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25/06/2024 | FRANCE | N°21/00516

France | France, Cour d'appel de Riom, Chambre sociale, 25 juin 2024, 21/00516


25 JUIN 2024



Arrêt n°

CHR/VS/NS



Dossier N° RG 21/00516 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FRWR



[L] [V]



/



Association LE CAP



jugement au fond, origine conseil de prud'hommes - formation paritaire de Riom, décision attaquée en date du 26 février 2021, enregistrée sous le n° F 19/00072

Arrêt rendu ce VINGT CINQ JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :



M. Christophe RUIN,

Président



Mme Sophie NOIR, Conseiller



Mme Karine VALLEE, Conseiller



En présence de Mme Valérie SOUILLAT greffier lors des débats et du prononcé



EN...

25 JUIN 2024

Arrêt n°

CHR/VS/NS

Dossier N° RG 21/00516 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FRWR

[L] [V]

/

Association LE CAP

jugement au fond, origine conseil de prud'hommes - formation paritaire de Riom, décision attaquée en date du 26 février 2021, enregistrée sous le n° F 19/00072

Arrêt rendu ce VINGT CINQ JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :

M. Christophe RUIN, Président

Mme Sophie NOIR, Conseiller

Mme Karine VALLEE, Conseiller

En présence de Mme Valérie SOUILLAT greffier lors des débats et du prononcé

ENTRE :

M. [L] [V]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Jean-julien PERRIN de la SELARL JURIS LITEM, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

APPELANT

ET :

Association LE CAP prise en la personne de son Président en exercice domicilié en cette qualité au siège social sis

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Sabine KERVERN de la SELEURL KERVERN, avocat au barreau de PARIS

et par Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIMEE

M. RUIN, Président et Mme NOIR, Conseiller après avoir entendu, M. RUIN, Président en son rapport à l'audience publique du 08 Avril 2024 , tenue par ces deux magistrats, sans qu'ils ne s'y soient opposés, les représentants des parties en leurs explications, en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré après avoir informé les parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

L'Association LE CAP gère plusieurs établissements, dont un centre éducatif fermé de [Localité 5] qui propose un accompagnement éducatif, pédagogique et psychologique à des mineurs placés dans le cadre d'une mesure alternative à l'incarcération, afin de permettre leur réinsertion durable dans la société.

Monsieur [L] [V], né le 5 octobre 1975, a été embauché à compter du 9 mai 2016 par l'association LE CAP, selon contrat de travail à durée déterminée puis contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de chef de service (cadre classification 2 niveau 3 coefficient 720 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées du 15 mars 1966).

Suite à un accident du travail survenu le 13 juin 2017 et à l'arrêt de travail qui s'en est suivi, le médecin du travail a déclaré Monsieur [V], selon avis du 3 janvier 2019, inapte à tout poste de travail dans l'entreprise, avec impossibilité de reclassement au sein de l'entreprise en précisant que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.

Pas courrier daté du 27 mars 2019, Monsieur [V] était licencié pour inaptitude professionnelle.

Le courrier de notification du licenciement est ainsi libellé :

'Monsieur,

Vous êtes salarié de notre association depuis le 09/05/2016 tout d'abord dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, puis dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée depuis le 21/06/2016. Vous exercez les fonctions de Chef de service éducatif au sein de l'établissement 'CEF l'Averne'.

Par courrier en date du 14/02/2019, je vous ai convoqué à un entretien préalable, à un éventuel licenciement, fixé au 26/02/2019.

Par courrier en date du 16/02/2019, vous m'indiquiez ne pas pouvoir vous présenter à cet entretien qui devait me permettre de vous préciser les raisons qui me conduisaient à envisager votre licenciement et recueillir vos observations. ll n'existe donc pas de possibilité d'échanger avec vous sur le sujet, du fait de votre absence.

En date du 03/01/2019 dans le cadre d'une seule visite médicale de reprise après accident du travail, le médecin du travail a conclu à votre inaptitude selon l'avis suivant: « inaptitude définitive à la reprise du travail à son poste et à tous postes de l'entreprise. Tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé. (Art. R4624-42 du code du travail) ».

Conformément à la loi Rebsamen du 17 août 2015 « Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » (article L. 1225-12 du code du travail).

Nous entrons pleinement dans le cadre de la loi Rebsamen selon laquelle l'avis du médecin du travail suffit à légitimer le licenciement sans que l'employeur ait à démontrer l'impossibilité de reclassement.

En date du 07/02/2019, nous avons consulté les Délégués du personnel sur votre situation, telle que décrite ci-avant ; ils ont émis un avis favorable à l'unanimité.

C'est ainsi que nous avons eu le regret de vous informer, par lettre en date du 11/02/2019, que votre reclassement dans l'association, ainsi que dans les autres structures du Groupe SOS, s'avérait impossible dans la mesure où tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé. Dès lors, l'avis du médecin du travail en ces termes suffit à légitimer le licenciement sans qu'il soit possible pour l'employeur de proposer des postes au salarié concerné.

Compte tenu des éléments précités, nous nous voyons contraints de procéder à votre licenciement suite à votre inaptitude professionnelle médicalement prononcée avec mention tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.

Votre licenciement sera effectif à la date d'envoi de la présente lettre, et à cette date, vous cesserez de faire partie des effectifs de l'association.

Par ailleurs, votre inaptitude professionnelle ne vous permettant pas d'effectuer votre préavis d'une durée théorique de 4 mois, une indemnité compensatrice de préavis vous sera versée à ce titre. Vous percevrez par ailleurs les sommes que nous vous devons.

Je vous ferai parvenir par pli séparé votre certificat de travail, attestation Pôle emploi ainsi que votre solde de tout compte.

Je vous remercie de nous restituer tous les documents, matériels et instruments d'ordre professionnel que nous vous avons confié, notamment le trousseau de clés de l'établissement ainsi que l'ordinateur portable mis à votre disposition.

Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'assurance de mes salutations distinguées.

[R] [J]'

Le 19 septembre 2019, Monsieur [V] a saisi le conseil de prud'hommes de RIOM aux fins notamment de voir condamner l'Association LE CAP à lui payer diverses sommes à titre de rappel de salaire et d'indemnités, juger que son inaptitude résulte d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, juger qu'il a été victime d'un harcèlement moral, juger en conséquence nul son licenciement et à tout le moins sans cause réelle et sérieuse, outre obtenir les indemnités de rupture.

La première audience devant le bureau de conciliation et d'orientation a été fixée au 22 novembre 2019 (convocation notifiée au défendeur le 3 octobre 2019). A cette audience, suite au constat de l'absence de conciliation, le bureau de conciliation et d'orientation, selon ordonnance du 22 novembre 2019, a renvoyé, pour mise en état du dossier, à une audience ultérieure du bureau de conciliation et d'orientation. L'affaire a été appelée à l'audience du bureau du 11 septembre 2020. A cette audience, l'affaire a été considérée comme en état et a été renvoyée devant le bureau de jugement.

Par jugement (RG 19/00072) rendu contradictoirement en date du 26 février 2021 (audience du 23 octobre 2020), le conseil de prud'hommes de RIOM a :

- déclaré irrecevables les éléments produits par Monsieur [V] à l'appui de sa demande de rappel au titre des heures supplémentaires et congés payés afférents ;

- dit que le licenciement de Monsieur [V] repose sur une cause réelle et sérieuse ;

- débouté Monsieur [V] de la totalité de ses demandes ;

- débouté l'Association LE CAP de sa demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 3 mars 2021, Monsieur [V] a interjeté appel de ce jugement.

L'affaire a été enregistrée sous le numéro RG 21/00516, distribuée à la chambre sociale de la cour d'appel de Riom, fixée à l'audience du 5 février 2024 puis renvoyée à l'audience du 8 avril 2024.

Vu les conclusions notifiées à la cour le 2 septembre 2021 par l'association LE CAP,

Vu les conclusions notifiées à la cour le 24 mars 2023 par Monsieur [V],

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 27 mars 2023.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions, Monsieur [V] conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour, statuant à nouveau, de :

- CONDAMNER l'Association LE CAP au versement de la somme de 33 755,61 euros bruts de rappel d'heures supplémentaires pour les années 2016 à 2017, outre les 3 375,56 euros bruts de congés payés y afférents ;

- CONDAMNER l'Association LE CAP au versement de la somme de 71 766,84 euros de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 8223-1 du Code du travail ;

- CONDAMNER l'Association LE CAP à lui payer et porter la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des dispositions d'ordre public relatives aux règles sur le repos quotidien et hebdomadaire et sur les durées maximales de travail ;

- CONDAMNER l'Association LE CAP à lui payer et porter la somme de 30 672,83 euros au titre d'indemnité pour non-respect de la contrepartie obligatoire en repos pour les heures travaillées au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires outre 3 067,28 euros au titre des congés payés afférents ;

- CONDAMNER l'Association LE CAP à lui payer et porter à la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice lié au non-respect de la contrepartie obligatoire en repos.

À titre principal,

- CONDAMNER l'Association LE CAP à lui payer et porter la somme de 113 421.19 euros à titre de préjudice financier, en cas de faute inexcusable reconnue, eu égard à la base de

salaire erronée retenue dans le calcul de sa rente en raison du non-paiement des heures supplémentaires et des contreparties obligatoires en repos avant l'arrêt de travail par l'Association ;

À titre subsidiaire,

- CONDAMNER l'Association LE CAP à lui payer et porter la somme de 56 710,59 euros à titre de préjudice financier eu égard à la base de salaire erronée retenue dans le calcul de

sa rente en raison du non-paiement des heures supplémentaires et des contreparties obligatoires en repos avant l'arrêt de travail par l'Association ;

- CONDAMNER l'Association LE CAP à lui payer et porter la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison du manquement à son obligation de sécurité ayant conduit au préjudice lié à l'altération de son état de santé ;

- JUGER que son inaptitude résulte d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ;

En conséquence,

À titre principal :

- PRONONCER la nullité de son licenciement en raison du harcèlement moral ayant conduit à l'inaptitude du salarié ;

- CONDAMNER l'Association LE CAP à lui payer et porter la somme de 71 766,84 euros (6 mois) à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

À titre subsidiaire :

- JUGER sans cause réelle et sérieuse son licenciement en raison du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ;

- CONDAMNER l'Association LE CAP à lui payer et porter la somme de 41 863,99 euros (3.5 mois) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

- JUGER que le salaire de référence après réintégration des rémunérations précitées s'élève à 11 961,14 euros ;

En conséquence,

- CONDAMNER l'Association LE CAP à lui payer et porter la somme de 1 651,18 euros à titre de complément d'indemnité spéciale de licenciement après revalorisation du salaire de référence par réintégration des heures supplémentaires ;

- CONDAMNER l'Association LE CAP à lui payer et porter la somme de 35 002,44 euros à titre de complément d'indemnité compensatrice de préavis, outre 3 500,24 euros de congés payés afférents après revalorisation du salaire de référence par réintégration des heures supplémentaires ;

- ENJOINDRE à l'Association LE CAP de lui remettre les bulletins de salaires, l'attestation PÔLE EMPLOI, le solde de tout compte et le certificat de travail modifiés selon la décision à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à compter du 15 ème jour suivant la signification de la décision à intervenir ;

- ORDONNER que les intérêts courent au taux légal jusqu'à parfait paiement sur les rappels de salaire, le complément d'indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents et le complément d'indemnité légale de licenciement à compter de la date de réception, par l'Association LE CAP, de la convocation devant le bureau de conciliation et sur les dommages et intérêts, à compter de l'arrêt prononcé par la Cour d'appel ;

Vu l'article L. 1235-4 C. trav

- ORDONNER à l'Association LE CAP de rembourser à Pôle emploi tout ou partie des allocations chômage versées depuis le jour du licenciement jusqu'à la date du jugement, dans la limite de six mois d'allocations ;

- CONDAMNER l'Association LE CAP à lui payer et porter la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER l'Association LE CAP aux entiers dépens.

Monsieur [V] fait valoir qu'il a réalisé des heures supplémentaires qui n'ont pas été payées par l'employeur. Le rapport de visite des 10 et 11 mai 2017 établi par le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a permis d'affirmer que les heures supplémentaires réalisées par le salarié ont été rendues nécessaires par la fonction et les tâches qui lui étaient confiées. Monsieur [V] palliait l'absentéisme massif au sein de l'établissement.

Monsieur [V] indique verser aux débats des attestations de salariés de l'Association LE CAP qui démontrent sa très grande amplitude de travail. Ces attestations sont toutes recevables car les règles de l'article 202 du Code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité. De plus, une partie des attestations de salariés en litige contre l'Association a été rédigée avant l'instauration d'un contentieux. Dès lors, celles-ci n'ont pas à être écartées. Monsieur [V] sollicite donc le paiement des heures supplémentaires réalisées et non payées par l'Association LE CAP.

Monsieur [V] fait valoir que l'Association LE CAP n'a pas respecté les règles sur le repos quotidien et hebdomadaire et sur les durées maximales de travail. Sur les mois de mai 2016 à avril 2017 il a dépassé quasiment chaque semaine les maxima prévus par les dispositions du Code du travail. Il a effectué 1095 heures au-delà de la durée légale hebdomadaire fixée par l'article 3121-20 du Code du travail.

Monsieur [V] sollicite donc des dommages et intérêts de ce chef.

Monsieur [V] fait valoir que l'Association LE CAP n'a pas respecté la contrepartie obligatoire en repos pour les heures travaillées au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires. Cela a contribué à dégrader son état de santé. Il sollicite donc le versement de dommages et intérêts pour le préjudice subi. Il demande le paiement d'une indemnité au titre du non respect de cette contrepartie obligatoire en repos pour les heures travaillées au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires.

Monsieur [V] sollicite la réintégration des heures supplémentaires dans le calcul de la rente allouée. Cette somme devra être doublée en cas de faute inexcusable retenue par la cour.

Monsieur [V] expose que l'Association LE CAP n'a pas indiqué sur les bulletins de salaire les heures supplémentaires qu'il a réalisées alors qu'elle savait qu'il était contraint de les réaliser et que l'employeur avait connaissance des heures supplémentaires effectivement réalisées. Il soutient que l'Association LE CAP s'est livrée à un travail dissimulé. Il sollicite des dommages et intérêts de ce chef.

Monsieur [V] fait valoir que l'Association LE CAP a violé son obligation de sécurité. Le rythme et la charge de travail imposé au salarié démontre que cette obligation de sécurité n'a pas été respectée. Ce manquement a été le vecteur d'un burn-out qui a été reconnu par la CPAM. Le rythme de travail éprouvant pour le salarié est synonyme de harcèlement moral, la jurisprudence reconnaît en effet la possibilité de caractériser une situation de harcèlement moral au regard d'une amplitude horaire démesurée qui entraîne une situation de burn-out. Monsieur [V] expose qu'il a subi des critiques sur son travail, un complot visant à le dénigrer et à le débarquer, la suppression de son bureau de travail et des agissements visant à récupérer son véhicule pendant son arrêt de travail. Tous ces éléments ont eu pour effet de compromettre son avenir. Les préjudices subis ont été reconnus par la CPAM. Monsieur [V] sollicite des dommages et intérêts en réparation de ces derniers.

Monsieur [V] soutient que son licenciement pour inaptitude professionnelle est nul car l'inaptitude est directement liée à ses conditions de travail qui sont devenues insupportables, notamment au regard des manquements précités de l'employeur qui l'ont conduit à un état dépressif réactionnel. De plus, l'Association LE CAP n'a pas mis en place, de manière effective, des mesures préventives destinées à protéger la santé physique et mentale des salariés. Notamment, l'évaluation des risques psychosociaux dont se prévaut l'Association LE CAP a été effectuée en mars 2019, soit deux années après l'arrêt de travail de Monsieur [V].

En conséquence de la nullité du licenciement, Monsieur [V] sollicite l'octroi de dommages et intérêts. Son préjudice est lié au fait que la reprise d'activité au sein de la même structure est impossible et difficile dans le même secteur d'activité.

Monsieur [V] fait valoir que l'employeur doit rembourser à POLE EMPLOI tout ou partie des allocations chômage depuis le jour du licenciement jusqu'à la date du jugement. Cela dans la limite de six mois d'allocations par salarié concerné. Ce remboursement devra être ordonné d'office par la cour dans la mesure où POLE EMPLOI n'est pas intervenu.

Monsieur [V] sollicite la rectification des sommes liées à son licenciement. Il expose que l'indemnité légale de licenciement doit être privilégiée, en ce qu'elle lui est plus favorable. Puis, en ce qui concerne l'indemnité compensatrice de préavis, il convient également de réintégrer les rémunérations dans le calcul.

Monsieur [V] soutient que les échanges de courriels qu'il a produit aux débats mais qui ne lui étaient pas destinés sont recevables. Il s'agit de simples remises volontaires, obtenues dans des conditions tout à fait licites et loyales. L'Association LE CAP ne démontre pas de déloyauté dans l'obtention de ces preuves.

Dans ses dernières conclusions, l'Association LE CAP demande à la cour de :

- CONSTATER que Monsieur [V] n'a fait l'objet d'aucun harcèlement moral de sa part ;

- CONSTATER qu'elle a respecté son obligation de sécurité ;

'

- DIRE ET JUGER le licenciement de Monsieur [V] fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

- CONSTATER que les heures supplémentaires effectuées par Monsieur [V] ont été régulièrement payées, en temps'ou en argent, lorsqu'elles étaient correctement déclarées, dans le respect des procédures applicables et qu'aucune somme ne reste due à ce titre ;

'

- DECLARER irrecevables les éléments produits par Monsieur [V] à l'appui de sa demande de rappel au titre des heures supplémentaires et congés payés afférents ;

'

- DEBOUTER Monsieur [V] de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions;

Y ajoutant,

'

- CONDAMNER Monsieur [V] à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER Monsieur [V] aux entiers dépens.

L'Association LE CAP fait valoir qu'elle n'a pas commis de harcèlement moral en manifestant simplement son mécontentement et en formulant des reproches à l'encontre de Monsieur [V]. Il n'y a pas eu de détournement ou d'abus de pouvoir de direction et de discipline de la part de l'employeur. De plus, Monsieur [V] n'invoque pas d'éléments particuliers pour caractériser une situation de harcèlement moral. En conséquence, la demande en nullité du licenciement doit être rejetée.

L'Association LE CAP soutient qu'elle a respecté son obligation de sécurité en mettant en place, de manière effective, des mesures préventives collectives destinées à protéger la santé physique et mentale des salariés. Ces mesures préventives ont été mises en place malgré le contexte difficile et tendu au sein du Centre éducatif fermé. L'Association LE CAP verse aux débats les différentes mesures mises en place entre 2016 et 2017. Cette énumération des principales actions de l'Association LE CAP démontre, selon elle, qu'elle a pris, de façon constante, les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés. Elle dit avoir veillé, en fonction des circonstances, à les adapter pour tendre à l'amélioration de situations existantes.

L'Association LE CAP fait valoir qu'elle a déployé tous les efforts possibles afin d'éviter d'être en sous-effectif au sein du Centre éducatif fermé. Le nombre de jeunes accueillis au sein du Centre a été adapté aux effectifs, des salariés en contrat à durée déterminée ont été recrutés pour pallier les absences.

En tout état de cause, l'Association LE CAP sollicite que Monsieur [V] soit débouté de sa demande de remboursement des allocations d'assurance chômage qu'il aurait perçues auprès de POLE EMPLOI. En effet, il ne fournit aucun élément concernant une éventuelle indemnisation.

L'Association LE CAP indique verser aux débats des éléments permettant de démontrer qu'elle payait systématiquement les heures supplémentaires nécessaires au bon fonctionnement du service et régulièrement déclarées. L'intimée expose que les chiffres et données invoquées par Monsieur [V] à l'appui de ses demandes ne sont pas cohérents. À titre d'exemple, le nombre d'heures supplémentaires dont il demande le paiement ne correspond pas aux documents qu'il verse aux débats. Sur l'année 2016, il y a une différence de 378 heures supplémentaires entre les demandes et les documents.

L'intimée relève que les pièces sur lesquelles s'appuie le salarié manquent totalement de fiabilité. Les attestations fournies manquent d'objectivité, ne comprennent aucun horaire précis et se résument à des généralités sur le fait que Monsieur [V] accomplissait des heures supplémentaires. D'autres attestations sont contredites par des pièces versées aux débats. De manière générale, au vu du climat particulier au sein du Centre éducatif fermé et des revirements multiples manifestement opérés au gré du temps et des alliances par les salariés dans leurs témoignages, les attestations ne peuvent en aucun cas constituer des éléments de preuves fiables. Concernant les tableaux d'heures, les procédures d'enregistrement des heures supplémentaires n'étaient pas respectées par Monsieur [V].

L'Association LE CAP demande donc à la cour de constater qu'elle a réglé les heures supplémentaires régulièrement effectuées et déclarées par Monsieur [V] et, en conséquence, de débouter le salarié de ses demandes de paiement des heures supplémentaires et congés payés afférents.

L'Association LE CAP fait valoir que les éléments permettant de caractériser le travail dissimulé ne sont pas réunis. Les éléments tant matériel qu'intentionnel ne sont, selon elle, pas démontrés par le salarié. L'appelant devra donc être débouté de sa demande indemnitaire de ce chef.

L'employeur sollicite également le rejet des demandes tendant à l'indemnisation d'un prétendu manquement aux règles sur le repos quotidien et hebdomadaire, les durées maximales de travail ainsi que sur le contingent annuel d'heures supplémentaires.

L'Association LE CAP demande à la cour d'écarter des débats les courriels versés par Monsieurs [V] dont il n'était pas partie et dont il n'a pas pu avoir connaissance dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail.

Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.

MOTIFS

- Sur la demande tendant à voir écarter des pièces des débats -

L'article 954 du code de procédure civile dispose que :

'Les conclusions d'appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l'article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.

Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.

La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion (...)'.

Il résulte de ces dispositions que les parties doivent formuler expressément les prétentions sur lesquelles elles entendent que la cour se prononce dans le dispositif de leurs conclusions d'appel. Si elles ne figurent pas dans le dispositif, les parties sont réputées les avoir abandonnées de sorte que la cour ne statue pas sur ces prétentions même si elles figurent dans le corps des conclusions.

En l'espèce, dans le corps de ses écritures d'appel, l'association LE CAP sollicite d'écarter des débats un certain nombre de pièces que Monsieur [V] produit dans le cadre de l'instance d'appel :

- pièce n°20 : échange de mails entre M. [P] et M. [J] du 21 septembre 2016,

- pièce n°21 : mail de Mme [S] à M. [P] du 21 septembre 2016,

- pièce n°22 : mail de M. [P] à M. [J] du 23 septembre 2016,

- pièce n°23 : mail de M. [P] à M. [F],

- pièce n°28 : réponse de M. [J] à l'inspection du travail en réponse à la demande de Mme [M] du 21 février 2018,

- pièce n°29 : échange de mails entre Mme [U] et M. [P],

- pièce n°30 : mail de Mme [I] à sa Direction du 13 juin 2019,

- pièce n°36 : mail du groupe NEERIA-prise de rendez-vous pour étude RPS,

- pièce n°37 : mail de M. [J],

- Pièce n°57 : mail du service juridique relatif au traitement des heures supplémentaires.

L'association LE CAP considère que Monsieur [V] est irrecevable à produire ces courriers échangés entre des tiers qui ne lui ont pas été remis volontairement et dont il n'a pu avoir connaissance dans le cadre de ses fonctions.

Toutefois, la demande de rejet de pièces telle que mentionnée dans le corps des écritures n'est pas reprise dans le dispositif des conclusions où la cour ne trouve que cette formulation générale insuffisamment précise : 'déclarer irrecevables les éléments produits par Monsieur [V] à l'appui de sa demande de rappel au titre des heures supplémentaires et congés payés afférents'.

Dès lors, en application de l'article 954 précité, il n'y a pas lieu de statuer sur ces prétentions.

Surabondamment, le 22 décembre 2023 la Cour de cassation a jugé de façon très solennelle qu'il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats.

- Sur la demande tendant à voir déclarer irrecevables les attestations produites par Monsieur [V] -

L'association LE CAP fait valoir que, pour 5 d'entre elles, les attestations produites par Monsieur [V] sont irrecevables pour ne pas répondre aux critères posés par l'article 202 du code de procédure civile et, pour 6 autres, qu'elles émanent de salariés en litige avec le Centre, ce qui leur ôte, selon lui, toute légitimité.

S'agissant des attestations produites, il échet de rappeler que les dispositions de l'article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité, d'irrecevabilité ou d'inopposabilité. Il appartient au juge du fond d'apprécier souverainement la valeur probante d'une attestation, qu'elle soit conforme ou non à l'article 202 du code de procédure civile. Le juge ne peut rejeter ou écarter une attestation non conforme à l'article 202 du code de procédure civile sans préciser ou caractériser en quoi l'irrégularité constatée constituait l'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public faisant grief à la partie qui l'attaque.

Le fait que certaines attestations émanent de salariés en conflit avec leur employeur, ne peut, en lui-même, avoir pour effet de leur retirer toute valeur probante laquelle doit être appréciée en fonction de l'ensemble des éléments versés aux débats, l'employeur ayant lui-même la charge d'apporter des éléments de preuve contraire.

Par ailleurs, si certaines attestations ne répondent pas aux critères posés par l'article 202 du code de procédure civile, ce non-respect n'est pas prescrit à peine de nullité. Nonobstant ce non-respect, elles constituent des éléments pouvant utilement valoir à titre de renseignements sous la même réserve de la preuve contraire.

L'association LE CAP sera, en conséquence, déboutée de cette demande.

- Sur les heures supplémentaires -

L'article L. 3171-4 du code du travail dispose qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ce texte que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties et qu'il appartient au salarié de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande mais il incombe aussi à l'employeur de fournir les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

En l'espèce, à l'appui de ses prétentions quant à l'exécution d'heures supplémentaires, Monsieur [V] verse aux débats le rapport rédigé par le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté suite à sa visite des 10 et 11 mai 2017. Celui-ci indique que, comme lors de ses précédentes visites, il est apparu que 'la gestion des ressources humaines restait le frein principal à un fonctionnement apaisé de l'institution'. Il souligne que, sur 3 dirigeants, le directeur était depuis quelques jours en congé maladie, que le second était absent depuis plus d'une année et que 'seul le second chef de service apparaissait très présent, très investi et comme l'unique référent du projet tant pour les mineurs que pour la partie du personnel qui était présente'. Il fait état d'une 'grande partie du personnel en désaccord avec la direction', d'une 'grande souffrance au travail' et d'un 'absentéisme massif', de quinze salariés sur trente en arrêt de maladie.

Monsieur [V] souligne que le contrôleur a ainsi vérifié son 'investissement' et la réalisation par lui d'heures supplémentaires rendues nécessaires par la fonction et les tâches qui lui étaient confiées.

Monsieur [V] produit les attestations de :

* Madame [E], éducatrice, selon laquelle M. [V] 'n'a pas lésiné sur son temps ni sur son énergie (...). Il était présent du matin au soir auprès des jeunes et des éducateurs (...). M. [V] devait pallier à un manque d'effectif et son investissement a généré énormément d'heures supplémentaires au détriment de sa santé. Il arrivait à 7h du matin et repartait avec l'équipe du soir. J'ai pu le voir après ma fin de journée à 23h rester avec les veilleurs de nuit' ;

* M. [N], agent de maintenance au sein de l'établissement, qui affirme que M. [V] 'était très très présent quand j'arrivais le matin vers 8h00 pour prendre mon service à 8h30 et que le soir quand je partais du Centre vers 16h30, il était encore là (...). Pour moi, M. [V] faisait du non stop' ;

* Madame [A], salariée de l'association, confirme que M. [V] 'a effectué un nombre d'heures impressionnant (...) du fait qu'il était présent du matin au soir sans relâche' ;

* Madame [M], éducatrice, qui rapporte également que M. [V] elle 'passait beaucoup de temps au CEF. Régulièrement, il arrivait à 7h00 le matin et pouvait partir très tard le soir" ;

* Madame [C], éducatrice, selon laquelle 'il n'était pas rare que M. [V] arrive tôt le matin et/ou reparte jusqu'à tard le soir (...). M. [V] n'hésitait pas à rester en dehors de ses horaires afin d'assurer la prise en charge à nos côtés (...). je viens donc, par la présente, attester du nombre d'heures considérable effectuées par M. [V]' ;

* Madame [S], assistante de direction au sein du Centre, qui atteste 'de la quantité et de la qualité du travail de M. [V] (...). Dès son arrivée au sein de l'établissement qui dysfonctionnait, il a sans relâche exercé ses fonctions sans compter son temps et son énergie (...). Cette prise en charge lourde l'a amené à faire un nombre d'heures extrêmement conséquent. Je saisissais les horaires du personnel afin de préparer la paie pour transmission au siège et de nombreuses fois, j'ai alerté M. [V] par rapport à la quantité d'heures supplémentaires effectuées. Il en avait conscience mais n'avait pas d'autres alternatives au vu de la configuration des ressources humaines (...)'.

Monsieur [V] verse aux débats ses feuilles de temps pour 2016 et 2017 portant le visa du directeur de l'établissement et faisant état d'un grand nombre d'heures supplémentaires.

Il ressort de l'attestation de Madame [S] que celle-ci réceptionnait les feuilles de temps pour transmission au siège et qu'elle ne comprenait pas pourquoi la totalité de ses heures ne lui était pas payée, ni pourquoi celles qui étaient payées ne l'étaient pas conformément à la législation, ne bénéficiant pas de la majoration au prorata du nombre d'heures effectuées.

Monsieur [V] produit le décompte des heures supplémentaires dont il demande le paiement en détaillant le nombre d'heures revendiquées pour chaque semaine de la période considérée ainsi qu'un état récapitulatif des sommes réclamées établi par un expert-comptable.

Pour s'opposer aux prétentions du salarié, l'employeur estime que les attestations du salarié manquent de valeur probante et de fiabilité. Il souligne non seulement que 3 d'entre elles émanent de salariés ayant attrait l'association devant le conseil de prud'hommes mais que les autres ne comportent aucun horaire précis et se résument à des généralités. Toutefois, quel que soit le litige pouvant opposer certains attestants à l'employeur et nonobstant le fait que les attestations produites ne précisent pas de manière détaillée le nombre d'heures de travail accomplies par Monsieur [V], il n'en reste pas moins que celles-ci font état de faits auxquels leurs auteurs disent avoir assistés et qu'elles sont concordantes entre elles et avec les autres éléments d'appréciation apportés par le salarié pour déterminer l'existence d'heures supplémentaires.

Les documents produits par Monsieur [V] qui ne se limitent pas à des attestations et qui comportent des éléments vérifiables quant aux heures de travail alléguées, permettent à l'employeur d'apporter une réponse dans les conditions normales du débat contradictoire. Ils sont, contrairement à ce que soutient l'association, de nature à étayer les prétentions du salarié quant à l'exécution des heures supplémentaires alléguées.

Il incombe, en conséquence, à l'employeur d'y répondre et de produire les éléments propres à justifier les heures effectivement accomplies par le salarié, de manière à permettre à la juridiction d'apprécier la valeur probante des éléments apportés de part et d'autre, sans imposer au seul salarié la charge de la preuve.

En l'espèce, l'employeur ne conteste pas l'existence d'heures supplémentaires mais il soutient avoir réglé les heures supplémentaires régulièrement effectuées et déclarées.

L'association LE CAP fait valoir que les heures supplémentaires effectuées devaient être validées préalablement par la Direction selon une procédure stricte que Monsieur [V] n'aurait pas respectée. A ce titre, l'employeur se prévaut du courriel adressé par M. [J], directeur général de l'association, à M. [P], directeur du Centre, le 23 janvier 2017 pour lui demander de remplir à l'avenir 'une feuille de congés ou de récupérations à me transmettre pour signature avant tes absences' et, pour 'le paiement des heures supplémentaires te concernant (...), de les faire valider au préalable auprès de moi'. Mais, ainsi que le souligne à juste titre M. [V], il ressort de ce courriel que les consignes ainsi données ne concernent que le seul M. [P] et qu'il est, par conséquent, sans valeur probante en ce qui le concerne.

Si les pièces produites, notamment les feuilles de présence de Monsieur [V] et l'attestation de Madame [S], tendent à démontrer que les temps de travail du salarié étaient validés par M. [P] en sa qualité de directeur du Centre, il n'est nullement démontré que cette procédure aurait présenté une quelconque irrégularité et il n'est pas davantage démontré, au-delà de la procédure utilisée, que les renseignements contenus dans les feuilles de temps de Monsieur [V] ne correspondraient pas à la réalité.

L'employeur se prévaut du paiement de certaines heures supplémentaires pour soutenir que celles-ci étaient payées lorsqu'elles étaient correctement déclarées et enregistrées mais il ressort des pièces produites que l'ensemble des heures de travail dont fait état Monsieur [V] sont celles qui figurent sur les feuilles de temps validées par M. [P] sans qu'il soit justifié d'une autre procédure de validation.

L'employeur laisse entendre qu'une collusion aurait pu exister entre M. [P] et M. [V] pour majorer le nombre d'heures supplémentaires de ce dernier en relevant qu'en août et septembre 2016, le salarié a déclaré respectivement 145 et 150 heures supplémentaires alors que, les mois suivants, après l'arrivée de M. [J], le nombre d'heures supplémentaires s'est stabilisé entre 40 et 60 heures par mois. Cependant, une telle comparaison, en l'absence de tout autre élément, ne présente aucun caractère probant. L'employeur ne saurait invoquer valablement l'existence de rectifications opérées sur des tableaux transmis au titre de l'année 2017 pour soutenir que ces documents auraient été 'trafiqués'. Il résulte, en effet, non seulement des pièces produites par Monsieur [V] mais aussi de celles de l'employeur (notamment, le courriel du 25 avril 2017 par lequel le directeur demande de procéder à la rectification des mises en paiement au titre d'heures supplémentaires accomplies par une salariée) que la procédure en vigueur au sein de l'établissement prévoit une réunion contradictoire pour permettre d'éventuelles rectifications notamment en ce qui concerne le nombre d'heures de travail exécutées et que, par conséquent, l'existence de telles rectifications ne constitue en elle-même aucune anomalie.

L'employeur invoque, par ailleurs, le témoignage de salariés affirmant que 'M. [V] n'arrive que vers midi', ainsi que les différences existant entre les décomptes successifs du salarié faisant passer le nombre d'heures supplémentaires alléguées pour 2016 de 131 à 509 et l'existence de 3 anomalies dans le décompte présenté par M. [V], 7 heures de travail étant comptabilisées pour 2 jours où le salarié était en repos et deux semaines de 35 heures étant également comptabilisées pour 2 semaines de repos.

Toutefois, les prétendues irrégularités, erreurs ou anomalies relevées par l'employeur sont constituées, pour certaines, par des affirmations qui ne sont corroborées par aucun élément de preuve et, pour d'autres, par des observations sur quelques inexactitudes ponctuelles dépourvues d'incidence sur la demande du salarié, portant sur des points qui ont fait l'objet d'une rectification ou qui ne sont pas pris en compte dans les réclamations du salarié.

Même si certaines des pièces produites par Monsieur [V] ne présentent qu'un caractère probant relatif, il n'en reste pas moins qu'elles répondent aux exigences probatoires de l'article L. 3171-4 précité. Dès lors, l'employeur ne saurait valablement se prévaloir de l'existence de ce qu'il appelle des incohérences ou un 'manque de fiabilité' pour s'opposer aux demandes du salarié alors qu'il lui incombe d'apporter les éléments nécessaires pour déterminer le nombre d'heures de travail qu'il estime avoir été réellement accomplies.

Or, il n'est versé aux débats aucun décompte, ni aucun relevé au moyen desquels auraient été comptabilisées les heures de travail du salarié, ni aucun document autre que ceux produits par Monsieur [V] qui permettrait de vérifier les prétentions de l'employeur. Rien ne permet de remettre en cause la véracité des indications fournies par les feuilles de temps produites par Monsieur [V] . Le fait que l'association ait effectivement payé certaines heures supplémentaires ne saurait constituer la preuve qu'aucune autre heure supplémentaire n'ait été exécutée.

Par ailleurs, le fait que Monsieur [V] ait attendu le mois de janvier 2019 pour formuler une réclamation au titre des heures supplémentaires ne saurait faire obstacle à sa demande, l'absence de réclamation pendant l'exécution du contrat de travail ne pouvant l'empêcher de revendiquer le paiement d'heures supplémentaires après la rupture du contrat de travail.

Il ressort du décompte produit par Monsieur [V] que, sur la période du 9 mai 2016 au 31 décembre 2016, il a réalisé des heures supplémentaires, dont le nombre, calculé sur la semaine, s'établit à 1139 heures. Sur la période du 1er janvier au 13 juin 2017, le salarié a réalisé 534 heures supplémentaires.

En l'absence de tout élément de preuve contraire, les prétentions de Monsieur [V] sont établies par les pièces produites. Son décompte qui fait apparaître en déduction les sommes perçues de l'employeur au titre des heures supplémentaires (17 322,22 euros) et qui fait mention, conformément aux dispositions applicables, des majorations dues (au taux de 25 ou de 50% selon le cas), doit être retenu.

En conséquence, l'association LE CAP sera condamnée à payer à Monsieur [V] la somme de 33.755,61 euros (brut) au titre des heures supplémentaires effectuées, non réglées ni récupérées, ainsi que celle de 3.375,55 euros (brut) au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [V] de cette demande.

- Sur la demande de dommages-intérêts pour non-respect des règles sur les repos quotidiens et hebdomadaires et les durées maximales de travail -

S'agissant de la durée du travail, les articles L. 3121-20 et L. 3121-22 du Code du travail prescrivent, d'une part, que 'au cours d'une même semaine, la durée maximale hebdomadaire de travail est de 48 heures' et, d'autre part, que 'la durée hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ne peut dépasser quarante-quatre heures, sauf dans les cas prévus aux articles L. 3121-23 à L. 3121-25".

L'article L. 3131-1 du même code prévoit que tout salarié doit bénéficier d'un repos quotidien d'une durée minimale de onze heures consécutives.

Or, il est constant, en l'espèce, que la durée hebdomadaire de travail de Monsieur [L] [V] a souvent dépassé les durées maximales de travail hebdomadaires. Il ressort, en effet, de ses décomptes comme de ses feuilles de présence, qu'en 2016, il a effectué 743 heures au-delà de la durée maximale de 48 heures par semaine et qu'en 2017, il en a effectué 352. Il a même travaillé 82 heures la même semaine en avril 2017.

L'employeur fait valoir que, désormais, le recours aux heures supplémentaires est 'très sensiblement limité' et qu'il a pris les mesures nécessaires au suivi de la charge de travail des salariés mais il n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause l'existence, pendant la période d'exécution du contrat de travail, des manquements reprochés par le salarié.

Le dépassement de la durée maximale hebdomadaire de travail a causé à Monsieur [L] [V] un préjudice certain en raison du trouble apporté dans sa vie personnelle et des risques engendrés pour sa santé et sa sécurité par un nombre d'heures de travail excessif. Le salarié est, en conséquence, bien fondé à se plaindre du non-respect de la durée maximale de travail et à demander réparation du préjudice causé.

Compte tenu des éléments d'appréciation versés aux débats qui attestent de l'importance des dépassements et de leur caractère récurrent, il sera alloué à Monsieur [L] [V] la somme de 5.000,00 euros à titre de dommages-intérêts.

En conséquence, l'association LE CAP sera condamnée à payer à Monsieur [V] la somme de 5.000 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi pour non-respect des dispositions relatives au repos quotidien et hebdomadaires et sur les durées maximales de travail.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

- Sur la demande au titre de la contrepartie obligatoire en repos -

En application de l'article L. 3121-30 du code du travail, les heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires doivent donner lieu à l'octroi d'une contrepartie obligatoire en repos. Dans les entreprises de plus de vingt salariés, les heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires conventionnel ou réglementaire, ouvrent droit à une contrepartie obligatoire en repos dont la durée est égale à 100 % de chaque heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent.

Il résulte des dispositions de l'article D. 3171-11 du code du travail que les salariés doivent être tenus informés du nombre d'heures de repos porté à leur crédit par un document annexé au bulletin de salaire. Dès que ce nombre atteint sept heures, ce document comporte, en outre, une mention notifiant l'ouverture du droit et rappelant que le repos doit obligatoirement être pris dans un délai maximum de deux mois suivant l'ouverture du droit.

Le salarié qui n'a pas été mis en mesure, du fait de l'employeur, de formuler une demande de contrepartie obligatoire en repos, a droit à l'indemnisation du préjudice subi, lequel est constitué non seulement par le salaire qu'il aurait perçu s'il avait travaillé mais aussi par l'indemnité de congés payés correspondante.

En l'espèce, compte tenu que le contingent d'heures supplémentaires applicable est de 110 heures par an, les décomptes de Monsieur [L] [V] font apparaître qu'il aurait dû bénéficier de 1029 heures au titre de la contrepartie obligatoire en repos pour les heures supplémentaires exécutées en 2016 et de 424 heures au même titre en 2017, ce qui représente une indemnisation à hauteur de 30.672,83 euros à laquelle s'ajoute l'indemnité de congés payés correspondant à ces heures, soit 3.067,28 euros,

L'association LE CAP n'apporte pas d'éléments de nature à contester utilement les dépassements du contingent.

Compte tenu des éléments d'appréciation versés aux débats, la demande de Monsieur [L] [V] doit être déclarée bien fondée.

L'association LE CAP sera condamnée à payer à Monsieur [L] [V] la somme de 33.740,11 euros au titre de l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'absence de contrepartie obligatoire en repos. Le jugement sera réformé de ce chef.

En revanche, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [L] [V] de sa demande en paiement de la somme de 5.000,00 euros à titre de dommages-intérêts supplémentaires en raison du préjudice lié au non-respect de la contrepartie obligatoire en repos, et ce en l'absence de preuve d'un préjudice distinct qui ne serait pas réparé par les sommes allouées ci-dessus.

- Sur la demande au titre du travail dissimulé -

Il résulte des dispositions de l'article L. 8223-1 du code du travail que le salarié dont l'employeur a volontairement dissimulé son emploi a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire en cas de rupture de la relation de travail.

Aux termes de l'article L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

- de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche,

- de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli,

- de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

En l'espèce, il est constant que Monsieur [L] [V] a exécuté, tant en 2016 qu'en 2017, de nombreuses heures supplémentaires sans que ces heures apparaissent sur ses bulletins de salaire.

L'employeur ne saurait soutenir que le non-paiement de ces heures ne serait pas intentionnel et qu'il se serait légitimement fondé sur l'accord de branche du 1er avril 1999 et l'avenant du 19 mars 2007 permettant l'aménagement du temps de travail par la modulation et l'annualisation. Même si le temps de travail a été décompté suivant un régime de modulation et d'annualisation, les éléments versés aux débats démontrent que les heures supplémentaires effectuées n'ont pas, pour une part importante, figurés sur les bulletins de salaire.

Or, il résulte des pièces produites que les feuilles de temps de Monsieur [L] [V] étaient transmises chaque semaine à l'employeur. Le salarié verse, en effet, aux débats les fiches de suivi horaire le concernant pour les années 2016 et 2017 revêtues de la signature du directeur de l'association et portant mention des heures supplémentaires accomplies. Compte tenu, en outre, des échanges de courriels intervenus relativement à l'exécution d'heures supplémentaires, il est établi que l'employeur avait une parfaite connaissance des heures de travail exécutées.

La rédaction des bulletins de salaire ne faisant pas mention de l'intégralité des heures de travail accomplies, et ce, de façon répétée, a été réalisée en connaissance de cause et révèle la volonté de l'employeur de dissimuler ces heures.

L'employeur sera, en conséquence, condamné au paiement d'une somme correspondant à 6 mois de salaire à titre d'indemnité pour travail dissimulé.

La demande du salarié portant sur la somme de 71 766,84 euros, calculée sur la base d'un salaire de référence mensuel de 11 961,14 euros, contestée par l'employeur comme 'astronomique', ne peut être retenue. Compte tenu du salaire effectivement perçu pendant toute la période d'exécution du contrat de travail et du montant du salaire dû au titre des heures supplémentaires pendant la même période, le salaire mensuel de référence pour le calcul de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L 8223-1 précité s'établit à 7 824,24 euros brut.

L'association LE CAP sera condamnée à payer à Monsieur [L] [V] la somme de 46.945,44 euros au titre de l'indemnité de travail dissimulé. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande à ce titre.

- Sur la demande tendant à la réintégration des heures supplémentaires dans le calcul de la rente allouée -

Pour la première fois en cause d'appel, Monsieur [L] [V] explique qu'il a bénéficié, en vertu de la décision de la caisse primaire d'assurance maladie en date du 11 juillet 2019, d'une indemnité en capital pour maladie professionnelle de 1 977,76 euros, pour un taux d'incapacité de 5% ayant été réévalué à 15% par la Commission de Recours Amiable le 16 janvier 2020, ce qui a donné lieu à l'allocation d'une rente annuelle.

Monsieur [L] [V] fait valoir que cette rente a été calculée sur la base du salaire de référence constitué par les salaires qu'il a effectivement perçus et il se plaint d'un préjudice puisqu'il n'a pas été tenu compte, pour le calcul de la rente, des sommes dues par l'employeur au titre des heures supplémentaires.

Cette demande doit être déclarée recevable. Il s'agit, certes, d'une demande nouvelle alors que l'article 564 du code de procédure civile interdit aux parties de soumettre à la cour de nouvelles prétentions mais l'article 565 du même code précise que 'les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si le fondement juridique est différent' et l'article 566 ajoute que 'les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire'.

Or, en l'espèce, la demande ajoutée en cause d'appel par Monsieur [L] [V] porte sur la réparation du préjudice résultant du non-paiement des heures supplémentaires et est liée à ses demandes relatives au harcèlement moral et au licenciement. Une telle demande ajoutée en cours de procédure ne constitue qu'un complément nécessaire à celle formée initialement et doit donc être déclarée recevable par application des articles 564 à 566 précités.

S'il est vrai, comme le fait valoir l'employeur, que l'indemnisation des dommages résultant d'une maladie professionnelle relève de la seule compétence de la juridiction compétente en matière de sécurité sociale à l'exclusion de la juridiction prud'homale, il n'en reste pas moins qu'en raison de la non-prise en compte de sa créance au titre des heures supplémentaires accomplies pendant la période de référence, le salarié subit un préjudice certain puisque l'assiette de calcul de la rente allouée ne pouvait inclure que les seules rémunérations effectivement reçues par lui au cours de la période de référence et que la rente ne peut faire l'objet d'un nouveau calcul devant la juridiction compétente.

Monsieur [L] [V] est, en conséquence, en droit de solliciter de son employeur réparation du préjudice résultant de la non-prise en compte des salaires dus au titre des heures supplémentaires pour le calcul de sa rente.

Monsieur [L] [V] expose que, compte tenu des sommes allouées ci-dessus, le montant des rémunérations non prises en compte pour le calcul s'élève à 62 465,06 euros. Ainsi que le souligne le salarié, la prise en compte de cette somme aurait eu pour effet de porter le montant de la rente annuelle à 5 054,57 euros pour un taux d'IPP de 15%, soit une différence annuelle de 1 561,63 euros.

C'est toutefois à tort que Monsieur [L] [V] sollicite, à titre principal, l'allocation de la somme de 113 421,19 euros correspondant au double du capital représentatif de la rente qu'il fixe à 56 710,59 euros par application d'une table de capitalisation. Pour prétendre à tel doublement, Monsieur [L] [V] fait valoir qu'il a introduit une procédure pour faire reconnaître la faute inexcusable de l'employeur et qu'une telle reconnaissance justifierait le doublement de la rente.

Il convient de relever que la procédure engagée par Monsieur [L] [V] en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur est actuellement pendante devant la juridiction compétente et que, dans le cadre de la présente procédure prud'homale, le salarié n'est pas recevable à faire reconnaître la faute inexcusable de l'employeur.

En outre, Monsieur [L] [V] n'est pas davantage fondé à solliciter un capital représentatif d'un complément de rente qui lui serait servie sa vie durant. Il doit être relevé que la rente servie par la caisse primaire d'assurance maladie est susceptible de modification dans le temps en fonction de l'évolution de l'état de santé de l'intéressé et que le préjudice qu'il présente comme viager n'est qu'éventuel puisqu'il peut être modifié à l'avenir en fonction de différents facteurs.

Si Monsieur [L] [V] subit un préjudice certain du fait de la non-prise en compte des sommes dues pas l'employeur dans le calcul de la rente, les éléments d'appréciation versés aux débats justifient de fixer à 20.000,00 euros le montant des dommages-intérêts de nature à réparer ce préjudice.

L'association LE CAP sera condamnée à payer à Monsieur [L] [V] la somme de 20.000,00 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice résultant de la non-prise en compte des salaires dus au titre des heures supplémentaires dans le calcul de la rente servie au titre de la maladie professionnelle.

- Sur la demande au titre de l'obligation de sécurité et du harcèlement moral -

Monsieur [L] [V] sollicite la condamnation de l'employeur au paiement de dommages-intérêts 'en raison du manquement à son obligation de sécurité ayant conduit au préjudice lié à l'altération de son état de santé'. Il invoque, à l'appui de ses prétentions, le 'surmenage' dont il a été victime, 'véhiculé par sa surcharge de travail' ainsi que 'd'autres faits relatifs aux conditions de travail', 'un rythme de travail éprouvant synonyme de harcèlement moral' et des 'agissements de l'association Le CAP' à son encontre.

L'article L. 4121-1 du code du travail oblige l'employeur à prendre 'les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs'.

Ces mesures comprennent : '1° Des actions de prévention des risques professionnels ; 2° Des actions d'information et de formation ; 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés'. L'employeur doit veiller 'à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes'.

L'employeur est ainsi tenu vis-a-vis de ses salariés d'une obligation de sécurité dans le cadre ou à l'occasion du travail. Cette obligation de sécurité s'applique à toute situation de risque en matière de sécurité et de protection de la santé physique et mentale des travailleurs. Pour satisfaire à cette obligation, l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en justifiant, d'une part, avoir pris toutes les mesures de prévention prévues notamment par les articles L. 4121-l et L. 4121-2 du code du travail et, d'autre part, dès qu'il est informé de l'existence de faits susceptibles de constituer une atteinte à la sécurité ou la santé, physique et mentale d'un salarié, avoir pris les mesures immédiates propres à les faire cesser.

S'agissant du harcèlement moral, aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon les dispositions de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, Monsieur [L] [V] souligne, en se fondant sur ses feuilles de temps validées par la direction de l'association, qu'il a 'quasi exclusivement' travaillé au-delà de 50 heures par semaine pendant toute la période d'exécution du contrat de travail, ainsi qu'il a été vu ci-dessus.

Monsieur [L] [V] explique que le climat social au sein de l'association était délétère, qu'il a fait l'objet de critiques incessantes et d'une action concertée de plusieurs salariés orchestrée par la direction pour lui nuire.

Monsieur [L] [V] se prévaut du rapport de visite des 10 et 11 mai 2017 établi par le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté mentionnant que cette visite est la troisième depuis 2013, qu'il avait été constaté des 'difficultés majeures liées à l'absence de cohérence et de cohésion d'une équipe fonctionnant dans un climat de suspicion permanent'. Lors de cette troisième visite, il a été mis en évidence des 'changements positifs' mais il est apparu que 'la gestion des ressources humaines restait le frein principal à un fonctionnement apaisé de l'institution'. Il a été ainsi relevé : 'Au contentieux ancien entre l'ancienne équipe et l'association s'est ajoutée une contestation des méthodes des nouveaux cadres dirigeants placés par le groupe SOS, puis un conflit ouvert entre le directeur de l'établissement, cadre du groupe SOS, et le directeur général de l'association gestionnaire, également cadre du groupe SOS. Lors de la visite, sur trois dirigeants du centre éducatif fermé, le directeur était depuis quelques jours en congé de maladie. Le second, une cheffe de service issue de l'ancienne équipe de direction, était absente depuis plus d'une année et affichait son désaccord total avec l'évolution constatée, et ce malgré les constats désastreux des précédentes visites dans lesquelles elle était apparue forcément impliquée. Seule le second chef de service (M. [V]) apparaissait très présent, très investi et comme l'unique référent du projet tant pour les mineurs que pour la partie du personnel qui était présente'.

M. [D], éducateur, témoigne de 'l'investissement', de 'l'engagement' et du 'professionnalisme' de M. [V], Il souligne qu'il 'a été présent dans l'accompagnement et la prise en charge des jeunes mais également bienveillant avec les salariés', qu'il 'était présent tous les jours très tôt le matin et jusqu'à tard le soir'. Il dit ne jamais avoir 'compris pourquoi certains salariés (2 ou 3) l'ont tant sali par des attaques fausses et méchantes'.

Madame [S] explique les difficultés rencontrées après la reprise en main du centre par une nouvelle équipe de direction, les réticences au changement de l'ancienne équipe et l'existence du retour à un 'climat serein' grâce à sa collaboration avec le directeur (M. [P]) et M. [V] jusqu'à l'arrivée, fin 2016, de M. [J] nommé directeur général de l'association. Elle rapporte que 'le climat de l'établissement va rapidement se dégrader car les personnes absentes pour cause de maladie tentent de manipuler ceux qui résistent et soutiennent le directeur et le chef de service. Le directeur général tente également de me manipuler contre M. [P] et en fait de même avec M. [V]. Nous nous sommes vite aperçu l'un et l'autre de ses intentions de monter un dossier contre le directeur de service mais nous ne sommes pas rentrés dans son jeu'. Elle ajoute : 'M. [V] n'est pas un surhomme. Il a dû faire face à une surcharge de travail énorme. Alors, le directeur général a embauché un chef de service en contrat de travail à durée déterminée, M. [T], pour soi-disant permettre à M. [V] de souffler. Mais très vite, je m'aperçois que ce monsieur n'est pas à la hauteur du tout, il fuit le contact avec les jeunes. D'ailleurs, le bureau de M. [V] lui a été cédé par le DG. M. [V] s'installe dans mon bureau. M. [T] passe ses journées enfermé dans son bureau, ne sort même pas même lorsqu'il y a des jeunes en conflit. M. [V] est constamment sur le terrain et finit par s'écrouler de fatigue sur l'établissement, il sera emmené par les secours au centre hospitalier de [Localité 1]'.

Madame [A], salariée de l'association, rapporte avoir été témoin d'un 'complot' de certains salariés pour nuire à M. [V] et le faire licencier, disant avoir notamment entendu une conversation où ces salariés disait vouloir se placer en arrêt de travail pour mettre l'établissement en difficulté et permettre à M. [J] de licencier M. [P] et M. [V]. Elle ajoute avoir elle-même fait l'objet de pression de M. [J] pour incriminer M. [V].

Plusieurs salariés (M. [B], M. [K], Mme [Y]) attestent avoir été mêlés (pour certains 'contre leur gré'), à un 'complot' contre M. [P] et M. [V], évoquant des 'réunions secrètes', des 'campagnes de diffamations' visant à discréditer le travail mis en place par M. [V],'animées' ou 'encouragées' par M. [J]. Notamment, Madame [Y] rapporte avoir assisté à des réunions secrètes ayant pour but de discréditer la Direction dans le cadre d'une stratégie encouragée par M. [J]. Se démarquant, elle atteste de la qualité du travail de M. [V].

Il est également versé aux débats le courrier accusateur que Madame [G] avait adressé à M. [J] le 17 avril 2017 dirigé contre M. [P] et M. [V] ainsi que l'attestation qu'elle a établie le 12 juin 2017 pour louer, au contraire, les qualités professionnelles de ce dernier.

Monsieur [L] [V] justifie par ailleurs, par plusieurs attestations (M. [D], Mme [M], Madame [S]) que son bureau lui a été supprimé pour être attribué à M. [T] nouvellement embauché en contrat à durée déterminée, décision suscitant l'incompréhension. Il justifie également que M. [J] lui a demandé, le 22 juillet 2017, de restituer le véhicule qui lui avait été attribué pour une 'utilisation professionnelle et privée' le 1er décembre 2016 pour une année.

Il ressort des éléments versés aux débats que, le 13 juin 2017, Monsieur [L] [V] a été victime d'un malaise sur son lieu de travail et qu'il a été transporté à l'hôpital où il est resté en observation pendant 24 heures. L'appelant justifie que la caisse primaire d'assurance maladie a reconnu, le 26 septembre 2017, le caractère professionnel de l'accident. Le certificat médical initial, en date du 13 juin 2017, fait état d'une 'crise de fatigue et stress' et les certificats postérieurs portant prolongation de l'arrêt de travail mentionnent un 'syndrome anxieux réactionnel'. Le rapport du 30 janvier 2019, établi par l'expert désigné par la caisse primaire, mentionne l'absence d'antécédents dépressifs, constate l'existence de 'manifestations anxieuses', de 'troubles du sommeil', un 'ralentissement psychomoteur', un 'manque de confiance en soi'. Il conclut à l'existence d''éléments de traumatisme liés à son emploi' avec 'persistance d'une anxiété importante et de troubles du sommeil en lien avec des événements professionnels passés'. Le rapport d'expertise médicale du 3 mars 2019 constate l'existence de 'séquelles anxieuses et dépressives invalidantes' dont l'expert estime qu'elle lui semble 'en rapport direct et exclusif avec l'accident du travail du 13 juin 2017'.

L'ensemble de ces éléments tend à mettre en évidence une situation caractérisée par une charge de travail excessive et récurrente pesant sur Monsieur [L] [V], dont l'employeur avait connaissance, eu égard aux feuilles de présence dont il était destinataire. Il ressort également des pièces produites que cette surcharge de travail s'inscrit dans le cadre de graves difficultés rencontrées par le centre éducatif fermé et, plus précisément, dans le cadre d'un grave conflit social opposant une partie du personnel à la direction, Monsieur [L] [V] étant victime de critiques répétées et de comportements visant à lui nuire. Il apparaît que cette situation a conduit à une dégradation de l'état de santé du salarié.

Ces éléments d'appréciation, concordants entre eux et avec les documents médicaux produits, sont de nature à apporter la preuve de faits révélant l'existence d'agissements répétés, une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale et laissant ainsi supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Il incombe, dès lors à l'employeur, conformément aux dispositions de l'article L 1154-1 du code du travail, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions à l'égard du salarié étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'association conteste l'existence des critiques alléguées telles qu'elles résultent des attestations produites dont elle estime, à tort, qu'elles doivent être écartées des débats. Ainsi qu'il a été vu ci-dessus, le fait que certaines d'entre elles émanent de salariés en conflit avec leur employeur ne peut avoir pour effet de leur retirer toute valeur probante et la non-conformité de certaines autres à l'article 202 du code de procédure civile ne peut faire obstacle à ce qu'elles constituent des éléments pouvant utilement valoir à titre de renseignements.

L'association souligne que Madame [G] contredit ce qu'elle a pu dire auparavant et que les autres attestations ne sont pas circonstanciées mais il apparaît, au contraire, que les salariés ayant attesté pour Monsieur [L] [V] font état de circonstances de fait auxquels ils ont assisté et que leurs déclarations sont concordantes pour faire ressortir une situation dans laquelle Monsieur [L] [V] a été victime de comportements injustifiés. Or, l'employeur n'apporte aucun élément de nature à en remettre en cause le contenu.

L'employeur ne conteste pas que Monsieur [L] [V] se soit vu retirer son bureau. Il affirme que celui-ci aurait lui-même déclaré ne pas en avoir besoin mais rien ne vient étayer ses dires. Il soutient que l'attribution d'un véhicule de fonction résulterait d'une erreur, qu'il se serait agi d'un véhicule de service pouvant être utilisé par n'importe quel salarié et pouvant lui être retiré sans raison particulière mais il n'apporte aucune pièce justificative à l'appui de cette affirmation alors que le courrier du 1er décembre 2016 mentionne expressément que ce véhicule est attribué personnellement à Monsieur [L] [V] pour une utilisation 'professionnelle et privée' jusqu'au 31 décembre 2017.

L'employeur fait valoir que Monsieur [L] [V] pourrait lui-même se voir reprocher un harcèlement 'en binôme' avec M. [P] pour s'être vu reprocher des 'méthodes humiliantes de management', mais il ne rapporte aucunement la preuve de ses affirmations, se référant vainement au premier courrier de Madame [G] et à des procès-verbaux de réunions du CHSCT. En effet, outre que Madame [G] est revenue sur ses premières déclarations dans un second courrier et qu'elle a même précisé à Monsieur [L] [V], par courriel du 30 janvier 2019, que sa plainte pour harcèlement moral n'était pas dirigée contre lui mais contre M. [P], les seuls procès-verbaux du CHSCT versés aux débats, celui du 17 février 2017 et celui du 16 mai 2017 font, certes, état de 'l'énorme malaise au travail' existant au sein de l'établissement, de courriers de salariés décrivant leur souffrance au travail, de problèmes d'intimidation, de menaces, mais il ne ressort d'aucun de ces procès-verbaaux que Monsieur [L] [V] aurait été mis en cause pour un comportement inapproprié. Au contraire, le procès-verbal du 16 mai 2017 souligne qu'en raison de l'arrêt pour maladie du directeur, tout repose sur Monsieur [L] [V] et qu'il a été signifié à M. [J] les conséquences liées à une trop grande absence de direction.

L'association LE CAP ne conteste pas l'existence de grandes difficultés au sein du CEF de [Localité 5] mais elle fait valoir qu'elle pris des mesures en matière de risques psycho-sociaux :

- mise en place, depuis le 14 mars 2016, d'un 'plan d'accompagnement interne individualisé et/ou collectif au changement', dans le cadre d'une 'régulation interne' basée sur 'un plan d'action de 36 mois, comprenant 122 points d'améliorations et/ou de corrections (éducatif, pédagogique, sanitaire, légal, éthique, administratif, judiciaire, politique et financier',

- mise en place d'une régulation externe au bénéfice des salariés le 3 janvier 2017, animée par une psychologue spécialisée sur les systèmes maltraitants,

- démarche impulsée par le nouveau directeur, M. [J], les 18 et 19 janvier 2017, avec le technicien des risques professionnels de l'Allier, afin d'élaborer la fiche d'entreprise (étude et compréhension activité, fonctionnement des établissements, conditions de travail et postes de travail des professionnels),

- prise de contact avec une société spécialisée dans le diagnostic et la gestion des risques avec information du médecin du travail sur les démarches entreprises.

L'employeur souligne et justifie qu'il a été ainsi décidé, le 17 février 2017, lors d'une réunion extraordinaire du CHSCT, à laquelle étaient présents le médecin du travail et l'inspecteur du travail, de la désignation d'un expert en organisation du travail et d'une visite du médecin du travail afin d'élaborer la fiche d'entreprise. Il ajoute qu'alerté par l'inspecteur du travail et le médecin du travail, les 9 et 29 mars 2017, sur d'importants dysfonctionnements d'ordre managérial visant le directeur général, M. [P], M. [J] a écrit à ce dernier, le 5 avril suivant, pour mettre en place des mesures permettant de faire cesser cette situation (action de formation en management, audit). Il a mis en place, le 13 avril 2017, des réunions entre M. [P] et M. [V], et s'est mis à la disposition des salariés 'qui viendraient à s'absenter pour raisons de maladie de manière à (...) traiter les éventuelles difficultés rencontrées avec l'équipe de direction'.

L'association LE CAP expose qu'il n'a pu être donné suite au projet de désignation d'un expert en matière de risques psychosociaux, faute de trésorerie suffisante, mais que la fiche entreprise mentionnant les mesures de prévention existantes a été validée par le médecin du travail le 28 avril 2017 prévoyant la mise en place de mesures de prévention (réunions hebdomadaires et institutionnelles, accompagnement au changement). Elle précise que, lors de la réunion extraordinaire du CHSCT en date du 16 mai 2017, le représentant de la CARSAT a préconisé l'intervention d'un consultant extérieur en matière de risques psychosociaux mais que l'association, ne parvenant pas à résoudre les difficultés rencontrées avec M. [P], les plaintes des salariés se poursuivant, a décidé de licencier celui-ci de sorte qu'il n'est plus paru nécessaire de faire nommer un expert indépendant.

L'employeur ajoute qu'a été créée une Commission de Prévention des Risques Professionnels ayant pour mission de rédiger le document unique des risques psychosociaux, de visiter les établissements, de mettre à jour les fiches d'entreprise et d'élaborer un questionnaire anonyme sur la qualité de vie au travail. Il souligne que, dans son rapport de mars 2019 sur l'évaluation des risques psychosociaux, l'association EIPAS a conclu son rapport en estimant 'probable' que les relations entre salariés s'améliorent une fois les problématiques organisationnelles prises en compte (notamment le recrutement de nouveaux salariés) et en jugeant important de garder à l'esprit que 'la prévention du stress et de la souffrance au travail est l'affaire de chacun'.

L'employeur estime, en conséquence, démontrer qu'il a pris, de façon constante, les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé physique et mentale des salariés. Il ajoute qu'il a dû faire face à un sous effectif et à un manque de candidature, qu'il a connu d'importantes difficultés consécutives à un absentéisme chronique. Il souligne que, pour soulager le personnel en place, il a décidé d'adapter le nombre de jeunes accueillis au sein du Centre (6 en 2017 au lieu de 15 en 2026) et de recruter 7 salariés en contrat de travail à durée déterminée en 2017.

Cependant, il est établi par les pièces produites que Monsieur [L] [V] s'est trouvé en situation de souffrance du fait du trop grand nombre d'heures de travail effectuées, et ce dans le cadre d'un grave malaise social existant au sein de l'établissement, d'un fort absentéisme et d'une grave opposition entre certains salariés et la direction. Il n'est pas contesté et il ressort, en tout état de cause, des éléments versés aux débats que l'employeur avait connaissance de la situation dans laquelle se trouvait le salarié puisqu'il en a été alerté, notamment, par le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté et les services de la médecine du travail.

Or, l'employeur ne justifie pas avoir pris de dispositions pour réduire sa charge de travail alors que, tenu d'une obligation de sécurité, il devait prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé physique et mentale des salariés et, plus particulièrement, dès qu'il a été informé de l'existence de faits susceptibles de constituer une atteinte à la sécurité ou la santé, physique et mentale de la salariée, de prendre en application des articles L. 4121-l et L. 4121-2 du code du travail, les mesures immédiates propres à les faire cesser.

Il fait, certes, état, de réunions diverses et de démarches pour mettre en place des plans d'action collectifs mais l'employeur n'apporte aucun élément permettant d'apprécier la mise en oeuvre concrète de mesures propres à permettre de prévenir les risques pour la santé et la sécurité des salariés ni surtout de vérifier l'existence de mesures prises spécifiquement à l'égard de Monsieur [L] [V].

Au contraire, alors que Monsieur [L] [V] justifie, par plusieurs attestations, de l'existence de critiques et d'attaques récurrentes dirigées contre lui, de manoeuvres (courriers, démarches diverses) destinées à lui nuire dans ses fonctions de chef de service et mises en oeuvre en toute connaissance de cause par l'employeur qui, selon certains attestants, les auraient même animées ou encouragées, il n'est versé aux débats aucun élément d'appréciation de nature à remettre en cause la véracité des témoignages faisant état de ce comportement de l'employeur alors que rien ne permet de douter de la réalité des faits ainsi rapportés de manière concordante.

Même si le Centre devait face à de graves difficultés concernant non seulement le recrutement de salariés mais aussi la gestion des mineurs pris en charge et des relations humaines au sein de l'établissement, il apparaît que l'employeur s'est abstenu de prendre en compte les difficultés rencontrées par Monsieur [L] [V] et qu'il n'a pris aucune mesure pour tenter de remédier aux souffrances exprimées.

Il n'est apporté aucun élément de nature à remettre en cause la réalité des agissements mis en évidence par les pièces que produit Monsieur [L] [V] qui tendent à démontrer l'existence d'un comportement ouvertement hostile à son égard dans la période qui a précédé son malaise de juin 2017 et son arrêt de travail. Les éléments versés aux débats sont de nature à démontrer l'existence du harcèlement moral allégué, l'attitude de l'employeur à l'égard de Monsieur [L] [V] ayant eu pour effet de dégrader ses conditions de travail et d'altérer son état de santé au point de conduire à son incapacité de travailler. Ils démontrent également le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité à l'égard de Monsieur [L] [V].

S'agissant du préjudice subi, Monsieur [L] [V] justifie s'être vu attribuer un taux d'incapacité permanente de 15%. Il verse aux débats les prescriptions médicamenteuses dont il a fait l'objet (antidépresseurs, anxiolytiques) de 2017 à 2018. Il lui a été accordé par la caisse primaire d'assurance maladie le bénéficie d'une prise en charge à hauteur de 100% dans le cadre d'une affection de longue durée jusqu'en 2024.

Compte tenu de la durée pendant laquelle Monsieur [L] [V] a connu une situation de souffrance au travail et des documents médicaux versés aux débats attestant de la grave dégradation de son état de santé, l'association LE CAP sera condamnée à lui payer la somme de 20.000,00 euros à titre de dommages-intérêts.

- Sur le licenciement -

Monsieur [L] [V] a fait l'objet, à l'issue de son arrêt de travail débuté le 13 juin 2017, d'une visite de reprise le 3 janvier 2019 auprès du médecin du travail lequel a émis l'avis suivant: 'Inaptitude définitive à la reprise du travail à son poste et à tous postes de l'entreprise. Tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé'.

A la suite de cet avis, Monsieur [L] [V] a fait l'objet d'un licenciement le 27 mars 2019 motivé par son 'inaptitude professionnelle médicalement constatée avec mention que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé'.

Monsieur [L] [V] sollicite de prononcer la nullité du licenciement au motif que son inaptitude trouve son origine dans un état dépressif réactionnel lié à un harcèlement moral.

En droit, l'inaptitude du salarié à occuper son emploi est de nature à justifier son licenciement en l'absence de solution de reclassement. Néanmoins, un tel licenciement, même s'il est fondé sur une inaptitude régulièrement constatée par le médecin du travail, se trouve entaché de nullité s'il apparaît que l'inaptitude a pour origine des agissements de l'employeur constitutifs à un harcèlement moral.

En l'espèce, il résulte des éléments versés aux débats que Monsieur [L] [V] a fait l'objet, le 13 juin 2017, d'un arrêt de travail motivé par un 'syndrome anxieux réactionnel'. Le salarié a été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie dans le cadre de la législation sur les risques professionnels.

Par la suite, Monsieur [L] [V] a fait l'objet de prolongations de son arrêt de travail pour les mêmes causes jusqu'à ce qu'il fasse l'objet de la visite de reprise du 3 janvier 2019 et de l'avis d'inaptitude à son poste de travail émis par le médecin du travail.

Alors que Monsieur [L] [V] démontre avoir connu une dégradation de son état de santé manifestée par un syndrome dépressif en l'absence de tout état antérieur de cette nature et que tous les documents postérieurs à l'arrêt de travail du 13 juin 2017 mentionnent la même pathologie, le salarié faisant l'objet d'un arrêt de travail ininterrompu pour les mêmes raisons jusqu'à sa déclaration d'inaptitude, les éléments versés aux débats, établissent, en l'absence de preuve qu'il pourrait exister une quelconque autre cause pouvant expliquer l'inaptitude, que celle-ci est la conséquence du syndrome anxieux dont le salarié souffre lequel est lui-même la conséquence des agissements de l'employeur.

La maladie et l'inaptitude de Monsieur [L] [V] sont en lien avec la situation de harcèlement moral et le manquement à l'obligation de sécurité imputables à l'employeur, l'association LE CAP. En conséquence, le licenciement sera jugé nul. Le jugement sera infirmé de ce chef.

S'agissant de l'indemnité compensatrice de préavis, Monsieur [L] [V] a perçu, lors de son licenciement, la somme de 12.842,12 euros, correspondant à quatre mois de salaire.

Le licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle étant jugé nul, Monsieur [L] [V] peut prétendre à l'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents.

Le salarié est bien fondé à soutenir que le salaire de référence doit tenir compte des sommes dues au titre des heures supplémentaires. Compte tenu des salaires figurant sur les bulletins de paie, du montant devant être ajouté au titre des heures supplémentaires, la rémunération mensuelle brute de référence s'établit ainsi à 7.824,24 euros.

L'indemnité compensatrice de préavis due s'élevant à 31.296,96 euros, l'association LE CAP sera condamnée à payer à Monsieur [L] [V] la somme de 18.454,84 euros (brut) au titre du solde de l'indemnité compensatrice de préavis, outre l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante.

En ce qui concerne l'indemnité de licenciement, compte tenu du salaire de référence devant être retenu et de l'ancienneté du salarié (2 ans, 10 mois et 19 jours), l'indemnité légale de licenciement (qui doit être doublée en application de l'article L. 1226-14 du code du travail) s'établit à 11.071,29 euros (brut). Monsieur [L] [V] ayant perçu à ce titre la somme de 15.293,76  euros à titre d'indemnité conventionnelle, il doit être débouté de sa demande d'indemnité complémentaire.

En application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, le licenciement étant entaché de nullité en raison de faits de harcèlement moral, Monsieur [L] [V] a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaire, le barème prévu par l'article L 1235-3 du même code n'étant pas applicable.

Monsieur [L] [V], né en 1975, a été licencié après 2 ans et 10 mois d'ancienneté au service d'une entreprise employant au moins 11 salariés, à l'âge de 43 ans. Il se prévaut du rapport d'expertise du 14 janvier 2019 qui conclut à une reprise d'activité impossible dans la même structure et 'difficile' dans le même secteur d'activité.

Compte tenu de ces éléments, des circonstances de la rupture du contrat de travail et de son salaire annuel brut pour les douze derniers mois (7 824,24 ), il lui sera alloué, en application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, la somme de 47.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.

- Sur les intérêts -

En application des dispositions des articles 1231-6 du code civil et R 1452-5 du code du travail, les sommes allouées dont le principe et le montant résultent de la loi, d'un accord collectif ou du contrat (rappel d'heures supplémentaires, indemnité de préavis, indemnités compensatrices de congés payés, indemnité de licenciement), porteront intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l'employeur à l'audience de tentative de conciliation valant mise en demeure, soit le 3 octobre 2019.

Les sommes fixées judiciairement (dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, indemnité pour travail dissimulé, dommages-intérêts pour non information sur la contrepartie obligatoire à repos, dommages-intérêts pour non-respect des dispositions légales relatives à la durée du travail, dommages-intérêts pour licenciement nul, dommages-intérêts alloués en réparation du préjudice résultant de la non-prise en compte des salaires dus au titre des heures supplémentaires dans le calcul de la rente d'incapacité permanente), produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

- Sur la demande de documents -

L'employeur doit remettre au salarié un bulletin de salaire et une attestation destinée au POLE EMPLOI devenu FRANCE TRAVAIL conformes au présent arrêt.

Cette remise devra intervenir dans le délai d'un mois suivant la signification du présent arrêt, sous peine d'une astreinte de 50 euros par jour de retard, pendant 60 jours, et ce sans que la cour se réserve la liquidation de cette astreinte.

- Sur les allocations de chômage -

Compte tenu que le licenciement nul est intervenu dans une entreprise comptant plus de 10 salariés et qu'il a été prononcé à l'encontre d'une salariée ayant plus de deux ans d'ancienneté, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné l'association LE CAP à rembourser au POLE EMPLOI devenu FRANCE TRAVAIL, par application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail et compte tenu des pièces justificatives produites, les indemnités chômage versées à Monsieur [L] [V] pendant six mois.

- Sur les dépens et frais irrépétibles -

L'association LE CAP employeur devra supporter les entiers dépens de première instance et d'appel, ce qui exclut qu'elle puisse prétendre bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il serait par contre inéquitable de laisser Monsieur [L] [V] supporter l'intégralité des frais qu'il a dû exposer pour faire assurer la défense de ses intérêts. Une indemnité de 4.000,00 euros lui sera accordée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

- Confirme le jugement en ce que Monsieur [L] [V] a été débouté de sa demande de dommages-intérêts supplémentaires au titre de la contrepartie obligatoire en repos et de sa demande d'indemnité de licenciement ;

- Infirme le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau :

- Dit le licenciement de Monsieur [L] [V] nul ;

- Condamne l'association LE CAP à payer à Monsieur [L] [V] les sommes suivantes :

* 33.755,61 euros (brut) à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires, outre 3.375,55 euros (brut) au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante,

* 5.000 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait pour non-respect des dispositions relatives au repos quotidien et hebdomadaires et sur les durées maximales de travail,

* 33.740,11 euros au titre de l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'absence de contrepartie obligatoire en repos,

* 46.945,44 euros au titre de l'indemnité de travail dissimulé,

* 20.000,00 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

* 18.454,84 euros (brut) au titre du solde d'indemnité compensatrice de préavis, outre 1.845,48 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante,

* 47.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

- Dit que l'association LE CAP doit remettre à Monsieur [L] [V] un bulletin de salaire et une attestation destinée au POLE EMPLOI devenu FRANCE TRAVAIL conformes au présent arrêt, et dit que cette remise devra intervenir dans le délai d'un mois suivant la signification du présent arrêt, sous peine d'une astreinte de 50 euros par jour de retard, pendant 60 jours ;

Y ajoutant,

- Condamne l'association LE CAP à payer à Monsieur [L] [V] la somme de 20.000,00 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice résultant de la non-prise en compte des salaires dus au titre des heures supplémentaires dans le calcul de la rente servie au titre de la maladie professionnelle ;

- Dit que les sommes allouées à titre de rappels d'heures supplémentaires, d'indemnité de préavis, d'indemnités compensatrices de congés payés et d'indemnité de licenciement porteront intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2019 ;

- Dit que les sommes allouées à titre de dommages-intérêts (pour manquement à l'obligation de sécurité, travail dissimulé, non-information sur la contrepartie obligatoire à repos, non-respect des dispositions légales relatives à la durée du travail, licenciement nul, dommages-intérêts alloués en réparation du préjudice résultant de la non-prise en compte des salaires dus au titre des heures supplémentaires dans le calcul de la rente d'incapacité permanente servie au titre de la maladie professionnelle) produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

- Condamne l'association LE CAP à payer à Monsieur [L] [V] la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne l'association LE CAP aux dépens d'appel ;

- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

Le greffier, Le Président,

V. SOUILLAT C. RUIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Riom
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00516
Date de la décision : 25/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-25;21.00516 ?
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