COUR D'APPEL
DE RIOM
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
Du 28 mai 2024
N° RG 23/00051 - N° Portalis DBVU-V-B7H-F56W
-LB- Arrêt n° 248
[R] [M] / [X], [P], [W] [I]
Jugement au fond, origine Tribunal paritaire des baux ruraux d'AURILLAC, décision attaquée en date du 08 Décembre 2022, enregistrée sous le n° 51-19-000016
Arrêt rendu le MARDI VINGT HUIT MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
M. Philippe VALLEIX, Président
M. Daniel ACQUARONE, Conseiller
Mme Laurence BEDOS, Conseiller
En présence de :
Mme Céline DHOME, greffier lors de l'appel des causes et du prononcé
ENTRE :
Mme [R] [M]
[Adresse 16]
[Localité 4]
assistée de Maître Jean Antoine MOINS de la SCP MOINS, avocat au barreau d'AURILLAC
APPELANTE
ET :
M. [X], [P], [W] [I]
[Adresse 3]
[Localité 5]
assisté de Maître Laurent LAFON de la SELARL AURIJURIS, avocat au barreau d'AURILLAC
INTIME
DÉBATS : A l'audience publique du 25 mars 2024
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 28 mai 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par M. VALLEIX, président et par Mme DHOME, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Par acte sous-seing privé en date du 1er avril 1998, [V] [M] a consenti à M. [X] [I], qui était le concubin de sa fille, Mme [R] [M], depuis 1986, un bail rural sur les parcelles agricoles sises sur la commune de [Localité 18] (Cantal) et cadastrées section H n° [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 6],[Cadastre 7], [Cadastre 8],[Cadastre 12], [Cadastre 13],[Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 11], d'une contenance totale d'environ 9 ha 73 a 70 ca.
Au décès de [V] [M], Mme [R] [M], dans le cadre du partage intervenu le 27 mars 2006, est devenu nue-propriétaire des parcelles, sa mère, [C] [B] veuve [M] en étant usufruitière.
Mme [R] [M] et M. [X] [I] se sont séparés en 2011.
Au décès de sa mère, le 25 septembre 2016, Mme [R] [M] est devenue pleinement propriétaire des parcelles données à bail à M. [X] [I].
Par commandement signifié le 1er août 2018, Mme [M] a mis en demeure M. [X] [I] de procéder au règlement d'un arriéré de fermages, dans la limite de la prescription quinquennale, pour un montant total de 4982,98 euros pour la période du 1er avril 2013 au 31 mars 2018 et de libérer les biens situés sur les parcelles cadastrées section H n°[Cadastre 9] et n° [Cadastre 10], exclus de la location.
Par requête en date du 21 août 2019, Mme [M] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux d'Aurillac d'une requête en résiliation du bail, sollicitant l'expulsion de M. [I] et sa condamnation au paiement d'un arriéré de fermages.
Par jugement en date du 19 novembre 2020, le tribunal paritaire des baux ruraux a ordonné la réouverture des débats et invité les parties à « produire les pièces en lien avec la date de la rupture de leur union maritale ».
Par jugement en date du 25 février 2021, le tribunal paritaire des baux ruraux d'Aurillac a statué en ces termes :
« -Se déclare incompétent matériellement pour statuer sur la demande d'expulsion de M. [I] des parcelles cadastrées section H [Cadastre 9] et [Cadastre 10] au lieu-dit [Localité 17] [Localité 18] au profit du juge des contentieux de la protection d'Aurillac ;
(')
-Condamne M. [X] [I] à payer à Mme [R] [M] la somme de 6565, 19 euros au titre des fermages dus et non prescrits ;
-Constate que M. [X] [I] a acquiescé à la libération de la propriété louée telle que visée au bail signé le 1er avril 1998 et ce depuis le 31 décembre 2019 ;
-Constate que les parties ne sont plus tenues par les termes du bail du 1er avril 1998 ;
-Déboute Mme [M] de sa demande tendant au prononcé de la résiliation du bail ;
-Avant dire droit sur l'indemnité du preneur sortant , ordonne une expertise judiciaire et désigne pour y procéder M. [E] [L] (') avec pour mission de :
-Voir et visiter les parcelles sises au lieu-dit [Localité 17] à [Localité 18], propriété de Mme [R] [M] ;
-Préciser la date à laquelle les plantations ont été effectuées ;
-Rechercher et chiffrer les améliorations effectuées par M. [I] au bénéfice du fonds loué ;
-Déterminer les indemnités qui pourraient être dues au preneur sortant en application des articles L. 411-69,71 et 73 du code rural, en précisant les modes de calcul retenus ;
-Établir le compte de sortie de ferme entre les parties et répondre à leurs dires et réquisitions ;
(')
-Fixe à la somme de 2000 euros le montant de la provision à consigner au greffe pour M. [I] dans le délai de deux mois à compter du prononcé de la présente décision, et ce à peine de caducité de la désignation de l'expert, sauf motif légitime justifié par M. [I] ;
(')
-Réserve les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;
-Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision ;
-Dit que la présente affaire sera rappelée à l'audience du 14 octobre 2021 en réouverture du rapport ».
Mme [O], expert désigné en remplacement de M. [E] [L], a déposé son rapport le 5 avril 2022.
Par jugement du 8 décembre 2022, le tribunal paritaire des baux ruraux d'Aurillac a statué en ces termes :
-Fixe l'indemnité de sortie due à M. [X] [I] à la somme de 6937,38 euros ;
-Condamne en tant que de besoin Mme [R] [M] à payer à M. [X] [I] ladite somme ;
-Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
-Fait masse des dépens, y compris le coût de l'expertise judiciaire et dit qu'ils seront partagés par moitié entre les parties.
Mme [M] a relevé appel de cette décision par acte enregistré au greffe de la cour d'appel de Riom le 9 janvier 2023. Un nouvel acte d'appel a été régularisé le 11 janvier 2023 dans les mêmes termes.
Vu les conclusions en date du 3 novembre 2023 aux termes desquelles Mme [M] présente à la cour les demandes suivantes :
« Déclarer Mme [R] [M] recevable et bien fondée en son appel du jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux d'Aurillac en date du 8 décembre 2022 et en conséquence :
-Réformer le jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux d'Aurillac le 8 décembre 2022 en ce qu'il a 'fixé l'indemnité de sortie due à M. [X] [I] à la somme de 6937,38 euros et condamné, en tant que de besoin Mme [R] [M] à payer à M. [X] [I] ladite somme et fait masse des dépens, y compris le coût de l'expertise judiciaire et dit qu'ils seront partagés par moitié entre les parties ';
-Déclarer M. [X] [I] irrecevable et mal fondé en toutes ses demandes en indemnisation des prétendus travaux qu'il aurait réalisés sur les biens loués et l'en débouter ;
-Condamner M. [X] [I] à payer à Mme [R] [M] la somme de 3000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
-Condamner M. [X] [I] aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire confiée à Mme [O]. »
Vu les conclusions en date du 6 mars 2024 aux termes desquelles M. [X] [I] présente à la cour les demandes suivantes :
« Il est demandé à la cour de Riom,
-Fixer à 13'528 euros le montant de l'indemnité auquel M. [I] pour amélioration des parcelles objet du bail du 1er avril 1998 et à défaut à hauteur de 6937,38 euros comme retenu par le tribunal paritaire des baux ruraux (sic),
-En conséquence, condamner Mme [R] [M] à verser à M. [X] [I] la somme de 13'528,32 euros et à défaut 6937,38 euros à titre d'indemnité due au preneur sortant,
-Confirmer les dispositions du jugement querellé par lesquelles il a été dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et fait masse des dépens de première instance y compris le coût de l'expertise judiciaire en disant qu'ils seront partagés par moitié,
-Condamner Mme [R] [M] à verser à M. [X] [I] une somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles d'appel et aux entiers dépens,
-Rejeter la demande de Mme [R] [M] visant à voir mettre à la charge de M. [X] [I] une indemnité au titre de ses frais irrépétibles ainsi que les dépens comprenant les frais d'expertise ;
-Rejeter toutes demandes, fins et conclusions en sens contraire.»
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions susvisées pour l'exposé complet des prétentions respectives des parties et de leurs moyens.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Selon l'article L. 411-69 du code rural et de la pêche maritime, le preneur qui a, par son travail ou par ses investissements, apporté des améliorations au fonds loué a droit, à l'expiration du bail, à une indemnité due par le bailleur, quelle que soit la cause de la fin du bail.
Les dispositions de l'article L411-71 du même code déterminent, de façon impérative, les modalités d'évaluation de l'indemnité due. [Cass. 3e civ., 6 octobre 2016, pourvoi n° 15-18. 796]
Il appartient au preneur de rapporter la preuve des améliorations qu'il prétend avoir réalisées étant précisé que les travaux ne peuvent donner lieu à indemnisation que s'ils excèdent les diligences que l'on peut normalement attendre d'un locataire rural.
Par ailleurs, en dehors du cas où les travaux d'amélioration ont été prévus par une clause du bail, le preneur ne peut prétendre à une indemnité que si ceux-ci ont été réalisés conformément aux dispositions de l'article L. 411-73 du code rural qui distingue entre :
-Les travaux qui peuvent être réalisés sans accord préalable du bailleur mais après communication à ce dernier d'un état descriptif et estimatif des travaux, (L411-73 I 1),
-Les travaux qui peuvent être réalisés sous réserve de l'autorisation du bailleur, ou à défaut du tribunal paritaire des baux ruraux, après notification préalable par le preneur au bailleur d'une proposition, notamment s'agissant des plantations et constructions de bâtiments destinés à une production hors sol (L411-73 I 2),
-Les travaux qui nécessitent l'accord préalable écrit du bailleur, (construction d'un bâtiment d'habitation sur un bien compris dans le bail, L411-73 I 2),
-Les travaux qui peuvent être exécutés après notification au bailleur d'une proposition de réalisation (travaux imposés par l'autorité administrative L411-73 I 2),
-Les travaux qui peuvent être exécutés sous réserve de l'autorisation du bailleur ou d'un comité technique départemental, après notification de la proposition de travaux par le preneur au bailleur et à un comité technique départemental.
Quelle que soit la procédure applicable, les travaux doivent, sauf accord du bailleur, présenter un caractère d'utilité certaine pour l'exploitation,
En outre, L411-28 du code rural prévoit les dispositions suivantes :
« Pendant la durée du bail et sous réserve de l'accord du bailleur, le preneur peut, pour réunir et grouper plusieurs parcelles attenantes, faire disparaître, dans les limites du fonds loué, les talus, haies, rigoles et arbres qui les séparent ou les morcellent, lorsque ces opérations ont pour conséquence d'améliorer les conditions de l'exploitation.
Le bailleur dispose d'un délai de deux mois pour s'opposer à la réalisation des travaux prévus à l'alinéa précédent, à compter de la date de l'avis de réception de la lettre recommandée envoyée par le preneur. Passé ce délai, l'absence de réponse écrite du bailleur vaut accord. »
Le preneur qui ne justifie pas avoir régulièrement informé le bailleur des travaux et modifications auxquels il a procédé, ni avoir obtenu son autorisation, est privé de son droit à indemnisation, en fin de bail, des améliorations apportées au fonds loué.
Lorsque l'autorisation du bailleur est requise, celle-ci doit être donnée sans équivoque. En dehors des cas où elle doit résulter d'un accord écrit (construction d'un bâtiment d'habitation sur un bien compris dans le bail), l'existence d'une autorisation tacite peut être admise s'il est établi que le bailleur a accompli des actes exprimant clairement sa volonté de consentir aux améliorations envisagées par le preneur, une simple tolérance ou une attitude passive n'étant pas de nature à démontrer la réalité de l'accord intervenu.
En cas de démembrement de la propriété du fonds, l'autorisation d'effectuer les travaux doit être donnée par l'usufruitier, qui a la qualité de bailleur.
-Sur la preuve du respect de la procédure prévue par l'article L. 411-73 du code rural :
Le premier juge a considéré que tous les travaux justifiés par M. [I], postérieurs au 27 mars 2006, date à laquelle Mme [R] [M] s'est vu attribuer dans le cadre du partage la nue-propriété des parcelles louées, et antérieurs à 2012, époque à laquelle M. [I] et Mme [R] [M] étaient déjà séparés, devaient être considérés comme « ayant obtenu l'accord clair et non équivoque du bailleur pour leur réalisation » dans la mesure où il apparaissait « évident que la relation de concubinage ayant existé entre les parties [avait] conduit le preneur à se trouver dans l'impossibilité morale de solliciter un écrit de la part de sa concubine ».
Cette analyse ne peut toutefois être retenue alors d'une part que les seuls travaux pour lesquels un accord écrit est exigé, en application de l'article L. 411-73 du code civil, sont les travaux relatifs à la construction d'un bâtiment d'habitation sur un bien compris dans le bail, qui ne sont pas concernés dans le cadre du présent litige, d'autre part que l'impossibilité dans laquelle peut se trouver une partie de fournir une preuve littérale ne la dispense pas de rapporter, par d'autres moyens, la preuve recherchée au regard des obligations alléguées.
Ainsi, la question qui se pose en l'espèce est celle, non pas de l'exigence d'une preuve écrite de l'autorisation donnée par le bailleur aux travaux mis en oeuvre, mais celle, en l'absence d'autorisation expresse, de la preuve de l'existence d'une autorisation tacite.
En l'occurrence, l'autorisation tacite dont l'existence doit être caractérisée est, jusqu'au 25 septembre 2016, celle de [C] [B] veuve [M], usufruitière des parcelles. Or, l'existence d'un accord tacite donné par celle-ci aux travaux réalisés par M. [I] ne peut être considérée comme établie du seul fait que celui-ci était le concubin de Mme [R] [M].
L'autorisation requise est, à partir de 2016, celle de Mme [R] [M], devenue alors propriétaire de l'ensemble des biens. Cependant, les concubins s'étant séparés en 2011, la relation de concubinage ne peut être invoquée comme une circonstance démontrant que Mme [R] [M] avait nécessairement consenti tacitement aux travaux entrepris.
-Sur les travaux au titre desquels une indemnité est revendiquée :
M. [I] revendique une indemnité de 13'528 euros au titre des travaux entrepris au cours du bail en se référant aux tableaux figurant en pages 26 à 29 du rapport d'expertise judiciaire. Mme [M] s'oppose à la fixation de toute indemnité. Le tribunal a retenu une indemnité de 6937,38 euros. Il convient d'examiner les travaux ou postes de dépenses au titre desquels une indemnité est réclamée :
-Frais liés à l'échange de parcelles et prise en compte de la plus-values subséquente :
Il est établi que, par acte notarié dressé le 28 décembre 2007, un échange de parcelles ayant permis de regrouper quasiment en un seul tenant le domaine agricole est intervenu entre [C] [B] veuve [M] et Mme [R] [M] d'une part, et M. [D] [A] d'autre part, la superficie de la propriété agricole étant alors passée de 9 ha 73 a 70 ca à 10 ha 14 a 70 ca.
M. [I] soutient avoir lui-même réglé les frais afférents à l'acte d'échange, soit 600 euros, et sollicite la prise en compte de cette dépense dans la détermination de l'indemnité de sortie, réclamant en outre qu'il soit retenu la somme de 4058,80 euros au titre de la plus-value résultant de l'échange, telle qu'évaluée par l'expert.
Toutefois, à supposer qu'une telle dépense puisse être considérée comme un investissement ayant apporté des améliorations au fonds loué, il apparaît qu'en l'espèce M. [I] ne rapporte pas la preuve du règlement de ces frais, expressément mis à la charge des parties à l'acte d'échange du 28 décembre 2007.
Par ailleurs, il ne peut être considéré que l'augmentation de la superficie de l'exploitation et son changement de physionomie du fait de l'échange intervenu entre les propriétaires des parcelles résultent du travail du preneur, au sens de l'article L. 411-69 du code rural et de la pêche maritime.
-Travaux de « 'tracto pelle-aménagement' et arasement de talus » :
Il n'est pas contesté que suite à l'échange de parcelles intervenu par acte du 28 décembre 2007, des travaux d'aménagement ont été exécutés avec un tractopelle par l'entreprise [T] [G] et que les factures émises par cette dernière, le 15 octobre 2008, pour un montant de 1327,56 euros, et le 20 février 2009, pour un montant de 1435,20 euros, ont été réglées par M. [I].
Ces travaux d'amélioration foncière, envisagés à l'article L. 411-28 du code rural, sont subordonnés à l'accord du bailleur, étant précisé qu'en cas de silence de celui-ci à l'issue du délai de deux mois dont il dispose pour s'opposer à la réalisation des travaux, son absence de réponse écrite vaut accord.
En l'espèce, dans la mesure où ces travaux ont été entrepris dans les suites de l'échange auquel était partie [C] [B] veuve [M], bailleresse, précisément dans la perspective d'agrandir la superficie de la propriété agricole et d'en améliorer l'exploitation par un regroupement de parcelles, il doit être considéré que celle-ci a accompli un acte exprimant clairement et sans équivoque une autorisation tacite pour le preneur de procéder aux travaux d'amélioration envisagés.
M. [I] peut en conséquence prétendre à une indemnité à ce titre.
S'agissant du calcul de l'indemnité due, l'article L. 411-71 du code rural et de la pêche maritime dispose :
« (')
3° En ce qui concerne les travaux de transformation du sol en vue de sa mise en culture ou d'un changement de culture entraînant une augmentation du potentiel de production du terrain de plus de 20 %, les améliorations culturales ainsi que les améliorations foncières mentionnées à l'article L. 411-28, l'indemnité est égale à la somme que coûteraient, à l'expiration du bail, les travaux faits par le preneur dont l'effet est susceptible de se prolonger après son départ, déduction faite de l'amortissement dont la durée ne peut excéder dix-huit ans. Le montant de l'indemnité peut être fixé par comparaison entre l'état du fonds lors de l'entrée du preneur dans les lieux et cet état lors de sa sortie ou au moyen d'une expertise. En ce cas, l'expert peut utiliser toute méthode lui permettant d'évaluer, avec précision, le montant de l'indemnité due au preneur sortant ; »
En l'occurrence, l'expert judiciaire, en page 32 de son rapport, propose au titre de « la mise en 'uvre de l'échange des parcelles » une indemnité globale sur la base de la plus-value apportée à la propriété agricole, qu'il estime à 400 euros par hectare, semblant prendre en considération d'une part l'échange de parcelles, ayant entraîné l'agrandissement de la propriété et le regroupement de parcelles, d'autre part les travaux entrepris ensuite par M. [I], puisqu'il indique : « L'arasement des talus et des haies dans ce dossier contribue à la mise en valeur du bien ».
Il est constant toutefois que les dispositions de l'article L. 411-71 sont impératives de sorte qu'elles excluent pour le preneur sortant toute autre forme d'indemnisation que celle prévue en fonction de la nature des travaux.
Or, l'expert ne propose en l'espèce aucune méthode permettant d'évaluer avec précision le montant de l'indemnité due au preneur sortant seulement au titre des travaux relevant de l'article L. 411-28 du code rural.
Il convient en conséquence, conformément aux dispositions rappelées, de procéder au calcul de l'indemnité en actualisant les travaux faits par le preneur, par l'application d'un indice, qui sera ici l'indice BT 02 relatif aux travaux de terrassement, avec utilisation d'un coefficient de raccordement (892,23) afin de tenir compte du changement de base de l'indice, et en déduisant l'amortissement sur la base d'une durée de 18 ans, calculé sur 10 ans, étant rappelé que M. [I] a quitté les lieux le 31 décembre 2019.
Les travaux seront actualisés sur la base du calcul suivant :
-Actualisation de la facture du 15 août 2008 : 1327,56 x (892,23) /771 (index octobre 2008 ) = 1536,30 euros ;
-Actualisation de la facture du 20 février 2009 : 1435, 20 x (892,23) / 760,50 (index février 2009) = 1683,79.
Ainsi la dépense totale exposée par M. [I], actualisée, correspond à la somme de 3220,09 euros, de sorte que, après déduction de l'amortissement, l'indemnité due à M. [I] doit être fixée à 1432,15 euros au titre des travaux de « 'tracto pelle-aménagement' et arasement de talus ».
-Sur les travaux relatifs à la conduite d'eau au corral :
M. [I] se réfère à l'expertise s'agissant d'une dépense de 614,17 euros qui correspondrait aux travaux de conduite d'un point d'eau à partir de la grange jusqu'au corral, sur environ 400 mètres, étant précisé qu'aucune facture n'a été communiquée.
Il n'est nullement établi que [C] [B] veuve [M], bailleur et seule habilitée en cette qualité à autoriser l'exécution de tels travaux, y ait en l'occurrence consenti, étant observé que l'existence d'un accord tacite résultant d'actes exprimant clairement sa volonté à l'égard des améliorations envisagées n'est pas démontrée et ne peut être déduite du seul fait qu'elle était la mère de la compagne de M. [I] et que [R] [M] était nue-propriétaire des parcelles.
Par ailleurs, Mme [R] [M] fait valoir à juste titre qu'il n'est pas démontré qu'à la sortie de ferme, ces travaux correspondaient à une amélioration alors qu'il est indiqué dans le rapport d'expertise : « Le réseau mis en place par M. [I]-constat de l'existence des tuyaux -peut se remettre en service si un compteur d'eau est réinstallé au bâtiment. Au jour d'opérations d'expertise (ndr : sic), le compteur d'eau dans le bâtiment était hors service - gelé très certainement-mais un compteur avait bien existé, dont il restait seulement des débris » .
-Sur les travaux d'aménagement du point d'eau principal sur la parcelle n°[Cadastre 14] :
M. [I] revendique la prise en compte dans le calcul de son indemnité de sortie de travaux d'amélioration du captage qui existait déjà.
L'expert a pu constater l'existence des ouvrages (installation d'un bac, captage, tranchées à ciel ouvert). Toutefois, les éléments recueillis dans le rapport d'expertise ne permettent pas de connaître la date précise des travaux, qui auraient été réalisés sans facture, « avant le regroupement des parcelles », et M. [I] n'apporte devant la cour aucune précision sur ce point.
En l'absence de toute facture détaillant les travaux et de toute indication sur la date de leur réalisation, il n'est possible ni de déterminer dans quelle mesure les travaux ont réellement apporté une amélioration au captage déjà existant, ni de calculer une indemnité en fonction de l'amortissement des travaux.
Par ailleurs, il n'est nullement établi que [C] [B] veuve [M], bailleur au moment des travaux, effectués avant le regroupement des parcelles selon M. [I], et ainsi seule habilitée en cette qualité à autoriser l'exécution de tels travaux, y ait en l'occurrence consenti, étant observé que l'existence d'un accord tacite résultant d'actes exprimant clairement sa volonté à l'égard des améliorations envisagées n'est pas démontrée et ne peut être déduite du seul fait qu'elle était la mère de la compagne de M. [I] et que [R] [M] était nue-propriétaire des parcelles.
La demande de M. [I] à ce titre doit en conséquence être rejetée.
-Sur les clôtures « Gallagher » :
Il est établi que M. [I] a remplacé les clôtures anciennes en fils barbelés par des clôtures électriques de type « Gallagher » . L'expert indique à ce sujet que « ce type de clôture est l'évolution ' normale'de l'agriculture, dont l'entretien est plus aisé » et encore qu' « une clôture 'moderne'ne fait que donner de la valeur à un bien agricole ».
Contrairement à ce que soutient Mme [R] [M], la dépense exposée à ce titre peut être considérée comme une amélioration de la propriété.
Toutefois, les éléments recueillis dans le rapport d'expertise ne permettent pas de connaître la date précise des travaux, étant précisé d'une part qu'aucune facture n'est produite pour ceux-ci, d'autre part que M. [I] n'a donné aucune indication sur ce point à l'expert et n'en donne pas davantage devant la cour, de sorte qu'il n'est pas possible de calculer une indemnité en fonction de l'amortissement des travaux.
Par ailleurs, il n'est nullement établi que la procédure d'autorisation des travaux ait été respectée, étant observé qu'en fonction de la date de pose des clôtures électriques, M. [I] devait obtenir cette autorisation soit de [C] [B] veuve [M], soit de Mme [R] [M], et que dans les deux cas, il n'est justifié d'aucun élément permettant de caractériser l'existence d'un accord tacite aux travaux réalisés.
***
Il résulte de l'ensemble de ces explications que M. [X] [I] peut prétendre à être indemnisé uniquement au titre des travaux réalisés après l'échange de parcelles pour aménager le fonds en conséquence de cette nouvelle configuration (travaux de « 'tracto pelle-aménagement' et arasement de talus »).
L'indemnité de sortie lui revenant sera ainsi fixée à la somme de 1432,15 euros, au paiement de laquelle Mme [R] [M] sera condamnée. Le jugement sera en conséquence infirmé sur l'indemnité de sortie.
- Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Le jugement sera confirmé sur les dépens et le rejet des demandes formulées en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Chaque partie supportera la charge des dépens qu'elle a exposés pour les besoins de la procédure devant la cour. Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement,
Ordonne la jonction des affaires enrôlées devant la cour sous les numéros RG 23/00066 et RG 23/00051 ;
Confirme le jugement en ce qu'il a :
-Fait masse des dépens y compris le coût de l'expertise judiciaire et dit qu'ils seront partagés par moitié entre les parties ;
-Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Infirme le jugement pour le surplus et statuant à nouveau sur les points infirmés,
-Fixe à la somme de 1432,15 euros le montant de l'indemnité de sortie due à M. [X] [I] suite à la cessation du contrat de bail rural conclu le 1er avril 1998 avec [V] [M] concernant les parcelles agricoles sises sur la commune de [Localité 18] (Cantal) et cadastrées section H n° [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 6],[Cadastre 7], [Cadastre 8],[Cadastre 12], [Cadastre 13],[Cadastre 14], [Cadastre 15] et 345 ;
-Condamne Mme [R] [M] à payer à M. [X] [I] la somme de 1432,15 euros au titre de l'indemnité de sortie ;
Dit que chaque partie supportera la charge des dépens qu'elle a exposés devant la cour ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier Le président