La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/04/2023 | FRANCE | N°21/01080

France | France, Cour d'appel de Riom, Chambre sociale, 04 avril 2023, 21/01080


04 AVRIL 2023



Arrêt n°

CHR/SB/NS



Dossier N° RG 21/01080 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FTDD



[I] [D]



/



S.A.S. ENTREPRISE [F]









jugement au fond, origine conseil de prud'hommes - formation paritaire d'aurillac, décision attaquée en date du 23 avril 2021, enregistrée sous le n° f19/00041

Arrêt rendu ce QUATRE AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors du délibéré de :



M. Christo

phe RUIN, Président



Mme Sophie NOIR, Conseiller



Mme Karine VALLEE, Conseiller



En présence de Mme Séverine BOUDRY greffier lors des débats et du prononcé



ENTRE :

...

04 AVRIL 2023

Arrêt n°

CHR/SB/NS

Dossier N° RG 21/01080 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FTDD

[I] [D]

/

S.A.S. ENTREPRISE [F]

jugement au fond, origine conseil de prud'hommes - formation paritaire d'aurillac, décision attaquée en date du 23 avril 2021, enregistrée sous le n° f19/00041

Arrêt rendu ce QUATRE AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors du délibéré de :

M. Christophe RUIN, Président

Mme Sophie NOIR, Conseiller

Mme Karine VALLEE, Conseiller

En présence de Mme Séverine BOUDRY greffier lors des débats et du prononcé

ENTRE :

M. [I] [D]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté par Me Laurent LAFON de la SELARL AURIJURIS, avocat au barreau D'AURILLAC

APPELANT

ET :

S.A.S. ENTREPRISE [F], agissant poursuite et diligence de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIMEE

Monsieur RUIN, Président en son rapport après avoir entendu à l'audience publique du 13 février 2023, tenue en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans qu'ils ne s'y soient opposés, les représentants des parties en leurs explications, en a rendu compte à la Cour dans son délibéré aprés avoir informé les parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

La S.A.S ENTREPRISE [F] est une entreprise spécialisée dans la construction de routes et autoroutes, implantée à [Localité 5] depuis 47 ans.

Monsieur [I] [D] a été embauché au sein de la S.A.S ENTREPRISE [F] en qualité de conducteur d'engins, à compter du 1er avril 2003, suivant un contrat de travail à durée indéterminée.

Le 4 juin 2019, Monsieur [I] [D] s'est vu notifier sa mise à pied conservatoire en raison de son état d'ébriété sur son lieu de travail. Il a en outre été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement fixé au 11 juin 2019.

Par courrier recommandé avec avis de réception en date du 14 juin 2019, la S.A.S ENTREPRISE [F] a notifié à Monsieur [I] [D] son licenciement pour faute grave.

Le courrier de notification du licenciement est ainsi libellé :

'En effet, ce mercredi 29 mai 2019, vous travaillez sur le chantier de la RD 585, la Baroque de Victor à [Localité 6].

Vos horaires de travail sont de 8 heures à 12 heures et de 13 heures à I7 heures.

Vous êtes partis du chantier ce jour-là à 12h30 pour la pause déjeuner et être revenus à 14h30 au lieu de 13h30.

Vous étiez en état d'ébriété.

Dans vos échanges avec vos collègues de travail, vous tenez des propos incohérents, puis vous avez refusé de travailler et vous avez eu un comportement agressif envers l'un de vos supérieurs.

Lors de notre entretien du 11 juin, vous n'avez pas nié les faits.

Je ne peux tolérer un tel comportement qui rend impossible votre maintien dans l'entreprise et la poursuite de notre collaboration.

Je suis donc contraint de rompre votre contrat de travail pour faute grave.

Cette décision prend effet immédiat à la première présentation de ce courrier, sans indemnité, ni préavis, compte tenu de la qualification des faits qui vous sont reproché'.

Le 1er août 2019, Monsieur [I] [D] a saisi le conseil des prud'hommes d'AURILLAC, aux fins notamment de voir juger sans cause réelle et sérieuse son licenciement outre obtenir l'indemnisation afférente.

L'audience devant le bureau de conciliation et d'orientation s'est tenue le 30 septembre 2019 et, comme suite au constat de l'absence de conciliation, l'affaire été renvoyée devant le bureau de jugement.

Par jugement rendu contradictoirement le 23 avril 2021 (audience du 22 février 2021), le conseil de prud'hommes d'AURILLAC a :

- dit le licenciement de Monsieur [I] [D] fondé sur une faute grave ;

- débouté Monsieur [I] [D] de 1'ensemble de ses demandes ;

- condamné Monsieur [I] [D] à verser à la SAS [F] la somme de 400 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Le 12 mai 2021 , Monsieur [I] [D] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié à sa personne le 28 avril 2021.

Vu les conclusions notifiées à la cour le 16 janvier 2023 par Monsieur [I] [D],

Vu les conclusions notifiées à la cour le 11 janvier 2023 par la S.A.S ENTREPRISE [F],

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 16 janvier 2023.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières écritures, Monsieur [D] demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par la section industrie du conseil des prud'hommes d'Auri1lac du 23 avril 2021 en ce qu'il a dit le licenciement fondé sur une faute grave et l'a débouté de 1'ensemble de ses demandes, et condamné aux dépens ainsi que sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Y faisant droit,

- déclarer non fondé son licenciement prononcé le 14 juin 2019 pour faute grave et à effet au même jour,

Ce faisant,

- condamner la SAS ENTREPRISE [F] à lui payer et porter :

* une somme de 30.557,12 euros au titre du préjudice subi pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* une somme de 4.526,98 euros au titre du préavis outre 452,69 euros au titre des congés payés ;

* une somme de 10.332,19 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

* une somme de 937,62 euros au titre de la retenue pratiquée au titre de la mise à pied conservatoire du 4 juin 2019 au 14 juin 2019, outre 93,76 euros sur congés pour retenue injustifiée ;

* une somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

* ainsi qu' aux dépens ;

- ordonner la remise par la SAS ENTREPRISE [F] d'une attestation POLE EMPLOI rectifiée portant la mention " licenciement sans cause réelle et sérieuse , un bulletin de paie mentionnant les sommes mises à la charge de la SAS ENTREPRISE [F] en tenant compte de la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de sa notification ;

- mettre à néant la disposition par laquelle il a été mis à sa charge au profit de la SAS [F] TP une somme de 400 euros au titre des dispositions de 1'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance ;

- rejeter toutes demandes formées par la SAS [F] TP à son encontre notamment au titre de ses frais irrépétibles et des dépens ;

- rejeter toutes demandes, conclusions et fins en sens contraire.

Monsieur [I] [D] expose que les seuls éléments apportés par l'employeur pour établir l'existence d'une faute grave sont trois attestations de salariés dont il n'est pas établi qu'ils aient été effectivement le jour des faits critiqués. Il excipe ensuite de l'absence de tout passif disciplinaire avant la présente procédure de licenciement, et ce alors même qu'il justifie d'une ancienneté significative au sein de la société intimée. Il relève enfin n'avoir été mis à pied à titre conservatoire que le 4 juin 2019 et ce alors même que l'employeur lui impute grief daté du 29 mai précédent. Il considère qu'un tel délai exclut toute faute grave dès lors que le contrat de travail s'est poursuivi durant ce laps de temps.

Monsieur [I] [D] sollicite ainsi la requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse ou à tout le moins pour faute simple, ainsi que l'indemnisation afférente, outre un rappel de salaire sur mise à pied conservatoire qu'il estime subséquemment non fondée.

Dans ses dernières écritures, la S.A.S ENTREPRISE [F] conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et demande à la cour, y ajoutant, de :

- rejeter l'intégralité des demandes de Monsieur [I] [D], ;

- condamner Monsieur [I] [D] à la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel et aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître RAHON.

La société ENTREPRISE [F] soutient que Monsieur [D] n'a jamais nié les faits à l'origine de son licenciement, notamment l'état d'ébriété dans lequel il se trouvait le 29 mai 2019. Elle relève que la rupture du contrat de travail n'est pas fondée exclusivement sur ce seul constat d'ébriété mais également à raison du comportement dont a fait preuve le salarié ce même jour à l'égard de ses supérieurs hiérarchiques. Elle fait valoir que la mesure de mise à pied conservatoire a été prononcée dès lors qu'elle a eu connaissance des faits et que seuls quelques jours se sont écoulés entre le 29 mai et le 4 juin 2019, étant précisé que cette période comptait notamment le jour férié de l'ascension, un jour de congé pris par Monsieur [D] et deux jours de week-end. Elle considère que la faute particulièrement grave du salarié est de nature à avoir empêché la poursuite du contrat de travail en ce compris la période de préavis.

Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.

MOTIFS

- Sur le licenciement -

Le licenciement correspond à une rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige sur la cause du licenciement, ce qui interdit à l'employeur d'invoquer de nouveaux ou d'autres motifs ou griefs par rapport à ceux mentionnés dans la lettre de licenciement.

Pour que la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur soit justifiée ou fondée, en tout cas non abusive, la cause du licenciement doit être réelle (faits objectifs, c'est-à-dire précis et matériellement vérifiables, dont l'existence ou matérialité est établie et qui constituent la véritable raison du licenciement), mais également sérieuse, c'est-à-dire que les faits invoqués par l'employeur, ou griefs articulés par celui-ci, doivent être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement.

Le licenciement pour motif personnel est celui qui est inhérent à la personne du salarié. Un licenciement pour motif personnel peut être décidé pour un motif disciplinaire, c'est-à-dire en raison d'une faute du salarié, ou en dehors de tout comportement fautif du salarié (motif personnel non disciplinaire). Il ne doit pas être discriminatoire.

Si l'employeur peut sanctionner par un licenciement un acte ou une attitude du salarié qu'il considère comme fautif, il doit s'agir d'un comportement volontaire (action ou omission). À défaut, l'employeur ne peut pas se placer sur le terrain disciplinaire. La faute du salarié correspond en général à un manquement aux obligations découlant du contrat de travail. Elle ne doit pas être prescrite, ni avoir déjà été sanctionnée. Les faits reprochés au salarié doivent lui être personnellement imputables. Un salarié ne peut pas être licencié pour des faits imputables à d'autres personnes, même proches.

En cas de licenciement disciplinaire, le juge doit vérifier que le motif allégué constitue une faute. Selon sa gravité, la faute commise par le salarié emporte des conséquences plus ou moins importantes. Si les faits invoqués, bien qu'établis, ne sont pas fautifs ou constituent une faute légère mais non sérieuse, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, donc abusif. En cas de licenciement fondé sur une faute constituant une cause réelle et sérieuse, le salarié a droit au règlement de l'indemnité compensatrice de congés payés, de l'indemnité de licenciement, du préavis ou de l'indemnité compensatrice de préavis (outre les congés payés afférents).Le licenciement pour faute grave entraîne la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement. Le licenciement pour faute lourde, celle commise par le salarié avec l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise, entraîne également pour le salarié la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement, avec possibilité pour l'employeur de réclamer le cas échéant au salarié réparation du préjudice qu'il a subi (dommages-intérêts). Dans tous les cas, l'indemnité compensatrice de congés payés reste due.

La sanction disciplinaire prononcée par l'employeur, y compris une mesure de licenciement, ne pas doit être disproportionnée mais doit être proportionnelle à la gravité de la faute commise par le salarié. Le juge exerce un contrôle de proportionnalité en matière de sanction disciplinaire et vérifie en conséquence que la sanction prononcée par l'employeur à l'encontre du salarié n'est pas trop sévère compte tenu des faits reprochés.

Le code du travail ne donne aucune définition de la faute grave. Selon la jurisprudence, la faute grave se définit comme étant celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, constituant une violation des obligations qui résultent du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et la poursuite du contrat de travail pendant la durée du préavis.

La faute grave suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d'appréciation ou l'insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire. La gravité d'une faute n'est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est résulté. La commission d'un fait isolé peut justifier un licenciement disciplinaire, y compris pour faute grave, sans qu'il soit nécessaire qu'il ait donné lieu à avertissement préalable.

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail sans préavis, en tout cas une rupture immédiate du contrat de travail avec dispense d'exécution du préavis. Elle peut justifier une mise à pied conservatoire, mais le prononcé d'une telle mesure n'est pas obligatoire. La faute grave ne saurait être admise lorsque l'employeur a laissé le salarié exécuter son préavis au salarié. En revanche, il importe peu que l'employeur ait versé au salarié des sommes auxquelles il n'aurait pu prétendre en raison de cette faute, notamment l'indemnité compensatrice de préavis ou les salaires correspondant à une mise à pied conservatoire.

En cas de faute grave, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs, mais le maintien du salarié dans l'entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises.

Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement ne pèse pas plus particulièrement sur l'employeur (la Cour de cassation juge que la preuve du caractère réel et sérieux du motif de licenciement n'incombe spécialement à aucune des parties), il incombe à l'employeur, en revanche, d'établir la faute grave ou lourde. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Dans tous les cas, en matière de bien-fondé du licenciement disciplinaire, le doute doit profiter au salarié.

Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : 'Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.'.

Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires (date de convocation à l'entretien préalable ou de prononcé d'une mise à pied conservatoire / date de présentation de la lettre recommandée ou de remise de la lettre simple pour une sanction ne nécessitant pas un entretien préalable) au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié.

Si un fait fautif ne peut plus donner lieu à lui seul à une sanction disciplinaire au-delà du délai de deux mois, ces dispositions ne font pas obstacle à la prise en considération de faits antérieurs à deux mois dès lors que le comportement du salarié s'est poursuivi ou s'est réitéré dans ce délai, l'employeur pouvant ainsi invoquer une faute prescrite lorsqu'un nouveau fait fautif est constaté, à condition toutefois que les deux fautes procèdent d'un comportement identique. Toutefois, aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l'engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l'appui d'une nouvelle sanction.

En l'espèce, la société ENTREPRISE [F] fait grief à Monsieur [I] [D] de s'être présenté l'après-midi du 29 mai 2019 à son poste de travail en état d'ébriété manifeste et d'avoir, subséquemment, refusé de travailler et adopté un comportement agressif envers l'un de ses supérieurs hiérarchiques.

Pour objectiver ces allégations, l'employeur verse tout d'abord aux débats le témoignage de Monsieur [P] [O], conducteur de travaux, au terme duquel celui-ci relate avoir été présent sur le chantier de la RD 585 le mercredi 29 mai 2019 lorsque Monsieur [I] [D] s'est présenté à son poste de travail avec plus d'une heure et demie de retard, qu'il a de suite constaté que celui-ci avait encore bu et qu'il tenait des propos incohérents. Il ajoute que le salarié a ensuite catégoriquement refusé de travailler et qu'après lui avoir en conséquence demander de regagner son domicile, Monsieur [I] [D] l'a 'bousculé et a voulu en venir aux mains'.

Cette version du déroulement des faits intervenus le mercredi après-midi 29 mai 2019 se trouve confirmée par les déclarations de Monsieur [S] [R], chef de chantier, lequel a en effet relaté qu'alors qu'il était présent sur le chantier de la RD585 le mercredi 29 mai 2019, il a été 'témoin de l'état d'ébriété manifeste de Monsieur [I] [D] lorsqu'il est revenu de sa pause déjeuner', que ce dernier rencontrait de significatives difficultés d'élocution tout en adoptant un comportement agressif. Monsieur [S] [R] poursuit ensuite en expliquant que Monsieur [I] [D] a refusé de reprendre le travail et qu'en suite de l'insistance de Monsieur [O], son supérieur hiérarchique, il s'en est alors pris physiquement à celui-ci en le bousculant et le menaçant d'en venir aux mains, le tout en agrémentant cette menace verbale du geste physique afférent.

Il s'ensuit que l'état d'ébriété de Monsieur [I] [D] à son poste de travail le mercredi 29 mai 2019 est décrit de manière concordante par deux salariés de l'entreprise, présents lors des faits litigieux, tout comme la réalité du comportement qu'il a, par suite, adopté notamment à l'égard de son supérieur hiérarchique, Monsieur [O], en le bousculant physiquement et le menaçant verbalement.

Il échet de relever l'absence de toute contestation par Monsieur [I] [D] de la description ainsi faite du déroulement des événements par l'employeur, qui est corroborée par deux salariés de l'entreprise, l'appelant se contentant en effet d'exciper de ce que les témoignages produits par la société intimée seraient insuffisants à établir l'existence d'une faute grave, notamment en considération de son ancienneté et de l'absence de tout passif disciplinaire et en tout état de cause, de l'absence de tout impact sur la qualité de son travail ce jour-ci.

Outre qu'il est assez surprenant d'entendre un salarié soutenir qu'être ivre à son poste de travail soit sans conséquence ou négligeable vu la qualité de son travail, force est de constater que Monsieur [I] [D] n'étaie en rien cette affirmation d'un maintien de la qualité de sa prestation, affirmation qui se trouve au demeurant contredite par les témoignages concordants de Messieurs [O] et [R], lesquels ont en effet tous deux dépeint les difficultés d'élocution et l'agressivité du salarié, de telles circonstances faisant nécessairement échec à un travail de qualité.

Il échet par ailleurs de rappeler que Monsieur [I] [D] exerçait pour le compte de l'employeur les fonctions de conducteur d'engins, lesquelles requièrent à l'évidence la plus grande vigilance et des aptitudes à la conduite non viciées par un état alcoolémique avancé afin que ne soit notamment pas mise en péril la sécurité des autres salariés ou des prestataires extérieurs intervenant sur le chantier considéré.

Concernant enfin le défaut d'action à bref délai de l'employeur s'agissant de l'engagement de la procédure disciplinaire dont excipe Monsieur [I] [D] pour conclure à l'absence de toute faute suffisamment grave pour avoir empêché la poursuite du contrat de travail, il est constant en l'espèce que l'état d'ébriété du salarié a été constaté le mercredi 29 mai 2019, et que la procédure disciplinaire a été initiée par l'employeur le 4 juin suivant, date de la convocation à l'entretien préalable à licenciement et de la notification de la mise à pied à titre conservatoire du salarié. Comme le relève, à juste titre, la société ENTREPRISE [F], le jeudi 30 mai 2019 était le jour de l'Ascension, jour férié et chômé dans l'entreprise. L'employeur indique ensuite, sans être contredit par le salarié sur ce point, que l'entreprise était fermée du mercredi 29 mai au soir au lundi 3 juin au matin, en sorte qu'en n'engageant la procédure de licenciement le 4 juin 2019, l'employeur a manifestement agi à bref délai sans que Monsieur [I] [D] ne puisse raisonnablement lui opposer que la faute qu'il a commise le mercredi 29 mai n'aurait pas rendu impossible la poursuite de son contrat de travail, aucun texte ni jurisprudence n'imposant en effet à l'employeur d'engager la procédure disciplinaire le jour même de la commission des faits critiqués.

Compte-tenu de la nature des faits commis le mercredi 29 mai 2019 par Monsieur [I] [D], vu l'impact de ce comportement intolérable sur le fonctionnement normal de l'entreprise, vu l'obligation de sécurité dont l'employeur est tenu à l'égard de ses salariés, l'état d'ébriété du salarié à son poste de travail de conducteur d'engins de chantier, conjugué à un comportement indéniablement inadapté à raison de l'agressivité physique et des menaces verbales déployées notamment à l'encontre d'un supérieur hiérarchique, constituent une faute d'une gravité telle qu'elle rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, en ce compris la période de préavis

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce que le conseil de prud'hommes a dit le licenciement disciplinaire du salarié fondé sur une faute grave et débouté subséquemment Monsieur [I] [D] de l'ensemble des demandes afférentes.

- Sur le rappel de salaire sur mise à pied conservatoire :

Au vu des développements qui précèdent, et particulièrement du caractère bien fondé du licenciement notifié pour faute grave à Monsieur [I] [D], il apparaît que c'est également de manière parfaitement légitime que l'employeur a mis à pied à titre conservatoire le salarié pour la période courant du 4 juin 2019, date de la convocation à l'entretien préalable, au 14 juin 2019, date de notification du licenciement.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmer en ce qu'il a débouté Monsieur [I] [D] de sa demande de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire.

- Sur les dépens et frais irrépétibles -

Le jugement de première instance sera confirmé en ses dispositions sur les dépens et frais irrépétibles de première.

En cause d'appel, Monsieur [I] [D], qui succombe totalement en recours, sera condamné aux entiers dépens d'appel ce qui exclut qu'il soit fait droit à la demande qu'il formule sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Monsieur [I] [D] sera en outre condamné à payer à la SAS ENTREPRISE [F] une somme complémentaire de 1.000 euros sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

- Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

- Condamne Monsieur [I] [D] à verser à la SAS ENTREPRISE [F] une somme de 1.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

- Condamne Monsieur [I] [D] aux dépens d'appel ;

- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

Le Greffier, Le Président,

S. BOUDRY C. RUIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Riom
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/01080
Date de la décision : 04/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-04;21.01080 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award