20 JUIN 2023
Arrêt n°
SN/NB/NS
Dossier N° RG 21/00503 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FRVX
S.A.S. STEF TRANSPORT [Localité 4]
/
[H] [E]
jugement au fond, origine conseil de prud'hommes - formation paritaire de clermont-fd, décision attaquée en date du 23 février 2021, enregistrée sous le n° f 20/00325
Arrêt rendu ce VINGT JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :
M. Christophe RUIN, Président
Mme Sophie NOIR, Conseiller
Mme Karine VALLEE, Conseiller
En présence de Mme Séverine BOUDRY greffier lors des débats et de Mme Nadia BELAROUI greffier lors du prononcé
ENTRE :
S.A.S. STEF TRANSPORT [Localité 4] agissant en la personne de son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentée par Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, avocat constitué, substitué par Me Jessica PRECLOUX, avocat suppléant Me Joseph AGUERA de la SCP JOSEPH AGUERA ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant
APPELANTE
ET :
M. [H] [E]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représenté par Me Elise TRIOLAIRE, avocat suppléant Me Jean-louis BORIE de la SCP BORIE & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIME
M. RUIN, Président et Mme NOIR, Conseiller après avoir entendu, Mme NOIR, Conseiller en son rapport, à l'audience publique du 24 avril 2023, tenue par ces deux magistrats, sans qu'ils ne s'y soient opposés, les représentants des parties en leurs explications, en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré après avoir informé les parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
La Sas Stef Transport [Localité 4] est spécialisée dans le transport et l'organisation des flux de produits frais et surgelés pour le compte de plusieurs filières de l'industries agro-alimentaire.
Elle appartient au groupe Stef.
M. [E] a été initialement embauché par la société Exel Logistics Froid devenue Ebrex, à compter du 30 mars 1998 au poste de chef de quai, selon contrat de travail à durée déterminée.
A compter du 29 juin 1998, la relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.
La convention collective applicable à la relation de travail est la Convention Collective Nationale du transport Routier de marchandises et des activités auxiliaires du transport.
Par avenant du 19 octobre 2000, M. [H] [E] a été promu au poste d'adjoint responsable expéditions, statut haute maîtrise, groupe 6, coefficient 200 à compter du 1er novembre 2000, en contrepartie d'un salaire de 11 500 francs bruts sur 12 mois correspondant à 151,66 heures mensuelles hors prime d'ancienneté, puis au poste de responsable de production nuit à compter du 1er octobre 2006 selon avenant au contrat de travail du 20 septembre 2006.
A compter du 1er janvier 2014, le contrat de travail de M. [E] a été transféré à la Sas Stef Transport [Localité 4].
Le 23 février 2017, le salarié a été élu membre du CHSCT.
Le 13 juillet 2017, Monsieur [E] a été placé en arrêt maladie jusqu'au 25 février 2018.
Au terme d'une seconde visite médicale de reprise du 26 février 2018, le médecin du travail a déclaré M. [E] inapte à son poste de responsable production nuit en précisant que 'tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ».
M. [H] [E] a de nouveau été placé en arrêt de travail à compter du 13 juillet 2017 et ce jusqu'au 2 novembre 2018.
Le 13 mars 2018, la société Stef Transports [Localité 4] a convoqué M. [H] [E] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 20 mars 2018.
L'employeur a consulté le comité d'entreprise à l'occasion d'une réunion extraordinaire organisée le 12 avril 2018 au sujet du projet de licenciement de M. [H] [E].
Le 30 avril 2018, la société Stef Transports [Localité 4] a demandé une autorisation de licenciement à l'inspecteur du travail, que ce dernier lui a refusée par décision du 18 juin 2018 au motif que le vote des membres du comité d'entreprise avait eu lieu à main levée et non au scrutin secret.
L'employeur a de nouveau consulté le comité d'entreprise lors d'une réunion du 9 août 2018.
L'autorisation de licenciement M. [H] [E] de son poste de 'responsable de production nuit' a finalement été donnée par l'inspecteur du travail le 28 septembre 2018.
Entre temps et le 29 août 2018, la CPAM a notifié à M. [H] [E] un refus de prise en charge d'une maladie non prévue par les tableaux des maladies professionnelles.
Cette décision a été confirmée par la commission de recours amiable de la CPAM du Puy-de-Dôme le 9 avril 2019.
Par courrier en date du 10 octobre 2018, la Sas Stef Transport [Localité 4] a notifié à M. [E] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le courrier est ainsi libellé :
« Vous avez été embauché le 1er janvier 2014 au sein de la société Stef Transport [Localité 4] en qualité de « responsable production nuit » suite à la fusion entre deux entreprises Ebrex/Stef, avec reprise d'ancienneté au 30 mars 1998.
Du 13 juillet 2017 au 26 février 2018, vous avez été en arrêt de travail.
Ainsi et conformément aux dispositions légales, vous avez été soumis à une visite médicale, suite à une visite de médicale de pré-reprise qui a eu lieu le 19 janvier 2018.
Une étude de poste et des conditions de travail a été réalisée le 1er février 2018.
C'est à la suite de la visite médicale en date du 26 février 2018 que le médecin du travail vous a déclaré inapte au poste de « responsable production nuit » dans les termes suivants : « inapte au poste de Responsable Production Nuit et tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ».
Par conséquent, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications formulées sur votre inaptitude, nous avons donc été contraints de vous convoquer en date du 29 juin 2018, à un entretien préalable en vue d'une éventuelle mesure de licenciement le mardi 10 juillet 2018 auquel vous vous êtes présenté seul.
Au cours de cet entretien, nous vous avons rappelé la procédure de reconnaissance d'inaptitude dont vous avez fait l'objet.
A la suite de cet entretien, aucune solution alternative à votre licenciement n'a pu être envisagée.
Au regard de votre statut de salarié protégé, les membres de la Délégation Unique du Personnel prise en sa fonction de Comité d'Entreprise de Stef Transport Clermont ont été convoquées pour une réunion extraordinaire en date du jeudi 9 août 2018 à 16h30, afin de les informer et de les consulter sur le projet de votre licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Vous avez reçu à ce titre, par courrier recommandé avec accusé de réception, en date du 12 juillet 2018, une convocation spéciale vous informant que vous seriez entendu par la Délégation Unique du Personnel lors de cette réunion en date du jeudi 9 août 2018.
Après information sur le projet de licenciement, et en votre présence, la Délégation Unique du Personnel a émis, à bulletin secret, l'avis suivant :
- 4 favorables
- aucun défavorable
- aucun blanc
Puis, en application des articles R.2421-4 et R.2421-11 du Code du travail, nous avons sollicité l'autorisation de l'Inspecteur du Travail.
Celui-ci nous a donné son accord par courrier en date du 28 septembre 2018.
Par conséquent, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour inaptitude médicalement constatée à votre poste de travail et impossibilité de reclassement.
Votre état de santé ne vous permettant pas d'effectuer le préavis, la date d'envoi de cette lettre à votre domicile fixe fixera la date de rupture de votre contrat.
Conformément aux dispositions légales, vous ne bénéficierez pas pour autant d'une indemnité compensatrice de préavis. »
Le 08 octobre 2019, M. [E] a saisi le conseil des prud'hommes de Clermont-Ferrand pour voir notamment juger que son inaptitude est d'origine professionnelle.
Par jugement du 23 février 2021, le conseil des prud'hommes de Clermont-Ferrand a :
- dit et jugé recevables et bien fondées les demandes de M. [E] ;
- dit et jugé que les faits de harcèlement sont avérés ;
- dit et jugé que la rupture du contrat de travail trouve son origine dans les faits de harcèlement moral ;
En conséquence,
- dit et jugé que l'inaptitude de M. [E] est d'origine professionnelle ;
- condamné la société Stef Transport [Localité 4] prise en la personne de son représentant légal, à porter et payer à M. [E] les sommes suivantes :
- 10.436,26 euros au titre du complément d'indemnité spéciale de licenciement ;
- 4.821,88 euros au titre d'indemnité équivalent au préavis ;
- 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
- 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte injustifiée de l'emploi ;
50 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouté la société Stef Transport [Localité 4] de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire pour les condamnations qui ne le sont pas de droit ;
- condamné la société Stef Transports [Localité 4] aux entiers dépens.
La Sas Stef Transports [Localité 4] a interjeté appel de ce jugement le 02 mars 2021.
Vu les conclusions notifiées à la cour le 18 novembre 2021 par la Sas Transports [Localité 4] ;
Vu les conclusions notifiées à la cour le 23 août 2021 par M. [E] ;
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 27 mars 2023.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions, la Sas Stef Transports [Localité 4] demande à la cour de :
- infirmer le jugement du Conseil des prud'hommes de Clermont-Ferrand du 23 février 2021 en toutes ses dispositions ;
- constater que M. [E] a abandonné sa demande de dommages et intérêts au titre d'une exécution déloyale du contrat de travail ;
- dire et juger que la demande de dommages et intérêts au titre d'un harcèlement moral est irrecevable, et en toute hypothèse infondée ;
- constater que M. [E] ne rapporte pas la preuve d'un quelconque manquement de la Société à ses obligations contractuelles ;
- constater que M. [E] ne rapporte pas la preuve d'un lien entre la dégradation de son état de santé et son activité professionnelle ;
- dire et juger que le licenciement pour inaptitude physique médicalement constatée et impossibilité de reclassement de M. [E] repose sur une cause réelle et sérieuse ;
Partant,
- débouter M. [E] de l'intégralité de ses demandes ;
- le condamner aux entiers dépens de la présente instance ainsi qu'à 2000 euros d'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions, M. [E] demande à la cour de :
- confirmer le jugement du conseil des prud'hommes de Clermont-Ferrand du 23 février 2021, sauf en ce qui concerne le montant des dommages intérêts alloués au titre de la perte injustifiée de son emploi ;
Statuant à nouveau,
- condamner la société Stef Transport à lui payer et porter la somme de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la perte injustifiée de son emploi ;
Y ajoutant,
- condamner la société Stef Transport à lui payer et porter la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire la cour rappelle :
- qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions recevables des parties et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion contenue dans ces écritures
- les demandes de 'constater' ou de 'dire et juger' lorsqu'elles ne constituent pas des prétentions mais des rappels de moyens, ne saisissent la cour d'aucune prétention, la cour ne pouvant alors que confirmer le jugement.
Sur la recevabilité de la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral :
L'employeur fait valoir au soutien de sa fin de non-recevoir opposée à la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral :
- que le salarié a modifié sa demande initiale de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail en demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral afin d'échapper à la prescription biennale
- que les demandes nouvelles sont irrecevables depuis le décret Macron du 20 mai 2016 ayant supprimé le principe d'unicité de l'instance en matière prud'homale
- que la cour 'ne pourra qu'infirmer le jugement du conseil des prud'hommes à ce titre, et juger irrecevable la nouvelle demande formulée par Monsieur [E] au titre du harcèlement moral dont il aurait fait l'objet'.
L'article R.1452-6 du code du travail, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, disposait que : 'Toutes les demandes liées au contrat de travail entre les mêmes parties font, qu'elles émanent du demandeur ou du défendeur, l'objet d'une seule instance.'
Le principe d'unicité d'instance édicté par ce texte imposait aux parties de présenter lors de la même procédure toutes leurs demandes afférentes à une même relation de travail.
Il est constant :
- que le principe d'unicité d'instance n'est pas applicable en l'espèce puisqu'il ne s'applique plus aux instances introduites devant les conseils de prud'hommes à compter du 1er août 2016
- que dans sa requête initiale M. [H] [E] formait une demande de dommages et intérêts au titre de l'exécution fautive du contrat de travail, qu'il a remplacée dans ses conclusions devant le bureau de jugement par une demande de dommages et intérêts pour harcèlement.
Cependant, contrairement à ce que soutient la société Stef Transports [Localité 4], la seule suppression du principe d'unicité d'instance ne suffit pas à rendre irrecevable cette modification des demandes du salarié en première instance.
En effet, comme le fait justement valoir M. [H] [E], l'article 70 du code de procédure civile stipule que les demandes reconventionnelles ou additionnelles sont recevables si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
L'article 65 du même code définit la demande additionnelle comme étant celle par laquelle une partie modifie ses prétentions antérieures.
Or, les deux demandes concernent l'indemnisation à hauteur de 20'000 euros d'un préjudice subi pendant l'exécution du contrat de travail et sont toutes deux fondées sur l'existence d'un harcèlement moral.
La société Stef Transports [Localité 4] fait également valoir que 'la cour est liée par les demandes telles que formulées par le demandeur lors de sa saisine et ne pourra statuer que sur celles-ci'.
Selon les articles R. 1452-1 et R. 1452-2 du code du travail, dans leur rédaction issue du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, la demande en justice est formée par requête qui contient un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionne chacun des chefs de celle-ci.
Aux termes de l'article R. 1453-3 du code du travail, la procédure prud'homale est orale.
L'article R. 1453-5 du même code précise que lorsque toutes les parties comparantes formulent leurs prétentions par écrit et sont assistées ou représentées par un avocat, elles sont tenues de les récapituler sous forme de dispositif et elles doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures.
Aux termes de l'article 70 alinéa 1 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ou additionnelles sont recevables si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
Il en résulte qu'en matière prud'homale, la procédure étant orale, le requérant est recevable à formuler contradictoirement des demandes additionnelles qui se rattachent aux prétentions originaires, devant le juge lors des débats, ou dans ses dernières conclusions écrites réitérées verbalement à l'audience lorsqu'il est assisté ou représenté par un avocat.
En l'espèce, la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral, dont il résulte des motifs ci-dessus qu'elle présente un lien suffisant avec la demande de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail formulée dans la requête initiale, figurait dans les chefs de demande récapitulés dans le dispositif des dernières conclusions du salarié (pièce 40 de la partie appelante) soutenues oralement et déposées lors de l'audience devant le conseil des prud'hommes.
Il résulte de tout ce qui précède que la demande de dommages et intérêt pour harcèlement moral est recevable.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral :
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail dans sa version antérieure à la Loi 2016-1088 du 8 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Selon ce même article, dans sa version issue de la Loi 2016-1088 du 8 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
A l'appui des manquements relevant d'un harcèlement moral, le salarié invoque les faits suivants :
1 - la société Stef a unilatéralement modifié son contrat de travail au moment de son transfert au mois de janvier 2014 en procédant au retrait de ses responsabilités :
M. [H] [E] fait valoir :
- qu'avant le transfert de son contrat de travail à la société Stef il occupait les fonctions de responsable de production nuit depuis un avenant du 20 septembre 2006, que ses bulletins de salaires mentionnaient qu'il relevait du statut d'agent de maîtrise, que sa définition de fonction détaillait précisément ses attributions parmi lesquelles figuraient des responsabilités managériales
- que le 3 juin 2014, la direction de la société Stef, a tenté de le faire passer du statut haute maîtrise au statut maîtrise, ce qu'il a refusé, qu'il a informé son nouvel employeur de sa déception de ne pas ' gérer une équipe à part entière' cela quoi il a été répondu qu'il devait 'faire ses preuves' ' comme tout nouvel embauché', ce au mépris de ses 19 années d'ancienneté et de ses fonctions contractuelles
- qu'en effet, la société Stef disposait déjà d'un responsable de production de nuit à savoir . M.[T]
- que placé sous la responsabilité hiérarchique de M. [T], il s'est vu retirer ses fonctions de responsable de production nuit et a été privé, à compter du transfert du contrat de travail, de toute fonction managériale et de toute responsabilité.
Il ressort de l'avenant au contrat de travail de M. [H] [E] du 20 septembre 2006 qu'avant le transfert de son contrat de travail à la société Stef Transports [Localité 4] 1er janvier 2014, ce dernier occupait le poste de responsable de production nuit.
La fiche de poste produite en pièce 2 par le salarié démontre qu'à ce titre, il était placé sous la subordination du directeur d'agence et qu'il était en charge du management de ses équipes.
Enfin, il ressort de l'avenant au contrat de travail signé le 19 octobre 2000 que M. [E] était classé au groupe 6, coefficient 200, statut haute maîtrise depuis le 1er novembre 2000.
Un courriel daté du 3 juin 2014 de Mme [A] [G], membre du service des ressources humaines de la société Stef Transports [Localité 4], démontre que lors du transfert du contrat de travail, le nouvel employeur a souhaité ramener le salarié au statut maîtrise au motif que ' Haute maîtrise chez Ebrex = pas de statut cadre (= maîtrise chez Stef)'.
Ce courriel démontre également qu'après le transfert du contrat de travail, la société Stef Transports [Localité 4] n'a pas confié à M. [H] [E] une équipe à gérer et qu'elle a considéré qu'avec une ancienneté de quatre mois, M. [H] [E] était 'toujours en période de formation' et qu'il devait ' faire ses preuves comme tout nouvel embauché'.
Ceci est confirmé par :
- le courrier de l'inspecteur du travail du 19 septembre 2014 retranscrivant la réponse de la société Stef Transports [Localité 4] à une réclamation de M. [H] [E] du mois de juillet 2014 dans laquelle la société confirme que M. [H] [E] a bien été placé sous la responsabilité hiérarchique de M. [T], responsable exploitation nuit, suite au transfert de son contrat de travail et que sa mission consistait à participer aux différentes tâches administratives (exploitation) et opérationnelles (quai) du site ;
- le compte rendu de l'étude de poste et les conditions de travail établi par le médecin du travail le 6 février 2018 dans lequel celui-ci mentionne que 'Mr [E] a travaillé pendant de nombreuses années pour l'entreprise Ebrex, en tant que responsable production.
Suite au rachat de l'entreprise par Stef, en janvier 2014, il y a eu des modifications au niveau des tâches réalisées à son poste, un salarié chez Stef ayant déjà cette fonction.
L'intitulé de son poste est toujours responsable production nuit et à ce poste il réalise :
- des tâches administratives : mise en case des documents de transport, transmission aux chauffeurs des lettres de missions, des documents pour le destinataire ...
- la mise à température des véhicules (mise en route des frigos et surveillance de la température)' ;
- l'attestation de M. [P] [L], agent de quai, anciennement placé sous la responsabilité hiérarchique de M. [H] [E] au sein de la société Ebrex, qui indique le 24 mai 2019 qu'après le transfert des contrats de travail à la société Stef Transports [Localité 4], M. [H] [E] 'n'avait plus du tout de responsabilité. Il était affecté à des tâches besognes comme vidé les camions, balayé le quai' ;
- le courrier de M. [H] [E] adressé le 9 novembre 2015 à la société Stef Transports [Localité 4] qui n'en a pas démenti les termes, dans lequel le salarié rappelle qu'à son premier jour dans l'entreprise Stef, M. [T] l'a placé dans un bureau sans lui confier aucune tâche au point qu'il a fini par se rendre auprès du responsable de quai pour lui demander s'il pouvait se rendre utile en chargeant et déchargeant les camions et que ' cette situation s'est répétée tous les jours pendant plus de trois mois durant lesquels il a chargé et déchargé les camions et balayé le quai.
La matérialité de ces faits est ainsi établie.
2- la direction a exercé des pressions sur lui pour qu'il signe un avenant à son contrat de travail, ce qu'il a toujours refusé de faire :
M. [H] [E] produit en pièce 20 un courrier adressé à la société Stef Transports [Localité 4] intitulé 'réponse à votre courrier du 25 mars 2016", dont les termes ne sont pas remis en cause par l'appelante, dans lequel il dénonce avoir fait l'objet de pressions lors de son entretien avec sa nouvelle direction en 2014 pour le contraindre à signer un avenant au contrat de travail dont l'objet était de 'descendre son statut d'agent haute maîtrise à simple agent de maîtrise'. Dans ce courrier, le salarié précise qu'il a par la suite fait l'objet de plusieurs autres relances'.
Ce courrier est en outre corroboré par le courriel de Mme [A] [G] du 3 juin 2014 qui démontre que la société Stef transport Clermont Ferrand avait effectivement le projet de modifier le statut de M. [E].
Ces éléments établissement la matérialité de pressions exercées par l'employeur sur le salarié pour modifier son statut.
3 - l'attitude vexatoire et humiliante M. [T] à son égard :
M. [H] [E] soutient :
- que M. [T] et lui occupaient le même poste de responsable exploitation nuit au moment du transfert de son contrat de travail
- que dès le transfert du contrat de travail, M. [T] s'est imposé comme son supérieur hiérarchique
- que ce dernier lui a réservé un accueil glacial et lui a tenu des propos agressifs dès sa première rencontre de présentation de l'équipe
- que cette attitude méprisante et indifférente s'est poursuivie par la suite
- qu'il a écrit le 9 novembre 2015 à l'employeur pour dénoncer les brimades quotidiennes de M. [T], son refus de communiquer et sa mise à l'écart
- que sa situation a fait l'objet d'une question en réunion de CHSCT le 14 décembre 2015
- que pour autant, aucun changement n'est intervenu
- que l'employeur a diligenté une enquête interne confiée à ' une psychologue du travail rattachée à [la] direction régionale au cours de laquelle seuls trois salariés ont été entendus et ont été interrogés sur ses compétences professionnelles et non pas sur l'attitude de M. [T] à son égard
- qu'il n'a pour sa part jamais été entendu dans le cadre de cette enquête
- qu'il a dénoncé à l'employeur les refus systématiques de M. [T] de lui accorder ses RTT et congés payés ainsi que son absence de réponse à ses demandes dans certains cas par courrier du 1er août 2017.
Il est établi par les pièces détaillées ci-dessus que, alors que M. [T] et M. [H] [E] occupaient le même poste de responsable exploitation nuit, l'employeur a placé le second sous la responsabilité hiérarchique du premier.
Plusieurs pièces démontrent l'accueil glacial et les propos agressifs de M. [T] à l'égard de son collègue dès leur première mise en présence.
En effet, dans un courrier adressé à l'employeur le 9 novembre 2015, auquel l'employeur a répondu 15 jours après en informant simplement M. [H] [E] qu'il diligentait une enquête au sein de l'entreprise, M. [E] fait part de ce que, lorsqu'il est venu se présenter à sa nouvelle équipe, M. [T] l'a très brièvement présenté puis, après avoir regardé ses chaussures de ville, lui a indiqué que : ' si lundi tu n'as pas de chaussures de sécurité je vais te mettre une cartouche', com.
Ces comportement et propos sont confirmés par M. [P] [L] dans son attestation.
Dans ce courrier du 9 novembre 2015, le salarié mentionne également : 'je suis définitivement humilié, mis plus bas que terre, sans jamais avoir eu le droit à une explication. Et chaque jour, on se charge de m'humilié un petit peu plus, j'entends les collègues discutaient des mails qu'ils reçoivent concernant l'entreprise, des mails que je suis le seul à ne pas recevoir' avant de détailler la dépression dans laquelle le comportement de M. [T] l'a plongé et de terminer par la déclaration suivante : 'le point de non-retour a été franchi depuis longtemps, il est venu le moment où tout cela va cesser d'une manière ou d'une autre'.
La situation de M. [H] [E] a été évoquée lors d'une réunion du CHSCT du 14 décembre 2015 au cours de laquelle les membres du CHSCT ont demandé à la direction ' des nouvelles du dossier de Mr D. [E]', ce à quoi la direction de l'entreprise a répondu que ' toutes les personnes concernées par ce dossier ont été vues par un psychologue en interne. Des mesures de réorganisation ont été prises, M. [K] [T] changera d'horaires au mois de janvier, Mme [C], inspectrice du travail insiste sur le fait de veiller à ce que Mr [T] ne trouve pas un nouveau souffre-douleur, la direction précise que Mr [T] sera accompagné dans ses nouvelles fonctions'.
Par courrier du 25 mars 2016 adressé à l'employeur, dont la réponse n'est pas versée aux débats, M. [H] [E] a fait le constat que le décalage des horaires de son supérieur hiérarchique de 00h à 6h00 n'avait pas réglé son problème puisque M. [T] ne respectait pas ses horaires de travail.
En outre, l'employeur ne justifie pas des mesures prises pour éviter le mode de management délétère de M. [T] à l'égard de M. [E] qu'il a lui-même reconnu lors de la réunion du CHSCT du 14 décembre 2015 et notamment le cursus de formation managérial qu'il affirme lui avoir fait suivre par la suite.
De même, la société Stef Transports [Localité 4] ne produit aucun compte rendu de l'enquête interne annoncée dans son courrier du 25 novembre 2015.
Toutefois, les conclusions de cette 'enquête' ont fait l'objet d'une retranscription par l'employeur au salarié dans un courrier du 25 mars 2016 dans lequel ce dernier indique que les opérations ont été menées par une psychologue du travail rattachée à la direction régionale, laquelle a auditionné les quatre salariés du service et le chef de quai nuit.
Ce courrier confirme que M. [H] [E] n'a pas été entendu dans le cadre de cette enquête.
Il ressort également de la retranscription de cette enquête par l'employeur que les personnes entendues n'ont manifestement pas été interrogées sur le comportement de M. [T] à l'égard de M. [H] [E] puisque ces salariés ont seulement 'reconnu' le 'caractère hyper professionnel de leur responsable de service, Monsieur [T] mais regrettent une forme parfois abrupte en terme de communication et un manque de délégation'.
Enfin, M. [H] [E] démontre au moyen de son courrier du 1er août 2017, avoir interpellé l'employeur sur les refus systématiques de M. [T] de lui accorder ses RTT et congés payés ainsi que l'absence de réponse à certaines de ses demandes.
La matérialité de tous ces faits est établie.
4 - la société Stef, informée des problèmes qu'il rencontrait, n'a pris aucune mesure de nature à préserver son état de santé :
Hormis l'enquête interne lacunaire diligentée par l'employeur à la suite du courrier d'alerte du salarié du 9 novembre 2015, la société Stef Transports [Localité 4] ne justifie d'aucune mesure visant à mettre fin aux conséquences délétères du comportement de ce dernier sur l'état de santé de M. [H] [E], dont elle avait parfaitement connaissance au vu du compte rendu de la réunion du CHSCT du 14 décembre 2015.
Ce fait est matériellement établi.
5 - une dégradation de ses conditions de travail ayant porté atteint à son état de santé :
M. [H] [E] Verse aux débats de nombreuses pièces qui corroborent les termes de son courrier du 9 novembre 2015 dans lesquels il évoque une dépression nerveuse liée à ses conditions de travail au sein de la société Stef Transports [Localité 4] et notamment :
- le certificat du 22 janvier 2018 du Docteur [O] [D], médecin généraliste, dans lequel ce dernier indique que l'état de santé de M. [H] [E] nécessite un arrêt de travail depuis le 13 juillet 2017 pour syndrome dépressif réactionnel secondaire
- un arrêt de travail initial du 12 juillet 2014 en raison d'un syndrome anxiodépressif réactionnel
- le compte rendu d'un examen par le médecin du travail du 7 décembre 2015 dans lequel ce dernier indique s'agissant des conditions de travail du salarié : mise au placard, burnout, absence de reconnaissance travail, difficultés relationnelles internes ' va travailler la boule au ventre'
- le compte rendu d'une visite du 2 août 2017 auprès du médecin du travail dans lequel ce dernier relève : ' examen clinique pas trop mal sauf moral, pleurs qd évoque certains pb, mal-être important, a priori pas de velléité suicidaire mais je le trouve très limite'
- un courrier adressé à son médecin traitant par le médecin du travail le 16 novembre 2017 dans lequel ce dernier indique ' je pense qu'il est encore trop tôt pour envisager une reprise du travail, d'autant plus qu'il me semble que c'est le contexte de travail est à l'origine de sa pathologie'
- le rapport d'examen médical du 24 juillet 2018 du Docteur [S], sapiteur désigné par la CPAM dans le cadre de l'instruction de la demande de reconnaissance de maladie professionnelle qui mentionne que 'le patient présente une symptomatologie dépressive d'intensité sévère, à forte composante anxieuse. Il présente des ruminations anxieuses, une grande culpabilité, un sentiment d'inefficacité personnelle. À l'entretien, on ne retrouve pas d'étiologie à son état de santé en dehors du milieu professionnel, où il explique avoir été mis de côté et démis de ses responsabilités habituelles, d'où un effondrement dépressif'.
L'existence d'une dégradation de l'état de santé du salarié en raison du comportement de l'employeur et de son collègue M. [T] à son égard est ainsi démontrée.
A l'issue de cette analyse et contrairement à ce que soutient la société Stef Transports [Localité 4], M. [H] [E] établit la matérialité de faits précis, qui pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.
Pour justifier ces faits et démontrer qu'ils ne participent pas à un harcèlement moral, la société Stef Transports [Localité 4] soutient que :
- la dénonciation par M. [E] d'une inégalité de traitement à l'inspecteur du travail au mois de juillet 2014 est liée à la fin de non recevoir opposée à sa demande de rappel de salaires au titre des cinq dernières années du mois de juin 2014
- l'inspecteur du travail n'a pas donné suite ce courrier d'alerte
- déçu de ne pas voir ses demandes aboutir, M. [H] [E] s'est de nouveau plaint de ses conditions de travail auprès de l'inspecteur du travail au mois de novembre 2015 par courrier dans lequel il a fait état pour la première fois de sa mise au placard
- M. [H] [E] a été déclaré apte par le médecin du travail le 24 novembre 2015
- l'enquête interne qu'elle a diligentée a démontré d'une part le caractère 'hyper professionnel' de M. [T] malgré une communication parfois abrupte et un manque de délégation et de communication et d'autre part, le fait que l'ensemble des salariés de l'équipe de nuits ont participé à la formation et au suivi de M. [H] [E] qui s'est révélé ne pas être à la hauteur de son poste
- l'inspecteur du travail a été pleinement associé à cette enquête puisque les résultats lui ont été communiqués le 2 décembre 2016
- même si aucun manquement de M. [T] dans l'exercice de ses fonctions n'a été constaté et encore moins harcèlement moral, elle a décidé de l'inscrire dans un cursus de formation managériale et a modifié ses horaires de travail.
Cependant, la société Stef Transports [Localité 4] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe à ce stade du raisonnement probatoire, de ce que ses agissements et ceux de son salarié M. [T] ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral et que leurs décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.
En conséquence la cour, confirmant le jugement de ce chef, dit que M. [H] [E] a été victime d'un harcèlement moral.
Au vu de la durée de ce harcèlement moral (3 ans) et de la gravité de ses conséquences sur l'état de santé du salarié la cour évalue à la somme de 15'000 euros le montant des dommages et intérêts propres à réparer le préjudice subi.
Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
Sur l'origine de l'inaptitude :
M. [H] [E] soutient que la chronologie des événements et des éléments médicaux versés aux débats démontre que seul le harcèlement moral dont il a été victime est à l'origine de son syndrome dépressif sévère, lequel est lui-même à l'origine de son inaptitude.
Il ajoute que, nonobstant l'autorisation de licenciement accordée par l'inspecteur du travail, le juge prud'homal reste compétent pour apprécier l'origine de l'inaptitude et le préjudice résultant de la perte injustifiée de l'emploi et qu'en toute hypothèse l'inspecteur du travail a fait référence dans sa décision au contexte de souffrance au travail.
La société Stef Transports [Localité 4] répond :
- que la CPAM n'a pas reconnu le caractère professionnel de la maladie déclarée par M. [H] [E]
- les arrêts de travail ont toujours été établis sur des formulaires Cerfa réservés à la maladie d'origine professionnelle
- le médecin du travail a constaté une inaptitude physique d'origine non professionnelle de M. [H] [E], n'a pas mentionné de lien avec les conditions de travail et n'a pas délivré le formulaire d'indemnisation temporaire d'inaptitude
- l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement
- jusqu'à sa déclaration d'inaptitude du 26 février 2018, M. [E] a toujours été déclaré apte par le médecin du travail
- le salarié avait une santé fragile préalablement au transfert de son contrat de travail et une pathologie préexistante qui pourrait à elle seule expliquer son inaptitude
- le salarié n'a pas contesté l'avis d'inaptitude.
Dans le cas où une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l'administration du travail d'apprécier la régularité de la procédure d'inaptitude, le respect par l'employeur de son obligation de reclassement et le caractère réel et sérieux du licenciement. Il ne lui appartient pas en revanche, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude.
L'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l' inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations.
Le juge judiciaire demeure par ailleurs compétent, sans porter atteinte au principe de séparation des pouvoirs, pour rechercher si l' inaptitude du salarié avait ou non une origine professionnelle et accorder, dans l'affirmative, les indemnités spéciales prévues à l'article L. 1226-14 du code du travail.
De ce fait, l'autorisation du licenciement donnée par l'inspecteur du travail le 28 septembre 2018 ne fait pas obstacle à ce que le juge prud'homal se prononce sur l'origine professionnelle ou non de l'inaptitude de M. [E] et accorde à ce dernier les indemnités spéciales prévues en cas d'inaptitude d'origine professionnelle ainsi que les dommages et intérêts pour perte injustifiée de l'emploi.
Il résulte des motifs ci-dessus que M. [H] [E] a été victime d'un harcèlement moral de la part de l'employeur et de son collègue M. [T] ayant entraîné une symptomatologie dépressive d'intensité sévère qui persistait lors de son examen par le Docteur [S] le 24 juillet 2018, lequel après avoir relevé l'absence d'état antérieur et de facteurs environnementaux susceptibles d'expliquer cette pathologie, a conclu au rôle exclusif du travail comme explication de la pathologie présentée.
Ces éléments démontrent suffisamment que, nonobstant les dénégations de la société Stef Transports [Localité 4], l'inaptitude du salarié est liée au harcèlement moral dont ce dernier a été victime.
Le jugement qui a dit et jugé l'inaptitude d'origine professionnelle sera confirmé de ce chef.
Sur les demandes indemnitaires :
Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.
L'application de ces règles n'est pas subordonnée à la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie par un organisme de sécurité sociale.
Les juges se déterminent au regard d'un faisceau d'indices, ils apprécient souverainement l'origine professionnelle de l'inaptitude et la connaissance par l'employeur de cette origine.
En l'espèce, plusieurs pièces démontrent que la société Stef Transports [Localité 4] avait connaissance de l'origine professionnelle de l'inaptitude au moment du licenciement à savoir :
- les différents courriers d'alerte que le salarié lui a adressé pour dénoncer ses conditions de travail
- l'autorisation de licenciement de l'inspecteur du travail du 28 septembre 2018, qui invoque expressément dans l'un de ses considérants, la souffrance au travail de M. [H] [E] relevée par le médecin du travail dans le compte rendu de son intervention du 1er février 2018 dans l'entreprise
- le compte rendu d'intervention du médecin du travail adressé à la société Stef Transports [Localité 4] le 6 février 18 dans lequel ce dernier indique à l'employeur que 'Mr [E] a exprimé un mal-être depuis [son changement de fonctions], un sentiment d'avoir été mis à l'écart. Actuellement, son état de santé ne lui permet pas retour dans l'entreprise et une inaptitude est envisagée'.
De ce fait, la société Stef Transports [Localité 4] doit être condamnée à payer à M. [H] [E] à une indemnité spéciale de licenciement et une indemnité d'un montant équivalent à l'indemnité compensatrice de préavis en application de l'article L1226-14 du code du travail.
Les montants accordés par les premiers juges au titre de l'indemnité spéciale de licenciement et de l'indemnité compensatrice n'étant pas discutés la cour, confirmant le jugement de ses chefs, condamne la société Stef Transports [Localité 4] à payer à M. [H] [E] les sommes suivantes :
- 10 436,26 euros de reliquat au titre de l'indemnité spéciale de licenciement
- 4 821,88 euros au titre de l'indemnité compensatrice.
M. [H] [E] peut également prétendre à une indemnité pour perte d' emploi injustifiée.
Ce dernier justifie de ce que l'inaptitude causée par le harcèlement moral lui a été préjudiciable s'agissant de la perte de son emploi puisque alors, il avait plus de 20 ans d'ancienneté, était âgé de 59 ans et que ses ressources ont fortement diminué puisque le montant de ses revenus de remplacement au 4 mars 2020 s'élevait à 1556,43 euros mensuels, soit 854,51 euros de moins par rapport au montant de sa rémunération avant son licenciement.
Au vu de ces éléments et M. [H] [E] ne justifiant pas d'un préjudice moral distinct de celui d'ores et déjà réparé par l'octroi de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral, la cour évalue le montant des dommages et intérêts pour perte injustifiée d'emploi à la somme de 30'000 euros.
Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
Sur les demandes accessoires :
Partie perdante, la société Stef Transports [Localité 4] supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.
Par ailleurs, M. [H] [E] a dû pour la présente instance exposer tant en première instance qu'en appel des frais de procédure et honoraires non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser intégralement à sa charge.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Stef Transports [Localité 4] à lui payer la somme de 750 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, et de condamner cet employeur à lui payer sur le même fondement une indemnité de 3 000 euros au titre des frais qu'il a dû exposer en appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
Condamne la société Stef Transports [Localité 4] à payer à M. [H] [E] la somme de 3 000 euros au titre l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Stef Transports [Localité 4] aux dépens d'appel;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
Le greffier, Le Président,
N. BELAROUI C. RUIN