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02/04/2024 | FRANCE | N°22/00611

France | France, Cour d'appel de Riom, 1ère chambre, 02 avril 2024, 22/00611


COUR D'APPEL

DE RIOM

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE







Du 02 avril 2024

N° RG 22/00611 - N° Portalis DBVU-V-B7G-FY5Z

-PV- Arrêt n°



MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS / L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT, Commune [Localité 5]



Jugement au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CLERMONT-FERRAND, décision attaquée en date du 25 Janvier 2022, enregistrée sous le n° 19/03318



Arrêt rendu le MARDI DEUX AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE



COMPOSITION DE LA COUR lors des débats e

t du délibéré :

M. Philippe VALLEIX, Président

M. Daniel ACQUARONE, Conseiller

Mme Laurence BEDOS, Conseiller



En présence de :

Mme Marlène BERTHET, ...

COUR D'APPEL

DE RIOM

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

Du 02 avril 2024

N° RG 22/00611 - N° Portalis DBVU-V-B7G-FY5Z

-PV- Arrêt n°

MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS / L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT, Commune [Localité 5]

Jugement au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CLERMONT-FERRAND, décision attaquée en date du 25 Janvier 2022, enregistrée sous le n° 19/03318

Arrêt rendu le MARDI DEUX AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

M. Philippe VALLEIX, Président

M. Daniel ACQUARONE, Conseiller

Mme Laurence BEDOS, Conseiller

En présence de :

Mme Marlène BERTHET, greffier lors de l'appel des causes et du prononcé

ENTRE :

MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Maître Olivier TOURNAIRE de la SELARL TOURNAIRE - MEUNIER, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

Timbre fiscal acquitté

APPELANTE

ET :

M. L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représenté par Maître Sophie VIGNANCOUR-DE-BARRUEL de la SCP VIGNANCOUR ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND et de Maître Bernard GRELON de l'AARPI LIBRA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

Timbre fiscal acquitté

Commune [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Maître Anne-Sophie JUILLES de la SELARL DMMJB AVOCATS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

Timbre fiscal

INTIMES

DÉBATS : A l'audience publique du 12 février 2024

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 02 avril 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par M. VALLEIX, président et par Mme DHOME, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

La COMMUNE D'[Localité 5] (Puy-de-Dôme) a fait réaliser entre 1998 et 2003 des travaux de réhabilitation de la toiture en lauzes de son église romane classée au Monuments historiques, la collégiale [7] datant des XIe et XIIe siècles. Elle a ainsi notamment conclu :

- le 9 décembre 1996 un contrat de maîtrise d''uvre de ces travaux avec M. [L] [H], Architecte des bâtiments de France (ABF), assuré auprès de la société MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS (MAF), afin d'établir un Projet architectural et technique (PAT), conjointement avec un Vérificateur des monuments historiques lié par un autre contrat ;

- sans indications de dates, un contrat de louage d'ouvrage avec respectivement MM. [E] et [V] [M], entrepreneurs individuels du bâtiment, et la société NAILLER au titre du lot n° 2 « Couverture en lauze ».

Ces travaux de couverture de l'église ont été réceptionnés en quatre tranches n° 1 à n° 4, respectivement le 3 septembre 1998 (nef), le 18 novembre 1999 (ch'ur et abside), le 21 mars 2002 (bas-côtés de la nef, bras nord et sud du transept) et le 9 juillet 2003 (chapelle [8], sacristie, déambulatoire, absidioles).

M. [L] [H] est décédé le 12 février 2007.

Les lauzes de la toiture s'étant en partie délitées à partir de l'année 2007 en raison de leur gélivité, une procédure de référé-expertise a été diligentée devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand par ordonnances de référé des 6 août 2008, 2 mars 2009 et 18 novembre 2009, suivant laquelle M. [S] [K], expert en toitures près la cour d'appel de Riom, a été désigné. Après avoir rempli sa mission, l'expert judiciaire commis a établi son rapport le 20 juillet 2012.

Suivant un jugement rendu le 24 mars 2015 en lecture du rapport d'expertise judiciaire susmentionné, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a notamment condamné l'ÉTAT (Ministère de la culture et de la communication) à payer au profit de la COMMUNE D'[Localité 5] la somme totale de 1.118.044,99 €, correspondant aux frais de reprise de l'ensemble des quatre tranches de réfection de la toiture avec remplacement de la totalité des lauzes à hauteur de 994.500,00 € HT, au montant estimé des honoraires de l'Architecte en chef des Monuments historiques à hauteur de 120.719,99 € HT et au remboursement de la somme de 2.825,00 € HT de nettoyage de la et des gouttières de l'édifice.

Suivant un arrêt prononcé le 21 décembre 2017, statuant en appel sur le jugement précité du 24 mars 2015 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, la cour administrative d'appel de Lyon a notamment :

- condamné in solidum l'ÉTAT et MM. [M] à payer au profit de la COMMUNE D'[Localité 5], avec intérêts de retard au taux légal à compter du 28 octobre 2013 :

' la somme de 289.667,00 € au titre de la tranche n° 1 des travaux ;

' la somme de 142.076,00 € au titre de la tranche n° 2 des travaux ;

- condamné in solidum l'ÉTAT et la société NAILLER à payer au profit de la COMMUNE D'[Localité 5], la somme de 314.493,00 € au titre de la tranche n° 3 des travaux, avec intérêts de retard au taux légal à compter du 28 octobre 2013 :

- condamné l'ÉTAT à garantir MM. [M] à hauteur de 60 % des condamnations mises à la charge de ce dernier au titre de la première et de la deuxième tranche des travaux ;

- condamné MM. [M] à garantir l'ÉTAT hauteur de 20 % des condamnations mises à la charge de ce dernier au titre de la première et et de la deuxième tranche des travaux ;

- condamné l'ÉTAT à garantir la société NAILLER à hauteur de 60 % des condamnations mises à la charge de ce dernier au titre de la troisième tranche des travaux ;

- condamné la société NAILLER à garantir l'ÉTAT à hauteur de 20 % des condamnations mises à la charge de ce dernier au titre de la troisième tranche des travaux ;

- laissé à la charge de l'ÉTAT les frais d'expertise judiciaire taxés et liquidés à la somme totale de 41.378,96 €.

Suivant une ordonnance rendue le 26 juin 2020, le Juge de la mise en état du tribunal judiciaire judiciaire de Paris, saisi par assignation du 5 juillet 2019 de l'ÉTAT à l'encontre de la société MAF, à sursis à statuer sur les demandes formées par l'AJE à l'encontre de la société MAF jusqu'au prononcé d'une décision définitive des juridictions de l'ordre judiciaire dans ce litige opposant la COMMUNE D'[Localité 5] à la société MAF.

Saisi par assignation du 4 septembre 2019 de la COMMUNE D'[Localité 5] à l'encontre de la société MAF, le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a, suivant un jugement n° RG-19/03318 rendu le 25 janvier 2022 :

- déclaré recevable l'intervention volontaire de l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ÉTAT (AJE) dans cette instance ;

- constaté qu'aucune demande particulière n'est formulée concernant la compétence territoriale du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand ;

- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société MAF portant sur le défaut de qualité pour agir de la COMMUNE D'[Localité 5] ;

- déclaré irrecevables les demandes formées par la COMMUNE D'[Localité 5] à l'encontre de la société MAF pour défaut d'intérêt à agir ;

- déclaré recevables les demandes formulées par l'AJE à l'encontre de la société MAF ;

- rejeté les fins de non-recvoir soulevées par la société MAF au titre de la prescription de l'action de l'AJE, le défaut d'indication des fondements juridiques et l'incompétence matérielle du juge judiciaire pour statuer sur cette action ;

- condamné la société MAF à payer à l'ÉTAT la somme totale de 521.056,20 € au titre de l'action directe fondée sur les manquements contractuels de son assuré M. [H] du fait des travaux susmentionnés ;

- dit que la condamnation pécuniaire qui précède produira des intérêts de retard au taux légal à compter du 5 février 2020 , date de l'intervention volontaire de l'ÉTAT dans cette instance ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- condamné la société MAF à payer à l'ÉTAT une indemnité de 2.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté l'ÉTAT de sa demande de défraiement formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de la COMMUNE D'[Localité 5] ;

- débouté la COMMUNE D'[Localité 5] de sa demande de défraiement formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la société MAF de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société MAF aux dépens de l'instance.

Par déclaration formalisée par le RPVA le 23 mars 2022, le conseil de la SAMCV MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS a interjeté appel du jugement susmentionné, l'appel portant partiellement sur la décision en ce qu'elle a déclaré recevable l'intervention volontaire de l'AJE dans cette instance, rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société MAF portant le défaut de qualité pour agir de la COMMUNE D'[Localité 5], déclaré recevables les demandes formulées par l'AJE à l'encontre de la société MAF, rejeté les fins de non-recvoir soulevées par la société MAF portant sur la prescription de l'action de l'AJE, le défaut d'indication des fondements juridiques et l'incompétence matérielle du juge judiciaire pour statuer sur cette action, condamné la société MAF à payer à l'ÉTAT la somme totale de 521.056,20 € au titre de l'action directe fondée sur les manquements contractuels de son assuré M. [H], dit que la condamnation pécuniaire qui précède portera intérêts de retard au taux légal à compter du 5 février 2020, date de l'intervention volontaire de l'ÉTAT dans cette instance, condamné la société MAF à payer à l'ÉTAT une indemnité de 2.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, débouté la société MAF de sa demande de défraiement formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné la société MAF aux dépens de l'instance.

' Par dernières conclusions d'appelant notifiées par le RPVA le 21 octobre 2022, la société MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS (MAF) a demandé de :

- au visa des articles 30 et 31 du code de procédure civile, L.124-3 du code des assurances, 53, 100 et 101 ainsi que 788 du code de procédure civile et des articles 1240, 2239 et 2241 du Code civil ;

- [à titre principal] ;

- infirmer la décision frappée d'appel ;

- déclarer irrecevables les demandes formées par l'AJE pour défaut de qualité et défaut d'intérêt à agir, pour n'être pas subrogé dans les droits de la COMMUNE D'[Localité 5] à l'encontre de la société MAF ;

- déclarer irrecevables pour défaut de qualité et défaut d'intérêt à agir les demandes de la COMMUNE D'[Localité 5] ;

- déclarer ces demandes prescrites ou forcloses ;

- à titre subsidiaire ;

- déclarer infondées les demandes de l'AJE [et débouter ce dernier de ses demandes] ;

- déclarer infondées les demandes de la COMMUNE D'[Localité 5] et débouter cette dernière de ses demandes ;

- [en tout état de cause] ;

- condamner solidairement l'AJE et la COMMUNE D'[Localité 5] à payer à la société MAF une indemnité de 5.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement l'AJE et la COMMUNE D'[Localité 5] aux entiers dépen de l'instance s, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SELARL Tournaire-Meunier, avocats associés au barreau de Clermont-Ferrand.

' Par dernières conclusions d'intimé et d'appel incident notifiées par le RPVA le 27 juillet 2022, la COMMUNE D'[Localité 5], représentée par son Maire en exercice, a demandé de :

- au visa de l'article L.124-3 du code des assurances ;

- à titre principal ;

- réformer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes ayant été formées par la COMMUNE D'[Localité 5] à l'encontre de la société MAF pour défaut d'intérêt à agir ;

- juger la COMMUNE D'[Localité 5] recevable en son action directe à l'encontre de la société MAF ;

- confirmer la responsabilité contractuelle de M. [H], ayant pour assureur la société MAF, dans la survenance des désordres sur la tranche n°4 des travaux entrepris sur la toiture de l'église [7] ;

- condamner en conséquence la société MAF payer au profit de la COMMUNE D'[Localité 5] la somme de 371.809,00 € à titre d'indemnisation de la tranche n° 4 des travaux, outre intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de la requête introductive d'instance devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand et capitalisation des intérêts ;

- rejeter tous chefs de demandes contraires ;

- à titre subsidiaire ;

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société MAF à payer à l'Etat la somme de 521.056,20 € au titre de l'action directe fondée sur les manquements contractuels de M. [H], assuré auprès de de la société MAF ;

- confirmer ce même jugement en ce qu'il a dit que cette somme produira des intérêts au taux légal à compter du 5 février 2020, date de l'intervention volontaire de l'ÉTAT ;

- confirmer ce même jugement en ce qu'il a débouté l'ÉTAT de sa demande de défraiement formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de la COMMUNE D'[Localité 5] ;

-confirmer ce jugement jugement en ce qu'il a débouté la société MAF de sa demande de défraiement formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- confirmer ce même jugement jugement en ce qu'il a condamné la société MAF aux entiers dépens de l'instance ;

- en tout état de cause ;

- condamner la société MAF à payer à la COMMUNE D'[Localité 5] une indemnité de 2.000,00 € au titre de l'article 700 du code de la procédure civile ;

- condamner la société MAF aux entiers dépens.

' Par dernières conclusions d'intimé notifiées par le RPVA le 15 septembre 2022, l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ÉTAT (AJE) a demandé de :

- au visa des articles 31 et suivants ainsi que 101, 132 et suivants du code de procédure civile, de l'article L.124-3 du code des assurances et de l'article 1346 du code civil ;

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

- rejeter tout autre moyen de la société MAF et de la COMMUNE d'[Localité 5] ;

- condamner la COMMUNE d'[Localité 5] à payer à l'ÉTAT une indemnité de 3.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- condamner la société MAF à payer à l'ÉTAT une indemnité de 5.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

- condamner la COMMUNE D'[Localité 5] et la société MAF aux entiers dépens de l'instance.

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, les moyens développés par la partie appelante à l'appui de ses prétentions sont directement énoncés dans la partie MOTIFS DE LA DÉCISION.

Par ordonnance rendue le 14 décembre 2023, le Conseiller de la mise en état a ordonné la clôture de cette procédure. Lors de l'audience civile collégiale du 12 février 2024 à 14h00, au cours de laquelle cette affaire a été évoquée, chacun des conseils des parties a réitéré et développé ses moyens et prétentions précédemment énoncés. La décision suivante a été mise en délibéré au 2 avril 2024, par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur les fins de non-recevoir

A - Sur le recours subrogatoire de l'AJE au regard de la qualité et de l'intérêt pour agir

La société MAF soulève préalablement l'irrecevabilité de l'action en paiement subrogatoire exercée à son encontre par l'AJE au titre de la qualité et de l'intérêt à agir en invoquant toutefois de simples arguments de fond. Elle objecte en effet à ce sujet que l'AJE ne peut se prétendre subrogé dans les droits de la COMMUNE D'[Localité 5] en ce qu'il n'entrerait pas dans l'un des cas prévus par la loi pour avoir été constructeur au titre de la réhabilitation de la couverture litigieuse et avoir été condamné solidairement en tant que tel, aux côtés des entreprises concernées, à payer les travaux réparatoires des trois premières tranches de travaux.

Le jugement de première instance sera en conséquence confirmé en ce qu'il a déclaré recevables les demandes formées par l'AJE à l'encontre de la société MAF au regard de l'intérêt et de la qualité pour agir.

B - Sur le recours subrogatoire de l'AJE au regard de la prescription extinctive

L'article 2219 du Code civil dispose de manière générale que « La prescription extinctive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps. » tandis que l'article 2224 du Code civil, résultant de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 applicable à compter du 18 juin 2008, dispose que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. ».

Arguant d'un recours subrogatoire, l'AJE présente à titre principal une demande en paiement à l'encontre de la société MAF au titre de l'action directe de l'assuré par l'assureur prévue à l'article L.124-3 du code des assurances.

En l'occurrence, ce n'est qu'à la date du 24 mars 2015 de prononcé du jugement susmentionné du tribunal administratif de Clermont-Ferrand que l'ÉTAT a été à même de prendre connaissance des éléments argués de constitutifs de son recours subrogatoire du fait de la condamnation pécuniaire prononcée à son encontre à hauteur de la somme précitée de 1.118.044,99 € au profit de la COMMUNE D'[Localité 5] au titre de la réparation des quatre tranches de travaux litigieux, couvrant donc l'intégralité des dommages subis par cette dernière. Or, l'acte d'assignation afférent à la première instance introduite devant le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand a été diligenté le 4 septembre 2019, soit avant l'expiration du délai quinquennal à compter de la date précitée du 24 mars 2015, sans qu'il soit dès lors nécessaire de prendre en considération la date précitée du 5 juillet 2019 d'assignation devant le tribunal de grande instance de Paris.

Dans ces conditions, le jugement de première instance sera confirmé, quoique par substitution de motifs, en ce qu'il a déclaré recevable l'action récursoire initiée par l'AJE à l'encontre de la société MAF au regard la prescription quinquennale.

C - Sur la demande principale de la Commune d'[Localité 5] au regard de la prescription

En ce qui concerne la responsabilité contractuelle de droit commun, l'article 2219 du Code civil dispose de manière générale que « La prescription extinctive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps. » tandis que l'article 2224 du Code civil, résultant de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 applicable à compter du 18 juin 2008, dispose que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. ». Cette prescription en matière d'actions personnelles et mobilières était précédemment d'une durée de trente ans. L'article 26/II de la loi précitée du 17 juin 2008, réformant le régime de la prescription extinctive, dispose que « Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. ». Eu égard aux dates de réception des travaux litigieux entre le 3 septembre 1998 et le 9 juillet 2003, les dispositions transitoires issues de la réforme du droit de la prescription s'appliquaient, ce qui amène à considérer que ce délai de prescription expirait, sauf cause de suspension ou d'interruption, le 18 juin 2013.

En ce qui concerne la responsabilité décennale prévue aux articles 1792 et suivants du Code civil, sont applicables les dispositions de l'article 1792-4-1 du Code civil suivant lesquelles « Toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du présent code est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux ou, en application de l'article 1792-3, à l'expiration du délai visé à cet article. ».

En l'espèce, dans son arrêt précité du 21 décembre 2017, la cour administrative de Lyon a retenu la responsabilité de l'ÉTAT quant à la survenance des désordres affectant la toiture litigieuse en constatant pendant le délai d'épreuve de dix ans la compromission de la solidité de l'ouvrage ou l'impropriété à sa destination dans les conditions prévues aux articles 1792 et suivants du Code civil pour les trois premières tranches de travaux ainsi que le manquement de l'architecte en chef des monuments historiques à son obligation contractuelle de conseil concernant la quatrième tranche de travaux, après avoir écarté le régime de la responsabilité sans faute de l'État prévu à l'article 9 de la loi du 31 décembre 2013 en matière d'immeubles classés tel qu'il avait été appliqué en première instance.

Dans ces conditions, seul ce même délai d'épreuve de dix ans peut être opposé à la COMMUNE D'[Localité 5] quant à sa demande de réparation formée directement à l'encontre de la société MAF concernant les trois premières tranches de travaux. Or, il convient en cette occurrence de considérer que la date précitée du 6 août 2008 d'assignation en référé par la COMMUNE D'[Localité 5] a été interruptive de prescription depuis la dernière réception des travaux opérée le 9 juillet 2003, que ce délai de prescription a été suspendu pendant la durée des opérations d'expertise judiciaire confiées à M. [S] [K] et que ce délai a à nouveau couru à compter de la date du 20 juillet 2012 de dépôt de ce rapport d'expertise judiciaire. La COMMUNE D'[Localité 5] n'était donc pas forclose par dix ans à la date du 4 septembre 2019 d'assignation afférente au jugement de première instance.

En tout état de cause concernant l'ensemble des quatre tranches de travaux, le premier juge a exactement relevé qu'à compter de sa date de condamnation pécuniaire du 24 mars 2015 par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand au titre des préjudices subis du fait des désordres ayant affecté l'ensemble de ces travaux, l'AJE a assigné la société MAF au titre de son recours subrogatoire le 5 juillet 2019 devant le tribunal de grande instance de Paris, soit dans le respect du délai de cinq ans à compter du moment où il a eu connaissance des faits lui permettant d'agir.

Le jugement de première instance sera en conséquence confirmé en ce qu'il a écarté les moyens d'irrecevabilité objectés au titre de la prescription.

D - Sur la demande principale de la Commune d'[Localité 5] au regard de la qualité pour agir

Les moyens développés à ce sujet par la société MAF à l'encontre de la COMMUNE D'[Localité 5] relèvent de l'intérêt pour agir et non de la qualité pour agir.

Le jugement de première instance sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir soulevé par la société MAF à l'encontre de la COMMUNE D'[Localité 5] en lui déniant la qualité pour agir.

E - Sur la demande principale de la Commune d'[Localité 5] au regard de l'intérêt pour agir

À ce sujet, la société MAF fait à juste titre observer que la COMMUNE D'[Localité 5] a été entièrement indemnisée par l'ÉTAT de l'ensemble de son préjudice de reprise de la toiture litigieuse dans le cadre de l'exécution du jugement du 24 mars 2015 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand et de l'arrêt du 21 décembre 2017 de la cour administrative d'appel de Lyon par le versement de la somme totale de 1.124.155,34 € incluant en conséquence la somme à nouveau réclamée à hauteur de 371.809,00 € au titre de la tranche n° 4 des travaux.

En effet, force est de constater que la COMMUNE D'[Localité 5] ne conteste pas matériellement ce paiement déjà effectué, se bornant dans sa défense à irrecevabilité à objecter qu'il ne s'agit pas d'une question d'intérêt pour agir mais d'une question de fond et à invoquer en soi dans sa défense au fond son droit d'action directe en qualité de tiers lésé au visa de l'article L.124-3 du code des assurances. Elle ne saurait donc contraindre la société MAF à lui verser directement une indemnité d'assurance correspondant à un montant de réparation dont elle a déjà bénéficié de la part de l'ÉTAT au seul motif selon lequel la responsabilité de l'architecte maître d''uvre n'a pas été distinctement recherchée.

Dans ces conditions, le jugement de première instance sera confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande formée à titre principal par la COMMUNE D'[Localité 5] à l'encontre de la société MAF en paiement de la somme précitée de 371.809,00 € avec intérêts de retard au taux légal et capitalisation des intérêts moratoires.

2/ Sur l'action récursoire

L'article 1346 du Code civil, applicable depuis le 1er octobre 2016 du fait de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, dispose que « La subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui, y ayant un intérêt légitime, paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette. ». À la date du 8 juillet 2015 du paiement litigieux dont il est demandé remboursement par subrogation, l'article 1249 du Code civil [ancien] dispose et que « La subrogation dans les droits du créancier au projet d'une tierce personne qui le paie est ou conventionnelle ou légale. » tandis que l'article 1251 du Code civil [ancien] disposait notamment que « La subrogation a lieu de plein droit : / (') / 3° Au profit de celui qui, étant tenu avec d'autres ou pour d'autres au paiement de la dette, avait intérêt de l'acquitter ; / (') ».

En l'occurrence, si le jugement du 24 mars 2015 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand et l'arrêt du 21 décembre 2017 de la cour administrative d'appel de Lyon ne contiennent dans leur dispositif respectif aucune formule de condamnation à l'encontre des ayants droits de M. [L] [H], décédé le 12 février 2007, ou à l'encontre de la société MAF en sa qualité d'assureur de la responsabilité civile professionnelle de M. [L] [H] alors que cet assureur était pleinement partie à cette instance de contentieux administratif, cette décision d'appel ne rejette pas au fond les conclusions dirigées contre la société MAF mais les rejette pour avoir été portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître. Aucune autorité de chose jugée ne peut donc être opposée à l'action récursoire exercée par la COMMUNE D'[Localité 5] à l'encontre de la société MAF en sa qualité d'assureur de la responsabilité civile professionnelle de M. [L] [H].

Pour autant, quels que soient les motifs énoncés dans le seul corps de cette décision administrative d'appel, il ressort des débats de la présente instance que ce n'est pas M. [L] [H] qui a fait le choix des lauzes dont certaines se sont révélées gélives au point de devoir changer toute la toiture de l'église ayant fait l'objet de cette rénovation mais la Direction régionale des affaires culturelles. Aucune faute de conception ou de surveillance des opérations de chantier ne peut donc raisonnablement être reprochée à M. [L] [H] quant à ce choix de matériaux.

De plus, le maître d''uvre ne peut être tenu d'inciter le maître d'ouvrage à faire des réserves lors de la réception des travaux sur un mode simplement conjectural, étant précisé que les premiers désordres d'effritement des lauzes ne se sont manifestés qu'à partir de février/mars 2003, soit postérieurement aux trois premières réception des travaux des 3 septembre 1998, 18 novembre 1999 et 21 mars 2002. Enfin, à la date du 9 juillet 2003, ces apparitions de désordres présentaient un caractère beaucoup trop ponctuel dans la mesure où ils n'étaient limités qu'à quelques lauzes et où ce n'est que cinq années plus tard en 2008 que ce désordre a atteint la moitié de la toiture avant de se généraliser à l'ensemble de celles-ci.

Enfin, l'ÉTAT a été définitivement condamné par les juridictions de l'ordre administratif à payer au profit de la COMMUNE D'[Localité 5] le montant des travaux réparatoires des trois première tranche de travaux en qualité de constructeur solidairement avec deux entreprises concernées et avec un partage définitif de responsabilité avec deux de ces entreprises alors que le montant de la quatrième tranche de travaux qu'il a accepté de payer procède exactement de la même nature de désordres de construction. Il importe dès lors d'en inférer qu'il s'est acquitté de cette dette à titre exclusif et définitif

Dans ces conditions, le jugement de première instance sera infirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société MAF en qualité d'assureur de la responsabilité civile de M. [L] [H] quant à la survenance des désordres de construction et condamné en conséquence celle-ci, au titre de l'action directe contre l'assureur au paiement de la somme de 521.056,20 €.

Par voie de conséquence, le jugement de première instance sera purement et simplement infirmé en ce qui concerne la condamnation de la société MAF au paiement d'intérêts de retard au taux légal sur la somme précitée de 521.056,20 €.

3/ Sur les autres demandes

En conséquence les motifs qui précèdent à titre principal, le jugement de première instance sera purement et simplement infirmé en ses décisions d'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et d'imputation des dépens de première instance.

Il serait effectivement inéquitable, au sens des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, de laisser à la charge de la société MAF les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager à l'occasion de cette instance et qu'il convient d'arbitrer à la somme de 5.000,00 € en tenant compte des frais et dépens à la fois de première instance et d'appel, à la charge de l'AJE.

Enfin, succombant à l'instance, l'AJE et la COMMUNE D'[Localité 5] seront purement et simplement déboutés de leurs demandes de défraiement formées au visa de l'article 700 du code de procédure civile et en supporteront les entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement

INFIRME le jugement n° RG-19/03318 rendu le 25 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand dans l'instance opposant la COMMUNE D'[Localité 5] à l'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR (AJE) et à la société MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS (MAF) en ce qui concerne :

- la condamnation de la société MAF à payer au profit de l'ÉTAT la somme de 521.056,20 €, avec intérêts de retard au taux légal à compter du 5 février 2020 ;

- toutes ses décisions d'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- sa décision d'imputation des dépens de première instance.

CONFIRME ce même jugement en toutes ses autres dispositions.

Y ajoutant.

CONDAMNE l'AJE à payer au profit de la société MAF une indemnité de 5.000,00 €, en dédommagement de ses frais irrépétibles prévus à l'article 700 du code de procédure civile.

REJETTE le surplus des demandes des parties.

CONDAMNE solidairement l'AJE et la COMMUNE D'[Localité 5] aux entiers dépens de l'instance, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SELARL Tournaire-Meunier, avocats associés au barreau de Clermont-Ferrand.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Riom
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22/00611
Date de la décision : 02/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-02;22.00611 ?
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