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09/05/2023 | FRANCE | N°20/01865

France | France, Cour d'appel de Riom, Chambre sociale, 09 mai 2023, 20/01865


09 MAI 2023



Arrêt n°

CHR/SB/NS



Dossier N° RG 20/01865 - N° Portalis DBVU-V-B7E-FQFF



S.A.S.

ROCKWOOL

FRANCE



/



[U]

[N]





jugement au fond, origine conseil de prud'hommes - formation paritaire de riom, décision attaquée en date du 18 novembre 2020, enregistrée sous le n° 19/00039

Arrêt rendu ce NEUF MAI DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors du délibéré de :



M. Christophe

RUIN, Président



Mme Sophie NOIR, Conseiller



Mme Karine VALLEE, Conseiller



En présence de Mme Séverine BOUDRY greffier lors des débats et du prononcé



ENTRE :



S.A.S. ...

09 MAI 2023

Arrêt n°

CHR/SB/NS

Dossier N° RG 20/01865 - N° Portalis DBVU-V-B7E-FQFF

S.A.S.

ROCKWOOL

FRANCE

/

[U]

[N]

jugement au fond, origine conseil de prud'hommes - formation paritaire de riom, décision attaquée en date du 18 novembre 2020, enregistrée sous le n° 19/00039

Arrêt rendu ce NEUF MAI DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors du délibéré de :

M. Christophe RUIN, Président

Mme Sophie NOIR, Conseiller

Mme Karine VALLEE, Conseiller

En présence de Mme Séverine BOUDRY greffier lors des débats et du prononcé

ENTRE :

S.A.S. ROCKWOOL FRANCE agissant en la personne de son Président en exercice domicilié en cette qualité audit établissement

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Thomas FAGEOLE de la SAS HDV AVOCATS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND et par Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

APPELANTE

ET :

M. [U] [N]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Sonia SIGNORET suppléant Me Jean-louis BORIE de la SCP BORIE & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIME

Monsieur RUIN, Président et Mme NOIR, Conseiller après avoir entendu Mr RUIN Président en son rapport à l'audience publique du 13 mars 2023, tenue par ces deux magistrats, sans qu'ils ne s'y soient opposés, les représentants des parties en leurs explications, en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré aprés avoir informé les parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

La SAS ROCKWOOL FRANCE a pour activité principale la fabrication, la vente et la commercialisation de produits et matériaux à base de fibres minérales (laine de roche).

Monsieur [U] [N], né le 2 juillet 1971, a été embauché à compter du 3 novembre 2008 par la société ROCKWOOL FRANCE, selon contrat de travail à durée indéterminée, à temps complet, en qualité d'opérateur. Il était affecté à l'établissement de [Localité 3]. A compter du 3 mars 2014 (avenant du 26 février 2014), le salarié a été affecté au poste de chauffeur semi au sein du département Logistique - Pôle magasin produits finis et transports. La convention collective nationale applicable à la relation d'espèce est celle relative aux conditions de travail des ouvriers des industries de carrières et de matériaux du 22 avril 1955.

Par courrier daté du 30 octobre 2018, remis en main propre au salarié le même jour, l'employeur a notifié à Monsieur [U] [N] sa mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier recommandé daté du 31 octobre 2018, la société ROCKWOOL FRANCE a confirmé la mise à pied conservatoire et convoqué Monsieur [U] [N] à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est tenu le 13 novembre suivant.

Par courrier recommandé daté du 22 novembre 2018, Monsieur [U] [N] s'est vu notifier son licenciement.

Le 18 avril 2019, Monsieur [U] [N] a saisi le conseil de prud'hommes de RIOM aux fins de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'obtenir une indemnisation afférente à hauteur de 50.000 euros.

L'audience devant le bureau de conciliation et d'orientation s'est tenue en date du 23 mai 2019 (convocation de l'employeur défendeur en date du 24 avril 2019) et, comme suite au constat de l'absence de conciliation, l'affaire été renvoyée devant le bureau de jugement.

Par jugement contradictoire rendu le 18 novembre 2020 (audience du 3 juin 2020), le conseil de prud'hommes de RIOM a :

- jugé que le licenciement de Monsieur [N] est sans cause réelle et sérieuse ;

- condamné la SAS ROCKWOOL FRANCE à payer à Monsieur [N] la somme de 21.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, outre intérêts de droit avec capitalisation conformément aux règles légales ;

- condamné la SAS ROCKWOOL FRANCE à payer à Monsieur [N] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Le 17 décembre 2020, la SAS ROCKWOOL FRANCE a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié à sa personne morale le 21 novembre 2020.

Vu les conclusions notifiées à la cour le 23 août 2021 par la SAS ROCKWOOL FRANCE,

Vu les conclusions notifiées à la cour le 31 octobre 2022 par Monsieur [U] [N],

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 14 novembre 2022.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières écritures, la SAS ROCKWOOL FRANCE conclut à l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, demande à la cour de :

A titre principal :

- débouter Monsieur [N] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à son encontre ;

- condamner Monsieur [N] à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

A titre subsidiaire :

- pour le cas où la cour jugerait le licenciement sans cause réelle et sérieuse, faire application de l'article L. 1235-3 du code du travail et limiter sa condamnation au versement de 3 mois de salaire bruts à titre d'indemnité de licenciement.

La société ROCKWOOL FRANCE soutient que le salarié était en état d'ébriété le 30 octobre 2018 sur son lieu de travail, et ce en contrariété avec les dispositions du règlement intérieur de l'entreprise et la loi. Elle considère en outre que le salarié a enfreint les règles élémentaires de sécurité. Elle souligne les différents refus opposés par le salarié à se soumettre à un test de dépistage d'alcoolémie et indique que quatre membres du personnel ont cependant été témoins de l'état d'ébriété du salarié. Elle ajoute que le salarié a abandonné son poste de travail. Elle soutient que la faute reprochée au salarié est suffisamment grave pour justifier le bien fondé du licenciement qui lui a été notifié.

Dans ses dernières écritures, Monsieur [U] [N] demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit son licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l'employeur à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le réformer pour le surplus et condamner la SAS ROCKWOOL FRANCE à lui payer la somme de 50.000 euros, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi, outre intérêt de droit à compter du jugement déféré sur le montant de la somme allouée par les premiers juges et à compter du présent arrêt pour le surplus, avec capitalisation des intérêts conformément aux règles légales ;

- condamner la SAS ROCKWOOL FRANCE à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens .

- débouter la SAS ROCKWOOL FRANCE de toutes ses demandes.

Monsieur [U] [N] conteste tout manquement à ses obligations professionnelles lors de la journée du 30 octobre 2018, et réfute notamment avoir été en état d'ébriété à son poste de travail ou encore avoir dégradé le matériel qui lui avait été confié par l'employeur, avoir contrevenu aux mesures de sécurité interne. Il précise n'avoir jamais fait l'objet de sanction disciplinaire par le passé. Il considère ainsi qu'en l'absence de tout fait fautif pouvant lui être objectivement imputé, son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.

MOTIFS

- Sur le licenciement -

Le licenciement correspond à une rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige sur la cause du licenciement, ce qui interdit à l'employeur d'invoquer de nouveaux ou d'autres motifs ou griefs par rapport à ceux mentionnés dans la lettre de licenciement.

Pour que la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur soit justifiée ou fondée, en tout cas non abusive, la cause du licenciement doit être réelle (faits objectifs, c'est-à-dire précis et matériellement vérifiables, dont l'existence ou matérialité est établie et qui constituent la véritable raison du licenciement), mais également sérieuse, c'est-à-dire que les faits invoqués par l'employeur, ou griefs articulés par celui-ci, doivent être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement.

Le licenciement pour motif personnel est celui qui est inhérent à la personne du salarié. Un licenciement pour motif personnel peut être décidé pour un motif disciplinaire, c'est-à-dire en raison d'une faute du salarié, ou en dehors de tout comportement fautif du salarié (motif personnel non disciplinaire). Il ne doit pas être discriminatoire.

Si l'employeur peut sanctionner par un licenciement un acte ou une attitude du salarié qu'il considère comme fautif, il doit s'agir d'un comportement volontaire (action ou omission). À défaut, l'employeur ne peut pas se placer sur le terrain disciplinaire. La faute du salarié correspond en général à un manquement aux obligations découlant du contrat de travail. Elle ne doit pas être prescrite, ni avoir déjà été sanctionnée. Les faits reprochés au salarié doivent lui être personnellement imputables. Un salarié ne peut pas être licencié pour des faits imputables à d'autres personnes, même proches.

Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires (date de convocation à l'entretien préalable) au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié.

Si un fait fautif ne peut plus donner lieu à lui seul à une sanction disciplinaire au-delà du délai de deux mois, ces dispositions ne font pas obstacle à la prise en considération de faits antérieurs à deux mois dès lors que le comportement du salarié s'est poursuivi ou s'est réitéré dans ce délai, l'employeur pouvant ainsi invoquer une faute prescrite lorsqu'un nouveau fait fautif est constaté, à condition toutefois que les deux fautes procèdent d'un comportement identique. Toutefois, aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l'engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l'appui d'une nouvelle sanction.

En cas de licenciement disciplinaire, le juge doit vérifier que le motif allégué constitue une faute. Selon sa gravité, la faute commise par le salarié emporte des conséquences plus ou moins importantes. Si les faits invoqués, bien qu'établis, ne sont pas fautifs, ou constituent une faute légère (en tout cas non sérieuse) en considération de laquelle une rupture du contrat de travail constituerait une sanction disproportionnée, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, donc abusif.

En cas de licenciement fondé sur une faute constituant une cause réelle et sérieuse, le salarié a droit au règlement de l'indemnité compensatrice de congés payés, de l'indemnité de licenciement, du préavis ou de l'indemnité compensatrice de préavis (outre les congés payés afférents).

La sanction disciplinaire prononcée par l'employeur, y compris une mesure de licenciement, ne pas doit être disproportionnée par rapport à la gravité de la faute commise par le salarié. Le juge exerce un contrôle de proportionnalité en matière de licenciement pour motif disciplinaire et vérifie en conséquence que cette sanction n'est pas trop sévère compte tenu des faits reprochés.

Sauf cas de faute grave ou lourde visée dans la lettre de licenciement, la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement ne pèse pas plus particulièrement sur l'employeur (la Cour de cassation juge que la preuve du caractère réel et sérieux du motif de licenciement n'incombe spécialement à aucune des parties). Toutefois, en cas de licenciement disciplinaire, la cause alléguée dans la lettre de licenciement doit correspondre à une faute, sous peine de rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Pour apprécier la cause réelle et sérieuse, le juge doit examiner tous les motifs énoncés dans la lettre de licenciement et seulement ceux-ci. Cela n'interdit pas toutefois à l'employeur d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier les motifs énoncés dans la lettre de licenciement. En outre, dans tous les cas, en matière de bien-fondé du licenciement, le doute doit profiter au salarié. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, le courrier de notification du licenciement est ainsi libellé :

'...

Votre comportement, non conforme tant à la loi qu'au règlement intérieur de l'établissement. a gravement mis en danger votre sécurité, celle de vos collègues ainsi que celle de notre usine laquelle, en raison de son classement SEVESO seuil haut, est soumise à des règles strictes en matière de sécurité.

Or, ce mardi 30 octobre 2018, vous avez manifestement quitté votre poste de travail pendant une longue période sans aucune explication valable. Vous n'avez pas été en mesure d'effectuer la tâche qui vous avait été affectée voire pire, avez dégradé les matériels qui vous avaient été confiés. Vous n'avez pas été en mesure de fournir d'explication cohérente sur le déroulé de votre après-midi, indiquant lors de |'entretien préalable avoir 'vadrouillé'.

Enfin, malgré votre état général, la présence de plusieurs témoins, le rappel explicite au règlement intérieur et aux conséquences possibles de votre comportement, vous avez nié toute forme d'ivresse tout en refusant de vous soumettre à un alcootest.

Etant dans l'impossibilité de remplir vos obligations professionnelles et af in d'éviter tout accident grave tant pour vos collègues, pour votre propre sécurité, que celle de notre site de production, nous avons dû vous isoler dans les locaux de l'infirmerie le temps que vous puissiez être pris en charge.

Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 13 novembre ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation. Vous avez nié l'ensemble des faits qui vous étaient reprochés, avez considéré avoir effectué une journée 'normale' ce mardi 30 octobre sans pour autant être en mesure de fournir une explication cohérente sur son déroulé.

ll n'en reste pas moins établi que vous n'avez pas effectué les tâches qui vous avaient été confiées et que 4 personnes ont jugé votre comportement suffisamment alarmant pour vous mettre à l'écart et vous enjoindre de rentrer chez vous.

Ainsi, au vu des griefs précités à savoir le non-respect du règlement interieur, le non-respect de vos obligations de sécurité et l'incapacité manifeste d'exécuter votre travail, nous vous informons que nous sommes contraints de prononcer votre licenciement pour faute.

Votre préavis, que nous vous dispensons d'exécuter, débutera à compter de la date de première présentation du présent courrier et prendra fin à l'issue d'une période de 2 mois.

...'

Dans la lettre de licenciement, l'employeur expose que Monsieur [U] [N] a pris son poste de travail à 14 heures le 30 octobre 2018 et qu'il devait décharger des palettes avec un chariot élévateur. À partir de 17 heures, il a été constaté que Monsieur [U] [N] n'était pas à son poste de travail. À partir de 20 heures, on a recherché Monsieur [U] [N] dans l'établissement de [Localité 3]. Vers 21 heures, on a constaté que le salarié était à son poste mais qu'il dégradait des produits en essayant de les déplacer. Plusieurs salariés ayant constaté que Monsieur [U] [N] présentait les signes d'un état d'ébriété incompatible avec l'exécution de ses tâches contractuelles, ce dernier a été conduit à l'infirmerie de l'établissement vers 21 heures 30. Monsieur [U] [N] a refusé à plusieurs reprises de se soumettre à une mesure de dépistage de l'imprégnation alcoolique. Une mise à pied conservatoire a été notifiée à Monsieur [U] [N] qui a pu quitter l'établissement peu avant minuit lorsque sa belle-mère est venue le prendre en charge.

L'employeur reproche au salarié un comportement fautif au travail en date du 30 octobre 2018, se manifestant notamment par un abandon de poste, une dégradation de matériel, un état d'ébriété et un refus de se soumettre à un dépistage par éthylotest, avec violation de l'article 8 du règlement intérieur et manquement à l'obligation de sécurité sur un poste de travail à risque dans un établissement classé SEVESO.

Il s'agit donc clairement d'un licenciement pour motif disciplinaire.

L'article 8 du règlement intérieur indique qu'il est interdit de pénétrer ou de demeurer dans l'établissement en état d'ivresse. Il prévoit que la direction peut imposer l'alcootest aux salariés en cas de risque pour eux-mêmes, un tiers ou les biens.

Pour justifier des griefs mentionnés dans la lettre de licenciement, la société ROCKWOOL FRANCE produit quatre témoignages ([X] [P], [K] [F], [C] [V] et [S] [O]).

Monsieur [X] [P], responsable production, relate que le 30 octobre 2018 il a constaté à 18 heures 15 que des palettes à l'extérieur n'était pas traitées. Il a interrogé Madame [K] [F] qui lui a indiqué que Monsieur [U] [N] aurait dû s'en occuper. Constatant vers 20 heures que l'intimé ne s'était toujours pas occupé des palettes, ils ont cherché alors Monsieur [U] [N] dans l'établissement, mais en vain. Vers 21 heures 20, Madame [K] [F] l'a appelé pour lui dire qu'elle avait retrouvé Monsieur [U] [N] mais que celui-ci 'n'était pas dans son état normal'. Vers 22 heures 15, il a rejoint [K] [F], [C] [V] et [S] [O] qui se trouvaient dans l'infirmerie de l'établissement où Monsieur [U] [N] avait été conduit. Il rencontrait Monsieur [U] [N] et il constatait 'qu'en effet il n'était pas dans son état normal'. Monsieur [U] [N] n'a pas voulu souffler dans l'alcootest. Monsieur [U] [N] a indiqué qu'il avait bu un seul 'ricard' avant de venir au travail, qu'il était fatigué, qu'il suivant un traitement pour l'alcool, qu'il prenait des médicaments sans se rappeler leurs noms. [S] [O] a téléphoné aux urgences, et un médecin a parlé au téléphone à [U] [N], mais a finalement décidé de ne pas se déplacer pour une prise en charge. Vers 23 heures, l'infirmier ([E] [Y]) est arrivé et a rempli la fiche de constat que [U] [N] n'a pas voulu signer. Une mise à pied conservatoire a été alors notifiée à [U] [N] qui a ensuite téléphoné à sa belle-mère pour qu'elle vienne le chercher.

Madame [K] [F], manager d'unité production, expose que le 30 octobre 2018 elle a constaté, vers 16 heures 50 et 19 heures 30 que des palettes déchargées d'un camion n'étaient pas rangées comme d'habitude. Elle a appris que [U] [N] devait s'acquitter de cette tâche mais ne l'a pas vu. À compter de 20 heures 15, avec [X] [P] d'abord, puis avec [C] [V] et [S] [O], ils ont cherché [U] [N], mais en vain. Finalement, elle a retrouvé [U] [N] près des palettes en question mais celui-ci dégradait des marchandises en essayant maladroitement, aux commandes d'un chariot élévateur, de prendre les palettes avec les fourches. Elle s'est approchée de [U] [N] et a ouvert la porte du chariot, elle a alors senti une odeur d'alcool et vu que le salarié 'n'était pas dans son état normal'. Elle a demandé à [U] [N] de tout arrêter et lui a retiré les clés du chariot élévateur dans un souci de sécurité. [U] [N] a balbutié des explications et, considérant que le salarié n'était pas en état de travailler, elle a appelé ses collègues [C] [V] et [S] [O]. [U] [N] s'est énervé puis s'est calmé. [U] [N] est descendu du chariot avec difficulté. Ils se sont dirigés vers l'infirmerie pour mettre le salarié en sécurité mais [U] [N] n'avait pas une démarche assurée. À l'infirmerie, [U] [N] a refusé de souffler dans l'éthylotest mais a expliqué qu'il prenait un traitement pour l'alcool, qu'il avait des soucis personnels et était fatigué, qu'il avait bu un 'ricard' avant de venir au travail. L'infirmier est arrivé et s'est entretenu seul à seul avec [U] [N] puis il a établi une fiche de constat. [U] [N] a été ensuite pris en charge par un membre de sa famille vers minuit.

Monsieur [C] [V], manager de ligne, indique que Madame [K] [F] l'a appelé vers 20 heures 45 pour lui demander s'il s'avait où était [U] [N] ; il a répondu par la négative. Vers 21 heures 15, Madame [K] [F] l'a appelé pour lui dire qu'elle avait trouvé [U] [N], puis 10 minutes plus tard pour lui indiquer qu'il y avait un problème avec ce salarié. Il a rejoint sa collègue et a constaté que [U] [N] était dans un chariot et présentait un 'comportement anormal'. Ils ont demandé à [U] [N] de descendre du chariot et de les suivre à l'infirmerie. Il a constaté que [U] [N] n'était pas sûr de ses gestes pour marcher et avait des problèmes d'élocution ; [U] [N] titubait. À l'infirmerie, ils ont retrouvé [S] [O] puis [X] [P]. [U] [N] a refusé de se soumettre à un alcootest. L'infirmier est arrivé ensuite et a pris en charge [U] [N].

Monsieur [S] [O], manager d'unité, relate qu'il a retrouvé les personnes précitées à l'infirmerie de l'établissement vers 21 heures 40. Il a alors constaté que [U] [N] titubait et avait du mal à tenir son équilibre. Il a interrogé l'intimé sur son emploi du temps de la journée et son comportement, mais [U] [N] est resté flou, indiquant toutefois qu'il avait des problèmes, qu'il était suivi pour l'alcool et qu'il prenait un traitement. [U] [N] a refusé de souffler dans l'éthylotest mais a reconnu avoir bu 'un bon ricard' avant de venir au travail. Il a appelé le SAMU mais, après un entretien téléphonique avec l'intimé, le médecin n'a pas voulu prendre en charge [U] [N]. L'infirmier est arrivé ensuite et a pris en charge [U] [N].

Il est versé aux débats deux documents intitulés 'fiche de constat' concernant un 'trouble du comportement sur le lieu de travail'. La première, qui a été signée le 30 octobre 2018 à 23 heures 45 par Madame [K] [F] et Monsieur [C] [V], mentionne notamment des difficultés d'élocution, des propos incohérents, une haleine alcoolisée, des gestes imprécis, des troubles de l'équilibre, avec la précision suivante : '[U] nous a expliqué qu'il prenait un traitement et qu'il a bu un 'canon' ce matin avant de venir travailler. Il ne veut pas souffler dans l'éthylotest'. La seconde, signée le 30 octobre 2018 à 23 heures 46 par Monsieur [E] [Y], infirmier de l'établissement, [U] [N] ayant refusé de signer, ne mentionne pas des difficultés d'élocution, de propos incohérents, des gestes imprécis, des troubles de l'équilibre ou un état d'agitation (pas de signes particuliers cochés et un point d'interrogation concernant le critère de l'haleine alcoolisée), avec la précision suivante (après constat de constantes normales) : 'Mr [N] dit avoir bu un verre avant sa prise de poste de 14 heures. Il a pris des médicaments aujourd'hui mais ne se souvient plus des noms. Mr [N] refuse de souffler dans l'éthylotest, après avoir pris connaissance du règlement intérieur et de la réglementation, information donné qu'il peut se faire accompagner pour souffler.'. Monsieur [E] [Y] préconise le retour à domicile du salarié.

Le poste occupé le 30 octobre 2018 par Monsieur [U] [N] figure sur la liste des postes à risques de l'établissement de [Localité 3] (document d'entreprise du 22 mai 2015 visant l'article L. 4154-2 du code du travail).

Monsieur [U] [N] conteste totalement les griefs formulés par l'employeur et produit quelques témoignages.

Monsieur [F] [A], collègue de travail, expose que, le 30 octobre 2018, il a aidé [U] [N] à décharger des 'imports' vers 15 heures 30 et l'a rencontré à nouveau vers 19 heures, sans remarquer un comportement anormal chez l'intimé ni aucun signe de consommation d'alcool.

Madame [B] [T], belle-mère de l'intimé, indique qu'elle est venue chercher son gendre sur son lieu de travail le 30 octobre 2018 vers minuit. Elle certifie que [U] [N] ne titubait pas et qu'il ne présentait aucun signe d'ivresse ou de consommation d'alcool.

Madame [M] [N], épouse de l'intimée, relate que le 30 octobre 2018 elle a eu son époux au téléphone vers 13 heures 45 et que Monsieur [U] [N] avait une élocution normale et tenait des propos tout à fait cohérents. Elle a pu parler à nouveau par téléphone avec Monsieur [U] [N] le 31 octobre 2018 vers 00 h 15 et celui avait toujours une élocution normale et des propos cohérents. Elle ajoute que son époux n'avait pas alors de problème d'alcool et n'était pas soigné à ce titre mais prenait des anxiolytiques en raison d'un mal-être, notamment au travail, ce dont nul n'était informé en dehors du couple avant le 30 octobre 2018.

Selon les documents médicaux produits, Monsieur [U] [N] était sous traitement anxiolytique à l'époque considérée, avec notamment une prise quotidienne de SERESTA et de DEROXAT.

L'employeur ne justifie d'aucun passé ou passif disciplinaire concernant Monsieur [U] [N]. Le salarié aurait certes reçu un courrier de mise en garde daté du 14 avril 2011, non qualifié par l'employeur de sanction disciplinaire, mais pour des griefs qui ne sont pas de même nature que ceux mentionnés dans la lettre de licenciement.

S'agissant des signes ou indices quant à l'état d'ébriété reproché à Monsieur [U] [N] le 30 octobre 2018 au travail, l'employeur produit les témoignages concordants de [X] [P], [K] [F], [C] [V] et [S] [O]. Toutefois, ces témoignages sont contredits par ceux de [F] [A], [B] [T] et [M] [N], mais également par les mentions écrites portées par l'infirmier de l'établissement ([E] [Y]) sur la 'fiche de constat' et le fait que le médecin du SAMU, après un entretien téléphonique avec l'intimé, n'a pas jugé utile de déplacer une équipe de secours et de prendre en charge [U] [N]. Compte tenu du traitement médical pris alors par Monsieur [U] [N], une confusion est possible entre un état d'ébriété et un état prononcé de fatigue dû à la prise (médicalement autorisée) d'anxiolytiques. Le doute devant profiter au salarié, ce grief ne sera pas considéré comme établi.

Il n'est pas contesté que le 30 octobre 2018, Monsieur [U] [N] devait occuper son poste de travail de 14 heures à 22 heures et, dans ce cadre, décharger, ranger et/ou charger des palettes. L'intimé conteste avoir utilisé ce jour-là un chariot élévateur mais plusieurs témoignages concordants indiquent que ce fut pourtant le cas.

En l'état, il apparaît seulement que le 30 octobre 2018 Monsieur [U] [N] a pu se montrer fatigué et diminué dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail, voire maladroit, mais il n'est justifié d'aucun comportement particulièrement à risque pas plus que de dommages significatifs causés par le salarié.

Au regard des seuls éléments d'appréciation dont la cour dispose, si Monsieur [U] [N] a pu présenter un état physique apparent, préoccupant ou 'anormal', le 30 octobre 2018, les griefs d'abandon de poste et de manquement à l'obligation de sécurité ne sont pas caractérisés. Monsieur [U] [N] a également pu manipuler de façon inadéquate quelques palettes mais le grief de dégradation de marchandises n'est pas établi.

S'agissant du refus de se soumettre à un dépistage d'imprégnation alcoolique, apparemment entre 21 heures 30 et 23 heures 45 le 30 octobre 2018,la faute de Monsieur [U] [N] n'est pas caractérisée vu les circonstances précitées.

Vu notamment l'absence de passé disciplinaire et de caractérisation d'un état d'ébriété, le seul comportement 'anormal' ponctuel de l'intimé, décrit par quelques témoins pour la seule journée de travail du 30 octobre 2018, ne pouvait justifier une mesure de licenciement qui apparaît en l'état infondée et disproportionnée.

Le jugement déféré sera confirmé en ce que le conseil de prud'hommes a dit que le licenciement de Monsieur [N] est sans cause réelle et sérieuse.

- Sur l'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse -

Selon l'article L. 1235-1 du code du travail, en matière de licenciement, à défaut d'accord, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Il justifie dans le jugement qu'il prononce le montant des indemnités qu'il octroie.

Il résulte d'une jurisprudence constante que la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause nécessairement un préjudice dont il appartient au juge d'apprécier l'étendue. Cette évaluation dépend des éléments d'appréciation fournis par les parties.

Pour les licenciements notifiés à compter du 24 septembre 2017, l'article L. 1235-3 du code du travail institue une 'barémisation' (désigné communément 'barème Macron') des dommages-intérêts que le juge prud'homal peut fixer en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et en l'absence de réintégration, le législateur ayant souhaité encadrer le pouvoir d'appréciation du juge en fixant un montant minimum et un montant maximum d'indemnisation en fonction de l'ancienneté du salarié et de l'effectif de l'entreprise. Le barème Macron est présenté par le législateur comme un moyen efficace de mettre fin aux disparités judiciaires dans un souci d'égalité des justiciables-citoyens.

Selon l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis, ou, si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans des tableaux figurant dans le même article.

Ces planchers et ces plafonds de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, calculés en mois de salaire mensuel brut (en réalité, rémunération mensuelle brute comprenant le salaire et les accessoires du salaire, primes et avantages, en tenant compte des heures supplémentaires accomplies par le salarié au cours des six derniers mois précédant la rupture du contrat de travail) avant déduction de l'impôt sur le revenu et des charges sociales, sont des montants bruts, et non des montants nets.

En dessous d'un an d'ancienneté, aucun plancher n'est fixé.

À l'intérieur des fourchettes d'indemnisation prévues par l'article L. 1235-3 du code du travail, c'est au juge prud'homal qu'il appartient de fixer le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse allouée au salarié. Les dommages-intérêts sont évalués, conformément aux règles du droit commun, en fonction du préjudice subi. Ce préjudice subi par le salarié est apprécié au jour de la décision judiciaire, ce qui autorise le juge à tenir compte des difficultés rencontrées par le salarié pour retrouver un emploi. Dès lorsque l'indemnité fixée est au moins égale au plancher fixé par le barème Macron, l'appréciation du montant des dommages-intérêts par le juge est souveraine.

L'objet de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse étant de réparer le préjudice subi par le salarié du fait d'un licenciement non justifié par une cause réelle et sérieuse, elle se cumule en principe avec l'indemnité de licenciement, l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité contractuelle de rupture, les avantages fixés par le plan de sauvegarde de l'emploi.

Selon l'article L. 1235-3 du code du travail, pour déterminer le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture, à l'exception de l'indemnité légale de licenciement.

Selon l'article L. 1235-3 du code du travail, l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est cumulable, le cas échéant, avec les indemnités suivantes : - l'indemnité allouée au salarié licencié pour motif économique en cas de non-respect par l'employeur des procédures de consultation des représentants du personnel ou d'information de l'autorité administrative ; - l'indemnité allouée au salarié licencié pour motif économique en cas de non-respect de la priorité de réembauche ; - l'indemnité allouée au salarié licencié pour motif économique lorsque le comité social et économique n'a pas été mis en place dans une entreprise alors qu'elle est assujettie à cette obligation et qu'aucun procès-verbal de carence n'a été établi, mais ce cumul ne peut intervenir que dans la limite des montants maximaux (plafonds) prévus à l'article L. 1235-3.

En application de l'article L. 1235-2 du code du travail, quelles que soient l'ancienneté du salarié et la taille de l'entreprise, les indemnités pour irrégularité de la procédure de licenciement sont absorbées ou incluses dans tous les cas par les dommages-intérêts accordés au titre du défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement. En conséquence, indemnités pour irrégularité de procédure et dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne se cumulent pas.

Les dommages-intérêts réparant l'absence de notification des motifs s'opposant au reclassement du salarié licencié pour inaptitude d'origine non professionnelle et ceux sanctionnant le défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement ne sont pas cumulables.

L'article L. 1235-3-1 du code du travail prévoit que la barémisation de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse fixée par l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa de l'article L. 1235-3-1. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois (plancher seulement).

S'agissant de l'évaluation du préjudice global subi par le salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, le code du travail ne prévoit pas d'exception aux montants minimaux et maximaux fixés par l'article L. 1235-3 pour déterminer le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse réparant la perte injustifiée de son emploi. Cet article n'ouvre pas expressément de possibilité de cumul pour dépasser le montant maximal d'indemnisation des préjudices subis à raison de la seule perte injustifiée d'emploi résultant d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il est donc inopérant de distinguer les différentes sortes de préjudices (économique, financier, salarial, moral, psychologique, perte d'employabilité, perte de confiance, dépréciation etc.) pouvant résulter d'une perte injustifiée d'emploi à raison d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse afin d'obtenir le dépassement du plafond d'indemnisation fixé par l'article L. 1235-3 du code du travail.

Par contre, dans le cas d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, un salarié reste recevable à démontrer l'existence d'un préjudice distinct de la seule perte injustifiée d'emploi pour obtenir une indemnisation échappant aux dispositions de L. 1235-3 du code du travail. C'est le cas de l'indemnité réparant le préjudice subi par le salarié du fait des procédés vexatoires dans la mise en oeuvre ou les circonstances du licenciement, ou de l'indemnité réparant la détérioration de l'état de santé du salarié imputable à comportement fautif de l'employeur.

En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le cumul de dommages-intérêts est donc possible en cas de faute de l'employeur dans les circonstances entourant le licenciement dont il résulte pour le salarié un préjudice distinct de la seule perte d'emploi injustifiée.

La perte d'emploi et la perte de chance d'en retrouver un à court terme ne constituent pas des préjudices distinct de celui réparé par l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Même en cas de licenciement justifié par une cause réelle et sérieuse (pas de perte injustifiée d'emploi), l'employeur peut être condamné à verser des dommages-intérêts lorsqu'il a adopté un comportement fautif dans la mise en oeuvre ou les circonstances du licenciement qui a causé un préjudice au salarié.

Le salarié licencié sans cause réelle et sérieuse ne saurait obtenir une indemnisation globale du préjudice lié à la perte injustifiée de son emploi supérieure au plafond fixé par l'article L. 1235-3 du code du travail en faisant qualifier son licenciement d'abusif en même temps que sans cause réelle et sérieuse, notamment sur le fondement de l'article 1780 du code civil qui prévoit que la résiliation du contrat de louage de service par la volonté d'un seul des contractants peut donner lieu à des dommages-intérêts dont le montant est fixé en tenant compte tenu compte des usages, de la nature des services engagés, du temps écoulé, des retenues opérées et des versements effectués en vue d'une pension de retraite, et, en général, de toutes les circonstances qui peuvent justifier l'existence et déterminer l'étendue du préjudice causé.

Outre que l'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse relève des dispositions spéciales du code du travail applicables à la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur, et non de dispositions générales du code civil sur la résiliation unilatérale du contrat de louage de service, il n'y a pas lieu de distinguer, s'agissant de l'application du barème Macron, l'indemnisation de la perte injustifiée d'emploi, le licenciement sans cause réelle et sérieuse du licenciement abusif, ou du licenciement injustifié, ou du licenciement excessif, ou du licenciement de mauvaise foi, ou du licenciement fautif.

La "bonne foi" est la croyance qu'une personne a de se trouver dans une situation conforme au droit, et la conscience d'agir sans léser les droits d'autrui. La "mauvaise foi" est une attitude volontaire et déloyale avec laquelle une personne agit envers une autre, un manque de loyauté envers autrui. Pour établir la mauvaise foi, il faut prouver l'intention de nuire, la malveillance, l'existence de motifs condamnables, la fraude ou tout autre dessein malhonnête.

L'abus de droit est notamment le fait, pour une personne, de commettre une faute par le dépassement des limites d'exercice d'un droit qui lui est conféré. Si la notion d'abus de droit correspond à un usage excessif d'un droit ayant eu pour conséquence l'atteinte aux droits d'autrui, il recouvre un vaste champ de comportements fautifs allant de légèreté blâmable à l'intention de nuire. L'abus de droit peut être sanctionné par une condamnation à payer des dommages et intérêts à la victime de l'abus.

La particulière mauvaise foi de l'employeur lorsqu'il licencie un salarié, l'intensité de l'abus de droit commis par l'employeur, ou les degrés en la matière, sont des éléments d'appréciation pouvant être pris en compte par le juge dans l'évaluation du montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais ils sont inopérants s'agissant du plafond d'indemnisation fixé par l'article L. 1235-3 du code du travail pour réparer la perte injustifiée d'emploi.

La particulière mauvaise foi de l'employeur lorsqu'il licencie un salarié, l'intensité de l'abus de droit commis par l'employeur, notamment dans la mise en oeuvre ou les circonstances du licenciement, peuvent causer un préjudice distinct de celui résultant de la seule perte injustifiée d'emploi.

Le barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail a été validé par des décisions claires du Conseil Constitutionnel, du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation.

Dans des arrêt rendus en date du 11 mai 2022 (pourvois 21-14490 et 21-15247), la Cour de cassation a notamment jugé que :

- le barème Macron est compatible avec les stipulations de l'article 10 de la Convention n°158 de l'OIT ;

- la Charte sociale européenne n'étant pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l'invocation de son article 24 ne peut pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail ;

- le juge du fond, à qui il appartient seulement d'apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l'article L.1235-3 du code du travail, ne peut pas relever la nécessité d'une indemnisation adéquate et appropriée du préjudice subi pour condamner l'employeur au paiement d'une somme supérieure au montant maximal prévu par cet article;

Le barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail apparaît donc conforme aux textes européens et internationaux, et ce nonobstant le fait que le Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS) a estimé, dans une décision en date du 23 mars 2022, que le plafonnement des indemnités prud'homales en cas de licenciement injustifié constitue une violation de la charte sociale européenne en ce que le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée, au sens de l'article 24.b de la Charte, n'est pas garanti.

Le principe de proportionnalité impose au juge, qu'il soit français ou européen, de contrôler que l'atteinte qui a été portée à un droit fondamental n'est pas disproportionnée. Le juge doit vérifier d'abord si la disposition portant atteinte à un droit fondamental poursuit un but légitime, puis si elle permet d'atteindre ce but, et enfin, si une autre mesure, moins liberticide mais aussi efficace, n'aurait pas pu être prise en ses lieu et place.

Le contrôle de proportionnalité permet aussi de régler les conflits entre des droits ou principes fondamentaux opposés, comme par exemple le principe de sécurité juridique, ou l'égalité de traitement, et le droit à une réparation intégrale, en tout cas adéquate, du préjudice subi, en effectuant, au cas par cas, une balance des intérêts en présence pour chercher soit à les concilier, soit à faire prévaloir l'un sur l'autre en fonction des circonstances de l'espèce. C'est l'exigence d'une adéquation entre les moyens employés et le but visé.

Un salarié licencié sans cause réelle et sérieuse est donc recevable à démontrer que l'application du barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail porte une atteinte disproportionnée à ses droits, notamment à son droit d'obtenir une réparation adéquate, appropriée ou intégrale, du préjudice par lui subi du fait de la perte injustifiée de son emploi.

En l'espèce, Monsieur [U] [N], âgée de 47 ans au moment de son licenciement, comptait 10 ans d'ancienneté au sein de l'entreprise et percevait un salaire mensuel brut de 2.100 euros. Il est constant que la société ROCKWOOL FRANCE employait habituellement plus de 10 salariés permanents au moment du licenciement.

En application de l'article L. 1235-3 du code du travail, Monsieur [U] [N] peut prétendre à une indemnité de licenciement comprise entre 3 et 10 mois de salaire mensuel brut, soit entre 6.300 et 21.000 euros.

Monsieur [U] [N] justifie avoir perçu l'allocation d'aide au retour à l'emploi (environ 1.200 euros par mois) après son licenciement. À compter du 28 septembre 2020, il a été employé par une autre entreprise, selon contrat de travail à durée indéterminée à temps complet (salaire mensuel brut de base de 1.542 euros), en qualité de conducteur de poids lourds. Après une période d'arrêt de travail pour maladie, il a été licencié pour inaptitude le 16 février 2022 et perçoit depuis l'allocation d'aide au retour à l'emploi.

Il n'est pas démontré de lien de causalité directe entre le licenciement notifié par la société ROCKWOOL FRANCE, d'une part, les problèmes conjugaux de Monsieur [U] [N], ses déménagements et son état ultérieur d'inaptitude (impossibilité de conduire des poids lourds en raison d'une déficience visuelle), d'autre part.

Les circonstances du licenciement pour motif disciplinaire du 22 novembre 2018 furent certes désagréables, voire vexatoires, pour Monsieur [U] [N] puisque sa tempérance a été mise en cause dans l'entreprise et que son état médical a été porté à la connaissance de sa proche famille. Reste que, vu le dispositif de ses dernières écritures, Monsieur [U] [N] ne présente pas une demande distincte de dommages-intérêts pour faute de l'employeur dans les circonstances (vexatoires) entourant le licenciement, mais une unique demande de dommages-intérêts pour la seule perte d'emploi injustifiée en ses composantes morales et économiques.

Le premier juge a accordé à Monsieur [U] [N] l'indemnisation maximale prévue par le 'barème Macron' et, pour le surplus, il n'est pas justifié par l'intimé que l'application du barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail porterait une atteinte disproportionnée à ses droits, notamment à son droit d'obtenir une réparation adéquate, appropriée ou intégrale du préjudice par lui subi du fait de la perte injustifiée de son emploi.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce que conseil de prud'hommes a condamné la SAS ROCKWOOL FRANCE à payer à Monsieur [N] la somme de 21.000 euros, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi du fait d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre intérêts de droit avec capitalisation conformément aux règles légales.

- Sur les dépens et frais irrépétibles -

Le jugement sera également confirmé en ses dispositions sur les dépens et frais irrépétibles de première instance.

En cause d'appel, la SAS ROCKWOOL FRANCE sera également condamnée aux entiers dépens ainsi qu'à verser à Monsieur [U] [N] une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

- Confirme le jugement ;

Y ajoutant,

- Condamne la SAS ROCKWOOL FRANCE à verser à Monsieur [U] [N] une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel;

- Condamne la SAS ROCKWOOL FRANCE aux dépens d'appel ;

- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

Le Greffier, Le Président,

S. BOUDRY C. RUIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Riom
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/01865
Date de la décision : 09/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-09;20.01865 ?
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