COUR D'APPEL
DE RIOM
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
Du 2 juillet 2024
N° RG 22/01519 - N° Portalis DBVU-V-B7G-F3I3
-PV- Arrêt n° 301
[K] [S], [A] [R] épouse [S], [J] [Y]-[C], [U] [P] épouse [Y]-[C], Syndicat de la copropriete [Adresse 7] / [D] [H], [T] [W] épouse [H]
Jugement au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CLERMONT-FERRAND, décision attaquée en date du 04 Juillet 2022, enregistrée sous le n° 21/01647
Arrêt rendu le MARDI DEUX JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
M. Philippe VALLEIX, Président
M. Daniel ACQUARONE, Conseiller
Mme Laurence BEDOS, Conseiller
En présence de :
Mme Céline DHOME, greffier, lors de l'appel des causes et Mme Marlène BERTHET, greffier, lors du prononcé
ENTRE :
M. [K] [S]
et Mme [A] [R] épouse [S]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
et
M. [J] [Y]-[C]
et Mme [U] [P] épouse [Y]-[C]
[Adresse 4]
[Adresse 7]
et
Syndicat de la copropriete [Adresse 7]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
Tous Représentés par Maître Arthur MARTEL, avocat au barreau de CUSSET/ VICHY
Timbre fiscal acquitté
APPELANTS
ET :
M. [D] [H]
et Mme [T] [W] épouse [H]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
Représentés par Maître Inna SHVEDA, avocat au barreau de CLERMONT- FERRAND
Timbre fiscal acquitté
INTIMES
DÉBATS : A l'audience publique du 18 mars 2024
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 2 juillet après prorogé du délibéré initialement prévu le 21 mai 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par M. VALLEIX, président et par Mme BERTHET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte authentique conclu le 25 mars 1986, M. [K] [S], Mme [A] [R] épouse [S] ainsi que M. [J] [Y]-[C] et Mme [U] [P] épouse [Y]-[C] ont acquis un ensemble immobilier dénommé [Adresse 7], cadastré section [Cadastre 1] et situé au lieu-dit [Localité 6] sur le territoire de la commune de [Localité 9], d'une superficie de 2 ha 36 a 50 ca. Par acte authentique du 1er septembre 1989, ils ont également acquis une parcelle attenante cadastrée section [Cadastre 3], d'une superficie de 33 a 31 ca. Un acte de partage et un état descriptif de division avec règlement de copropriété ont été dressés par un acte notarié du 5 avril 2003. Par acte notarié du 5 avril 2003, les propriétaires de cet ensemble immobilier ont constitué entre eux une copropriété.
Par acte authentique du 21 décembre 2016, Mme [T] [W] a acquis un ensemble immobilier bâti et non bâti situé au lieudit [Localité 6], cadastré section [Cadastre 10], propriété bâtie et non bâtie pour 3 ha 56 a 38 ca, et section [Cadastre 2], en nature de taillis pour 10 a 20 ca. Cet ensemble immobilier est voisin du domaine consécutif du [Adresse 7]. Son acte d'acquisition prévoit que la parcelle [Cadastre 10] est grevée d'une servitude de passage pour les propriétaires du [Adresse 7] ainsi que les membres de leurs familles, en référence à un acte du 3 décembre 1912. Après l'installation par Mme [W] d'un portail à l'entrée de sa propriété, une médiation relative à l'exercice du droit de passage était tentée avec ses voisins le 1er juin 2018 mais ne pouvait aboutir.
Par acte d'huissier de justice du 3 juillet 2018, les époux [S], les époux [Y]-[C] et le SYNDICAT DE COPROPRIETE [Adresse 7] ont fait délivrer assignation à Mme [W] devant le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand au visa des articles 701 et suivant, et 1240 du Code civil afin, notamment qu'elle leur remette les clés permettant l'ouverture du portail installé.
Par décision du 9 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a notamment condamné Mme [W] à enlever tout obstacle physique ou matériel (visant notamment les divagations de chiens) pouvant entraver l'usage du droit de passage sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 10], dans un délai de deux mois à compter de la signification de la décision, sous peine d'une astreinte de 50,00 € par jour de retard à l'expiration de ce délai. Elle l'a également condamnée à rétablir la praticabilité du droit de passage en remblayant les ornières et excavations afin de permettre un usage du droit de passage sur cette même parcelle, dans un délai de deux mois à compter de la signification de la décision, à peine d'astreinte de 50,00 € par jour de retard à l'expiration de ce délai. Cette décision a par ailleurs constaté l'engagement du SYNDICAT DE COPROPRIETE [Adresse 7] à informer Mme [W] 72 heures à l'avance du passage de camions de prestataires qui viendraient pour déposer ou enlever du matériel ou des marchandises dans le cadre des manifestations organisées dans l'enceinte du château, lesquels pourront emprunter le droit de passage sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 10], hormis les cas d'urgence, d'incendie ou de nécessité de travaux conservatoires à entreprendre sur le château en cas d'évènements météorologiques impliquant des mesures de sauvegarde. Elle a enfin prévu que Mme [W] ne pourrait s'opposer au passage sur cette parcelle à l'égard de toute personne se rendant au château à l'exception des visiteurs occasionnels pendant la période d'ouverture du château au public déclarée à la préfecture du [Localité 8] et des personnes se rendant à des manifestations ponctuelles organisées par les occupants du château (mariages, fêtes des jardins, concerts musicaux). Cette décision est devenue définitive le 9 décembre 2020.
Par assignation au fond du 3 mai 2021, M. [K] [S], Mme [A] [R] épouse [S], M. [J] [Y]-[C], Mme [U] [P] épouse [Y]-[C] et le SYNDICAT DE COPROPRIETE [Adresse 7] ont attrait Mme [T] [W] et M. [D] [H] devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand qui, suivant un jugement n° RG-21/01647 du 4 juillet 2022, a :
- condamné in solidum Mme [W] et M. [H] à régler aux époux [S] la somme de 10.000,00 € et aux époux [Y]-[C] la somme de 10.000,00 € en raison de troubles anormaux du voisinage ;
- condamné in solidum les époux [S] et les époux [Y]-[C] à régler à Mme [W] la somme de 1.000,00 € et à M. [H] la somme de 1.000,00 € en raison de troubles anormaux du voisinage ;
- condamné les époux [S] et les époux [Y]-[C] à enlever tout obstacle physique ou matériel (notamment un cadenas) pouvant entraver l'usage du droit de passage sur la parcelle cadastrée section ZX numéro [Cadastre 3] pour accéder à la parcelle [Cadastre 2], dans un délai de deux mois à compter de la signification de la décision, à peine d'astreinte de 50,00 € par jour de retard à l'expiration de ce délai ;
- débouté les époux [S], les époux [Y]-[C] et le SYNDICAT DE COPROPRIETE [Adresse 7] du surplus de leurs demandes ;
- débouté Mme [W] et M. [H] de leurs autres demandes formées à reconventionnel ;
- condamné in solidum les époux [W]-[H] à payer aux époux [S] et aux époux [Y]-[C] une indemnité de 2.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté les cosorts [W]-[H] de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné les consorts [W]-[H] aux dépens qui seront recouvrés dans les conditions prévues à l'article 699 du code de procédure civile ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- rappelé que la décision est de droit assortie de l'exécution provisoire.
Par déclaration formalisée par le RPVA le 19 juillet 2022, le conseil des époux [S], des époux [Y]-[C] et du SYNDICAT DE COPROPRIETE [Adresse 7], représenté par son syndic en exercice M. [J] [Y]-[C], a interjeté appel du jugement susmentionné, l'appel portant partiellement sur cette décision de justice en ce qu'elle a :
- condamné les époux [S] et les époux [Y]-[C] à enlever tout obstacle physique ou matériel (notamment un cadenas) pouvant entraver l'usage du droit de passage sur la parcelle cadastrée section ZX numéro [Cadastre 3] pour accéder à la parcelle ZX numéro [Cadastre 2], dans un délai de deux mois à compter de la signification de la décision, à peine d'astreinte de 50,00 € par jour de retard à l'expiration de ce délai ;
- condamné in solidum les époux [S] et les époux [Y]-[C] à régler à Mme [W] la somme de 1.000,00 € et à M. [H] la somme de 1.000,00 € en raison de troubles anormaux du voisinage.
' Par dernières conclusions d'appelant notifiées par le RPVA le 26 janvier 2024, M. [K] [S], Mme [A] [R] épouse [S], M. [J] [Y]-[C], Mme [U] [P] épouse [Y]-[C] et le SYNDICAT DE COPROPRIETE [Adresse 7], représenté par son syndic M. [J] [Y]-[C], ont demandé de :
- confirmer le jugement du 4 juillet 2022 du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand en ce qu'il a condamné in solidum les époux [W]-[H] à régler aux époux [S] la somme de 10.000,00 € et aux époux [Y]-[C] la somme de 10.000,00 € en réparation de troubles anormaux de voisinage ;
- confirmer ce jugement en ce qu'il a condamné in solidum Mme [W] et M. [H] à payer une indemnité de 2.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens ;
- confirmer ce jugement en ce qu'il a débouté Mme [W] et M. [H] de leurs demandes reconventionnelles ;
- infirmer ce jugement en ce qu'il a condamné les époux [S] et les époux [Y]-[C] à enlever tout obstacle physique ou matériel pouvant entraver l'usage du droit de passage sur la parcelle [Cadastre 3] pour accéder à la parcelle [Cadastre 2] dans un délai de deux mois à compter de la signification de la décision et sous astreinte de 50,00 € par jour de retard à l'expiration de ce délai ;
- juger que Mme [W], propriétaire de la parcelle [Cadastre 2], ne justifie pas d'une servitude conventionnelle de passage ni d'un état d'enclavement donnant lieu à une servitude légale sur les parcelles [Cadastre 1] et [Cadastre 3] ;
- infirmer ce jugement en ce qu'il condamne in solidum les époux [S] et les époux [Y]-[C] à régler à Mme [W] la somme de 1.000,00 € et à M. [H] la somme de 1.000,00 € en réparation de troubles anormaux trouble de voisinage ;
- rejeter toutes les demandes des époux [W]-[H], notamment leurs demandes de condamnation des appelants à la somme de 30.000,00 € à titre de dommages-intérêts en allégation de préjudice lié à l'aggravation de la servitude et des atteintes portées à leur propriété, ainsi qu'à la somme de 10.000,00 € à titre de préjudice moral en raison de troubles anormaux de voisinage, outre à la somme de 5.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et atteinte à l'intimité de leur vie privée, et aux frais de l'article 700 et des dépens ;
- condamner in solidum les époux [W]-[H] à leur payer une indemnité de 4.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
' Par dernières conclusions d'intimé et d'appel incident ayant été notifiées par le RPVA le 21 février 2024, Mme [T] [W] épouse [H] et M. [D] [H] ont demandé de :
- au visa des dispositions des articles 651, 701, 702 et 1240 du Code civil et de la théorie des troubles anormaux de voisinage ;
- déclarer leur appel incident recevable et bien fondé ;
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné les époux [S] et les époux [Y]-[C] in solidum à procéder à la suppression du cadenas et plus généralement, de tout obstacle à la servitude s'exerçant sur la parcelle [Cadastre 3] permettant l'accès à la parcelle [Cadastre 2], sous astreinte de 50,00 € de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;
- infirmer le jugement querellé en ce qu'il a condamné in solidum Mme [W] et M. [H] au paiement de la somme de 10.000,00 € aux époux [Y]-[C] et de la somme de 10.000,00 € aux époux [S] ;
- infirmer le jugement querellé en ce qu'il a condamné les mêmes au paiement d'une indemnité de 2.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;
- infirmer le jugement querellé en ce qu'il a condamné les époux [Y]-[C] et les époux [S] à payer la somme de 1.000,00 € à Mme [W] et celle de 1.000,00 € à M. [H] ;
- condamner in solidum les époux [Y]-[C] et les époux [S] ainsi que le SYNDICAT DE COPROPRIETE [Adresse 7] à payer à Mme [W] la somme de 30.000,00 € à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice lié à l'aggravation de la servitude et des atteintes régulières portées à sa propriété et au titre de son préjudice moral en raison de troubles anormaux de voisinage ;
- condamner les mêmes, in solidum, à payer aux époux [H]-[W] la somme de 10.000,00 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral en raison de troubles anormaux de voisinage ;
- débouter le SYNDICAT DE COPROPRIETE [Adresse 7], les époux [S] et les époux [Y]-[C] de l'intégralité de leurs demandes ;
- constater les désagréments causés aux époux [H]-[W] et l'entrave à leur propriété privée par de nombreux passages dans le cadre de l'activité commerciale des propriétaires de château ;
- condamner les époux [S] et les époux [Y]-[C] in solidum à supprimer la cause de l'aggravation de la servitude [Cadastre 10] en les condamnant à cesser toute activité de location de gite, sous astreinte de 100,00 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;
- condamner le SYNDICAT DE COPROPRIETE [Adresse 7], les époux [S] et les époux [Y]-[C] in solidum à rétablir le droit de passage pour les époux [H]-[W] à la parcelle [Cadastre 2] ;
- juger que Mme [W], propriétaire de la parcelle [Cadastre 2] justifie d'une servitude conventionnelle de passage et d'un état d'enclavement donnant lieu à une servitude légale sur les parcelles [Cadastre 1] et [Cadastre 3] et débouter les appelants de leur demande à ce titre ;
- condamner les époux [S] et les époux [Y]-[C] in solidum au paiement de la somme de 5.000,00 € à titre des dommages-intérêts pour procédure abusive et injustifiée ;
- condamner les époux [S] et les époux [Y]-[C] in solidum au paiement de la somme de 5.000,00 € à titre des dommages-intérêts pour atteinte à la vie privée ;
- condamner le SYNDICAT DE COPROPRIETE [Adresse 7], les époux [S] et les époux [Y]-[C] in solidum à payer à Mme [W] et M. [H] une indemnité de 3.500,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de l'instance.
Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, les moyens développés par la partie appelante à l'appui de ses prétentions sont directement énoncés dans la partie MOTIFS DE LA DÉCISION.
Par ordonnance rendue le 29 février 2024, le Conseiller de la mise en état a ordonné la clôture de cette procédure. Lors de l'audience civile collégiale du 18 mars 2024 à 14h00, au cours de laquelle cette affaire a été évoquée, chacun des conseils des parties a réitéré et développé ses moyens et prétentions précédemment énoncés. La décision suivante a été mise en délibéré au 21 mai 2024, par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur le droit de passage revendiqué par les époux [H]
Le jugement de première instance a condamné sous astreinte les époux [S] et les époux [Y]-[C] à supprimer toutes entraves physiques et matérielles (notamment un cadenas) sur leur parcelle [Cadastre 3], attenante à leur parcelle [Cadastre 1] construite de leur château, afin de permettre l'accès à la parcelle [Cadastre 2] en nature de taillis appartenant aux époux [H], cette parcelle d'une contenance de 10 a 20 ca étant attenante à la parcelle bâtie [Cadastre 10] de ces derniers.
Le titre de propriété du 21 décembre 2016 de Mme [W] énonce la formulation suivante à propos de la parcelle [Cadastre 2] : « Il existe un droit de passage exclusif et purement personnel pour accéder à cette parcelle sur les propriétés cadastrées section [Cadastre 3] appartenant à Monsieur et Madame [S] [R] et Monsieur [Y] et Madame [P] et section [Cadastre 1] appartenant à Monsieur et Madame [S] [R] et Monsieur [Y] et Madame [P] » (page 4).
En l'occurrence, il importe peu de déterminer l'historique de la constitution de cette servitude de passage dès lors qu'elle figure de manière suffisamment claire et explicite dans l'acte d'acquisition du 21 décembre 2016 et que la formulation notariale qui précède ne nécessite aucune interprétation particulière en lecture croisée avec de quelconques autres actes authentiques de cession ayant précédé cette vente. Il est donc sans objet de verser aux débats l'acte notarié du 3 décembre 1912 auquel les appelants font référence quant à l'historique de cette constitution de servitude, à supposer par ailleurs que cet acte de 1912 ait existé. Les appelants affirment à ce sujet que cet acte notarié de 1912 n'a jamais existé. Cette question apparaît en tout état de cause sans objet en lecture de l'acte authentique d'acquisition du 21 décembre 2016 qui énonce de manière suffisamment claire et explicite l'exacte teneur de la constitution de cette servitude conventionnelle de passage.
Pour le même motif, il est sans objet de rechercher si tous les actes de cession qui précèdent sur cette même parcelle contiennent cette mention de constitution de servitude personnelle de passage. À supposer qu'il n'existe aucune création de servitude conventionnelle de passage en lecture de ces précédents actes, il y a tout simplement lieu de considérer que l'acte d'acquisition du 21 décembre 2016 concourt à la reconnaissance de la constitution de cette servitude conventionnelle de passage, sous réserve toutefois que cette constitution de servitude soit elle-même stipulée dans des termes tout aussi suffisamment clairs et explicites dans le titre de propriété des parties appelantes et propriétaires du fonds servant.
Or, en cette occurrence, force est de constater en lecture des titres de propriété des époux [S] et des époux [Y]-[C] que ni l'acte d'acquisition du 25 mars 1986 portant sur la parcelle [Cadastre 1] bâtie du [Adresse 7] et ses dépendances, ni l'acte d'acquisition du 1er septembre 1989 portant sur la parcelle [Cadastre 3] non bâtie ne font mention d'une telle constitution de servitude de passage. L'acte d'acquisition du 25 mars 1986 ne fait mention que de la servitude de passage aménagée au profit du fonds [Cadastre 1] sur le fonds [Cadastre 10] pour accéder au [Adresse 7] et l'acte d'acquisition du 1er septembre 1989 énonce certes l'existence de servitudes mais dans des termes beaucoup trop vagues pour en tirer une quelconque opérabilité (« La propriété vendue est grevée de diverses servitudes bien connues des acquéreurs eux-mêmes propriétaires mitoyens d'un ensemble immobilier bénéficiant desdites servitudes. »). La mention notariale figurant dans l'acte d'acquisition du 21 décembre 2016 de Mme [W] n'est en définitive aucunement corroborée par les actes d'acquisition et titres de propriété du 25 mars 1986 et du 1er septembre 1989 des époux [S] et des époux [Y]-[C].
Les époux [H] ne peuvent davantage justifier d'une situation d'enclave de leur parcelle [Cadastre 2] en application des dispositions de l'article 682 du Code civil, les parties appelantes faisant à juste titre observer à ce sujet que cette parcelle en nature de taillis demeure tout à fait accessible depuis un chemin forestier dénommé [Adresse 5] assurant sa liaison avec la voie publique la plus proche constituée par une route départementale.
Dans ces conditions, le jugement de première instance sera infirmé en sa décision de condamnation sous astreinte des époux [S] et des époux [Y]-[C] à enlever tout obstacle physique ou matériel, notamment le cadenas, susmentionné, destinés à empêcher le passage sur leurs parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 2] afin de rejoindre la parcelle [Cadastre 2] des époux [H]. Ce chef de décision ne peut en effet reposer sur aucune reconnaissance de servitude conventionnelle permettant de rejoindre ainsi la parcelle [Cadastre 2] ni sur une quelconque constatation d'enclave naturelle de cette parcelle.
Par voie de conséquence, il y a lieu de préciser que les parcelles susmentionnées cadastrées section [Cadastre 1] et [Cadastre 3] ne sont grevées d'aucune servitude de passage pour accéder à la parcelle susmentionnée section [Cadastre 2].
2/ Sur l'exercice du droit de passage des époux [S] et des époux [Y]-[C]
L'article 701 alinéa 1er du Code civil dispose que « Le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage ou à le rendre plus incommode. » tandis que l'article 702 du Code civil dispose que « De son côté, celui qui a un droit de servitude ne peut en user que suivant son titre, sans pouvoir faire ni dans les fonds qui doit la servitude, ni dans le fonds à qui elle est due, de changement qui aggrave la condition du premier. ».
Le titre de propriété du 21 décembre 2016 de Mme [W], portant sur sa propriété bâtie cadastrée [Cadastre 10] et sur sa parcelle de taillis cadastrée [Cadastre 2], stipule sur la parcelle bâtie cadastrée [Cadastre 10] la servitude conventionnelle de passage ci-après libellée : « Cette propriété est grevée d'un droit de passage exclusif et purement personnel au profit des propriétaires du château cadastré section [Cadastre 3] et [Cadastre 1] appartenant à Monsieur et Madame [S], Monsieur [Y] [C] et Madame [P] et aux membres de leurs familles (acte reçu par Maître [G] [F] du 03 décembre 2012). ».
Les époux [H] affirment que les époux [S] et les époux [Y]-[C] font un usage abusif de cette servitude de passage passant dans leur propriété. En l'occurrence, ils font à juste titre observer qu'il s'agit d'un droit de passage exclusivement personnel au profit des propriétaires du château. En effet, si les servitudes conventionnelles de passage n'imposent usuellement aucune restriction d'accès suivant les catégories d'utilisateurs, force est de constater que les termes « exclusif et purement personnel » figurant dans cette constitution conventionnelle de servitude excluent par définition et de manière stricte tout usage par des personnes tierces étrangères à la vie personnelle des propriétaires du fonds dominant. Cette servitude conventionnelle d'acception respective apparaît donc exclusive de l'utilisation commerciale que font les époux [S] et les époux [Y]-[C] de leur château dans le cadre d'activités de gîtes hôteliers, de location d'appartement ou d'événements culturels, touristiques, associatifs ou autres attirant indistinctement du public. Cette stipulation étant suffisamment claire et explicite dans son libellé, il n'apparaît pas nécessaire de procéder à la recherche et à l'examen de l'acte notarié du 3 décembre 1912 auquel il est fait référence.
Les époux [S] et les époux [Y]-[C] justifient d'ailleurs dans leurs pièces produites qu'ils sont en mesure d'organiser le stationnement des véhicules de leurs visiteurs commerciaux avec fléchage permettant d'amener ces derniers au château par une voie pédestre autre débouchant sur un portail d'accès à leur jardin. Ils précisent là qu'il s'agit d'un second accès qu'ils ont créé dans leur propriété. L'accès au château par la parcelle [Cadastre 10] appartenant à Mme [W] doit dès lors se pratiquer, afin de ne pas occasionner une situation excédant l'exercice normal de la servitude de passage et en alourdissant l'usage, par les seuls propriétaires du château et leurs familles proches ainsi que les servants indispensables à leur vie personnelle de type facteur, praticien de santé, livreur, exécutant de travaux d'entretien ou autre ou secours incendie. En lecture des propres conclusions des appelants, rien ne s'oppose d'ailleurs à ce que les visiteurs commerciaux pour motifs d'événements culturels, touristiques ou associatifs, les amis des deux familles propriétaires du château et l'ensemble de leurs locataires puissent accéder à la parcelle [Cadastre 3] en empruntant le [Adresse 5] leur permettant d'arriver directement dans la cour du château sans passer sur la propriété de Mme [W]. C'est ce que révèle un de leurs attestants leur rendant occasionnellement des visites amicales, ce dernier mentionnant que lors de manifestations ouvertes au public, il préfère ne pas gêner les voisins et garer son véhicule dans l'allée de [Adresse 7] afin d'accéder au château par une entrée piétonne.
Cet oubli ou cette négligence de la conception littéralement restrictive de cette servitude conventionnelle de passage en en élargissant l'usage à des catégories de personnes qui n'y étaient pas éligibles a donc indéniablement causé aux propriétaires du fonds servant un préjudice d'aggravation de cette servitude et de troubles anormaux de voisinage, ayant par ailleurs occasionné à plusieurs reprises des omissions de remise en place de la chaîne amovible tendue en travers de ce passage. Dans ces conditions, le jugement de première instance sera confirmé en ce qu'il a retenu l'existence de nuisances justifiant l'allocation aux époux [H] d'une indemnité de 1.000,00 € au profit de chacun d'entre eux.
3/ Sur les troubles de voisinage
Les époux [H] demandent l'infirmation du jugement de première instance en ce qu'il les a condamnés à payer au profit des époux [S] une indemnité de 10.000,00 € et des époux [Y]-[C] une indemnité de 10.000,00 € en réparation de troubles de voisinage, au visa des articles 1240 et 544 du Code civil.
Les époux [S] et les époux [Y]-[C] ont ainsi fait dresser le 9 avril 2021 un constat d'huissier de justice procédant à des captures d'écran de caméras installées sur la façade de leur château. Ce constat a permis de constater de nombreuses intrusions de véhicules dans la cour de leur château depuis la propriété des époux [H]. Ainsi que cela a été analysé en première instance, l'intervention de cet officier met en évidence qu'entre décembre 2020 et mars 2021, les époux [H] ou des membres de leur famille ont circulé, à de nombreuses reprises et parfois plusieurs fois au cours d'une même journée dans la cour du château sans aucune nécessité. Il n'est pas contestable que ce dispositif de vidéosurveillance s'appuie sur un arrêté préfectoral du 2 août 2019. De plus, le dépouillement de ces images dans le cadre d'un constat d'huissier de justice ne saurait enlever leur véracité en dépit du dépassement du délai de leur conservation.
Dans ces conditions, les voies de fait alléguées par les époux [S] et les époux [Y]-[C] apparaissent suffisamment caractérisées en lecture de ce constat d'huissier de justice du 9 avril 2021. En revanche, aucun nouveau constat d'huissier de justice n'a été établi concernant les voies de fait alléguées pour la période postérieure à mars 2021, étant par ailleurs observé que les photographies produites ne font l'objet d'aucune datation.
Le jugement de première instance sera en conséquence confirmé en ce qu'il a condamné les époux [H] à indemniser les époux [S] et les époux [Y]-[C] de ce préjudice d'atteinte à leur propriété privée du fait de troubles anormaux de voisinage, sauf à ramener dans un souci d'apaisement ces condamnations pécuniaires à la somme de 1.000,00 € au profit de chacun de ces couples.
Par voie de conséquence, les demandes additionnelles de dommages-intérêts formées par les époux [H] à hauteur de 10.000,00 € en allégation à la fois d'aggravation de servitude, d'atteintes portées à leur propriété, de préjudice moral et de troubles anormaux de voisinage seront rejetées.
4/ Sur les autres demandes
La demande des époux [H] tendant à condamner sous astreinte les époux [S] et les époux [Y]-[C] à cesser toute activité de location de gîte dans leur château est excessive, ceux-ci ne pouvant ainsi porter atteinte à la liberté d'entreprise et du commerce, d'autant que la présente décision donne lieu à un rappel de la teneur littéralement restrictive de la servitude litigieuse de passage et que les époux [S] et les époux [Y]-[C] affirment eux-mêmes pouvoir bénéficier d'un autre passage d'accès à leur château pour l'ensemble de leurs activités commerciales d'événements et de locations attirant du public.
Il ne résulte pas des débats que les époux [S] et les époux [Y]-[C] se soient opposés aux époux [H] et aient préféré un arbitrage judiciaire à leurs différends en étant mûs par des intentions de mauvaise foi. Les deux demandes de condamnations formées à hauteur de 5.000,00 € chacune par les époux [H] à titre de dommages-intérêts en allégation respectivement de procédure abusive et d'atteinte à la vie privée seront en conséquence rejetées.
Il ne paraît pas inéquitable, au sens des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu'elles ont été amenées à engager à l'occasion de cette instance, tant en première instance qu'en cause d'appel.
Enfin, chacune des parties succombant dans ses prétentions, les dépens de première instance et d'appels seront supportés par moitié respectivement par les parties appelantes et les parties intimées et appelantes incidentes.
LA COUR,
STATUANT PUBLIQUEMENT
ET CONTRADICTOIREMENT.
INFIRME le jugement n° RG-21/01647 rendu le 4 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand en ce qu'il a :
CONDAMNÉ M. [K] [S] et Mme [A] [R] épouse [S] ainsi que M. [J] [Y]-[C] et Mme [U] [P] épouse [Y]-[C] à enlever tout obstacle physique ou matériel (notamment un cadenas) pouvant entraver l'usage du droit de passage sur leurs parcelles susmentionnées cadastrées section [Cadastre 1] et [Cadastre 3] pour accéder à la parcelle susmentionnée cadastrée [Cadastre 2] de Mme [T] [W], dans un délai de deux mois à compter de la signification de la décision, à peine d'astreinte de 50,00 € par jour de retard à l'expiration de ce délai ;
CONDAMNÉ in solidum Mme [T] [W] et M. [D] [H] à payer au profit de M. [K] [S] et Mme [A] [R] épouse [S] ainsi que de M. [J] [Y]-[C] et Mme [U] [P] épouse [Y]-[C] une indemnité de 2.000,00 € au titre de l'article 700 du code procédure civile ;
CONDAMNÉ in solidum Mme [T] [W] et M. [D] [H] aux dépens de première instance.
CONFIRME ce même jugement en ce qu'il a :
- CONDAMNÉ in solidum M. [K] [S] et Mme [A] [R] épouse [S] ainsi que M. [J] [Y]-[C] et Mme [U] [P] épouse [Y]-[C] à payer au profit de Mme [T] [W] une indemnité de 1.000,00 € et au profit de M. [D] [H] une indemnité de 1.000,00 €, à titre de dommages-intérêts pour troubles anormaux de voisinage ;
- CONDAMNÉ in solidum Mme [T] [W] et M. [D] [H] à payer au profit de M. [K] [S] et Mme [A] [R] épouse [S] ainsi que M. [J] [Y]-[C] et Mme [U] [P] épouse [Y]-[C] des dommages-intérêts pour troubles de voisinage, sauf à ramener ces indemnités de la somme de 10.000,00 € à celle de 1.000,00 € au profit de M. [K] [S] et Mme [A] [R] épouse [S] et de la somme de 10.000,00 € à celle de 1.000,00 € au profit de M. [J] [Y]-[C] et Mme [U] [P] épouse [Y]-[C] ;
- DÉBOUTÉ Mme [T] [W] et M. [D] [H] de leur demande de défraiement formée au visa de l'article 700 du code de procédure civile ;
Y ajoutant.
JUGE que les parcelles susmentionnées cadastrées section [Cadastre 1] et [Cadastre 3] ne sont grevées d'aucune servitude de passage pour accéder à la parcelle susmentionnée section [Cadastre 2].
REJETTE le surplus des demandes des parties.
DIT que les entiers dépens de première instance et d'appel seront supportés par moitié, d'une part par M. [K] [S] et Mme [A] [R] épouse [S] ainsi que M. [J] [Y]-[C] et Mme [U] [P] épouse [Y]-[C] et d'autre part par Mme [T] [W] et M. [D] [H].
Le greffier Le président