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25/06/2024 | FRANCE | N°22/01932

France | France, Cour d'appel de Riom, 1ère chambre, 25 juin 2024, 22/01932


COUR D'APPEL

DE RIOM

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE







Du 25 juin 2024

N° RG 22/01932 - N° Portalis DBVU-V-B7G-F4OP

-DA- Arrêt n° 296



[O] [K] / [W] [V]



Jugement au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CUSSET, décision attaquée en date du [Cadastre 13] Septembre 2022, enregistrée sous le n° 21/00190



Arrêt rendu le MARDI VINGT CINQ JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE



COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

M. Philippe VALLEIX, Président >
M. Daniel ACQUARONE, Conseiller

Mme Laurence BEDOS, Conseiller



En présence de :

Mme Céline DHOME, greffier lors de l'appel des causes et du prononcé



ENTRE :
...

COUR D'APPEL

DE RIOM

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

Du 25 juin 2024

N° RG 22/01932 - N° Portalis DBVU-V-B7G-F4OP

-DA- Arrêt n° 296

[O] [K] / [W] [V]

Jugement au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CUSSET, décision attaquée en date du [Cadastre 13] Septembre 2022, enregistrée sous le n° 21/00190

Arrêt rendu le MARDI VINGT CINQ JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

M. Philippe VALLEIX, Président

M. Daniel ACQUARONE, Conseiller

Mme Laurence BEDOS, Conseiller

En présence de :

Mme Céline DHOME, greffier lors de l'appel des causes et du prononcé

ENTRE :

Mme [O] [K]

[Adresse 10]

[Localité 1]

Représentée par Maître Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT- FERRAND et par Maître Gilles-Jean PORTEJOIE de la SCP PORTEJOIE, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

Timbre fiscal acquitté

APPELANTE

ET :

M. [W] [V]

[Adresse 18]

[Adresse 18]

[Localité 15]

Représenté par Maître Emmanuelle PRESLE de la SELARL CAP AVOCATS, avocat au barreau de CUSSET/VICHY et par Maître Jean-Louis ROBERT de la SELARL SELARL ROBERT, avocat au barreau de ROANNE

Timbre fiscal acquitté

INTIME

DÉBATS : A l'audience publique du 06 mai 2024

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 25 juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par M. VALLEIX, président et par Mme DHOME, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

I. Procédure

Mme [O] [K] et M. [W] [V] ont vécu ensemble sous le régime du PACS du 10 novembre 2004 au 7 février 2017.

Après leur séparation Mme [K] et M. [V] sont entrés en conflit à propos de l'occupation d'un bien immobilier situé à [Localité 19] (Allier). Lors d'une première affaire qui s'est déroulée devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Roanne puis devant la cour d'appel, Mme [K] a été déboutée de sa demande de maintien dans les lieux. Lors d'une seconde affaire qui s'est déroulée devant le tribunal d'instance de Cusset à la demande de M. [V], Mme [K] a été déclarée occupante sans droit ni titre des biens situés à Loddes, cette décision étant confirmée par la cour d'appel de Lyon le [Cadastre 2] juin 2019.

Le 23 février 2021 Mme [K] a fait assigner M. [V] devant le tribunal judiciaire de Cusset, afin de voir juger qu'il avait renoncé au bénéfice de l'usufruit sur les biens immobiliers situés à Loddes, et qu'elle en détenait en conséquence la pleine propriété. C'est l'objet du litige actuellement soumis à la cour.

À l'issue des débats, par jugement du [Cadastre 13] septembre 2022, le tribunal judiciaire de Cusset a rendu la décision suivante :

« Le Tribunal, par décision contradictoire, et en premier ressort, prononcée par mise à disposition au greffe ;

DÉBOUTE Madame [O] [K] de sa demande principale de prononcé de renonciation de Monsieur [W] [V] à son droit d'usufruit sur les biens suivants :

- section anciennement AK nº [Cadastre 2], devenue AK [Cadastre 5] et AK [Cadastre 6] (jardin à côté de la maison), et AK [Cadastre 4] (maison de [Localité 19]) ;

- section AK [Cadastre 7] et [Cadastre 8] (terrains « pâture » attenants à la maison) ;

- section AK [Cadastre 9] (prairie en cours de remboursement par elle-même) ;

- section AK [Cadastre 13] (prairie) ;

- section AK [Cadastre 3] (prairie en cours de remboursement par elle-même) ;

- section AL nº [Cadastre 12] et [Cadastre 14] (parcelles de prairie « TROISOEUFS ») ;

- section AM nº [Cadastre 16] (prairie), [Cadastre 17] et [Cadastre 11] (bois) ;

- section AX [Cadastre 16], (appartement de [Localité 20]) ;

DÉBOUTE Madame [O] [K] de sa demande subsidiaire de prononcé de déchéance de l'usufruit de Monsieur [W] [V] sur les biens suivants :

- section anciennement AK nº [Cadastre 2], devenue AK [Cadastre 5] et AK [Cadastre 6] (jardin à côté de la maison), et AK [Cadastre 4] (maison de [Localité 19]) ;

- section AK [Cadastre 7] et [Cadastre 8] (terrains « pâture » attenants à la maison) ;

- section AK [Cadastre 9] (prairie en cours de remboursement par elle-même) ;

- section AK [Cadastre 13] (prairie) ;

- section AK [Cadastre 3] (prairie en cours de remboursement par elle-même) ;

- section AL nº [Cadastre 12] et [Cadastre 14] (parcelles de prairie « TROISOEUFS ») ;

- section AM nº [Cadastre 16] (prairie), [Cadastre 17] et [Cadastre 11] (bois) ;

- section AX [Cadastre 16], (appartement de [Localité 20]) ;

DÉBOUTE Madame [O] [K] de sa demande d'être jugée propriétaire des biens suivants :

- section anciennement AK nº [Cadastre 2], devenue AK [Cadastre 5] et AK [Cadastre 6] (jardin à côté de la maison), et AK [Cadastre 4] (maison de [Localité 19]) ;

- section AK [Cadastre 7] et [Cadastre 8] (terrains « pâture » attenants à la maison) ;

- section AK [Cadastre 9] (prairie en cours de remboursement par elle-même) ;

- section AK [Cadastre 13] (prairie) ;

- section AK [Cadastre 3] (prairie en cours de remboursement par elle-même) ;

- section AL nº [Cadastre 12] et [Cadastre 14] (parcelles de prairie « TROISOEUFS ») ;

- section AM nº [Cadastre 16] (prairie), [Cadastre 17] et [Cadastre 11] (bois) ;

- section AX [Cadastre 16], (appartement de [Localité 20]) ;

DÉBOUTE Madame [O] [K] de sa demande de condamnation de Monsieur [W] [V] à lui verser la somme de 41 536,71 euros ;

CONDAMNE Madame [O] [K] aux dépens ;

DÉBOUTE Madame [O] [K] de sa demande relative aux dépens ;

CONDAMNE Madame [O] [K] à payer à Monsieur [W] [V] la somme de cinq mille euros (5000,00 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE Madame [O] [K] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que le présent jugement est assorti de l'exécution provisoire en toutes ses dispositions. »

Dans les motifs de sa décision le tribunal judiciaire d'abord considéré que Mme [K] « échoue à établir la preuve de la renonciation claire et non équivoque de M. [W] [V] à son droit d'usufruit ». Il a ensuite estimé que la preuve de faits particulièrement graves imputables à M. [V] concernant la conservation de l'immeuble grevé d'usufruit n'était pas rapportée, moyennant quoi Mme [K] a été déboutée de sa demande consistant à voir juger qu'elle était devenue propriétaire des biens en cause.

***

Mme [O] [K] a fait appel de cette décision le 3 octobre 2022, précisant :

« Objet/Portée de l'appel : Le présent appel tend à obtenir la nullité, l'infirmation ou à tout le moins la réformation de la décision susvisée, dont les chefs du jugement sont expressément critiqués en ce qu'elle a : - débouté Mme [K] de sa demande principale de prononcé de renonciation de M. [V] à son droit d'usufruit sur les biens suivants sis commune de [Localité 19] : section anciennement AK nº [Cadastre 2] devenue AK [Cadastre 5], AK [Cadastre 6], AK [Cadastre 4], AK [Cadastre 7], AK [Cadastre 8], AK [Cadastre 9], AK [Cadastre 13], AK [Cadastre 3], AL nº [Cadastre 12] et [Cadastre 14], AM nº [Cadastre 16] [Cadastre 17] et [Cadastre 11], AX [Cadastre 16], - débouté Mme [K] de sa demande subsidiaire de prononcé de déchéance de l'usufruit de M. [V] sur les biens suivants sis commune de [Localité 19] : section anciennement AK nº [Cadastre 2] devenue AK [Cadastre 5] et AK [Cadastre 6], AK [Cadastre 4], AK [Cadastre 7], AK [Cadastre 8], AK [Cadastre 9], AK [Cadastre 13], AK [Cadastre 3], AL nº [Cadastre 12] et [Cadastre 14], AM nº [Cadastre 16] [Cadastre 17] et [Cadastre 11], AX [Cadastre 16], - débouté Mme [K] de sa demande d'être jugée propriétaire des biens suivants sis commune de [Localité 19] : section anciennement AK nº [Cadastre 2] devenue AK [Cadastre 5] et AK [Cadastre 6], AK [Cadastre 4], AK [Cadastre 7], AK [Cadastre 8], AK [Cadastre 9], AK [Cadastre 13], AK [Cadastre 3], AL nº [Cadastre 12] et [Cadastre 14], AM nº [Cadastre 16] [Cadastre 17] et [Cadastre 11], AX [Cadastre 16], - débouté Mme [K] de sa demande de condamnation de M. [V] à lui verser la somme de 41.536,71 € ; - condamné Mme [U] à payer 5.000 € au titre de l'article 700 du CPC et aux dépens. - rejeté la demande de Mme [K] au titre de l'article 700 du CPC et des dépens. L'appel porte également sur les demandes sur lesquelles il n'a pas été statué et plus généralement toutes dispositions faisant grief à l'appelante. L'appel est formé à l'appui de l'intégralité des pièces communiquées en première instance ainsi que sur les pièces qui pourraient être communiquées en cause d'appel (dont le bordereau sera ultérieurement complété et annexé avec les conclusions d'appelant art 906/908 du CPC). »

Dans ses conclusions ensuite du 22 décembre 2022 Mme [O] [K] demande à la cour de :

« Vu les articles 605 et 606 du Code civil,

Vu les articles 617 et 618 du Code civil,

Vu ce qui précède,

INFIRMER la décision querellée en toutes ses dispositions,

FAIRE DROIT à l'ensemble des demandes, fins et conclusions présentées par Madame [K], statuant de nouveau :

À TITRE PRINCIPAL :

DIRE ET JUGER que Monsieur [V] a laissé Madame [K], nue-propriétaire, s'installer dans les biens immobiliers litigieux sans lui réclamer le moindre loyer pendant plus de 17 ans, qu'il l'a laissée prendre à sa charge les frais d'entretien et la gestion desdits biens ;

En conséquence.

DIRE ET JUGER que Monsieur [V] a renoncé de manière non équivoque à l'usufruit sur les biens et droits immobiliers cadastrés sur la commune de [Localité 19] :

- Section anciennement AK nº [Cadastre 2], devenue AK [Cadastre 5] et AK [Cadastre 6] (jardin à côté de la maison), et AK [Cadastre 4] (maison de [Localité 19]),

- Section AK [Cadastre 7] et [Cadastre 8] (terrains « pâture » attenants à la maison),

- Section AK [Cadastre 9] (prairie en cours de remboursement par Madame [K]),

- Section AK [Cadastre 13] (prairie)

- Section AK [Cadastre 3] (prairie en cours de remboursement par Madame [K]),

- Section AL nº [Cadastre 12] et [Cadastre 14] (parcelles de prairie « TROISOEUFS »)

- Section AM nº [Cadastre 16] (prairie), [Cadastre 17] et [Cadastre 11] (bois) ;

- Section AX [Cadastre 16] (appartement de [Localité 20]).

Dès lors,

DIRE ET JUGER que Madame [K] détient la pleine propriété des biens immobiliers ;

À TITRE SUBSIDIAIRE :

DIRE ET JUGER que Monsieur [V] s'est désintéressé totalement de la gestion et de l'entretien des biens immeubles en laissant l'intégralité de cette charge à Madame [K], nue-propriétaire ;

DIRE ET JUGER que cette absence d'entretien est constitutive d'un abus de jouissance ;

En conséquence.

PRONONCER la déchéance de l'usufruit de Monsieur [V] sur les biens et droits immobiliers cadastrés sur la commune de [Localité 19] :

- Section anciennement AK nº [Cadastre 2], devenue AK [Cadastre 5] et AK [Cadastre 6] (jardin à côté de la maison), et AK [Cadastre 4] (maison de [Localité 19]),

- Section AK [Cadastre 7] et [Cadastre 8] (terrains « pâture » attenants à la maison),

- Section AK [Cadastre 9] (prairie en cours de remboursement par Madame [K]),

- Section AK [Cadastre 13] (prairie)

- Section AK [Cadastre 3] (prairie en cours de remboursement par Madame [K]),

- Section AL nº [Cadastre 12] et [Cadastre 14] (parcelles de prairie « TROISOEUFS »)

- Section AM nº [Cadastre 16] (prairie), [Cadastre 17] et [Cadastre 11] (bois) ;

- Section AX [Cadastre 16] (appartement de [Localité 20]).

DIRE ET JUGER que Madame [K] détient la pleine propriété des biens immobiliers ;

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :

CONSTATER l'ensemble des sommes avancées par Madame [K] pour l'entretien des biens immobiliers objets des présentes ;

CONDAMNER Monsieur [V] à restituer à Madame [K] la somme de

41.536,71 € avancée pour la gestion des biens immeubles objets des présentes en lieu et place de l'usufruitier ;

DÉBOUTER Monsieur [V] de ses demandes, fins et conclusions ;

CONDAMNER Monsieur [V] à payer et porter à Madame [K] la somme de 2.500,00 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER Monsieur [V] aux entiers dépens. »

***

Pour sa défense, dans des écritures du 6 janvier 2023, M. [W] [V] demande à la cour de :

« Vu les articles 605 et 606 du Code Civil,

Vu les articles 617 et 618 du Code Civil,

Vu les pièces versées aux débats,

Vu la jurisprudence citée,

Il est demandé à la Cour de :

CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de CUSSET le [Cadastre 13] septembre 2022 en toutes ses dispositions ;

DÉBOUTER Madame [K] de sa demande tendant à voir dire que Monsieur [V] a renoncé de manière non équivoque à l'usufruit sur les biens et droits immobiliers cadastrés sur la commune de [Localité 19] :

- Section anciennement AK nº [Cadastre 2] devenue AK [Cadastre 5] et AK [Cadastre 6] (jardin à côté de la maison), et AK12 (maison de [Localité 19])

Section AK [Cadastre 7] et [Cadastre 8] (terrains et « pâture » attenants à la maison)

- Section AK [Cadastre 9] (prairie)

Section AK [Cadastre 13] (prairie)

- Section AK [Cadastre 3] (prairie)

Section AL nº [Cadastre 12] et 191 (parcelles de prairie « TROISOEUFS »)

- Section AM nº [Cadastre 16] (prairie), [Cadastre 17] et [Cadastre 11] (bois)

Ainsi que sur le bien immobilier situé sur la Commune de [Localité 20] cadastré Section AX [Cadastre 16] (appartement de [Localité 20])

DÉBOUTER Madame [K] de sa demande de déchéance de l'usufruit de Monsieur [V] sur les biens et droits immobiliers situés sur les communes de [Localité 19] et [Localité 20],

DÉBOUTER Madame [K] de sa demande de condamnation à rembourser les dépenses faites par ses soins depuis 2002, lesquelles relèvent de la contribution naturelle aux charges du ménage,

CONDAMNER Madame [K] à payer à Monsieur [V] en cause d'appel, la somme de 6 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

CONDAMNER Madame [K] aux entiers dépens devant la Cour. »

***

La cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fait ici expressément référence au jugement entrepris ainsi qu'aux dernières conclusions déposées, étant précisé que le litige se présente céans de la même manière qu'en première instance.

Une ordonnance du 4 avril 2024 clôture la procédure.

II. Motifs

1. Sur la question de l'abandon de l'usufruit par M. [W] [V]

Il convient de rappeler ici les principes juridiques qui gouvernent la matière.

Selon l'article 617 du code civil l'usufruit s'éteint par la mort de l'usufruitier ; par l'expiration du temps pour lequel il a été accordé ; par la réunion sur la même tête des deux qualités d'usufruitier et de propriétaire ; par le non-usage pendant 30 ans ; par la perte totale de la chose sur laquelle l'usufruit est établi.

À ces conditions inscrites dans la loi la Cour de cassation a très tôt ajouté l'hypothèse d'une renonciation par l'usufruitier à son droit de jouissance, et elle a bâti au fil des années une jurisprudence permettant de définir les contours juridiques de cette situation particulière, d'où il résulte que la renonciation, qui ne nécessite aucune formalité, doit être non équivoque.

En relation avec la présente instance on peut notamment citer :

' 1re Civ., 21 décembre 1987, nº 86-[Cadastre 2].721 (Bulletin 1987 I nº 349) : le fait pour l'usufruitier de n'avoir rien réclamé jusqu'à la limite de la prescription (30 ans), ne lui enlève pas les droits qu'il tire de la constitution d'usufruit, la Cour de cassation approuve la juridiction du second degré qui a exclu que ce comportement puisse être constitutif d'une renonciation au bénéfice de l'usufruit, et rejette le pourvoi ;

' 3e Civ., 1er octobre 2003, nº 02-[Cadastre 4].152 : cassation de l'arrêt de la cour d'appel qui retient que les époux [H]' (usufruitiers) ont expressément autorisé leur fils [I] [Y]' (nu propriétaire) à édifier une maison sur le terrain dont ils étaient propriétaires ; qu'au moment de la donation de la nue-propriété intervenue postérieurement à cette autorisation, M. [J] [L] (usufruitier) n'ignorait pas que son fils habiterait l'immeuble que celui-ci faisait ériger ; qu'un accord tacite mais réel pour se partager l'habitation a existé pendant dix-huit ans entre les parties ; que M. [J] [Y]' établit supporter les dépenses liées à l'occupation de l'immeuble et qu'il en résulte que celui-ci a ainsi démontré la volonté non équivoque de renoncer, ne serait-ce que partiellement, à l'usufruit dont il se prévaut. L'arrêt de la cour d'appel est cassé en ces termes : « Qu'en statuant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser une renonciation de M. [J] [Y]', certaine et non équivoque à son usufruit sur la maison, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision » ;

' 3e Civ., 3 avril 2012, nº [Cadastre 2]-16.212 : d'importants travaux de rénovation engagés par le nu-propriétaire sur le bien, sans opposition de la part de l'usufruitier qui en avait connaissance, ne caractérisent pas une renonciation de celui-ci au bénéfice de son usufruit. La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel en ces termes : « Qu'en statuant ainsi, par des motifs se rapportant à des faits antérieurs aux actes de donation ou à de simples abstentions qui ne suffisent pas à caractériser une renonciation de Mme X', certaine et non équivoque à son usufruit sur le terrain et la maison, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision » ;

' 3e Civ., 6 mai 2021, nº 20-[Cadastre 9].888 : la cour d'appel retient que l'usufruitier a quitté volontairement et définitivement les lieux en 2003, n'a pas manifesté l'intention d'en reprendre possession, ni ne s'est opposé à leur aménagement partiel en gîte rural et n'a pas satisfait à son obligation d'entretien. Elle rejette en conséquence la demande de l'usufruitier aux fins de voir déclarer le nu-propriétaire occupant sans droit ni titre et fixer l'indemnité d'occupation. La Cour de cassation casse l'arrêt en ces termes : « En statuant ainsi, par des motifs qui ne caractérisent aucun acte de nature à manifester sans équivoque la volonté de Mme [C] de renoncer à son droit d'usufruit, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».

Pour démontrer l'abandon volontaire par M. [V] de son droit d'usufruit, Mme [K] soutient dans ses écritures (page 10) qu'il n'a pas participé à l'acquisition et au financement des biens immobiliers ; que depuis l'installation de Mme [K] dans la maison de [Localité 19], à laquelle il ne s'est pas opposé, il ne lui a jamais demandé le moindre loyer alors qu'elle y réside depuis 17 ans ; qu'il n'a jamais participé aux charges courantes (taxe foncière, redevance des ordures ménagères, travaux de réparation et d'entretien, taille des arbres) ; qu'il se désintéresse totalement des biens grevés d'usufruit et les a quittés définitivement le 2 février 2017.

En premier lieu, le défaut de participation de l'usufruitier à l'acquisition des biens est sans relation aucune avec le droit d'usufruit. En second lieu, le fait que Mme [K] a pu résider dans la maison grevée d'usufruit n'a rien d'étonnant étant donné la vie commune que les deux parties entretenaient à l'époque. En troisième lieu, au regard des jurisprudences ci-dessus rappelées, les éléments développés par Mme [K] ne sont pas de nature à caractériser la volonté non équivoque de M. [V] de renoncer à son usufruit ; ce d'autant moins qu'il justifie au contraire avoir engagé dès le 2 juin 2017 une procédure devant le juge des référés de [Localité 20] afin de voir déclarer Mme [K] occupante sans droit ni titre de la maison située à [Localité 19]. Par ordonnance de référé du 20 novembre 2018 le président du tribunal d'instance de Roanne (en raison du dépaysement de l'affaire) a constaté l'occupation sans droit ni titre de Mme [K]. Cette décision a été confirmée par la cour d'appel de Lyon le [Cadastre 2] juin 2019.

En conséquence de ce qui précède, Mme [K] échoue à démontrer que M. [V] a valablement renoncé de manière non équivoque à son droit d'usufruit.

2. Sur la demande de déchéance du droit d'usufruit de M. [W] [V]

Selon l'article 618 du code civil l'usufruit peut aussi cesser par l'abus que l'usufruitier fait de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d'entretien.

Mme [K] soutient l'application de ce texte aux intérêts de son appel. Elle produit à son dossier des photographies « à titre d'exemple », qui ne sont cependant nullement probantes. On y voit la partie d'un local, qui semble être un garage ou une remise, encombrée de divers cartons et objets entreposés au sol et sur une étagère. D'autres images, dont on ne sait ni où ni quand elles ont été prises, montrent des parcelles de terres, une fenêtre avec des volets, une toiture, une clôture métallique' De l'ensemble de ces éléments, à l'évidence, il ne ressort nullement une dégradation ou un dépérissement du fonds grevé d'usufruit au sens de l'article 618 ci-dessus rappelé. Par ailleurs, les attestations produites, d'où il résulte que Mme [K] s'occuperait seule de l'entretien des biens grevés d'usufruit, ne sont pas non plus de nature à imputer une dégradation ou un dépérissement de ceux-ci à charge de M. [V].

En conséquence, cette demande ne peut pas prospérer.

3. Sur la demande de remboursement des dépenses faites en lieu et place de l'usufruitier

Mme [K] ne précise nullement le fondement juridique sur lequel elle appuie une telle demande. À l'évidence, au vu des conclusions et pièces produites, les travaux d'amélioration et d'entretien dont il est question, ont été réalisés volontairement par Mme [K], soit du temps de sa vie commune avec M. [V], soit après leur séparation au début de l'année 2017. Les dépenses courantes et les travaux d'amélioration réalisés du temps de la vie commune du couple ont profité aux deux ; il s'agit d'une participation aux charges du ménage qui ne peut évidemment pas donner lieu à remboursement. Concernant les travaux payés par Mme [K] après la rupture du PACS le 7 février 2017, ils procèdent d'une démarche volontaire de sa part pour la conservation et l'entretien d'un bien qu'elle occupait alors, nonobstant l'usufruit de M. [V], moyennant quoi ici encore sa demande de remboursement ne saurait prospérer.

En conséquence de ce qui précède, le jugement sera confirmé.

4. Sur l'article 700 du code de procédure civile

Il n'est pas inéquitable que chaque partie garde ses frais irrépétibles en appel.

5. Sur les dépens d'appel

Les dépens d'appel seront supportés par Mme [K].

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile devant la cour ;

Condamne Mme [O] [K] aux dépens d'appel ;

Déboute les parties de leurs autres demandes.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Riom
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22/01932
Date de la décision : 25/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-25;22.01932 ?
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