23 MAI 2023
Arrêt n°
ChR/NB/NS
Dossier N° RG 21/00169 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FQ2E
[G] [F]
/
S.A.R.L. BUFFACIENDA , exploitant le BUFFALO GRILL de [Localité 1]
jugement au fond, origine conseil de prud'hommes - formation paritaire de moulins, décision attaquée en date du 17 décembre 2020, enregistrée sous le n° f19/00049
Arrêt rendu ce VINGT TROIS MAI DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :
M. Christophe RUIN, Président
Mme Sophie NOIR, Conseiller
Mme Karine VALLEE, Conseiller
En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier et de Mme Eloïse LOUIS MARIE ALIGROT, greffier stagiaire lors des débats et Mme Nadia BELAROUI greffier lors du prononcé
ENTRE :
M. [G] [F]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me François RAYNAUD de la SELARL BERNARDET-RAYNAUD, avocat au barreau de MOULINS
APPELANT
ET :
S.A.R.L. BUFFACIENDA prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité audit siège, exploitant le BUFFALO GRILL de [Localité 1]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, avocat constitué, substitué par Me Philippe POUZET de la SELAS ORATIO AVOCATS, avocat au barreau de SAUMUR, avocat plaidant
INTIMEE
M. RUIN, Président et Mme NOIR, Conseiller après avoir entendu, M. RUIN, Président en son rapport, à l'audience publique du 20 mars 2023, tenue par ces deux magistrats, sans qu'ils ne s'y soient opposés, les représentants des parties en leurs explications, en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré après avoir informé les parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
La SARL BUFFACIENDA exploite un restaurant sous l'enseigne commerciale « BUFFALO GRILL », situé à [Localité 1] (03).
Monsieur [G] [F], né le 27 mars 1996, a été embauché par la SARL BUFFACIENDA à compter du 12 décembre 2017, en qualité de serveur, suivant contrat de travail à durée indéterminée, à temps plein. La convention collective nationale applicable à la relation contractuelle est celle des Hôtels, Cafés et Restaurant.
Par courrier recommandé daté du 18 septembre 2018, la société BUFFACIENDA a notifié un avertissement à Monsieur [F] pour des absences injustifiées.
Par courrier recommandé daté du 6 janvier 2019, la société BUFFACIENDA a notifié un avertissement à Monsieur [F]. Dans ce cadre, l'employeur reprochait au salarié un comportement désagréable avec la clientèle suite à une observation d'un client en date du 5 janvier 2019. Le supérieur hiérarchique de Monsieur [G] [F] lui rappelait également qu'un tel comportement inadapté lui avait déjà été reproché par la clientèle dans une lettre de plainte reçue le 2 décembre 2018 par laquelle des clients se plaignaient du manque de sourire et d'amabilité du serveur. La SARL BUFFACIENDA mettait en garde Monsieur [G] [F] quant à l'éventualité d'une sanction disciplinaire plus grave si de tels incidents se renouvelaient.
Par courrier daté du 29 mars 2019, remis en main propre le même jour, l'employeur a convoqué Monsieur [F] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 12 avril 2019, et lui a notifié une mise à pied à titre conservatoire.
Par courrier recommandé daté du 19 avril 2019, la SARL BUFFACIENDA a notifié à Monsieur [G] [F] son licenciement.
Les documents de fin de contrat de travail établis par l'employeur mentionnent un emploi de serveur du 12 décembre 2017 au 20 avril 2019, le versement d'une indemnité compensatrice de congés payés de 1.780,54 euros mais ni indemnité de licenciement ni indemnité compensatrice de préavis.
Le 27 juin 2019, Monsieur [F] a saisi le conseil des prud'hommes de MOULINS, aux fins notamment de voir requalifier son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L'audience devant le bureau de conciliation et d'orientation s'est tenue le 20 octobre 2019 (convocation du défendeur en date du 29 juin 2019) et comme suite au constat de l'absence de conciliation, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.
Par jugement contradictoire rendu le 17 décembre 2020 (audience du 17 septembre 2020), le conseil des prud'hommes de MOULINS a :
- dit le licenciement notifié à Monsieur [G] [F] fondé sur une faute grave ;
En conséquence,
- débouté Monsieur [G] [F] de l'ensemble de ses demandes ;
- débouté la SARL BUFFACIENDA de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné Monsieur [G] [F] aux éventuels dépens de la présente instance.
Le 22 janvier 2021, Monsieur [G] [F] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié à sa personne le 24 décembre 2020.
Vu les conclusions notifiées à la cour le 21 avril 2021 par Monsieur [G] [F],
Vu les conclusions notifiées à la cour le 7 juillet 2021 par la SARL BUFFACIENDA,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 20 février 2023.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures, Monsieur [G] [F] demande à la cour de :
- ordonner la requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- condamner la SARL BUFFACIENDA à lui payer et porter :
- 5.000 euros au titre de son indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 1.019 euros au titre de son indemnité compensatrice de préavis,
- 2.390 euros au titre de son indemnité de congés payés,
- 238 euros au titre de son préavis sur congés payés,
- 2.038 euros au titre de son indemnité légale de licenciement ;
- condamner la SARL BUFFACIENDA à lui payer er porter une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la SARL BUFFACIENDA aux entiers dépens.
S'agissant du licenciement pour faute grave dont il a fait l'objet, Monsieur [G] [F] considère que son employeur n'apporte aucunement la preuve d'une faute de sa part. De son côté, il reconnaît avoir fait l'objet de deux avertissements au cours de l'exécution son contrat de travail, l'un pour des absences injustifiées, l'autre pour un incident survenu avec un client. Si le conseil des prud'hommes de MOULINS retient que ces avertissements n'ont jamais été contestés par le salarié, il soutient qu'aucune mention de cette possibilité n'a été transmise. Malgré cela, il assure avoir contesté le second auprès de son employeur. En effet, il fait valoir que le soir du 5 septembre 2019, il ne serait intervenu qu'une fois auprès des clients après une erreur de ses collègues, mais qu'il n'était pas en charge de leur table de sorte qu'il est impossible que ceux-ci aient demandé à ne plus être servis par lui. Il conteste en outre avoir dit qu'il « ne servait à rien d'être agréable et aimable avec les clients » tel que cela ressort d'une attestation produite par la société, rédigée par un de ses salariés et donc entachée d'un conflit de loyauté. A l'inverse, il produit une attestation ainsi que des commentaires de clients faisant état du comportement déplacé des responsables envers les employés.
Ainsi, considérant que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, Monsieur [F] s'estime bien fondé à formuler diverses demandes indemnitaires. A cet égard, il soutient avoir subi un préjudice du fait de sa difficulté à retrouver un emploi stable et des difficultés financières qui ont suivi ainsi que du fait des reproches gratuits émis par son employeur à son égard.
Dans ses dernières écritures, la SARL BUFFACIENDA demande à la cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement du conseil des prud'hommes de MOULINS en date du 17 décembre 2020 en ce qu'il qualifie le licenciement de licenciement pour faute grave et débouter Monsieur [G] [F] de l'ensemble de ses prétentions indemnitaires ;
A titre subsidiaire,
- requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;
- la condamner à l'indemnité de licenciement de 617,04 euros ;
- débouter Monsieur [F] de ses demandes de dommages et intérêts ;
A titre infiniment subsidiaire, pour le cas où le licenciement serait reconnu comme sans réelle et sérieuse,
- faire application de l'article L.1235-3 du Code du travail pour fixer les dommages et intérêts :
En tout état de cause,
- infirmer le jugement du conseil des prud'hommes de MOULINS en date du 17 décembre 2020 en ce qu'elle a été déboutée de sa demande d'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner Monsieur [G] [F] au paiement de la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner Monsieur [G] [F] aux entiers dépens dont distraction au profit de Maitre RAHON.
S'agissant du licenciement pour faute grave prononcé à l'encontre de Monsieur [F], la SARL BUFFACIENDA rappelle que celui-ci avait déjà fait l'objet, avant que la mesure ne soit prononcée, de deux avertissements. Le premier a été notifié en 2018, en raison d'absences injustifiées régulières. La société considère avoir fait preuve de patience puisque les 6 premières absences n'auraient pas été sanctionnées. Toutefois, après l'avoir averti oralement à plusieurs reprises, une nouvelle absence a conduit à la sanction par l'avertissement, peu important qu'il ait prévenu son employeur de son absence quelques heures avant le service. Le second en date du 6 janvier 2019 a été prononcé en raison d'un manque d'amabilité de Monsieur [F] lors d'un service, d'autant plus qu'une telle situation se serait déjà produite l'année précédente. En effet, les clients auraient été contraints de faire appel à un autre serveur en raison de son comportement. La société rappelle en outre que ces deux avertissements n'auraient jamais été contestés par le salarié, en dépit de ce qu'il affirme, sans toutefois en apporter la preuve.
Ainsi, compte tenu notamment de l'importance de l'amabilité d'un serveur dans le bon fonctionnement d'un restaurant, la SARL BUFFACIENDA, confortée par les déclarations d'un collègue de Monsieur [F], a estimé que l'état d'esprit de ce dernier était incompatible avec l'exercice de sa profession. Le comportement de Monsieur [F] lors de l'entretien préalable ne l'a pas conduite à changer d'avis puisqu'elle soutient qu'il aurait justifié son attitude par une surcharge de travail, sans toutefois n'avoir jamais sollicité d'aide de ses collègues. En ce qui concerne les attestations produites par Monsieur [F], la société considère qu'elles sont dépourvues de valeur probante, soit parce qu'elles sont anonymes pour certaines, soit parce qu'elles ont été rédigées par des salariés qui n'étaient plus dans l'entreprise au moment des faits.
A titre subsidiaire, si la Cour venait à juger le licenciement non fondé sur une faute grave, la société sollicite que les condamnations indemnitaires soient limitées, en application des dispositions légales, d'autant plus que l'existence d'un préjudice n'est pas démontrée.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.
MOTIFS
- Sur le licenciement -
Le courrier de notification du licenciement est ainsi libellé :
'...Vous avez eu une conduite constitutive d'une faute grave. En effet, en date du 24 mars 2019 durant le service de midi, ainsi que pendant le service de midi du 29 mars 2019, vous avez été très désagréable avec les clients au point que plusieurs sont venus se plaindre. Je vous en ai fait part le 29 mars 2019 et cela n'a eu aucun effet car à peine 5 jours après vous adoptiez la même attitude désagréable avec les clients de votre rang.
Ceci n'est pas une première venant de votre part car vous avez de nombreuses fois fait l'objet de remontrances verbales ainsi que d'un avertissement écrit pour les mêmes faits en date du 6 janvier 2019.
Lors de l'entretien préalable de licenciement du 12 avril vous n'avez pas nié les faits qui vous ont été reprochés, vous vous êtes justifié en invoquant que vous n'aviez pas le temps d'être poli avec tout le monde et que lors de ce service (du dimanche 24 mars midi) vous aviez fait 40 couverts alors que vos autres collègues n'en avaient fait que 20, ce qui après vérification de ma part s'avère totalement faux.
Ces faits ont gravement mis en cause la bonne marche de l'entreprise. C'est pourquoi, compte tenu de leur gravité, nous sommes au regret de devoir procéder à votre licenciement pour faute grave.
Pour ces mêmes raisons, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible, y compris durant la période de préavis. Votre licenciement prend donc effet à compter de la première présentation de cette lettre, sans indemnité de licenciement ni de préavis.
Nous vous rappelons que vous faites l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire. Par conséquent la période non travaillée du 29 mars 2019 au 20 avril 2019 ne sera pas rémunérée...'
La SARL BUFFACIENDA a clairement notifié à Monsieur [G] [F] un licenciement disciplinaire pour faute grave en lui reprochant un comportement désagréable avec les clients en date des 24 mars 2019 et 29 mars 2019 et ce, alors que le salarié aurait déjà fait l'objet de remontrances verbales ainsi que d'un avertissement écrit en date du 6 janvier 2019 pour des faits de même nature.
Le licenciement correspond à une rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur.
La lettre de licenciement fixe les limites du litige sur la cause du licenciement, ce qui interdit à l'employeur d'invoquer de nouveaux ou d'autres motifs ou griefs par rapport à ceux mentionnés dans la lettre de licenciement.
Pour que la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur soit justifiée ou fondée, en tout cas non abusive, la cause du licenciement doit être réelle (faits objectifs, c'est-à-dire précis et matériellement vérifiables, dont l'existence ou matérialité est établie et qui constituent la véritable raison du licenciement), mais également sérieuse, c'est-à-dire que les faits invoqués par l'employeur, ou griefs articulés par celui-ci, doivent être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement.
Le licenciement pour motif personnel est celui qui est inhérent à la personne du salarié. Un licenciement pour motif personnel peut être décidé pour un motif disciplinaire, c'est-à-dire en raison d'une faute du salarié, ou en dehors de tout comportement fautif du salarié (motif personnel non disciplinaire). Il ne doit pas être discriminatoire.
Si l'employeur peut sanctionner par un licenciement un acte ou une attitude du salarié qu'il considère comme fautif, il doit s'agir d'un comportement volontaire (action ou omission). À défaut, l'employeur ne peut pas se placer sur le terrain disciplinaire. La faute du salarié correspond en général à un manquement aux obligations découlant du contrat de travail. Elle ne doit pas être prescrite, ni avoir déjà été sanctionnée. Les faits reprochés au salarié doivent lui être personnellement imputables. Un salarié ne peut pas être licencié pour des faits imputables à d'autres personnes, même proches.
En cas de licenciement disciplinaire, le juge doit vérifier que le motif allégué constitue une faute. Selon sa gravité, la faute commise par le salarié emporte des conséquences plus ou moins importantes. Si les faits invoqués, bien qu'établis, ne sont pas fautifs ou constituent une faute légère mais non sérieuse, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. En cas de licenciement fondé sur une faute constituant une cause réelle et sérieuse, le salarié a droit au règlement de l'indemnité compensatrice de congés payés, de l'indemnité de licenciement, du préavis ou de l'indemnité compensatrice de préavis (outre les congés payés afférents).Le licenciement pour faute grave entraîne la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement. Le licenciement pour faute lourde, celle commise par le salarié avec l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise, entraîne également pour le salarié la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement, avec possibilité pour l'employeur de réclamer le cas échéant au salarié réparation du préjudice qu'il a subi (dommages-intérêts). Dans tous les cas, l'indemnité compensatrice de congés payés reste due.
La sanction disciplinaire prononcée par l'employeur, y compris une mesure de licenciement, ne pas doit être disproportionnée mais doit être proportionnelle à la gravité de la faute commise par le salarié. Le juge exerce un contrôle de proportionnalité en matière de sanction disciplinaire et vérifie en conséquence que la sanction prononcée par l'employeur à l'encontre du salarié n'est pas trop sévère compte tenu des faits reprochés.
Le code du travail ne donne aucune définition de la faute grave. Selon la jurisprudence, la faute grave se définit comme étant celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, constituant une violation des obligations qui résultent du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et la poursuite du contrat de travail pendant la durée du préavis.
La faute grave suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d'appréciation ou l'insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire. La gravité d'une faute n'est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est résulté. La commission d'un fait isolé peut justifier un licenciement disciplinaire, y compris pour faute grave, sans qu'il soit nécessaire qu'il ait donné lieu à avertissement préalable.
La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail sans préavis, en tout cas une rupture immédiate du contrat de travail avec dispense d'exécution du préavis. Elle peut justifier une mise à pied conservatoire, mais le prononcé d'une telle mesure n'est pas obligatoire. La faute grave ne saurait être admise lorsque l'employeur a laissé le salarié exécuter son préavis au salarié. En revanche, il importe peu que l'employeur ait versé au salarié des sommes auxquelles il n'aurait pu prétendre en raison de cette faute, notamment l'indemnité compensatrice de préavis ou les salaires correspondant à une mise à pied conservatoire.
En cas de faute grave, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs, mais le maintien du salarié dans l'entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises.
Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement ne pèse pas plus particulièrement sur l'employeur (la Cour de cassation juge que la preuve du caractère réel et sérieux du motif de licenciement n'incombe spécialement à aucune des parties), il incombe à l'employeur, en revanche, d'établir la faute grave ou lourde. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Dans tous les cas, en matière de bien-fondé du licenciement disciplinaire, le doute doit profiter au salarié.
Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires (date de convocation à l'entretien préalable ou de prononcé d'une mise à pied conservatoire / date de présentation de la lettre recommandée ou de remise de la lettre simple pour une sanction ne nécessitant pas un entretien préalable) au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié.
Si un fait fautif ne peut plus donner lieu à lui seul à une sanction disciplinaire au-delà du délai de deux mois, ces dispositions ne font pas obstacle à la prise en considération de faits antérieurs à deux mois dès lors que le comportement du salarié s'est poursuivi ou s'est réitéré dans ce délai, l'employeur pouvant ainsi invoquer une faute prescrite lorsqu'un nouveau fait fautif est constaté, à condition toutefois que les deux fautes procèdent d'un comportement identique. Toutefois, aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l'engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l'appui d'une nouvelle sanction.
Aux termes de l'article 202 du code de procédure civile : 'L'attestation contient la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu'il a personnellement constatés. Elle mentionne les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur ainsi que, s'il y a lieu, son lien de parenté ou d'alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêts avec elles. Elle indique en outre qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu'une fausse attestation de sa part l'expose à des sanctions pénales. L'attestation est écrite, datée et signée de la main de son auteur. Celui-ci doit lui annexer, en original ou en photocopie, tout document officiel justifiant de son identité et comportant sa signature.'.
S'agissant des attestations produites, il échet de rappeler que les dispositions de l'article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité, d'irrecevabilité ou d'inopposabilité. Il appartient au juge du fond d'apprécier souverainement la valeur probante d'une attestation non conforme à l'article 202 du code de procédure civile. Le juge ne peut rejeter ou écarter une attestation non conforme à l'article 202 du code de procédure civile sans préciser ou caractériser en quoi l'irrégularité constatée constituait l'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public faisant grief à la partie qui l'attaque.
En l'espèce, à l'appui de ses dires concernant les griefs mentionnés dans la lettre de licenciement (comportement désagréable avec les clients les 24 mars et 29 mars 2019), l'employeur ne produit qu'un témoignage, celui de Monsieur [E], salarié de l'entreprise depuis le 1er septembre 2018, qui atteste seulement 'avoir entendu Monsieur [F] dire à son directeur Monsieur [D] que ça ne servait à rien d'être agréable et aimable avec les clients car de toute façon même en étant désagréable, ils reviennent quand même manger au restaurant'. Ce témoignage ne vise ni des faits du 24 ou 29 mars 2019 ni ne constitue un constat objectif d'un comportement désagréable de Monsieur [G] [F] avec la clientèle du restaurant.
Pour le surplus, l'intimée produit des 'commentaires internet positif' qui ne citent ni Monsieur [G] [F] ni les dates des 24 mars et 29 mars 2019.
En réponse, l'appelant produit un courrier signé et daté de Monsieur [P] qui atteste avoir travaillé dans le restaurant de septembre 2017 à août 2018 (rupture conventionnelle). Il affirme n'avoir jamais vu Monsieur [G] [F] manquer de respect aux clients ou à ses collègues de travail, alors qu'à l'inverse les responsables ne se gênaient pas pour mal parler aux clients et aux employés. Il indique qu'une vingtaine de serveurs ont quitté l'entreprise pendant sa période contractuelle du fait du manque de respect des responsables.
Monsieur [G] [F] produit des commentaires internet négatifs sur le restaurant « BUFFALO GRILL » situé à [Localité 1], commentaires qui ne citent ni Monsieur [G] [F] ni les dates des 24 mars et 29 mars 2019.
Vu les seuls éléments d'appréciation versés aux débats, la cour constate que les griefs mentionnés dans la lettre de licenciement ne sont nullement établis et juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Surabondamment, il échet de relever que la sanction disciplinaire du 18 septembre 2018 ne concerne pas des faits de même nature, que les faits invoqués par l'employeur dans le cadre de la sanction disciplinaire du 6 janvier 2019 ne sont pas plus établis et qu'il n'est pas justifié de remontrances antérieures concernant un comportement désagréable avec la clientèle.
Le jugement sera donc infirmé en ce que le conseil de prud'hommes a dit le licenciement notifié à Monsieur [G] [F] fondé sur une faute grave.
- Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse -
En principe, le salarié ayant fait l'objet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse a droit à l'indemnité de licenciement, l'indemnité compensatrice de préavis avec congés payés afférents, l'indemnité compensatrice de congés payés, ainsi que des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi. Il a droit également à un rappel de salaire sur une éventuelle période de mise à pied à titre conservatoire.
En application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions des parties.
Monsieur [G] [F] sollicite ainsi que la SARL BUFFACIENDA soit condamnée à lui payer les sommes suivantes :
- 5.000 euros au titre de son indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 1.019 euros au titre de son indemnité compensatrice de préavis,
- 2.390 euros au titre de son indemnité de congés payés,
- 238 euros au titre de son préavis sur congés payés,
- 2.038 euros au titre de son indemnité légale de licenciement.
La cour est tenue par ces demandes sans pouvoir requalifier celles-ci ni statuer ultra petita quant aux montants sollicités.
À titre, liminaire, force est de constater que Monsieur [G] [F] ne sollicite pas de rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire.
Au jour du licenciement, Monsieur [G] [F] était âgé de 23 ans et présentait une ancienneté dans l'entreprise de 1 an, 4 mois et 7 jours. Il bénéficiait d'une rémunération mensuelle brute de 1.855,75 euros sur les trois derniers mois de travail (1.849,38 euros sur les douze derniers mois). Il n'est pas contesté qu'à l'époque considérée la SARL BUFFACIENDA employait habituellement plus de dix salariés.
- Sur l'indemnité compensatrice de préavis -
Selon les dispositions du code du travail, sauf licenciement pour faute grave ou faute lourde, le salarié a droit à un préavis dont la durée est fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise : - s'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus inférieure à six mois : la durée du préavis est déterminée par la loi, la convention ou l'accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ; - s'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans : la durée du préavis est d'un mois ; - s'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans, la durée du préavis est de deux mois. L'ancienneté s'apprécie à la date de prononcé du licenciement.
L'inexécution du préavis à la suite d'une dispense notifiée par l'employeur (et non accordée sur demande du salarié) ou d'un comportement fautif de l'employeur ouvre droit pour le salarié, sauf faute grave ou faute lourde de celui-ci, à une indemnité compensatrice de préavis ne se confondant ni avec l'indemnité de licenciement ni avec d'éventuels dommages-intérêts. L'indemnité compensatrice de préavis a un caractère forfaitaire : elle est proportionnelle à la durée du préavis non exécuté. Son montant correspond aux salaires et avantages bruts qu'aurait perçus le salarié s'il avait travaillé pendant la période de préavis. L'indemnité compensatrice de préavis versée en brut par l'employeur a le même caractère que le salaire et bénéficie des mêmes règles protectrices (congés payés afférents, prescription etc.).
En l'espèce, selon l'article 30 de la convention collective nationale, Monsieur [G] [F] a droit à un préavis d'une durée d'un mois.
Il sera donc fait droit à la demande de Monsieur [G] [F] de voir condamner la SARL BUFFACIENDA à lui payer la somme de 1.019 euros (brut) au titre de l'indemnité compensatrice de préavis.
Le jugement sera réformé en ce sens.
- Sur l'indemnité de licenciement -
Pour les licenciements notifiés depuis le 24 septembre 2017, l'indemnité légale de licenciement est attribuée au salarié titulaire d'un contrat à durée indéterminée justifiant de huit mois d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur, en cas de licenciement pour un autre motif qu'une faute grave ou faute lourde. Les périodes de suspension du contrat de travail ne rompent pas l'ancienneté du salarié qui est déterminée selon les mêmes règles que celles retenues pour le calcul de la durée du préavis. En matière d'indemnité de licenciement, l'ancienneté s'apprécie à la date d'envoi de la lettre de licenciement lorsqu'il s'agit de déterminer si le salarié a droit à une indemnité de licenciement, mais à la fin du préavis lorsqu'il s'agit de calculer le montant de l'indemnité (calcul ne devant être effectué que si le droit à indemnité est ouvert).
L'indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants : 1° un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans ; 2° un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans
L'indemnité légale de licenciement se calcule sur la base du douzième de la rémunération brute des douze derniers mois précédant le licenciement ou, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, le tiers des trois derniers mois, étant entendu que dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel qui aurait été versée au salarié pendant cette période, ne doit être prise en compte que prorata temporis (art. R. 1234-4). La période de référence inclus le salaire afférent à la période de préavis que celui-ci soit travaillé ou non.
En l'espèce, la formule la plus avantageuse pour Monsieur [G] [F] est un calcul sur les trois deniers mois qui révèle une rémunération mensuelle brute de référence de 1.855,75 euros.
Monsieur [G] [F] a droit à une indemnité de licenciement d'un montant de 668,07 euros (1,44 x 1/4 x 1.855,75).
L'indemnité de licenciement n'a pas le caractère d'un salaire. Elle est donc exonérée, dans certaines limites, des cotisations de sécurité sociale.
Le jugement sera réformé en ce sens.
- Sur l'indemnité compensatrice de congés payés -
Le salarié dont le contrat de travail est rompu avant qu'il n'ait bénéficié de la totalité des congés payés auxquels il avait droit doit recevoir une indemnité compensatrice de congés payés.
L'indemnité compensatrice de congés payés est due quelque que soit le motif de la rupture. La méthode de calcul est la même que pour l'indemnité de congés payés : règle du dixième ou du maintien du salaire. L'indemnité de congé payé ne peut être inférieure à la rémunération qu'aurait perçue le salarié s'il avait travaillé pendant son congé, calculée sur la base du dernier salaire et de la durée du travail dans l'établissement. L'indemnité compensatrice de congés payés doit être versée au moment où le salarié quitte effectivement son travail. L'indemnité compensatrice de congés payés a un caractère salarial.
En l'espèce, il n'est pas contesté qu'au moment de la rupture du contrat de travail, Monsieur [G] [F] a perçu une indemnité compensatrice de congés payés de 1.780,54 euros. Ce montant correspond aux mentions des bulletins de paie s'agissant des droits à congés payés acquis au jour du licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il apparaît que le salarié a été rempli de ses droits en la matière.
Monsieur [G] [F] sera débouté de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés.
- Sur les dommages-intérêts -
S'agissant de la demande de dommages-intérêts, pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse notifiés à compter du 24 septembre 2017, l'article L. 1235-3 du code du travail prévoit que si l'une ou l'autre des parties refuse la réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans un tableau différent selon que l'entreprise emploie habituellement plus de dix ou moins de onze salariés (barème Macron). L'article L. 1235-3 du code du travail définit des montants minimaux et maximaux d'indemnité de licenciement calculés en mois de salaire, en fonction de l'ancienneté et du nombre de salariés dans l'entreprise.
Ces planchers et ces plafonds de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, calculés en mois de salaire mensuel brut (en réalité, rémunération mensuelle brute comprenant le salaire et les accessoires du salaire, primes et avantages, en tenant compte des heures supplémentaires accomplies par le salarié au cours des six derniers mois précédant la rupture du contrat de travail) avant déduction de l'impôt sur le revenu et des charges sociales, sont des montants bruts, et non des montants nets. Le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse doit donc être fixé en brut et non pas en net. En effet, l'article L. 1235-3 du code du travail imposant au juge de fixer l'indemnité en se conformant à un barème comportant un plancher et un plafond exprimés en mois de salaire brut, une condamnation à une somme en net serait susceptible d'excéder le montant de l'indemnité maximale prévue par le barème.
En l'espèce, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail et au regard de son ancienneté, Monsieur [G] [F] peut prétendre à une indemnité de licenciement pour perte injustifiée d'emploi comprise entre 1 et 2 mois de salaire mensuel brut, soit entre 1.855,75 et 3.711,50 euros.
Monsieur [G] [F] affirme qu'il n'a pas retrouvé d'emploi stable et se trouve désormais sans ressources mais il ne justifie en rien de sa situation personnelle depuis le licenciement.
Il n'est pas plus justifié par Monsieur [G] [F] que l'application du barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail porterait une atteinte disproportionnée à ses droits, notamment à son droit d'obtenir une réparation adéquate, appropriée ou intégrale du préjudice subi du fait de la perte injustifiée de son emploi.
En conséquence, vu les seuls éléments d'appréciation dont la cour dispose, il sera alloué à Monsieur [G] [F] une somme de 2.500 euros (brut) en réparation du préjudice subi du fait de la perte injustifiée de son emploi.
La société BUFFACIENDA sera condamnée à payer à Monsieur [G] [F] une somme de 2.500 euros (brut), à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait de la perte injustifiée d'emploi.
Le jugement sera réformé en ce sens.
- Sur les dépens et frais irrépétibles -
La société BUFFACIENDA sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La société BUFFACIENDA sera également condamnée à verser à Monsieur [G] [F] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
- Infirme le jugement en ce que le conseil de prud'hommes a dit le licenciement notifié à Monsieur [G] [F] fondé sur une faute grave, et, statuant à nouveau, juge le licenciement de Monsieur [G] [F] sans cause réelle et sérieuse ;
- Réformant, condamne la SARL BUFFACIENDA à payer à Monsieur [G] [F] les sommes suivantes :
* 1.019 euros (brut) au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
* 668,07 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
* 2.500 euros (brut), à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait de la perte injustifiée d'emploi ;
- Réformant, condamne la SARL BUFFACIENDA aux dépens de première instance ;
- Y ajoutant, condamne la SARL BUFFACIENDA à payer à Monsieur [G] [F] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne la SARL BUFFACIENDA aux dépens d'appel;
- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
Le greffier, Le Président,
N. BELAROUI C. RUIN