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25/04/2023 | FRANCE | N°21/00076

France | France, Cour d'appel de Riom, Chambre sociale, 25 avril 2023, 21/00076


25 AVRIL 2023



Arrêt n°

SN/SB/NS



Dossier N° RG 21/00076 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FQTD



S.A.S. CORA

/

[N] [T]





jugement au fond, origine conseil de prud'hommes - formation paritaire de clermont ferrand, décision attaquée en date du 16 décembre 2020, enregistrée sous le n° f 18/00301

Arrêt rendu ce VINGT CINQ AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors du délibéré de :



M. Christophe RUIN, Président
>

Mme Sophie NOIR, Conseiller



Mme Karine VALLEE, Conseiller



En présence de Mme Séverine BOUDRY, Greffier lors des débats et du prononcé



ENTRE :



S...

25 AVRIL 2023

Arrêt n°

SN/SB/NS

Dossier N° RG 21/00076 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FQTD

S.A.S. CORA

/

[N] [T]

jugement au fond, origine conseil de prud'hommes - formation paritaire de clermont ferrand, décision attaquée en date du 16 décembre 2020, enregistrée sous le n° f 18/00301

Arrêt rendu ce VINGT CINQ AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors du délibéré de :

M. Christophe RUIN, Président

Mme Sophie NOIR, Conseiller

Mme Karine VALLEE, Conseiller

En présence de Mme Séverine BOUDRY, Greffier lors des débats et du prononcé

ENTRE :

S.A.S. CORA prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Anne-Claire MALARD suppléant Me Anne LAURENT-FLEURAT de la SELARL AUVERJURIS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

APPELANTE

ET :

Mme [N] [T]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Patrick ROESCH de la SELARL JURIDOME, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIMEE

Monsieur RUIN, Président et Mme NOIR, Conseiller après avoir entendu Mme NOIR Conseiller en son rapport à l'audience publique du 27 février 2023, tenue par ces deux magistrats, sans qu'ils ne s'y soient opposés, les représentants des parties en leurs explications, en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré aprés avoir informé les parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [T] a été embauchée par la Sas Cora le 15 septembre 2000 en qualité de vendeuse par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel.

La convention collective applicable à la relation contractuelle est la Convention Collective Nationale du Commerce en détails et de gros à prédominance alimentaire.

À compter du 2 octobre 2017, la salariée a travaillé à temps complet.

Mme [T] a été placée en arrêt de travail du 15 mars 2018 au 12 octobre 2018.

Le 28 mai 2018, elle a saisi le conseil des prud'hommes de Clermont-Ferrand d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur.

Le médecin du travail l'a déclarée apte à son poste le 16 octobre 2018.

Mme [N] [T] a de nouveau été placée en arrêt de travail du 29 novembre 2018 au 24 janvier 2019.

Le 18 mars 2019, Mme [T] a été licenciée pour faute grave en raison d'une absence injustifiée à compter du 28 janvier 2019

Par jugement du 16 décembre 2020, le conseil des prud'hommes de Clermont-Ferrand a :

- dit et jugé recevables et bien fondées les demandes de Mme [T] ;

- dit et jugé que les faits de harcèlements sont avérés ;

- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail avec effet au 18 mars 2019, cette rupture produisant les effets d'un licenciement nul ;

En conséquence,

- condamné la Sas Cora, prise en la personne de son représentant légal, à payer et à porter à Mme [T] les sommes suivantes :

- 2.968 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 296,80 euros à titre de congés payés sur préavis ;

- 7.667 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

- 25.000 euros à titre de dommages et intérêts pour la rupture du contrat de travail qui emporte les effets d'un licenciement nul ;

- 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices psychologiques et moraux du fait du harcèlement moral ;

- 1.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'employeur de l'article L.1152-4 du Code du travail ;

- 750 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné le remboursement des indemnités de chômage perçues par Mme [T] dans les limites légales ;

- dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire pour les condamnations qui ne le sont pas de droit ;

- débouté la Sas Cora de sa demande reconventionnelle ;

- condamné la Sas Cora aux entiers dépens.

La Sas Cora a interjeté appel de ce jugement le 11 janvier 2021.

Vu les conclusions notifiées à la cour le 20 juillet 2021 par la Sas Cora ;

Vu les conclusions notifiées à la cour le 27 mai 2021 par Mme [T] ;

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 30 janvier 2023.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions, la Sas Cora demande à la cour de :

- infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Clermont-Ferrand du 16 décembre 2020 en ce qu'il a considéré que des faits de harcèlement moral étaient caractérisés ;

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Clermont-Ferrand du 16 décembre 2020 en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [T] ;

En conséquence,

- dire et juger qu'elle n'a pas commis de manquements graves empêchant la poursuite du contrat de travail de Mme [T] ;

- débouter Mme [T] de l'intégralité de ses demandes formulées à son encontre ;

A titre subsidiaire,

- dire et juger le licenciement de Mme [T] fondé sur une faute grave ;

En conséquence,

- débouter Mme [T] de l'intégralité de ses demandes formulées à son encontre ;

- condamner Mme [T] à lui payer et porter la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de la procédure.

Dans ses dernières conclusions, Mme [T] demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Clermont-Ferrand en date du 16 décembre 2020, sauf à augmenter le quantum des sommes lui ayant été octroyées ;

- accueillir les demandes de Mme [T], les déclarer recevables et bien fondées ;

A titre principal,

- dire et juger que son employeur a fait preuve de comportements gravement fautifs confinant au harcèlement met ayant eu des répercussions incontestables sur l'état de santé de la salariée ;

- dire et juger que l'employeur n'a pas respecté son obligation de sécurité en ne prenant strictement aucune mesure de nature à remédier aux difficultés pourtant abondamment dénoncées ;

En conséquence,

- faire droit à ses légitimes demandes ;

Y faisant droit,

- prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail à la date effective de son licenciement intervenu le 18 mars 2019 ;

- condamner la Sas Cora à lui payer et porter, à titre de préavis, une somme de 2.968 euros ;

- condamner la Sas Cora à lui payer et porter, à titre d'indemnité légale de licenciement, au regard des articles R.1234-1, R.1234-2 et R.1234-4 du Code du travail, la somme de 7.667 euros ;

- condamner la Sas Cora à lui payer et porter, à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture de son contrat de travail, une somme de 35.616 euros ;

- condamner la Sas Cora à lui payer et porter, à titre de dommages intérêts en réparation des préjudices physiologiques et moraux du fait du harcèlement dont elle a été victime, une somme de 15.000 euros ;

- condamner la Sas Cora à lui payer et porter à Mme [T] une somme complémentaire de 5.000 euros à titre de dommages intérêts pour non-respect de l'employeur de l'article L.1252-4 du Code du travail ;

- condamner la Sas Cora à lui payer et porter une somme complémentaire de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

A titre subsidiaire, et si par impossibilité la résiliation judiciaire de son contrat de travail, sollicitée antérieurement au prononcé de son licenciement, n'était pas retenue, dire et juger alors, sur le terrain du licenciement, que ce dernier, au regard du contexte ayant abondamment été dénoncé et connu par l'employeur, ne peut être considéré comme reposant sur une faute grave, pas plus qu'une cause réelle et sérieuse.

En conséquence,

- condamner la Sas Cora à lui payer et porter les sommes suivantes :

- 2.968 euros à titre de préavis ;

- 296,80 euros à titre de congés payés sur préavis ;

- 7.667 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

- 35.616 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement ne reposant sur aucune cause réelle pas plus que sérieuse ;

A titre encore plus subsidiaire,

- dire et juger que le licenciement ne repose en aucune façon sur une faute grave et, requalifiant, dire et juger qu'elle est en droit de solliciter la condamnation de la Sas Cora au paiement des sommes lui étant dues au titre de son préavis (2.968 euros) au titre de ses congés payés sur préavis (296,80 euros) au titre de l'indemnité légale de licenciement (7.667 euros).

- condamner en toute hypothèse la Sas Cora à lui payer et porter la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail dans sa version issue de la Loi 2016-1088 du 8 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4 , le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [N] [T] soutient qu'elle a été victime de harcèlement moral.

Elle fait valoir :

- qu'au cours des années 2015 et 2016, notamment, elle avait déjà subi les 'agissements inexcusables' de la part de M. [G], chef de département

- qu'après dénonciation de ces agissements et entretien avec M. [J], directeur, il avait été décidé d'un changement d'affectation et de fonction

- que quelques mois plus tard, elle a rencontré les mêmes difficultés avec M. [I], responsable du secteur non alimentaire du magasin, et M. [R], manager de rayon

- qu'elle a de nouveau dénoncé ces faits à M. [J] mais que l'employeur n'a pris aucune mesure particulière et a laissé ' pourrir la situation' pour tenter de provoquer sa démission

- qu'elle a sollicité une rupture conventionnelle pour préserver sa santé mais que cette demande de rupture conventionnelle a été refusée par l'employeur

- qu'en revanche, celui-ci a tenté de lui imposer le 22 février 2018 une modification de ses horaires de travail à compter du 26 mars 2018 sous la menace d'une procédure de licenciement

- qu'à sa reprise de fonction le 2 mars 2017, M. [R] de lui adressait quasiment plus la parole

- qu'elle a donc été maintenue dans une situation de souffrance au travail dans des conditions parfaitement intolérables

- qu'après sa ' tentative de reprise le 16 octobre 2018" l'employeur a poursuivi les agissements de harcèlement moral en la convoquant dans le bureau du directeur tous les deux jours et en ' faisant en sorte que M. [I] ne lâche pas'

- qu'elle a dénoncé des faits de harcèlement moral dans plusieurs courriers des mois d'octobre 2016, de début d'année 2018 et le 24 janvier 2019 dans lesquels elle invoque des faits précis caractérisant des faits de harcèlement moral à savoir : 'discrimination, atteinte à la vie privée, propos menaçants, modifications des conditions de collaboration, changement de rayon, changement d'horaires, agressivité du supérieur, retard délibéré quant à la transmission des feuilles de congés, organisation de la non activité, notamment après la reprise du travail' et le fait qu' 'à compter du 2 mars. Il ne lui est plus donné de travail et son manager de rayon ne lui adresse quasiment plus la parole' ainsi que l' 'envoi d'un courrier modifiant de façon substantielle ses conditions de travail plutôt que de régler les difficultés'

- qu'elle a eu des difficultés à obtenir communication de son dossier médical auprès de la médecine du travail

- qu'elle a subi différents arrêts de travail pour syndrome anxiodépressif réactionnel

- que l'employeur s'est 'servi de sa s'ur' en la menaçant directement

- qu'elle a été la seule salariée à faire l'objet d'une remarque au sujet du partage d'une publication sur le travail du dimanche

- que de nombreux salariés ont dénoncé une dégradation constante de leurs conditions de travail

- que l'employeur ' lui a fait payer' sa dénonciation auprès de ses supérieurs de graves anomalies en matière d'hygiène et de sécurité du magasin.

Ainsi que le fait valoir la société Cora, la salariée n'invoque aucun fait précis permettant de caractériser l'existence des 'agissements inexcusables' qu'elle reproche à M. [G]. D'autre part, aucun élément autre que ceux issus de ses propres déclarations n'est versé aux débats pour établir la matérialité de ces agissements et leur lien avec l'arrêt de travail du 27 septembre 2016.

Tel est également le cas des 'mêmes difficultés' rencontrées avec M. [I] et M. [R].

En effet, les attestations d'autres salariés dans lesquelles ces derniers dénoncent leurs conditions de travail sans faire de lien avec la situation personnelle de Mme [N] [T] ne permettent pas d'établir que cette dernière a fait l'objet d'une discrimination, d'une atteinte à sa vie privée, de propos menaçants, de changements d'horaires, de l'agressivité de son supérieur, de retards délibérés dans la transmission des feuilles de congés, de convocations du directeur tous les deux jours dans son bureau à partir du 16 octobre 2018, ni le fait le fait que M. [R], son manager de rayon, a cessé de lui adresser la parole à sa reprise le 2 mars 2017 et de lui donner du travail, qu'elle a été la seule salariée à faire l'objet d'une remarque au sujet du partage d'une publication sur le travail du dimanche, qu'elle a dénoncé à ses supérieurs de graves problèmes en matière d'hygiène et de sécurité.

Il en va de même de l'attestation de son compagnon, qui est étranger à l'entreprise et ne fait manifestement que retranscrire les propos de la salariée sur ses conditions de travail dégradées.

Mme [N] [T] reproche également à la société Cora de l'avoir menacée 'directement' en faisant passer un message à sa soeur.

Cette dernière atteste que 15 jours après le courrier du 24 mai 2018 du conseil de Mme [N] [T] relançant la société Cora au sujet de la rupture conventionnelle, M. [J] lui a demandé de dire à sa soeur que la porte de son bureau était ouverte pour trouver un arrangement à l'amiable ' sinon il porterait au pénal pour diffamation contre elle cette affaire'.

En l'absence de toute précision de la part de la salariée sur les termes de l'arrangement amiable évoqué dans cette attestation, le propos de M. [J], tiré de son contexte, ne peut s'analyser en une menace, étant ici relevé que Mme [N] [T] était demandeuse d'une rupture conventionnelle.

Tous ces faits ne sont pas matériellement établis.

S'agissant du changement d'affectation et de fonctions, il ressort des pièces versées aux débats que le 7 octobre 2016, Mme [N] [T] a envoyé un courrier à son employeur dans lequel elle indique que M. [G], son chef de département lui 'fait vivre un enfer', évoque une prise à partie par ce dernier le 26 septembre 2016 devant témoins à l'issue de laquelle elle a été placée en arrêt de travail pour dépression et lui demande ce qu'il entend faire pour qu'elle puisse à nouveau avoir confiance en elle et retourner travailler 'sans avoir la boule au ventre ou des pensées noires'.

Il est constant que :

- suite à ce courrier, l'employeur a fait droit à la demande de changement de service de la salariée

- cette dernière a ainsi été affectée du rayon traiteur, au rayon ' décoration-ménage', dirigé par M. [R], à compter du mois de novembre 2016.

Mme [C] atteste également que, suite à un rendez-vous avec le directeur - à une date qui n'est pas précisée - Mme [N] [T] a été changée de rayon, passant du rayon 'vaisselle' au rayon 'casserolles'.

S'agissant de la modification des horaires de travail, l'employeur a effectivement adressé un courrier à la salariée le 22 février 2018 pour l'informer de ce que ses horaires de travail seraient modifiés à compter du 26 mars 2018 en lui précisant qu'un refus de modification du contrat de travail de sa part pourrait être sanctionné par un licenciement pour motif réel et sérieux.

En réponse et le 31 mars 2018, Mme [N] [T] a signalé que ses conditions de travail s'étaient dégradées et qu'elle subissait aujourd'hui 'ce que d'autres ont subi avant elle'.

Dans ce courrier, elle reproche également à M. [I] d'avoir refusé la rupture conventionnelle lors d'un entretien du 23 janvier 2018 avec M. [J] et de lui avoir adressé le courrier du 22 février 2018 relatif à ses changements d'horaires de travail.

Un courrier de la salariée du 9 mai 2018 démontre qu'une rupture conventionnelle était en cours de négociation le 9 mai 2018 à l'initiative de Mme [N] [T] et la société Cora reconnaît qu'elle a finalement refusé cette rupture. En revanche, aucun élément ne démontre que cette demande de rupture était motivée par le souci de la salariée de préserver sa santé.

Le 24 janvier 2019, la salariée a adressé un nouveau courrier à l'employeur dans lequel elle indique que 'contenu du fait que votre comportement, principalement celui de Monsieur [I] n'a pas favorablement évolué bien au contraire j'ai dû à nouveau signalé les agissements dont j'ai été victime et je n'en peux vraiment plus. Je viens à nouveau d'être arrêté est dans un tel contexte pour préserver la santé je ne vois pas pour leur comment je pourrais reprendre. Je regrette que vous n'aillez pas pris conscience et que vous n'aillez rien fait pour arrêter tout ça'.

Mme [N] [T] ne verse aucun de ses avis d'arrêt de travail mais il ressort des autres pièces versées aux débats, notamment par la société Cora :

- qu'elle a été placée en arrêt de travail le 27 septembre 2016

- qu'elle a de nouveau été placée en arrêt de travail du 15 mars 2018 au 12 octobre 2018

- qu'au terme d'une visite médicale du 16 octobre 2018, le médecin du travail a établi une attestation de suivi accompagnée d'un document faisant état de la proposition de mesure individuelle suivante : 'peut reprendre le travail en 1/2 temps thérapeutique'

- qu'entre le 15 octobre 2018 et le 28 novembre 2018, la salariée a été placée en congés payés du 19 octobre au 17 novembre 2018 et qu'elle n'a donc travaillé sur cette période que la semaine du 15 au 19 octobre puis du 18 novembre au 28 novembre 2018

- qu'elle a de nouveau été placée en arrêt de travail 29 novembre 2018 au 26 janvier 2019.

Mme [N] [T] produit également un certificat du Docteur [S], médecin psychiatre, daté du 25 mai 2018 démontrant qu'elle est suivie en consultation ambulatoire depuis le 14 octobre 2016 pour un 'état réactionnel'.

Contrairement à ce que soutient la société Cora, ces faits, pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Cependant, il n'est pas démontré que le changement de service de Mme [N] [T] au mois de novembre 2016 est en lien avec un harcèlement moral de la part de M. [G].

De plus, la société Cora verse aux débats un courriel adressé par Mme [N] [T] à M. [J] le 27 octobre 2016 faisant suite aux propositions de travail qui lui ont été adressées et dans lequel la salariée indique que les postes de la cafétéria, de la boulangerie pâtisserie et de la caisse ne lui conviennent pas dans la mesure où elle souhaite s'épanouir dans son travail et non ' travailler pour travailler'.

Le ton de ce courriel démontre que ce changement de poste de travail n'a pas été réalisé pour permettre à Mme [N] [T] d'échapper au harcèlement moral de son supérieur hiérarchique.

S'agissant de la proposition de modification des horaires de travail du 22 février 2018, la société Cora rapporte la preuve au moyen du compte rendu de la réunion du comité d'établissement du 19 décembre 2017 que la modification du contrat de travail soumise à la salariée par courrier du 22 février 2018 était justifiée par un projet de réorganisation du secteur 'non alimentaire' lié à la nécessité d'adapter le nombre d'heures affectées à chaque rayon aux évolutions du marché.

La référence faite dans ce courrier à la possibilité de recourir au licenciement en cas de refus d'acceptation de la modification du contrat de travail ne peut être assimilée à une pression exercée sur Mme [N] [T] dans la mesure où il s'agit d'une voie juridique ouverte à l'employeur pour mettre fin à l'impossibilité de modifier le contrat de travail.

Par ailleurs, l'employeur était en droit de refuser la rupture conventionnelle proposée par la salariée, dont aucun élément ne démontre qu'elle était destinée à mettre fin au harcèlement moral. De ce fait, son refus ne peut être considéré comme abusif.

De même, il ne peut être reproché à la société Cora de ne pas avoir mis fin aux faits dénoncés dans les courriers des 31 mars et 9 mai 2018 dès lors que la matérialité de ces faits n'est pas démontrée.

Enfin, il résulte des motifs ci-dessus que le lien entre les arrêts de travail de Mme [N] [T] et ses conditions de travail n'est pas démontré, ce d'autant qu'il apparaît qu'entre la proposition de modification de ses horaires de travail et son licenciement, Mme [N] [T] n'a travaillé tout au plus que 16 jours à mi-temps et que le médecin du travail l'avait déclarée apte à son poste le 16 octobre 2018.

En revanche, la société Cora ne précise et ne justifie pas des motifs de la mutation de la salariée au rayon 'casserolles' après un rendez-vous de celle-ci avec M. [J].

Cependant, ce seul fait n'est pas de nature à établir l'existence d'un harcèlement moral.

En conséquence la cour, infirmant le jugement de ce chef, rejette la demande tendant à voir constater l'existence d'un harcèlement moral ainsi que la demande de condamnation à des dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Sur la demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de prévenir les agissements de harcèlement moral :

Au soutien de sa demande de dommages-intérêts distincts de la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral, Mme [N] [T] soutient que l'employeur n'a pas réagi à ses différentes alertes relatives au harcèlement moral dont elle était victime.

Cependant il est jugé ci-dessus que l'existence d'un tel harcèlement n'est pas démontrée.

En conséquence la cour, infirmant le jugement de ce chef, rejette la demande de dommages et intérêts pour non-respect par l'employeur de l'obligation de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail :

Selon l'article L1152-3 du code du travail : 'Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul'.

En l'espèce, Mme [N] [T] sollicite la confirmation du chef de jugement ayant prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul, au motif que le harcèlement moral empêchait la poursuite du contrat de travail.

Cependant, il résulte des motifs ci-dessus que l'existence d'un harcèlement moral n'est pas établie.

En conséquence la cour, infirmant le jugement de ce chef, rejette la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul ainsi que les demandes d'indemnité compensatrice, d'indemnité de licenciement, et de dommages et intérêts pour licenciement nul afférentes.

Sur le licenciement :

Par application de l'article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement individuel doit reposer sur une cause réelle et sérieuse.

Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Par ailleurs, il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve, laquelle doit reposer sur des faits précis et matériellement vérifiables, qu'il doit reprendre dans la lettre de licenciement prévue par l'article L1232-6 du code du travail, cette lettre fixant ainsi les limites du litige.

En l'espèce, il résulte des termes de la lettre de licenciement que Mme [N] [T] a été licenciée pour faute grave en raison de son absence injustifiée à compter du 28 janvier 2019 en dépit de deux mises en demeure de reprendre son poste de travail ou de justifier de son absence du 8 février 2019 et du 15 février 2019.

Mme [N] [T] reconnaît les faits mais indique qu'en raison de sa situation de souffrance au travail vainement dénoncée à l'employeur, elle a pris la décision, après une seconde période d'arrêt de travail, de ne plus se présenter à son travail pour remédier à la situation.

Cependant, le harcèlement moral invoqué par Mme [N] [T] notamment depuis son courrier du 31 mars 2018 n'est pas démontré.

En conséquence, l'absence injustifiée de la salariée à compter du 28 janvier 2019 et sa volonté de ne pas reprendre le travail constituaient une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rendait impossible son maintien dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.

Par conséquent, le licenciement est fondé sur une faute grave et Mme [N] [T] doit être déboutée de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité légale de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes accessoires :

Partie perdante, Mme [N] [T] supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.

L'équité et les situations économiques respectives des parties justifient qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau et y ajoutant :

DIT que la société Cora n'a pas commis de manquement grave empêchant la poursuite du contrat de travail de Mme [N] [T] ;

REJETTE la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul ;

DIT que le licenciement de Mme [N] [T] est fondé sur une faute grave ;

DEBOUTE Mme [N] [T] de l'intégralité de ses demandes ;

CONDAMNE Mme [N] [T] aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

Le Greffier, Le Président,

S. BOUDRY C. RUIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Riom
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00076
Date de la décision : 25/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-25;21.00076 ?
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