20 JUIN 2023
Arrêt n°
CHR/SB/NS
Dossier N° RG 20/01504 - N° Portalis DBVU-V-B7E-FPH5
[I] [S]
/
S.A.S.U. GDP CONCIERGERIE
jugement au fond, origine conseil de prud'hommes - formation paritaire de clermont ferrand, décision attaquée en date du 06 octobre 2020, enregistrée sous le n° f 19/00092
Arrêt rendu ce VINGT JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors du délibéré de :
M. Christophe RUIN, Président
Mme Sophie NOIR, Conseiller
Mme Karine VALLEE, Conseiller
En présence de Mme Séverine BOUDRY, Greffier lors des débats et de Mme Nadia BELAROUI, Greffier lors du prononcé
ENTRE :
Mme [I] [S]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Hervé MILITON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANTE
ET :
S.A.S.U. GDP CONCIERGERIE
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis
[Adresse 1]
[Localité 4]
Non Comparante, ni représentée
INTIMEE
M. RUIN, Président et Mme NOIR, Conseiller après avoir entendu M. RUIN Président en son rapport à l'audience publique du 24 avril 2023, tenue par ces deux magistrats, sans qu'ils ne s'y soient opposés, les représentants des parties en leurs explications, en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré aprés avoir informé les parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
La S.A.S.U GDP CONCIERGERIE, dont le siège social est situé [Adresse 1] à [Localité 3], exerce une activité de nettoyage sous l'enseigne 'GDP CONCIERGERIE'.
Madame [I] [S], née le 29 avril 1992, a été embauchée par la S.A.S.U GDP CONCIERGERIE pour la période du 16 mai 2018 au 25 août 2018, selon un contrat de travail à durée déterminée saisonnier qui a été prolongé jusqu'au 31 septembre 2018.
Madame [I] [S] soutient qu'elle s'est vue promettre unilatéralement par la société GDP CONCIERGERIE un contrat de travail à durée déterminée, pour la période du 19 novembre 2018 au 31 août 2019 et ce, pour un emploi saisonnier, avec un horaire de 35 heures par semaine. Elle affirme que l'employeur n'a pas respecté les termes de son engagement puisque après régularisation de la déclaration d'embauche auprès de l'URSSAF le 9 août 2018, la société GDP CONCIERGERIE va expressément lui demander, par message du 18 novembre 2018, de ne pas se présenter à son poste, au motif «que la (sa) société n'a pas obtenu de réponses pour les contrats d'hiver à [Localité 4]». Par message du 20 décembre 2018, la société GDP CONCIERGERIE lui indiquait « ne pas être en mesure de la faire démarrer pour la saison d'hiver», mais cette société émettait aussitôt après une annonce de recrutement pour des agents d'entretien polyvalents à [Localité 4] pour la période de décembre 2018 à mi-Mars 2019.
Le 26 février 2019, Madame [I] [S] a saisi le conseil des prud'hommes de CLERMONT-FERRAND aux fins notamment de voir juger que son employeur n'a pas respecté ses obligations contractuelles et d'obtenir en conséquence un rappel de salaire et des dommages-intérêts.
L'audience devant le bureau de conciliation et d'orientation s'est tenue le 4 avril 2019 et comme suite au constat de l'absence de conciliation, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.
Par jugement réputé contradictoire (la société GDP CONCIERGERIE n'était pas représentée) rendu le 6 octobre 2020 (audience du 23 juin 2020), le conseil des prud'hommes de CLERMONT-FERRAND a :
- dit et jugé que la preuve de la relation de travail n'est pas rapportée ;
En conséquence,
- dit et jugé que les demandes formulées par Madame [I] [S] sont irrecevables ;
- débouté Madame [I] [S] de sa demande formulée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné Madame [I] [S] aux entiers dépens de la présente instance ;
- dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement.
Le 30 octobre 2020, Madame [I] [S] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié à personne le 8 octobre 2020.
La société GDP CONCIERGERIE n'a pas constitué avocat dans le cadre de la présente procédure d'appel.
Le 23 décembre 2020, Madame [I] [S] a fait signifier sa déclaration d'appel, ses conclusions d'appel et pièces à la société GDP CONCIERGERIE (signification à étude).
Vu les conclusions notifiées à la cour 27 janvier 2021 par Madame [I] [S],
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 27 mars 2023.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures, Madame [I] [S] demande à la cour de :
- infirmer purement et simplement la décision dont appel pour les raisons ci-dessus énoncées ;
- condamner pour les raisons ci-dessus énoncées la S.A.S.U GDP CONCIERGERIE dont le siège social est situé [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal M. [H] [E] [B] à lui payer et porter les sommes suivantes :
- du 19 novembre 2018 au 31 novembre 2018 :
1.101,29 euros ;
- du 01 décembre 2018 à 31 août 2019 : 13.515,84 euros ;
Soit la somme globale de 14.617,13 euros correspondant au montant des salaires dus jusqu'au terme du contrat ;
- outre indemnité de précarité correspondant de 10% de cette somme soit celle de 1.461,71 euros pour les raisons ci-dessus énoncées ;
- 2.500 euros au titre du préjudice moral subi ;
- la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- dire que la société comprise sera condamnée aux entiers dépens d'instance d'appel et de première instance.
Madame [S] demande à la cour de constater la relation de travail existant avec la SA.S.U GDP CONCIERGERIE. Ainsi, s'agissant de la promesse unilatérale d'embauche invoquée, Madame [S] soutient qu'elle aurait la valeur d'un contrat de travail puisqu'elle en comporte tous les éléments, alors même qu'aucun formalisme ne serait imposé pour un contrat à durée déterminée. En outre, elle rappelle qu'une déclaration préalable à l'embauche a été établie auprès de l'URSSAF le 9 août 2018. Toutefois, l'avant-veille du début de son contrat, elle a reçu un message de son employeur, lui demandant de ne pas se présenter à son poste, ce qui selon elle, démontre bien la conclusion d'un contrat de travail. Elle considère ainsi que le motif économique invoqué pour justifier la rupture anticipée de son contrat la rend nécessairement abusive, de sorte qu'elle est bien fondée à solliciter le paiement de différentes indemnités en réparation des préjudices subis, d'autant plus au regard de la mauvaise foi dont son employeur aurait fait preuve, en publiant une annonce quelques temps après, pour le même poste et la même période.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.
MOTIFS
- Sur la demande au titre de la promesse unilatérale de contrat de travail -
En droit, constitue une promesse unilatérale de contrat de travail l'acte par lequel un employeur promet une embauche à un candidat déterminé. Une telle promesse doit être ferme, en ce sens que la volonté de pourvoir un emploi doit être définitivement arrêtée par son auteur et adressée à une personne déterminée. Elle doit être suffisamment précise pour qu'une acceptation pure et simple suffise à former valablement le contrat de travail. Elle vaut ainsi contrat de travail dès lors qu'elle précise les éléments essentiels du contrat de travail, à savoir la définition du poste promis, les éléments constituant la rémunération, le volume horaire du contrat, la date d'entrée en fonction. La promesse unilatérale de contrat de travail se distingue de l'offre de travail en ce que cette dernière n'est qu'une simple proposition d'embauche que l'employeur et le candidat restent libres de ne pas conclure.
Dès lors qu'elle est acceptée, une promesse unilatérale de contrat de travail vaut contrat de travail qui ne peut être rompu par l'employeur qu'en respectant la procédure de licenciement et en justifiant d'une cause réelle et sérieuse.
En l'espèce, Madame [I] [S] explique et justifie qu'un premier contrat de travail à durée déterminée saisonnier avait été conclu entre les parties pour la période du 17 mai 2018 au 25 août 2018 et qu'il a été prolongé par avenant jusqu'au 30 septembre 2018, ce qui permet à Madame [I] [S] de faire valoir, à juste titre, que l'employeur était satisfait de ses services. Madame [I] [S] ajoute que c'est dans ces conditions que la société GDP a établi, le 9 août 2018, une déclaration préalable à l'embauche destinée à l'URSSAF prévoyant une embauche en contrat de travail à durée déterminée à compter du 19 novembre 2018.
Madame [I] [S] verse aux débats cette déclaration préalable à l'embauche qui comporte les mêmes indications que celles figurant dans la déclaration préalable à l'embauche du 17 mai 2018. Elle mentionne l'identité complète de la salariée ainsi que ses coordonnées (adresse, numéro de sécurité sociale, date et lieu de naissance, adresse de messagerie), la date et l'heure de l'embauche (19 novembre 2018 à 8h30), le nombre de jours de la période d'essai (14), le motif du contrat de travail à durée déterminée ('emploi saisonnier'), le salaire prévu (9,88 euros l'heure). Elle précise qu'il s'agit d'un travail à temps plein (35 heures) afin de pourvoir un emploi d''agent d'entretien'. Il est fait mention de la convention collective applicable, de la classification de la salariée (niveau 1, échelon 1) ainsi que de l'identité des organismes sociaux (retraite complémentaire et prévoyance).
Cette déclaration d'embauche comporte donc tous les éléments constitutifs d'un contrat de travail et manifeste sans ambiguïté la volonté arrêtée de la société GDP d'embaucher Madame [I] [S]. Elle constitue une promesse unilatérale d'embauche valant contrat de travail dès lors qu'elle était acceptée. Or, il convient de relever que cette déclaration d'embauche, datée du 9 août 2018, comporte non seulement la signature de l'employeur mais aussi celle de la salariée de sorte que le contrat de travail était définitivement conclu avec cette seule circonstance particulière que la date d'embauche était différée au 19 novembre 2018.
Madame [I] [S], qui se plaint de ce que l'employeur n'a pas respecté ses obligations et de ce que celui-ci lui a demandé de ne pas se présenter à son poste de travail le 19 novembre 2018, produit le message que la société GDP lui a adressé le 18 novembre 2018 en ces termes : 'n'ayant pas eu de nouvelles pour le début de saison je t'appelle demain. Je ne sais pas encore les réponses pour les contrats de cet hiver à [Localité 4] (date de début)'. Madame [I] [S] ajoute qu'elle a ensuite relancé l'employeur et que celui-ci lui envoyé un nouveau message le 11 décembre 2018 lui disant : 'Je n'ai rien signé encore car ils n'ont pas été contents du résultat de cet été. Je ne peux donc pas te refaire démarrer pour la saison d'hiver'.
Madame [I] [S] est bien fondée à mettre en cause la réalité du motif invoqué dans ce dernier message qu'elle qualifie de 'fallacieux' puisqu'elle verse aux débats une offre d'emploi diffusée, dans la même période, par ce même employeur pour le même emploi avec les mêmes conditions dans les mêmes lieux de travail pour la 'saison d'hiver 2018-2019".
Dans la mesure où la promesse d'embauche ne comportait aucune condition suspensive, qu'elle soit relative à l'obtention d'un marché ou à tout autre événement, la société GDP n'était pas en droit de rétracter la promesse faite, sauf motif légitime dont les éléments versés aux débats ne permettent pas de vérifier l'existence.
Comme la promesse d'embauche a été acceptée par Madame [I] [S], le contrat de travail a été valablement conclu et ne pouvait être rompu par la société GDP qu'en respectant les règles applicables en la matière.
Madame [I] [S] est bien fondée à soutenir qu'il s'agit d'une rupture anticipée d'un contrat de travail à durée déterminée valablement formé et qu'en l'absence d'une faute grave ou d'un cas de force majeure, seules circonstances pouvant légalement justifier une telle rupture anticipée, celle-ci présente un caractère abusif, l'invocation d'un motif économique, au demeurant nullement établi, ne pouvant justifier la rupture.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il n'a pas fait droit aux demandes de Madame [I] [S].
Par application des dispositions de l'article L. 1243-4 du code du travail, Madame [I] [S] est en droit de solliciter l'allocation de dommages-intérêts d'un montant égal aux rémunérations qu'elle aurait perçues jusqu'au terme du contrat, sans préjudice de l'indemnité de fin de contrat d'un montant égal à 10% de la rémunération totale brute.
Compte tenu des conditions contractuelles prévues (durée du contrat du 19 novembre 2018 au 31 août 2019, salaire horaire brut de 9,88 euros, durée du travail de 35 heures par semaine), Madame [I] [S] est bien fondée à solliciter la condamnation de l'employeur à lui payer la somme de 14.617,13 euros correspondant au montant des salaires dus jusqu'au terme du contrat (1.101,29 euros pour la période du 19 novembre 2018 au 31 novembre 2018, soit 22 jours à 50,05 euros et 13.515,84 euros pour la période du 1er décembre 2018 au 31 août 2019, soit 152 heures x 9 mois x 9,88 euros). Elle est également bien fondée à solliciter le paiement de la somme de 1. 461,71 euros au titre de l'indemnité de précarité de 10%.
Madame [I] [S] a enfin subi un préjudice moral certain en ce qu'elle pouvait légitimement espérer la poursuite de la relation contractuelle à l'issue de la précédente relation ayant donné satisfaction et en ce que l'employeur a diffusé des offres d'emploi dans le même temps où il n'honorait pas ses obligations à son égard. Compte tenu des éléments d'appréciation versés aux débats, ce préjudice sera réparé par l'allocation de la somme de 1.000 euros à titre de dommages-intérêts.
- Sur les dépens et frais irrépétibles -
La société GDP CONCIERGERIE devra supporter les entiers dépens de première instance et d'appel, ce qui exclut qu'elle puisse
prétendre bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il serait par contre inéquitable de laisser Madame [I] [S] supporter l'intégralité des frais qu'elle a dû exposer pour faire assurer la défense de ses intérêts. La société GDP CONCIERGERIE sera condamnée à verser à Madame [I] [S] une somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par défaut, après en avoir délibéré conformément à la loi,
- Infirme le jugement en toutes ses dispositions, et, statuant à nouveau,
- Dit que la SASU GDP CONCIERGERIE était liée à l'égard de Madame [I] [S] par la promesse unilatérale de contrat de travail faite le 9 août 2018 et qu'elle a procédé à la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée la liant à sa salariée de façon abusive ;
- Condamne la SASU GDP CONCIERGERIE à payer à Madame [I] [S] les sommes de :
* 14.617,13 euros à titre de dommages-intérêts,
* 1.461,71 euros au titre de l'indemnité de précarité,
* 1.000 euros, à titre de dommages-intérêts, pour préjudice moral ;
- Condamne la SASU GDP CONCIERGERIE à payer à Madame [I] [S] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne la SASU GDP CONCIERGERIE aux dépens de la procédure de première instance et de celle d'appel ;
- Déboute Madame [I] [S] de ses demandes plus amples ou contraires.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
Le Greffier, Le Président,
N. BELAROUI C. RUIN