au regard de l'ancienneté de la machine, de sa non-conformité aux normes et ce qu'elle avait été modifiée dans ses équipements de sécurité et était dénuée de protection, et de l'existence de modes opératoires différents et inadaptés au cours de l'utilisation de la machine, concernant l'utilisation par certains salariés d'une clé plate à oeil comme outil de débourrage, alors qu'un autre outil était à disposition.

Concernant la majoration de la rente, le tribunal a retenu qu'elle devait être fixée au regard du taux d'IPP initialement fixé à 18%, le taux ensuite fixé à 25% par la CRA étant inopposable à l'employeur.

Concernant les préjudices subis, le tribunal a jugé que M. [J] était en droit d'en demander la réparation intégrale, a indiqué que l'entreprise utilisatrice était tenue de garantir l'entreprise de travail temporaire de l'intégralité des sommes indemnisant les préjudices, dont la majoration de la rente et en l'absence de manquement de la société [7] a mis intégralement le coût de l'accident à la charge de la société [8], s'agissant du seul capital représentatif de la rente accident du travail.

A l'appui de sa contestation du jugement, la société [8] avance les arguments suivants:

- il n'est pas démontré que le risque entraîné par l'utilisation d'une clé pour débourrer la machine avait été décelé par elle ou aurait dû décelé, en ce qu'elle n'avait jamais connu d'accident de ce type,

- contrairement à ce qui a été retenu, un mode opératoire était prévu pour l'utilisation de la machine, qui ne prévoyait le risque survenu, qui n'était pas prévisible,

- la non-conformité de la machine a été écartée par l'APAVE ;

- pour ces motifs elle a été relaxée par le tribunal correctionnel devant qui les mêmes faits lui étaient reprochés.

A l'appui de sa demande de confirmation du jugement sur la reconnaissance de la faute inexcusable, M. [J] avance les arguments suivants :

- la machine avait été livrée sans certificat ou déclaration de conformité ;

- il a utilisé une clé plate pour débourrer la machine conformément aux instructions qui lui on été données lors de son arrivée sur le poste de travail par le salarié chargé de le former, qui l'utilisait lui-même comme tous ses collègues de travail,

- différentes pratiques étaient mises en 'uvre pour cette opération, sans harmonisation de l'entreprise,

- l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires.

A l'appui de sa demande d'infirmation du jugement en ce qu'il a reconnu l'existence d'une faute inexcusable et de confirmation en ce qu'il a condamné la société [8] à la garantir de la condamnation, la société [7] avance les arguments suivants:

- elle s'en remet pour l'essentiel à l'argumentation de la société [8] sur l'absence de démonstration d'une faute inexcusable commise par cette dernière,

- elle constate qu'aucune faute inexcusable distincte ne lui est imputée,

- le tribunal n'a pas indiqué dans son dispositif la mention de ses motifs par laquelle il a mis intégralement à la charge de la société [8] le coût de l'accident.

La CPAM s'en remet à droit sur la question de la faute inexcusable.

SUR CE

L'article 4-1 du code de procédure pénale dispose que l'absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l'article 121-3 du code pénal ne fait pas obstacle à l'exercice d'une action devant les juridictions civiles afin d'obtenir la réparation d'un dommage sur le fondement de l'article 1241 du code civil si l'existence de la faute civile prévue par cet article est établie ou en application de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale si l'existence de la faute inexcusable prévue par cet article est établie.

En l'occurrence, pour dire la faute inexcusable établie, le jugement critiqué a retenu que l'employeur aurait dû avoir conscience d'un risque pour les salariés au regard de l'ancienneté de la machine, de sa non-conformité aux normes et de ce qu'elle avait été modifiée dans ses équipements de sécurité et était dénuée de protection, et de l'existence de modes opératoires différents et inadaptés au cours de l'utilisation de la machine, concernant l'utilisation par certains salariés d'une clé plate à oeil comme outil de débourrage, alors qu'un autre outil était à disposition.

Il n'est pas contesté par ailleurs que la société [8] en la personne de son représentant légal a été poursuivie devant le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand pour avoir «étant responsable au titre de la personne morale des conditions de travail en matière de sécurité des opérateurs, laissé permettre l'utilisation d'un outil non adapté à une action de travail, omis de définir un mode opératoire à l'utilisation d'une machine-outil, et de n'avoir pas fait vérifier par un organisme accrédité la conformité de ladite machine après modification de celle-ci, et involontairement causé à M.[J] une atteinte à l'intégrité de sa personne entraînant une incapacité de travail n'excédant pas trois mois, en l'espèce 60 jours ».

Il n'est pas contesté que, par jugement devenu définitif du 28 octobre 2020, le tribunal correctionnel a renvoyé la société [10] des fins de la poursuite.

Malgré l'absence totale de motivation de cette décision, il se déduit nécessairement de la relaxe prononcée que le juge correctionnel a écarté tous les manquements aux règles de sécurité qualifiés par les termes de la poursuite, seul un tel motif pouvant constituer le support nécessaire de la décision de relaxe.

La cour constate que les manquements visés par l'acte de poursuite pénale, tels que rappelés ci-dessus, recouvrent exactement les éléments retenus comme constitutifs de la faute inexcusable par le pôle social du tribunal, aucun autre élément n'étant avancé à ce titre.

Or, si l'article 4-1 susvisé permet au juge civil, en l'absence de faute pénale non intentionnelle, de retenir une faute inexcusable en application de l'article L.452-1, l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil reste attachée à ce qui a été définitivement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification, ainsi que sur la culpabilité ou l'innocence de celui à qui le fait est imputé.

En conséquence, il s'en déduit, comme le soutiennent en substance la société [8] et la société [7], qui se joint à ses arguments et à qui n'est imputée aucune faute spécifique distincte des faits reprochés à la première, que la relaxe définitive de la société [8] pour les faits invoqués comme constitutifs de la faute inexcusable au sens de l'article L.452-1, de par l'effet de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, exclut la reconnaissance d'une telle faute par le juge civil (Civ.2e, 1er décembre 2022, n°21-10.773).

En conséquence, la faute inexcusable ne pouvant être retenue, le jugement sera infirmé en ce sens, et les demandes de reconnaissance de la faute inexcusable et des décisions afférentes seront rejetées.

Sur les dépens

En application de l'article 696 du code de procédure civile, le tribunal a réservé les dépens. Le jugement étant infirmé sur le fond, sera infirmé sur ce point. M.[G] [J], partie perdante en appel, supportera les dépens de première instance et d'appel.

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile

L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer:

1° à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens;

2° et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.

Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

Le jugement étant infirmé sur le fond, sera infirmé en ce qu'il a condamné la société [7] à payer une somme à M.[J] sur le fondement de ce texte.

M.[J], partie perdante, sera débouté de sa demande présentée sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

- Déclare recevable l'appel relevé par la SAS [10] devenue [8] Clermont-Ferrand à l'encontre du jugement n°21-152 prononcé le 21 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand,

- Infirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau:

- Déboute M.[G] [J] de sa demande de reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur et du surplus de ses demandes,

Y ajoutant :

- Condamne M.[G] [J] aux dépens de première instance et d'appel,

- Déboute M.[G] [J] de ses demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Ainsi jugé et prononcé le 09 juillet 2024 à Riom.

Le greffier, Le président,

V. SOUILLAT C. VIVET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Riom
Formation : Chambre pôle social
Numéro d'arrêt : 22/01089
Date de la décision : 09/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-09;22.01089 ?
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