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25/04/2023 | FRANCE | N°21/00080

France | France, Cour d'appel de Riom, Chambre sociale, 25 avril 2023, 21/00080


25 AVRIL 2023



Arrêt n°

SN/SB/NS



Dossier N° RG 21/00080 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FQTN



[G] [T] épouse [B]

/

S.A.R.L. EXPRESS CENTRE





jugement au fond, origine conseil de prud'hommes - formation paritaire de moulins, décision attaquée en date du 17 décembre 2020, enregistrée sous le n° f 19/00023

Arrêt rendu ce VINGT CINQ AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors du délibéré de :



M. Christophe RUIN, Pr

ésident



Mme Sophie NOIR, Conseiller



Mme Karine VALLEE, Conseiller



En présence de Mme Séverine BOUDRY, Greffier lors des débats et du prononcé

...

25 AVRIL 2023

Arrêt n°

SN/SB/NS

Dossier N° RG 21/00080 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FQTN

[G] [T] épouse [B]

/

S.A.R.L. EXPRESS CENTRE

jugement au fond, origine conseil de prud'hommes - formation paritaire de moulins, décision attaquée en date du 17 décembre 2020, enregistrée sous le n° f 19/00023

Arrêt rendu ce VINGT CINQ AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors du délibéré de :

M. Christophe RUIN, Président

Mme Sophie NOIR, Conseiller

Mme Karine VALLEE, Conseiller

En présence de Mme Séverine BOUDRY, Greffier lors des débats et du prononcé

ENTRE :

Mme [G] [T] épouse [B]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Anicet LECATRE, avocat au barreau de MOULINS

APPELANTE

ET :

S.A.R.L. EXPRESS CENTRE

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Patrice TACHON de la SCP LARDANS TACHON MICALLEF, avocat au barreau de MOULINS

INTIMEE

Monsieur RUIN, Président et Mme NOIR, Conseiller après avoir entendu Mme NOIR Conseiller en son rapport à l'audience publique du 27 février 2023, tenue par ces deux magistrats, sans qu'ils ne s'y soient opposés, les représentants des parties en leurs explications, en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré aprés avoir informé les parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

L'Eurl Express Centre est une société de livraisons et de messagerie rapide.

Elle a pour gérant M. [I] et dispose de deux sites, à [Localité 2] et à [Localité 6].

Elle applique la convention collective nationale des transports routiers et autres activités auxiliaires de transport.

Mme [T] a été embauchée par la société Express Centre le 9 octobre 2007 en qualité d'agent d'exploitation, statut d'agent de maîtrise, par contrat de travail à durée indéterminée à temps complet.

Suite à un cambriolage de son domicile, la salariée a été placée en arrêt de travail du 25 novembre 2016 au 11 décembre 2016.

Elle a de nouveau été placée en arrêt de travail à compter du 24 mai 2017 et n'a jamais repris son poste.

Par courrier daté du 24 mai 2017, la salariée a écrit à la société Express Centre pour dénoncer un harcèlement moral de la part de M. [I] depuis son retour dans l'entreprise le 12 décembre 2016.

L'employeur a répondu à ce courrier le 17 août 2017 en contestant tout harcèlement moral de sa part.

Le 26 janvier 2018, le médecin du travail a déclaré Mme [T] inapte dans les termes suivants : 'Inapte à tous les postes au sein des deux sites de Transport Express Centre en une seule visite médicale sans reclassement nécessaire'.

Le 14 février 2018, Mme [T] a été convoquée à un entretien préalable à licenciement, fixé au 23 février 2018, auquel elle ne s'est pas présentée.

Le 21 février 2018, Mme [G] [B]-[T] a écrit à la société Express Centre pour l'informer de ce que sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle était toujours en cours d'instruction par la CPAM.

La salariée a été licenciée par courrier du 5 mars 2018 rédigé ainsi :

' Suite à la convocation que je vous ai adressé pour le 23 février 2018 à 16h00 à laquelle vous ne vous êtes pas présentée, j'ai le regret de vous notifier, par la présente, votre licenciement en raison de votre inaptitude physique à occuper votre emploi, constatée le 26 janvier 2018 par le médecin du travail et en raison de l'impossibilité de vous reclasser, compte-tenu de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que vous état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Votre contrat prend fin à la date d'envoi de cette lettre, soit le 5 mars 2018.

Vous n'effectuerez donc pas de préavis (...)'.

Le 5 juin 2018, la CPAM de l'Allier a notifié à Mme [T] la prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels du syndrome anxio dépressif déclaré le 21 septembre 2017.

Mme [T] a saisi le conseil des prud'hommes de Moulins le 4 mars 2019.

Par jugement du 17 décembre 2020, le conseil des prud'hommes de Moulins a :

- débouté Mme [T] épouse [B] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de sa demande de requalification de licenciement en licenciement nul ;

- dit que l'inaptitude de Mme [B] est d'origine professionnelle ;

En conséquence,

- condamné la société Express Centre à porter et payer à Mme [T] les sommes suivantes :

- 6.186,93 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 5.051,12 euros brut au titre de l'indemnité spéciale de licenciement ;

- dit que l'exécution provisoire est de droit sur ces sommes ;

- condamné la société Express Centre à porter et payer à Mme [T] la somme de :

- 1.000 euros net sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- dit que les sommes en brut citées ci-dessus devront éventuellement être déduites les charges sociales salariales précomptées et reversées aux organismes sociaux par l'employeur ;

- dit que les sommes nettes s'entendent - net - de toutes cotisations sociales ;

- dit que les intérêts au taux légal courent sur les sommes à caractère indemnitaire, à compter de la présente décision ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- condamné la société Express Centre aux dépens de la présente instance.

Mme [T] a interjeté appel de ce jugement le 12 janvier 2021.

Vu les conclusions notifiées à la cour le 09 avril 2021 par Mme [T] ;

Vu les conclusions notifiées à la cour le 07 juillet 2021 par l'Eurl Express Centre ;

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 30 janvier 2023.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions, Mme [T] demande à la cour :

- constater la recevabilité et le bien fondé de son appel ;

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes relatives à l'indemnité du harcèlement moral ainsi que de la nullité du licenciement en résultant ;

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- constater l'existence d'une situation de harcèlement moral ;

- condamner en conséquence l'Eurl Express Centre à lui payer et porter les sommes suivantes :

- dommages et intérêt manquement à l'obligation de prévention des faits de harcèlement moral, article L.1252-4 du code du travail : 10.000 euros nets

- dommages et intérêts indemnisant le préjudice du fait des agissements de harcèlement moral, article L.1152-1 du Code du travail ;

Ces sommes s'entendent nettes de toutes cotisations sociales y compris de CGS-CRDS.

- requalifier son licenciement en un licenciement nul car faisant suite à une situation de harcèlement moral ;

- condamner en conséquence l'Eurl Express Centre à lui payer Et porter la somme de 25.000euros net de toutes cotisations sociales, y compris les CGS-CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

A titre subsidiaire, si par impossible la Cour ne retenait pas le harcèlement moral et la nullité du licenciement subséquente :

- juger que l'Eurl Express Centre a manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat et a commis des manquements graves ;

- juger qu'elle ne peut pas se prévaloir de l'inaptitude en découlant ;

- condamner l'Eurl Express Centre, en conséquence, à payer et porter à Mme [T] la somme de 30.000 euros net à titre de dommages et intérêts ;

- requalifier le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l'Eurl L'Express Centre à lui payer et porter la somme de 25000euros net à titre de dommages et intérêts de ce chef ;

A titre infiniment subsidiaire,

- à tout le moins, requalifier le licenciement en licenciement privé de cause réelle et sérieuse pour défaut de consultation régulière des délégués du personnel ou de procès-verbal de carence valable ;

- condamner en conséquence l'Eurl Express Centre à lui payer et porter la somme de 25.000 euros nets de toutes cotisations sociales y compris de CGS-CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- assortir les sommes ci-dessus des intérêts de droit au taux légal à compter :

- de la convocation de l'employeur à comparaître devant le bureau de conciliation pour les sommes allouées à caractère salarial ;

- du jugement à intervenir pour les sommes allouées à caractère indemnitaire ;

- de l'arrêt à intervenir pour les sommes allouées en plus de celles accordées par la juridiction de première instance ;

S'agissant des frais irrépétibles :

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné l'Eurl Express Centre à lui payer et porter la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour ses frais irrépétibles de première instance ;

Y ajoutant ;

- condamner l'Eurl Express Centre à lui payer et porter la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour ses frais irrépétibles d'appel ainsi qu'en tous les dépens.

Dans ses dernières conclusions, l'Eurl Express Centre conclut à la confirmation du jugement de première instance en toutes ses dispositions, y ajoutant :

- dire l'appel de Mme [T] recevable et non fondé ;

- débouter Mme [T] de ses demandes formées par elle devant la Chambre sociale de la Cour d'Appel de Riom ;

- condamner en outre Mme [T] à lui porter et payer la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail dans sa version issue de la Loi 2016-1088 du 8 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [G] [B]-[T] fait valoir qu'elle a été victime d'un harcèlement moral de la part du gérant de la société Express Centre en représailles de son arrêt de travail du 25 novembre au 11 décembre 2016.

Elle soutient :

- qu'à compter de son retour dans l'entreprise, l'employeur lui a supprimé les heures supplémentaires alors qu'elle en réalisait chaque mois au cours de l'année 2016

- que M. [I] l'a menacée d'une mutation dans l'établissement de [Localité 6]

- que l'employeur lui adressait des reproches infondés sur la qualité de son travail

- que M. [I] a envoyé par erreur à un autre salarié de l'entreprise un sms ironique sur sa possible démission par suite de ses agissements

- que M. [I] lui faisait des remarques insultantes et dénigrantes

- que le 23 mai 2017, elle a été victime de violence verbale de la part de M. [I]

- que ce dernier exerçait des pressions et des agressions verbales sur elle

- que cette situation de harcèlement moral a engendré une dégradation de son état de santé

- qu'elle s'est plainte de ces agissements à l'employeur par courrier du 24 mai 2017

- que la CPAM a pris en charge sa maladie au titre de la législation sur les risques professionnels après avis favorable du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.

Il ressort des bulletins de paie de la salariée :

- qu'au cours de l'année 2016, cette dernière a systématiquement réalisé entre 10 et 22 heures supplémentaires chaque mois jusqu'à son arrêt de travail du 25 novembre 2016 au 11 décembre 2016 et encore 15 heures supplémentaires au mois de décembre 2016

- qu'à compter du mois de janvier 2017 et jusqu'à son nouvel arrêt de travail du 24 mai 2017, elle n'a réalisé aucune heure supplémentaire.

La société Express Centre reconnaît dans ses conclusions qu'à compter du mois de janvier 2017, son gérant a envisagé 'également de transférer le poste de Madame [T] dans son autre établissement à [Localité 6]'.

Dans une attestation du 17 novembre 2018, M. [O], autre salarié de l'entreprise, indique avoir entendu M. [I] menacer Mme [G] [B]-[T] de la faire 'craquer quand elle recevrait un courrier pour la délocaliser de son poste à [Localité 7] pour la mutée à [Localité 6]'.

Les nombreuses attestations de salariés de la société Express Centre recueillies dès le mois de juillet 2017 font état de reproches adressés par M. [I] à Mme [G] [B]-[T]. Ainsi :

- M. [C] indique que la salariée a été rendue responsable d'une méconnaissance par l'un des chauffeurs prénommé [N] de l'interdiction de s'arrêter entre [Localité 5] et [Localité 7] pour faire le plein de son véhicule

- M. [V] confirme que M. [I] a également rendu Mme [G] [B]-[T] responsable des retards de ce même chauffeur dans les termes suivants : ' c'est toi la chef tu te débrouille comme tu veux pour que [N] soit l'heure tous les matins'

- M. [Y] témoigne qu'un matin, un chauffeur s'est trompé de véhicule, que ce véhicule est tombé en panne ' comme environ chaque jour' et que M. [I] en a rendu responsable Mme [G] [B]-[T] en lui parlant très mal et en lui demandant d'aller récupérer le véhicule par tous les moyens, ce que cette dernière a été dans l'obligation de faire

Les attestations de certains de ces salariés (M. [C], M. [Y], M. [V]) réalisées en 2019 à la demande de la société Express Centre pour minimiser leurs déclarations initiales au motif qu'ils n'avaient pas tous les éléments en main ou que 'M. [I] étant patron d'une entreprise de dizaines de salariés, il se doit d'agir comme tel, dans les situations qui s'y imposent', n'emportent pas la conviction de la cour dans la mesure où il ressort des termes de ces secondes attestations que les témoins ont été incités par l'employeur à revenir sur leurs premiers témoignages pour minimiser la portée de leur propos.

Il est également établi par l'attestation Mme [E] [A] datée du 3 juillet 2017 et de la copie d'un SMS que, le 28 décembre 2016, cette dernière a reçu par erreur un message émanant de M. [I] dans lequel ce dernier mentionnait, s'agissant de Mme [G] [B]-[T], qu' 'elle a peut-être laissée une lettre de démission ou d'adieu, lol'.

M. [O], M. [L] et M. [D], qui a été stagiaire dans l'entreprise du 6 mars au 14 avril 2017, témoignent de propos insultants ou dénigrants adressés par M. [I] à Mme [G] [B]-[T] :

- le 23 mai 2017 : 'bonne à rien', ' tu vas dégager de ma société', ' je vais tout faire pour te pousser à bout'

- entre le 6 mars et le 14 avril 2017 : ' tu ne comprends rien', ' ton travail est inadmissible', 'je n'en peux plus de toi', ' il va bientôt y avoir du changement pour toi'.

M. [S], autre salarié de l'entreprise, indique pour sa part que M. [I] affirmait que Mme [G] [B]-[T] pouvait bien aller dépanner les camions très mal entretenus, y compris pendant ses temps de pause, puisque ' elle a que ça à foutre' et avoir également entendu le gérant de l'entreprise se vanter auprès d'un employé d'avoir réussi ' à faire craquer la grosse'.

M. [S] indique également dans son attestation avoir vu Mme [G] [B]-[T] en pleurs dans son bureau ' après un entretien avec le patron'.

Les attestations de Mme [Z] [I], fille du gérant de la société Express Centre et de M. [K], autre salarié de la société Express Centre, produites par cette dernière ne permettent pas à remettre en cause la crédibilité des témoignages de M. [S] et de M. [O] et la cour relève également qu'il n'est justifié d'aucun dépôt de plainte au sujet des vols prétendument commis par ces deux témoins au préjudice de la société Express Centre de nature à mettre en cause la valeur de ces témoignages.

Enfin, la dégradation de l'état de santé de Mme [G] [B]-[T] à compter du 24 mai 2017, lendemain de l'altercation du 23 mai 2017 rapporté par M. [O] dans son attestation, est établie parles éléments suivants :

- les avis d'arrêt de travail établis à compter du 24 mai 2017 faisant état d'un syndrome anxiodépressif

- l'attestation du 27 juin 2017 de Mme [J] [P], psychologue au secteur psychiatrie du centre hospitalier [Localité 7] [Localité 2], dans laquelle cette dernière indique avoir diagnostiqué chez Mme [G] [B]-[T] un état anxiodépressif avéré traité par allopathie depuis le mois de décembre 2016 par son médecin traitant

- le certificat du Docteur [X], médecin psychiatre, daté du 29 décembre 2017 indiquant suivre Mme [G] [B]-[T] depuis le mois de septembre 2017 en raison de l'évolution d'un syndrome anxiodépressif non encore stabilisé nécessitant la prise d'un traitement médicamenteux depuis le mois de juillet 2017.

À l'issue de cette analyse il apparaît que Mme [G] [B]-[T] présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

De son côté, la société Express Centre soutient que, n'ayant pas accepté l'arrêt des heures supplémentaires et le projet de mutation sur l'établissement de [Localité 6], Mme [G] [B]-[T] 'a donc monté de toute pièce un scénario de harcèlement, le cas échéant en provoquant l'employeur, pour tenter de convaincre la juridiction de la réalité de celui-ci'.

Elle expose que l'arrêt des heures supplémentaires à compter du mois de janvier 2017 et le projet de mutation dans l'établissement de [Localité 6] étaient justifiés par une baisse de la charge de travail de la salariée consécutive au transfert du traitement de l'ensemble des colis de la société GLS sur le site de [Localité 6].

Cependant, cette baisse de charge de travail n'est pas démontrée par les tableaux de chiffres d'affaires par client des années 2013, 2014, 2015 et 2016 établis par la société Express Centre elle-même, dont les données ne sont pas corroborées par des pièces comptables, ni par l'attestation de Mme [Z] [I] dans laquelle cette dernière indique simplement s'être ennuyée lors du remplacement de Mme [G] [B]-[T] ou par celle de M. [K] dans laquelle ce dernier fait part de la différence de charge de travail entre les établissements de [Localité 2] et de [Localité 6], sans donner aucun élément chiffré.

La société Express Centre expose également que 'l'ambiance de travail s'est tendue, attisée par le fait que Madame [T] en prenait à son aise avec les horaires de travail, ce qui irritait certains chauffeurs et aussi par le fait qu'elle n'était plus totalement à son travail, ce qui obligeait Monsieur [I], gérant de la SARL, à lui faire des remontrances.'.

Cependant, outre que l'employeur ne justifie d'aucune évaluation négative de la qualité du travail de la salariée ou de son comportement, les propos tenus par M. [I] à l'égard de la salariée ne sont, en toute hypothèse, pas susceptibles de trouver une justification objective.

L'existence d'un harcèlement moral est ainsi démontrée.

En conséquence la cour, infirmant le jugement de ce chef, dit que Mme [G] [B]-[T] a été victime d'un harcèlement moral.

Les obligations résultant des articles L. 1152-4 et L. 1152-1 du code du travail sont distinctes en sorte que la méconnaissance de chacune d'elles, lorsqu'elle entraîne des préjudices différents, peut ouvrir droit à des réparations spécifiques.

En l'espèce, Mme [G] [B]-[T] n'invoque ni ne justifie de préjudices distincts nés du manquement de l'employeur à son obligation de prévenir le harcèlement moral et du harcèlement moral lui-même.

Au vu de la gravité des conséquences de ce harcèlement moral sur l'état de santé de la salariée, telles qu'établies par les pièces médicales versées aux débats, la cour évalue à 15'000 euros le montant des dommages et intérêts pour harcèlement moral et pour manquement à l'obligation de prévenir le harcèlement moral.

Cette condamnation sera assortie d'intérêts légaux à compter du présent arrêt.

Sur la demande de nullité du licenciement :

Selon l'article L1152-3 du code du travail: 'Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul'.

En l'espèce, il résulte des pièces médicales versées aux débats et notamment des avis d'arrêt de travail délivrés au motif d'un syndrome anxiodépressif à compter du 24 mai 2017, c'est-à-dire le lendemain de l'incident du 23 mai 2017, que le licenciement de Mme [G] [B]-[T] est en lien direct avec le harcèlement moral dont elle a été victime.

En conséquence et par application des dispositions susvisées, le licenciement est nul.

Au vu des éléments de la cause, la cour évalue le préjudice subi par la salariée du fait de la somme de 25'000 euros.

Cette somme sera assortie des intérêts légaux à compter du présent arrêt.

Le jugement sera infirmé de ces chefs.

Sur les demandes accessoires :

Partie perdante, la société Express Centre supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.

Par ailleurs, Mme [G] [B]-[T] a dû pour la présente instance exposer tant en première instance qu'en appel des frais de procédure et honoraires non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser intégralement à sa charge.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Express Centre à lui payer la somme de 1 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, et de condamner cet employeur à lui payer sur le même fondement une indemnité de 2 000 euros au titre des frais qu'elle a dû exposer en appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [G] [B]-[T] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de sa demande de nullité du licenciement ;

Statuant à nouveau sur ces chefs et y ajoutant :

DIT que Mme [G] [B]-[T] a été victime de harcèlement moral ;

CONDAMNE la société Express Centre à payer à Mme [G] [B]-[T] les sommes suivantes :

- 15'000 euros le montant des dommages et intérêts pour harcèlement moral et pour manquement à l'obligation de prévenir le harcèlement moral ;

- 25 000 auros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

DIT que ces condamnations seront assorties d'intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

DIT que les sommes allouées supporteront, s'il y a lieu, le prélèvement des cotisations et contributions sociales ;

CONDAMNE la société Express Centre à payer à Mme [G] [B]-[T] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Express Centre aux dépens d'appel ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

Le Greffier, Le Président,

S. BOUDRY C. RUIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Riom
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00080
Date de la décision : 25/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-25;21.00080 ?
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