COUR D'APPEL
DE RIOM
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
Du 25 avril 2023
N° RG 22/01454 - N° Portalis DBVU-V-B7G-F3DN
-PV- Arrêt n° 193
[J] [W] / [R] [V]
Jugement au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP du PUY-EN-VELAY, décision attaquée en date du 05 Juillet 2022, enregistrée sous le n° 22/00318
Arrêt rendu le MARDI VINGT CINQ AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
M. Philippe VALLEIX, Président
M. Daniel ACQUARONE, Conseiller
Mme Clémence CIROTTE, Conseiller
En présence de :
Mme Pascale REITZEL, Procureur Général
Mme Céline DHOME, greffier lors de l'appel des causes et du prononcé
ENTRE :
M. [J] [W]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Maître Hélène SOULIER BONNEFOIS, avocat au barreau de HAUTE-LOIRE et par Maître Corinne BEAL-CIZERON, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
APPELANT
ET :
Mme [R] [V]
[D]
[Localité 3]
Représentée par Maître Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT- FERRAND et par Maître Rémi HANACHOWICZ, de la SCP O. RENAULT et ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
INTIMEE
En présence de M. [Z] [S], président de la chambre interdépartementale des notaires d'Auvergne ;
DÉBATS :
A l'audience collégiale du 16 janvier 2023, tenue en chambre du conseil, ont été entendus, Monsieur le président de la première chambre civile en son rapport, Maître BEAL-CIZERON et Maître HANACHOWICZ au soutien des intérêts de leurs clients, Madame le Procureur Général en ses réquisitions, Maître BEAL-CIZERON ayant repris la parole en dernier ;
Monsieur le president de la première chambre civile a annoncé que l'arrêt serait rendu à l'issue du délibéré, conformément à la loi, le 14 mars 2023, par mise à disposition au greffe de la cour ; ce délibéré a finalement été prorogé au 25 avril 2023.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Signé par M. VALLEIX, président et par Mme DHOME, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Exerçant la profession de notaire depuis le 10 mars 1988, Me [J] [W] a constitué le 26 décembre 1988 une Société civile professionnelle (SCP) de notaires avec Me Georges GUIGNAND, cette étude notariale étant composée d'un bureau principal constituant le siège social à Dunières (Haute-Loire) et d'un bureau secondaire à Montfaucon-en-Velay (Haute-Loire). Le 15 octobre 2010, Me [R] [V], jusqu'alors clerc de notaire, a acquis l'intégralité des parts de Me Georges GUIGNAND, partant à la retraite. Cette SCP de notaire a de ce fait changé de dénomination sociale, devenant la SCP BRUNO FAVIER & [R] [V]. Elle a pour principe d'être cogérée par les deux notaires associés en dépit d'un partage inégal du capital social et des droits de vote (respectivement 68,6 % au profit de Me [V] et 31,4 % au profit de Me [W]). Dans la pratique, Me [V] est en charge du bureau de [Localité 4] tandis que Me [W] est en charge du bureau de [Localité 5].
Arguant que son associé s'était au fil des ans affranchi de tous ses engagements professionnels et de toute rigueur juridique et déontologique, commettant ainsi de nombreux manquements aux dépens de la clientèle, provoquant une chute de rentabilité du bureau de Montfaucon-en-Velay et la contraignant surtout depuis l'année 2019 à faire face aux conséquences dommageables de nombreuses fautes professionnelles de ce dernier mettant en péril l'intérêt et la pérennité de l'office notarial, Me [R] [V] a, usant de la procédure d'assignation à jour fixe, assigné le 21 avril 2022 Me [J] [W] devant le tribunal judiciaire du Puy-en-Velay aux fins de destitution à titre principal de ses fonctions de notaire. C'est dans ces conditions que cette dernière juridiction a, suivant un jugement n° RG-22/00318 rendu le 5 juillet 2022 :
- condamné Me [W] à une interdiction temporaire d'exercer la profession de notaire pendant une durée de 4 années, en application de l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 et du décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973 ;
- rappelé l'exécution provisoire de plein droit de la décision ;
- condamné Me [W] à payer au profit de Me [V] une indemnité de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné Me [W] aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration formalisée par le RPVA le 10 juillet 2022, le conseil de Me Bruno FAVIER a interjeté appel du jugement susmentionné, l'appel portant sur l'intégralité de la décision.
Par ordonnances du 22 juillet 2022 et du 24 novembre 2022, le Premier président de la cour d'appel de Riom a rejeté les demandes formées par Me [W] aux fins de suspension de l'exécution provisoire du jugement susmentionné.
' Par dernières conclusions d'appelant notifiées par le RPVA le 16 janvier 2023, Me [J] [W] a demandé de :
' au visa de l'article 858 du code de procédure civile, de l'article 1240 du Code civil et de l'ordonnance n° 2022-544 du 13 avril 2022 ;
' infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 5 juillet 2022 du tribunal judiciaire du Puy-en-Velay ;
' débouter Me [V] de l'ensemble de ses prétentions après avoir jugé qu'il n'avait commis aucune faute susceptible de recevoir la qualification de faute disciplinaire ou en tout cas de faute disciplinaire justifiant la peine de destitution ou d'interdiction temporaire d'exercer la profession de notaire ;
' condamner Me [V] à lui payer la somme de 20.000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
' condamner Mme [V] à lui payer une indemnité de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamner Mme [V] aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Hélène Soulier-Bonnefois, Avocat au barreau de la Haute-Loire ;
' à titre subsidiaire, dire que les fautes disciplinaires commises seront sanctionnées par la peine de défense de récidiver et le condamner à la peine de défense de récidiver.
' Par dernières conclusions d'intimé et d'appel incident notifiées par le RPVA le 26 décembre 2022, Mme [R] [V] a demandé de :
' au visa de l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 et notamment de ses articles 2, 3,'9 et 10, du Règlement national des notaires approuvé par arrêté du Garde des Sceaux du 22 mai 2018 et des articles 16, 840 et 844 du code de procédure civile ;
' à titre principal, réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Me [W] à la peine d'interdiction temporaire d'exercer la profession de notaire pendant une durée de quatre années et condamner ce dernier à la sanction disciplinaire de destitution ;
' à titre subsidiaire, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Me [W] à la peine d'interdiction temporaire d'exercer la profession de notaire pendant une durée de quatre années ;
' en tout état de cause, condamner Me [W] à lui payer une indemnité de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de l'instance, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Sébastien Rahon, Avocat au barreau de Clermont-Ferrand.
Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, les moyens développés par chacune des parties à l'appui de leurs prétentions respectives sont directement énoncés dans la partie MOTIFS DE LA DÉCISION.
Après évocation de cette affaire et clôture des débats lors de l'audience civile collégiale du 16 janvier 2023 à 14h00 :
- le Procureur général près la cour d'appel de Riom est volontairement intervenu à l'instance, s'associant aux conclusions de Me [R] [V] et demandant la confirmation de la décision de première instance frappée d'appel ;
- M. [Z] [S], agissant en qualité de Président de la Chambre interdépartementale des notaires d'Auvergne, est volontairement intervenu à l'instance, faisant un certain nombre d'observations sur la situation litigieuse sans pour autant prendre parti sur celle-ci ;
- chacun des conseils respectifs de Me [J] [W] et de Me [R] [V] a réitéré et développé ses moyens et prétentions précédemment énoncés.
Après clôture des débats, la décision suivante a été mise en délibéré au 14 mars 2023, prorogée au 25 avril 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Questions préalables
Il convient préalablement de constater :
* l'intervention volontaire à l'instance du Procureur général près la cour d'appel de Riom ;
* l'intervention volontaire à l'instance de M. [Z] [S], agissant en qualité de Président de la Chambre interdépartementale des notaires d'Auvergne ;
* le fait que les dernières conclusions signifiées par le RPVA le 16 janvier 2023 par le conseil de Me [J] [W] n'ont donné lieu à aucun incident de la part du conseil de Me [R] [V] au titre du principe du contradictoire.
M. [W] demande préalablement dans le corps de ses conclusions d'appelant la réformation du jugement de première instance « - en ce qu'il a été rendu à jour fixe sans qu'il n'y ait urgence, les droits de la défense [n'ayant] pas été respectés, ». Pour autant, ce débat relatif au non-respect des droits de la défense en conséquence du choix ou d'une conduite le cas échéant inappropriée de la procédure d'assignation à jour fixe relève d'une éventuelle annulation de la décision critiquée et non de sa réformation. Or, aucune demande d'annulation du jugement de première instance n'est présentée dans le dispositif des conclusions d'appelant de M. [W], indépendamment de sa demande de réformation qui ne porte que sur des questions de fond. Il convient à ce sujet de rappeler les dispositions de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile suivant lesquelles « La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif [des conclusions d'appel] et n'examine les moyens de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. ». Il n'y a donc pas lieu de poursuivre la discussion sur ce chef de demande.
De plus, M. [W] entend réformer le jugement de première instance « - en ce qu'il n'a pas écarté l'exécution provisoire alors que celle-ci a des conséquences manifestement excessives pour lui en arrêt maladie depuis octobre 2019, dont l'indemnisation se trouve suspendue par cette sanction et se trouve privé de tout revenu, ». En l'occurrence, ce débat sur le principe et les effets de l'exécution provisoire de la décision de première instance ne relève pas de la compétence d'attribution de la Cour, la partie intimée rappelant à ce sujet que deux demandes de suspension de l'exécution provisoire de cette même décision ont été rejetées par ordonnances du 22 juillet 2022 et et du 24 novembre 2022 du Premier président de la cour d'appel de Riom.
L'article 2 de l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels, disposait avant son abrogation que « Toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout fait contraire à la probité, à l'honneur ou à la délicatesse commis par un officier public ou ministériel, même se rapportant à des faits extraprofessionnels, donne lieu à sanction disciplinaire. / L'officier public ou ministériel peut être poursuivi disciplinairement, même après l'acceptation de sa démission, si les faits qui lui sont reprochés ont été commis pendant l'exercice de ses fonctions. Si la sanction est prononcée, alors que la nomination de son successeur est déjà intervenue, celui-ci demeure titulaire de l'office quelle que soit la peine infligée.»
Ce texte de nature législative a été abrogé par l'article 34 de l'ordonnance n° 2022-544 du 13 avril 2022 relative à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels, dont l'article 7 dispose que « Toute contravention aux lois et règlements, tout fait contraire au code de déontologie commis par un professionnel, même se rapportant à des faits commis en dehors de l'exercice de sa profession, et toute infraction aux règles professionnelles constituent un manquement disciplinaire. / Le professionnel ayant cessé d'exercer, quelle qu'en soit la cause, y compris s'il est regardé démissionnaire d'office dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, peut être poursuivi et sanctionné si les faits qui lui sont reprochés ont été commis alors qu'il était encore en exercice. Si la sanction est prononcée, alors que la nomination de son successeur est déjà intervenue, celui-ci demeure titulaire de l'office quelle que soit la peine infligée. / Les professionnels honoraires demeurent soumis aux obligations de leur profession et au pouvoir disciplinaire des juridictions mentionnées à l'article 11. », et dont l'article 8 dispose que « Le procureur général exerce l'action disciplinaire à l'encontre des commissaires de justice, des greffiers des tribunaux de commerce et des notaires du ressort de la cour d'appel, concurremment avec les autorités de chacune de ces professions compétentes pour l'exercer. / Le procureur général du ressort de la cour d'appel dans lequel exerce le professionnel poursuivi peut demander au procureur général du ressort de la cour d'appel dans lequel est située la juridiction disciplinaire de première instance ou d'appel de se substituer à lui à l'audience. ».
De plus, l'article 10 de l'ordonnance précitée du 28 juin 1945 dispose que « L'action disciplinaire devant le tribunal judiciaire est exercée par le procureur de la République. Elle peut également être exercée par le président de la chambre de discipline agissant au nom de celle-ci, ainsi que par toute personne qui se prétend lésée par l'officier public ou ministériel. Dans ce cas, le procureur de la République est obligatoirement entendu. / Lorsqu'ils n'ont pas exercé eux-mêmes l'action disciplinaire, le président de la chambre ou la personne qui se prétend lésée peuvent intervenir à l'instance. / Dans tous les cas, ils peuvent demander l'allocation de dommages-intérêts. ».
Les dispositions précitées des articles 2 et 10 de l'ordonnance précitée du 28 juin 1945 demeurent donc applicables, la voie disciplinaire initiée par la partie intimée l'ayant été par assignation à jour fixe du 21 avril 2022, soit antérieurement à leur abrogation qui n'est effective qu'à compter du 1er juillet 2022 par application de l'article 40 de l'ordonnance n° 2022-544 du 13 avril 2022.
2/ Sur les fautes disciplinaires
Plusieurs faits et agissements argués de disciplinaires sont ainsi dénoncés par Me [V] à l'encontre de Me [W], mettant selon elle en péril la crédibilité et la pérennité de l'ensemble de l'office notarial en raison de leur pluralité et de leur gravité. Il convient d'analyser les faits et agissements suivants, relevant de la seule pratique professionnelle de Me [W] et ayant pu affecter la SCP SCP FAVIER-SIMONET ou étant en tout cas susceptibles d'engager la responsabilité civile professionnelle de l'ensemble de l'office notarial.
' Baisse des dossiers traités par l'étude de [Localité 5]. Sur l'ensemble de l'année 2019, seuls 134 actes ont été reçus sur ce bureau selon la comptabilité de Me [V], révélant, sur la base d'une estimation de 2 heures de travail par acte, une durée de travail de l'ordre de 268 heures, soit seulement 6 heures par semaine. Une inspection a été diligentée sur cette étude annexe par la Chambre départementale des notaires du Puy-de-Dôme, Me [W] ne s'étant pas présenté devant ses confrères dans le cadre de cette instance ordinale. Celle-ci a notamment retenu à titre de grief général à l'encontre de Me [W] dans son rapport d'inspection du 2 décembre 2019 « (') un manque de rigueur juridique et surtout de contrôle (') ». L'inspecteur-notaire conclut par ailleurs notamment dans ce même rapport que « (') Mr [W] étant absent le jour de l'inspection, il est par conséquent impossible d'obtenir toutes explications sur les dossiers contrôlés, et sur les mesures qui seront prises afin d'éviter de dégrader une situation inquiétante. ».
' Programme de vente en l'état de futur achèvement Sarim. Par actes authentiques des 19 décembre 2011 et 31 octobre 2012, Me [W] a instrumenté deux concours financiers de 1.715.000 € et de 850.000 € au profit de la société SARIM par la BANQUE CANTONALE DE GENÈVE afin de financer une promotion immobilière dans le cadre d'un programme de vente en l'état de futur achèvement à [Localité 7] (Var). Or, ces fonds ont été en partie versés directement à la société SARIM par les acquéreurs à hauteur de 1.110.000 €, échappant ainsi au compte centralisateur de la BANQUE CANTONALE DE GENÈVE alors que la société SARIM a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire par jugement du 30 septembre 2015 du tribunal de commerce de Saint-Étienne. N'ayant pas été désintéressée lors des opérations de liquidation judiciaire, la BANQUE CANTONALE DE GENÈVE a de ce fait engagé à compter de 2021 des procédures de saisie immobilière à l'encontre des clients acquéreurs des lots devant le Juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Draguignan sur le fondement de sûretés réelles dont elle bénéficiait. Divers acheteurs ont de ce fait attaqué en justice Me [W] et la SCP FAVIER-SIMONET devant le tribunal judiciaire de Draguignan sur la base du manquement à l'obligation de conseil du notaire (consorts [F] réclamant à titre principal 147.000 €, consorts [T] réclamant à titre principal 420.000 €, consorts [P] réclamant à titre principal 144.000 €, consorts [M] réclamant à titre principal 357.000 € et 100.000 €, SCI LE CYGNE BLANC réclamant à titre principal 154.500 € et 100.000 €, consorts [U] réclamant à titre principal 126.720 € et 200.000 €). Une condamnation a ainsi été prononcée sur ce chef le 14 septembre 2021 par cette dernière juridiction à hauteur de 5.000 € en réparation du préjudice moral et de 4.000 € au titre des frais irrépétibles, outre condamnation aux entiers dépens de l'instance, l'encontre de la SCP FAVIER-SIMONET dans le cadre du dossier [P]. Cette décision de justice est actuellement frappée d'appel. Les autres dossiers sont toujours en cours de première instance.
' Contentieux avec la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire-Drôme-Ardèche. Suivant un arrêt rendu le 16 mars 2022, la cour d'appel de Riom a notamment condamné la SCP [W]-[V] in solidum avec son assureur la société MMA à payer au profit de la CAISSE D'ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE LOIRE-DRÔME-ARDÈCHE la somme principale de 225.000 € à titre de dommages-intérêts, Me [W] ayant omis de faire procéder sur la demande de la CAISSE D'ÉPARGNE au renouvellement d'une inscription d'hypothèque précédemment prise en 2015, faisant perdre à cette dernière le bénéfice d'une hypothèque de second rang et l'ayant de ce fait empêchée de faire valoir cette sûreté lors de la vente le 28 décembre 2016 du bien immobilier dont il s'agissait.
' Vente immobilière sans proposition de création concomitante d'une servitude de passage. Suivant un jugement rendu le 11 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Saint-Étienne a aménagé sur un ensemble immobilier appartenant à M. [A] [I] et situé à [Localité 6] (Loire) une servitude de passage afin d'assurer la desserte de deux caves enclavées dépendant de ce fonds. Cette même décision de justice a par ailleurs condamné Me [W], en qualité de notaire instrumentaire de la vente de ce fonds le 8 juin 2010, à payer au profit de M. [A] [I] la somme de 4.300 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice de jouissance pour défaut d'efficacité de l'acte authentique, outre une indemnité de 3.500 € au titre des frais irrépétibles. Cette faute résidait dans le fait d'avoir méconnu lors de la vente cette situation d'enclave et de n'avoir pas proposé en temps réel une solution de servitude conventionnelle de passage concomitamment à cette vente.
' Contentieux avec la Caisse de Crédit mutuel stéphanois. Suivant un arrêt rendu le 13 avril 2022, la cour d'appel de Riom a condamné Me [W] à payer au profit de la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL STÉPHANOIS la somme principale de 50.000 € à titre de dommages-intérêts pour avoir failli à son obligation de diligence utile dans le cadre d'une hypothèque conventionnelle ayant été privée de son efficacité. Cet établissement de crédit n'a pu en conséquence faire valoir cette sûreté réelle dans le cadre d'une procédure collective ouverte à l'égard du bénéficiaire u prêt pour lequel cette hypothèque avait été envisagée.
' Prise en compte d'une procuration manifestement irrégulière à l'occasion d'un acte de donation-partage. Par acte authentique conclu le 10 juillet 2019, Me [W] a instrumenté un acte de donation-partage de M. [G] [E] et Mme [Y] [H] épouse [E] au profit de leurs deux fils M. [C] [E] et M. [K] [E]. L'acte précise que les deux donataires susnommés sont représentés par leur père M. [G] [E] en application de procurations jointes en annexe. Or les registres de l'étude notariale ne font mention que d'une seule procuration établie au nom de M. [C] [E] alors que la procuration de M. [K] [E] n'a été transmise au notaire instrumentaire que le 29 juillet 2019. Cette procuration ne serait donc pas authentique contrairement à ce que mentionne l'acte authentique. De plus, la procuration de M. [C] [E] ne mentionne ni la date et le lieu de signature de l'acte ni le nom du notaire ayant reçu l'acte.
' Absences de déclarations préalables d'embauches. Suivant un procès-verbal formalisé le 8 décembre 2021, le Délégué du Procureur de la république près le tribunal judiciaire du Puy-en-Velay a adressé à Me [W] un rappel à la loi pour avoir, à Dunières (Haute-Loire) entre juillet et août 2019, étant employeur de Mme [N] [X], omis intentionnellement de procéder à la déclaration nominative préalable à l'embauche de cette dernière. De plus, Me [V] dit ne pas avoir été préalablement informée de l'embauche de cette personne.
' Pénalités pour enregistrement tardifs d'actes notariés. Commission d'un certain nombre de retards de publications et enregistrements d'actes notariés faisant peuser sur l'office notarial la charge financière d'une somme totale de 28.568 € pour la période du 4 janvier 2019 30 juin 2019.
' Comptes débiteurs de certains clients de l'étude notariale. Arrêté de comptes du 26 août 2021 faisant mention d'un solde débiteur total de 7.473,80 € correspondant à un ensemble de soldes débiteurs de clients de l'étude notariale, dans lesquels les versements effectués ont été plus importants que les entrées d'argent sans avoir reçu préalablement les provisions suffisantes.
' Défauts d'informations sur des arrêts médicaux de travail. Me [W] s'est abstenu d'informer en temps réel son associée Me [V] de nombreux renouvellements d'arrêts médicaux de travail au cours de la période du 3 octobre 2019 au 30 juin 2022 puis du 27 janvier 2015 au 21 avril 2016, puis à nouveau à compter du 3 octobre 2019, ces arrêts de travail ayant en réalité été signalés par l'assureur de l'office notarial. Me [V] déclare par ailleurs que Me [W] a effectué un certain nombre d'actes notariés au cours de cette période de congés-maladie, cumulant ainsi la perception d'honoraires de notaire et celle d'indemnités journalières versées par son assureur (un acte de notoriété et une vente immobilière le 29 janvier 2015, un acte de prêt et un acte de notoriété le 6 février 2015, un état descriptif de division le 16 février 2015, un acte de donation et un acte de vente le 17 février 2015, un acte de vente le 27 février 2015, le 7 octobre 2019). Il convient ici de préciser que Me [W] est en arrêt de maladie de manière ininterrompue depuis le 7 octobre 2019, précisant dans ses conclusions d'appelant souffrir d'un syndrome anxiodépressif persistant. Il ajoute être éligible à prendre sa retraite à compter du 1er avril 2023.
En l'espèce, la plupart des faits et agissements susmentionné, survenus pendant au moins les trois dernières années ayant précédé la date du 7 octobre 2019 de son départ de l'office notarial, est avérée en lecture des pièces justificatives qui sont produites (rapport de l'instance ordinale, assignations en justice, décisions de justice, actes notariés, documents récapitulatifs comptables, procès-verbal de rappel à la loi). Me [W] borne d'ailleurs sa défense en prêtant à Me [V] l'intention de lui racheter ses parts sociales à vil prix et en objectant que cette dernière a pu en définitive exercer correctement sa profession, faire fructifier l'étude notariale et dégager pour elle-même d'excellents résultats fiscaux en s'occupant seule des clients de l'ensemble des deux bureaux de [Localité 4] et de [Localité 5]. Il ajoute que les fautes qui lui sont reprochées ne sont que des fautes civiles, exclusives selon lui de toutes dimensions disciplinaires du fait de l'absence d'intentionnalité.
En l'occurrence, si la commission d'une faute civile par un notaire n'est pas en elle-même de nature à engager systématiquement sa responsabilité disciplinaire, il n'en demeure pas moins que la répétition ou la pluralité de fautes par négligence et incapacité ou inertie pour tenir compte des précédentes erreurs commises sont effectivement susceptibles de relever en même temps de la responsabilité civile professionnelle et du champ disciplinaire, en application des dispositions de l'article 3.2.1 alinéa 1er du Règlement national des notaires du 22 mai 2018 suivant lesquelles « Le notaire doit à sa clientèle sa conscience professionnelle, ses égards, la probité et l'information la plus complète. ». De ce fait, la multiplication des fautes civiles susmentionnées caractérise effectivement, par leur caractère élémentaire, leur répétition et leur absence d'amendement et de retour à la rigueur légitimement attendue d'un officier ministériel, un ensemble de manquements à la conscience professionnelle minimale qu'un client est en droit d'attendre d'un auxiliaire de justice, d'autant que les fautes précédemment décrites exposent désormais juridiquement l'ensemble de l'office notarial à de très lourdes conséquences financières d'ores et déjà sanctionnées par des décisions de justice de condamnations pécuniaires dont certaines sont définitives.
Les conséquences dommageables pour l'ensemble de l'étude notariale du fait de la pratique individuelle de Me [W] se révèlent plus particulièrement lourdes et préoccupantes en raison de risques juridiques de condamnations pécuniaires et sérielles en ce qui concerne le litige relatif à la société SARIM pour les motifs précédemment énoncés. En effet, indépendamment de la question visant à déterminer si Me [W] a menti ou non aux clients de l'étude notariale au sujet des difficultés financières de ce promoteur immobilier ou de l'existence d'hypothèques prises par le prêteur de deniers, il n'en demeure pas moins qu'une partie importante de cette clientèle a de toute évidence été lésée par ses mauvaises pratiques professionnelles en ce que des règlements de prix de cession n'ont pas été déposés sur ses instructions sur un compte centralisateur du prêteur de deniers mais directement auprès du promoteur devenu ensuite insolvable du fait de sa mise en liquidation judiciaire. De ce fait, ses clients sont désormais exposés à des risques de saisies immobilières de la part de cet organisme bancaire ou contraints d'accepter de ce dernier des accords transactionnels de règlements dont ils cherchent désormais à obtenir la garantie en actionnant la responsabilité civile professionnelle du notaire pour manquements à ses obligations d'information et de conseil.
Le manque de rigueur professionnelle reproché à Me [W] s'objective particulièrement dans le dossier de la donation-partage [E], en termes d'obligations de garantie de l'authenticité et de sécurité juridique de l'acte notarié, à l'occasion de laquelle il a régularisé une donation de parents au profit de leurs deux enfants sans disposer lors de l'établissement de l'acte de la procuration établie pour l'un de ces deux enfants, celle de M. [K] [E]. Ainsi que le relève le premier juge, le notaire instrumentaire est même susceptible d'avoir commis ici un faux susceptible par ailleurs d'entraîner sa responsabilité pénale. Me [W] continue d'affirmer à tort que cette procuration existait et était jointe à l'acte notarié alors que la procuration de M. [K] [E] à son père n'a été transmise au notaire instrumentaire que le 29 juillet 2019, que l'acte notarié de donation avait été établi le 10 juillet 2019 et que cette procuration mentionnée dans l'acte ne pouvait donc en toute hypothèse avoir valeur de procuration authentique.
De plus, force est de constater que Me [W] a commis envers Me [V] de très nombreux manquements à la délicatesse due envers son associée en ne la prévenant jamais en temps réel de ses arrêts de travail, lui occasionnant en conséquence d'inutiles sujétions dans la gestion de l'ensemble de l'étude notariale. Il apparaît en effet pour le moins anormal que ce soit la société LSN ASSURANCES, auprès de laquelle Me [W] avait souscrit une garantie couvrant ses arrêts pour cause de maladie, qui avisait habituellement et après coup Me [V] des arrêts maladie de son associé. Le fait que les indemnités consécutives pour pertes d'exploitation n'aient pas manqué ensuite d'être versées à l'étude notariale et le délai d'information dont Me [V] faisait ensuite l'objet à ce sujet demeurent sans incidences sur ces atteintes récurrentes à la bonne organisation de l'étude notariale. La pathologie de dépression dont Me [W] dit avoir alors souffert ne pouvait pour autant le dispenser d'apporter ces informations importante personnellement et en temps réel à son associée dans un élémentaire souci de bonne gestion de leurs intérêts communs. Ce manquement à l'obligation de délicatesse entre associés s'objective également dans le fait de ne pas avoir consulté Me [V] au sujet des embauches de remplaçants sur des dossiers en cours pourtant de nature strictement confidentielle, nécessitant dès lors dans de strictes conditions son agrément préalable tant en ce qui concerne le principe du remplacement que le choix de la personne remplaçante.
À cela s'ajoute un manquement caractérisé à la probité ayant engagé sa propre responsabilité pénale pour avoir procédé à l'embauche au sein de l'office notarial de Mme [N] [X] entre juillet et août 2019 sans avoir procédé à la déclaration nominative préalable d'embauche. Le fait qu'il ne reconnaisse pas cette infraction dans le procès-verbal de rappel à la loi dressé le 8 décembre 2021 par le Délégué du Procureur de la république près le tribunal judiciaire du Puy-en-Velay ne change rien à la réalité des faits constitutifsde cette infraction dès lors que celui-ci ne conteste pasmatériellement avoir unilatéralement procédé à l'embauche, ne pouvant dès lors se défausser sur la SCP de notaires en tant qu'employeur de cette personne et ayant de ce fait à sa charge personnelle l'obligation de déclaration préalable d'embauche au nom de l'office notarial ou en tout cas d'en donner l'instruction au comptable de la SCP préalablement à cette embauche.
D'autres manquements à la probité, autant qu'à la loyauté au regard de la délégation de l'autorité publique quant aux prérogatives de conférer l'authenticité des actes notariés, résultent des nombreux actes notariés que Me [W] a réalisés pendant ses arrêts maladie, tels que mentionnés et listés par Me [V].
Enfin, si le différentiel des dossiers respectivement traités par Me [W] depuis le site de Montfaucon-en-Velay et par Me [V] depuis le site de Dunières n'apparaît pas significatif, compte tenu de la possession inégalitaire des parts de la SCP entre les deux notaires, il n'en demeure pas moins que l'inspection de la Chambre départementale de 2019 a pointé un certain nombre de difficultés récurrentes et préoccupantes concernant spécifiquement l'annexe de Montfaucon-en-Velay à propos de laquelle a été exprimé par l'inspecteur-notaire un grief général de manque de rigueur et de contrôle des dossiers enrôlés.
Le jugement de première instance sera en conséquence confirmé en ce qu'il a retenu que Me [W] avait commis des fautes de nature disciplinaire, excédant donc la simple responsabilité civile professionnelle, concernant les faits et agissements susmentionnés.
3/ Sur la peine disciplinaire
Pour les motifs précédemment énoncés, sont applicables en cas de faute disciplinaire avérée du notaire en dépit de leur abrogation les dispositions de l'article 3 de l'ordonnance précitée du 28 juin 1945 suivant lesquelles « Les peines disciplinaires sont : / 1° Le rappel à l'ordre ; / 2° La censure simple ; / 3° La censure devant la chambre assemblée ; / 4° La défense de récidiver ; / 5° L'interdiction temporaire ; / 6° La destitution. ».
En application des dispositions de nature législative qui précèdent ainsi que du Règlement national des notaires approuvé par arrêté du Garde des Sceaux du 22 mai 2018, la partie intimée fait à juste titre observer que sont en droit passibles de sanctions disciplinaires pour les notaires, pouvant aller jusqu'à la destitution, la persistance dans le temps de différents manquements joints à l'absence de prise de conscience de la gravité des faits commis, le fait de se livrer à des pratiques inadmissibles révélant une négligence permanente et de persister dans les manquements reprochés ou encore le fait de commettre par manque de rigueur des erreurs occasionnant des défauts de sécurité juridique des actes ou tous agissements constitutifs de manquements aux principes d'impartialité et d'indépendance.
En l'occurrence, la pluralité et le caractère sériel des manquements disciplinaires, excédant en conséquence le niveau de simples fautes civiles professionnelles ainsi que les atteintes suffisamment caractérisées à la probité, à la loyauté et à la délicatesse justifient le prononcé d'une peine d'interdiction temporaire pour une durée qu'il convient de rehausser de 4 à 5 ans, ce qui amène à réformer le jugement de première instance sur ce point.
4/ Sur les autres demandes
Le jugement de première instance sera confirmé en son application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de l'imputation des dépens de première instance.
Il serait effectivement inéquitable, au sens des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, de laisser à la charge de Me [V] les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager à l'occasion de cette instance et qu'il convient d'arbitrer à la somme de 5.000 €.
Enfin, succombant à l'instance, Me [W] sera purement et simplement débouté de ses demandes pécuniaires à titre de dommages-intérêts en allégation de procédure abusive et de défraiement au visa de l'article 700 du code de procédure civile et en supportera les entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement
CONSTATE l'intervention volontaire à l'instance du Procureur général près la cour d'appel de Riom.
CONSTATE l'intervention volontaire à l'instance de M. [Z] [S], agissant en qualité de Président de la Chambre interdépartementale des notaires d'Auvergne.
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement n° RG-22/00318 rendu le 5 juillet 2022 par le tribunal judiciaire du Puy-en-Velay dans l'instance opposant Me [R] [V] à Me Bruno FAVIER, en présence du Procureur de la république près le tribunal de judiciaire du Puy-en-Velay, sauf en ce qui concerne le quantum de la peine disciplinaire d'interdiction temporaire d'exercer la profession de notaire qui est rehaussée de 4 à 5 ans.
Y ajoutant.
CONDAMNE Me [J] [W] à payer au profit de Me [R] [V] une indemnité de 5.000 € en dédommagement de ses frais irrépétibles prévus à l'article 700 du code de procédure civile.
REJETTE le surplus des demandes des parties.
CONDAMNE Me [J] [W] aux entiers dépens de l'instance, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Sébastien Rahon, Avocat au barreau de Clermont-Ferrand.
Le greffier Le président